Revue d'Evidence-Based Medicine



Le fondaparinux dans la prévention de la thrombo-embolie post chirurgie de la hanche



Minerva 2003 Volume 2 Numéro 4 Page 58 - 60

Professions de santé


Analyse de
1. Lassen M, Bauer K, Eriksson B, Turpie A, for the European Pentasaccharide Hip Elective Surgery Study (EPHESUS) Steering Committee. Postoperative fondaparinux versus preoperative enoxaparin for prevention of venous thromboembolism in elective hip-replacement surgery: a randomised double-blind comparison. Lancet 2002;359:1715-20. 2. Turpie A, Bauer K, Eriksson B, Lassen M, for the PENTATHLON 2000 Steering Committee. Postoperative fondaparinux versus postoperative enoxaparin for prevention of venous thromboembolism after elective hip-replacement surgery: a randomised double-blind trial. Lancet 2002;359:1721-6.


Conclusion
En prévention de la maladie thromboembolique, le fondaparinux ne montre aucun avantage clinique par rapport à l’énoxaparine dans la chirurgie élective de la hanche, contrairement à ce qui a été prouvé pour la chirurgie élective majeure du genou. Aucune autre indication n’est validée, à l’heure actuelle, en prévention pour le fondaparinux.


 

Minerva « en bref » vous propose de brefs commentaires sur des publications sélectionnées par le comité de rédaction de Minerva. Des études intéressantes et pertinentes pour les médecins généralistes qui ne doivent pas ou ne peuvent pas être discutées dans un cadre plus large trouvent leur place dans cette rubrique. Chaque sélection est brièvement résumée et accompagnée de quelques commentaires faits par un référent. La rédaction de Minerva vous en souhaite une agréable lecture.

 

La prévention du risque de thrombose veineuse profonde (TVP) et d’embolie pulmonaire (EP) a fait l’objet de nombreuses études. Ce risque est particulièrement élevé dans l’arthroplastie de la hanche, l’arthroplastie du genou, le traumatisme médullaire et l’accident vasculaire cérébral. L’histoire du patient module également ce risque, particulièrement son âge (supérieur à 40 ans), ses antécédents thromboemboliques, ses comorbidités (cancer, décompensation cardiaque) ou la prise de certains médicaments (hormonothérapie).

La prévention ou le traitement de ces diverses manifestations de la maladie thrombo-embolique font appel, entre autres, à l’héparine et aux dérivés de celle-ci : l’héparine non fractionnée, les héparines de bas poids moléculaire (HBPM: nadraparine, énoxaparine, daltéparine et tinzaparine), les héparinoïdes (danaparoïde) et le fondaparinux.

Ces diverses molécules ont différentes cibles d’action. À l’intérieur d’une même classe (les HBPM par exemple) les activités anticoagulantes peuvent être différentes et l’efficacité clinique de chaque molécule doit être étudiée séparément : aucune généralisation n’est donc, à priori, possible pour l’ensemble des indications. Une des molécules les plus récemment mises sur le marché est le fondaparinux. Deux études analysent son efficacité dans la prévention de la maladie thrombo-embolique en cas de chirurgie d’arthroplastie élective de la hanche.

 

Résumé

  1. Dans une étude en double aveugle, randomisée et multicentrique européenne, 2 309 patients âgés de 18 ans et plus, subissant une chirurgie élective de prothèse de hanche, reçoivent une dose quotidienne, soit de 2,5 mgr de fondaparinux, initié en post-opératoire, soit de 40 mgr d’énoxaparine, débutée en pré-opératoire, pendant 5 à 9 jours. Le follow-up dure 6 semaines et l’analyse des résultats se fait par protocole. Le critère de jugement primaire est la survenue, dans les 11 premiers jours postopératoires, d’un événement thromboembolique veineux (TVP détectée par phlébographie systématique,TVP symptomatique documentée, EP symptomatique documentée). 79% des 2 309 participants ont pu être évalués pour ce critère de jugement primaire retrouvé chez 37 des 908 patients sous fondaparinux (4 %) et 85 des 919 patients sous énoxaparine (9 %), ce qui donne une RAR de 5,2 % (IC à 95 % de 2,7 à 8,1 %) et une réduction relative de risque est une valeur relative de diminution du risque. C’est le rapport entre la différence de risque entre le groupe intervention et le groupe contrôle d’une part et le risque dans le groupe contrôle d’autre part. Cette mesure indique la réduction proportionnelle du risque d’un critère défavorable due à l’intervention. La RRR est calculée (Ri - Rc) / Rc ou ARR / Rc.">RRR de 55,9 % (IC à 95 % de 33,1 à 72,8 %). Les critères de jugement de la sécurité du traitement sont, principalement, les saignements et les décès. Aucune différence n’est observée entre les 2 groupes pour ces critères (du moins pour les saignements cliniquement significatifs).

  1. Dans une étude en double aveugle, randomisée et multicentrique en Amérique du Nord et en Australie, 2 275 patients âgés de 18 ans et plus, subissant une chirurgie élective de prothèse de hanche, reçoivent en post-opératoire soit une dose quotidienne de 2,5 mgr de fondaparinux, soit 2 injections quotidiennes de 30 mgr d’énoxaparine pendant 5 à 9 jours. Le follow up dure 6 semaines. Le critère de jugement primaire est identique à celui fixé dans l’étude de Lassen. 70% des 2 275 patients ont pu être évalués pour ce critère retrouvé chez 48 des 787 patients sous fondaparinux (6 %) et 66 des 797 patients sous énoxaparine (8 %). La RAR est de 2,2 % (IC à 95 % de –0,6 à 5,5) et la RRR de 26,3 % (IC à 95 % de – 10,8 à 52,8) avec p = 0,099 (donc non significative). Les auteurs concluent que, bien que non statistiquement significatif, ce résultat est cliniquement important.

Discussion

Dans ces deux études, des personnes particulièrement à risque comme celles qui présentent des troubles congénitaux ou acquis de la coagulation sont exclues d’emblée. Le critère de jugement principal, thrombo-embolie veineuse dans les 11 premiers jours est évalué sur la présence d’une TVP ou EP documentée et une phlébographie bilatérale systématique réalisée dans 80 % (Lassen) ou 70 % (Turpie) des cas. Seuls ces patients-ci sont analysés, par protocole donc. Cette phlébographie est effectuée en réalité entre le J5 et le J11 post-opératoire. Un suivi jusqu’à 49 jours est ensuite instauré avec rapport des TVP symptomatiques uniquement. Au terme de ce suivi, le taux de TVP est de 1% dans l’étude de Lassen, identique dans les groupes fondaparinux et énoxaparine. Dans l’étude de Turpie, par contre, il y a une différence significative de 1% d’incidence de TVP symptomatique (IC à 95 % de 0,05 à 3,1 avec p = 0,013 ) en faveur du groupe énoxaparine (respectivement 13 des 1 128 patients (1 %) du groupe énoxaparine et 29 des 1 126 (3 %) des patients du groupe fondaparinux). Le risque de morbidité et de mortalité par thrombo-embolie veineuse après une intervention chirurgicale orthopédique majeure est accrue pendant 60 à 90 jours. Il est donc important d’analyser les résultats des interventions sur cette durée totale.

L’utilisation de traitements complémentaires doit également être notée. Dans ces deux études, durant les 11 premiers jours post-opératoires, le port de bas de compression étagée est conseillé et appliqué (71% dans l’étude de Lassen et 85 à 86% dans l’étude de Turpie). Après le traitement étudié, fondaparinux ou énoxaparine, effectivement administré pendant 5 à 9 jours, un traitement prophylactique (héparine ou antivitamine K) est poursuivi dans 52% des cas dans l’étude de Lassen et dans 25 à 28% dans l’étude de Turpie. Quand on compare ces derniers chiffres aux taux de TVP symptomatiques à 49 jours dans les études respectives, on ne peut que constater l’importance d’une prophylaxie au-delà des jours 5 à 9, sans bénéfice d’un traitement initial par fondaparinux par rapport à l’énoxaparine. Dans l’étude de Lassen, il faut également remarquer que 22 % des patients n’ont effectivement reçu leur énoxaparine qu’après l’intervention chirurgicale, ce qui, à notre avis, fausse la comparaison, surtout quand on lit les résultats non significatifs de l’étude de Turpie avec l’énoxaparine administrée en post opératoire.

Une synthèse méthodique de la littérature sur l’intérêt du fondaparinux en prévention post opératoire orthopédique 1 basée sur les études d’Eriksson 2, Bauer 3 et les deux études présentées ici, conclut que, par rapport aux HBPM, le fondaparinux réduit le nombre de TVP uniquement en cas de chirurgie élective majeure du genou (RRR de 54,1 % avec IC à 95 % de 34,5 à 69,6) mais ne réduit, globalement, ni les TVP symptomatiques, ni les EP, ni la mortalité totale, ni l’incidence d’hémorragies majeures 1, 2, 3.

Une autre revue de la littérature 4 reprend toutes les études citées dans cet article plus une autre de Turpie en 2001 5. Elle conclut à l’absence de supériorité du fondaparinux par rapport à l’énoxaparine sur base de critères cliniques pertinents (mortalité, embolie pulmonaire, thrombose veineuse symptomatique), avec risque hémorragique semblant au moins aussi important, et développement possible d’anticorps antihéparine avec risque de thrombopénie et de thrombose. Cette revue rappelle également les précautions d’utilisation chez les personnes âgées, les insuffisants rénaux, les personnes de faible poids, et la surveillance nécessaire des plaquettes.

L’effet préventif du fondaparinux n’a fait, à ce jour, l’objet d’aucune publication en chirurgie générale, en médecine interne, en post infarctus du myocarde aigu, en post-stroke ischémique, chez les patients immobilisés ou ambulatoires avec plâtre du membre inférieur.

Pour le traitement de la TVP, la seule étude publiée à ce jour 6 montre une efficacité du fondaparinux semblable à celle de la daltéparine.

Conflit d’intérêt/financement

Les deux études sont financées par les firmes Sanofi-Synthelabo et Organon SA. Pas de conflit déclaré. Dans le comité de supervision qui prend en charge le design de l’étude, l’interprétation des résultats et l’écriture de l’article, 6 personnes sur 10 sont cependant des représentants des sponsors

 

Conclusion

En prévention de la maladie thromboembolique, le fondaparinux ne montre aucun avantage clinique par rapport à l’énoxaparine dans la chirurgie élective de la hanche, contrairement à ce qui a été prouvé pour la chirurgie élective majeure du genou. Aucune autre indication n’est validée, à l’heure actuelle, en prévention pour le fondaparinux.

 

Références

  1. INAMI. L’usage adéquat de l’héparine, des héparines de bas poids moléculaire et des anticoagulants oraux dans la prévention et le traitement de la maladie thrombo-embolique veineuse. Synthèse de la littérature scientifique. Réunion de consensus 5 novembre 2002.
  2. Eriksson B, Bauer K, Lassen M, et al for the Steering Committee of the Pentasaccharide in Hip-Fracture Surgery Study. Fondaparinux compared with enoxaparin for the prevention of venous thromboembolism after hip-fracture surgery. N Engl J Med 2001;354:1298-304.
  3. Bauer K, Eriksson B, Lassen M, et al for the Steering Committee of the Pentasaccharide in Major Knee Surgery Study. Fondaparinux compared with enoxaparin for the prevention of venous thromboembolism after elective major knee surgery. N Engl J Med 2001;354:1305-10.
  4. LRP. Fondaparinux en prévention des embolies pulmonaires: pas mieux qu’une HBPM. Revue Prescrire 2002; 22(232):652-5.
  5. Turpie A, Gallus A, Hoek J, for the Pentasaccharide Investigators. A synthetic pentasaccharide for the prevention of deep-vein thrombosis after global hip replacement. N Engl J Med 2001;344:619-25.
  6. The Rembrandt Investigators. Treatment of the proximal deep vein thrombosis with a novel synthetic compound (SR 90107 A / ORG 31540) with pure anti-factor Xa activity: a phase II evaluation. Circulation 2000;102:2726-31.
 

Nom des médicaments utilisés

Daltéparine : Fragmin®

Danaparoïde : Orgaron®

Enoxaparine : Clexane®

Fodaparinux : Arixtra®

Nadroparine : Fraxiparine®, Fraxodi®

Tinzaparine : Innohep®

Le fondaparinux dans la prévention de la thrombo-embolie post chirurgie de la hanche



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