Revue d'Evidence-Based Medicine



Entre despotisme éclairé et consentement éclairé



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 5 Page 53 - 53

Professions de santé


 

 

Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone


 

Qu’espèrent et que peuvent espérer nos patients quand ils acceptent de participer à une étude d’évaluation d’un nouveau médicament ?

 

Novembre 2012 : Alexander, 21 ans, étudiant en droit, est référé par son médecin généraliste auprès d’un gastroentérologue universitaire pour confirmation et traitement d’une maladie de Crohn très récemment suspectée. Un traitement par anti TNF alpha lui est d’emblée proposé dans le cadre d’une étude internationale demandant au patient de signer une déclaration de consentement éclairé. Alexander ne reçoit en fait que peu d’informations précises sur le « nouveau traitement beaucoup plus efficace que les traitements plus anciens » mais est par contre harcelé par SMS l’incitant à ne pas se préoccuper des réticences de son médecin traitant et de ses proches pour signer sans tarder « cette chance de traitement nouveau ».

 

Despotisme éclairé

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, plusieurs monarques européens, disciples des philosophes, orientent leur règne pour le bien de l'État et le bonheur de leurs sujets, dans le sens du progrès et conformément à la pensée des Lumières (œuvrer au renouvellement du savoir, de l’éthique et de l’esthétique, contre l’obscurantisme). S’ils améliorent certaines situations en favorisant l'essor économique, ils se conduisent aussi en despotes : absolutisme légitimé par la raison, renforcement de la puissance de l'État centralisé.

Consentement éclairé

L'article 8 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient concerne toute intervention d’un praticien professionnel et décrit le droit au consentement du patient. Celui-ci doit pouvoir bénéficier d’une information préalable et fournie en temps opportuns, accessible, exacte et ne pouvant être mensongère. Il doit être informé de l'objectif de l'intervention, de sa nature, du degré d'urgence de l'intervention, de sa durée probable, de la fréquence des interventions, des contre-indications et effets secondaires, des complications liées à l'intervention et des alternatives thérapeutiques possibles et « autres précisions jugées souhaitables par le patient ou le praticien professionnel » (1). S’il ne fait aucun doute que l’information doit être donnée, la manière dont celle-ci est reçue et permet d’entraîner le consentement éclairé reste une inconnue plus ou moins grande.

Eclairage : entre rampes de théâtre et leds, quelle économie ?

Djulbegovic et collaborateurs illustres du monde de l’EBM (2) nous livrent des arguments interpelants quand il s’agit d’éclairer un patient à propos de l’essai d’un nouveau traitement. Leur synthèse méthodique réalisée selon la méthodologie rigoureuse de la Cochrane Collaboration évalue la fréquence de la supériorité des (souvent) nouveaux médicaments évalués dans les RCTs financées par des fonds publics. Ils reprennent dans leur analyse 743 RCTs (total de 297 744 patients) incluant 2 cohortes d’études consécutives dans le domaine oncologique, 1 cohorte dans le domaine neurologique et 1 dans différents types de pathologies. Leur recherche ne concerne cependant que moins d’un pour cent de l’ensemble des RCTs disponibles. Ces auteurs nous montrent une distribution généralement symétrique de l’ampleur de la différence entre nouveaux et anciens traitements. A peine plus de la moitié des nouveaux traitements évalués sont prouvés plus intéressants que les anciens, mais peu sont substantiellement meilleurs : HR pour le critère primaire de 0,91 (IC à 95% de 0,88 à 0,95) ; HR pour la survie totale de 0,95 (IC à 95% de 0,92 à 0,98). 

Il s’agit d’un faible pourcentage des RCTs mais, d’autre part, il s’agit de RCTs non sponsorisées par la (ou les) firme(s) commercialisant le nouveau médicament. Il est établi (3) que ces RCTs sponsorisées ont des conclusions plus favorables pour le nouveau médicament et recommandent plus souvent (OR 5,3 ; IC à 95% de 2,9 à 14,4) le nouveau médicament en premier choix, indépendamment de l'efficacité et des effets indésirables.

Les médecins qui proposent à leur patient de participer à une étude pour évaluer un nouveau traitement ont-ils bien conscience de la probabilité faible d’un bénéfice de ce nouveau traitement pour le patient et si bénéfice, de l’ampleur probablement faible de celui-ci ? Autrement dit, le message adressé au patient sera-t-il transmis sous les feux de la rampe de la nouveauté ou en éclairage économe individualisé et complet ?

Eclairer sans éblouir

Progresser dans les soins apportés aux patients, y compris médicamenteux, doit rester une préoccupation permanente des professionnels de la santé. Participer à l’évaluation de nouveaux traitements (médicamenteux ou autres) peut être légitime si cette évaluation est réalisée dans l’intérêt des patients. Le médecin chercheur/prescripteur doit s’assurer que cette évaluation se fait dans le cadre d’une étude de méthodologie rigoureuse, non destinée à simplement habituer à prescrire (4) et avec information correcte du patient : il s’agit d’éclairer et non d’éblouir celui-ci. Ces conditions nous semblent non remplies dans plusieurs expériences récentes portées à notre connaissance, plus proches du despotisme éclairé du chercheur que du consentement éclairé du patient.

 

 

Références

  1. Article 8 de la loi du 22 août 2002. URL : http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&table_name=loi&cn=2002082245, site consulté le 12 janvier 2013, 1 page.
  2. Djulbegovic B, Kumar A, Glasziou PP, et al. New treatments compared to established treatments in randomized trials. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 10.
  3. Als-Nielsen B, Chen W, Gluud C, Kjaegaerd LL. Association of funding and conclusions in randomized drug trials: a reflection of treatment effect or adverse events? JAMA 2003;290:921-8.
  4. Chevalier P. Etudes pour rire mais pour prescrire. MinervaF 2009;8(1):1.
Entre despotisme éclairé et consentement éclairé

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

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