Revue d'Evidence-Based Medicine



L’aspirine en prévention cardiovasculaire chez la femme



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 1 Page 9 - 10

Professions de santé


Analyse de
Ridker PM, Cook NR, Lee IM et al. A randomized trial of low-dose aspirin in the primary prevention of cardiovascular disease in women. N Engl J Med 2005;352:1293-304.


Question clinique
Quelle est l'efficacité d'une faible dose d'acide acétylsalicylique versus placebo en prévention des affections cardiovasculaires chez des femmes de plus de 45 ans?


Conclusion
Cette importante étude nous montre qu'en prévention primaire des affections cardiovasculaires chez des femmes de plus de 45 ans, il n'y a pas de place pour un traitement avec des doses faibles d'acide acétylsalicylique (100 mg tous les deux jours) et que de faibles doses peuvent occasionner également des effets indésirables sévères.


 

Résumé

Contexte

Des études cliniques randomisées ont démontré qu'une faible dose d'acide acétylsalicylique (AAS) réduit le risque d'infarctus du myocarde chez l’homme. L'efficacité sur l'incidence de l'accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique chez l'homme et sur la mortalité cardiovasculaire est moins évidente. Les femmes sont sous-représentées dans les précédentes études.

Population étudiée

Les chercheurs incluent, à l'aide d'un questionnaire, 39 876 femmes âgées d'au moins 45 ans, sans antécédent de cardiopathie coronarienne, de souffrance cérébrovasculaire, de cancer ou d'une autre affection majeure. Sont exclues, les femmes avec une intolérance connue à l'AAS et les femmes qui consomment régulièrement de l'AAS ou un autre AINS. L'âge moyen de la population d'étude est de 54,6 ans (ET 7), l'IMC moyen est de 26 (ET 5,1), 13% sont fumeuses, 55% sont ménopausées, 30% utilisent une substitution hormonale et 26% présentent une hypertension.

Protocole d’étude

Cette étude clinique randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, répartit les participantes soit dans un groupe recevant tous les deux jours 100 mg d'AAS (n=19 934) soit dans un groupe qui reçoit un placebo tous les deux jours (n=19 942). Chaque année, les femmes participantes reçoivent un questionnaire les interrogeant sur les critères de jugement ainsi que sur l’observance et sur les effets indésirables du médicament évalué.

 

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est une combinaison d’affections cardiovasculaire majeures (infarctus du myocarde, AVC ou décès d’origine cardiovasculaire). Les critères d'évaluation secondaires sont: infarctus du myocarde fatal et non fatal, AVC fatal et non fatal, AVC ischémique, AVC hémorragique et décès d’origine cardiovasculaire. Des critères de jugement secondaires complémentaires sont: mortalité globale, accident ischémique transitoire (AIT) et recours à une revascularisation coronarienne. Les résultats sont analysés en intention de traiter.

Résultats

Le suivi moyen est de 10 ans. A l'issue de l'étude, 999 femmes présentent une affection cardiovasculaire majeure, soit 253 cas pour 100 000 années-femmes. Dans le groupe traitement actif, 477 sont répertoriés, versus 522 dans le groupe placebo. Cette différence n'est pas significative (voir tableau). Le risque d'AVC diminue de 17% dans le groupe qui a reçu de l'AAS et cet effet favorable se maintient durant tout le suivi de l'étude. Le risque d'AVC non fatal chute de 19%, le risque d'AVC ischémique de 24% et celui d’AIT de 22% (voir tableau). Il n'y a pas de différence significative en ce qui concerne la survenue d'AVC fatal, d'AVC hémorragique, d'infarctus du myocarde fatal et non fatal, de décès d’origine cardiovasculaire, de revascularisation coronarienne et de mortalité globale. L'efficacité favorable de l'AAS sur la prévention de l'AVC est la plus importante dans le sous-groupe de femmes âgées de plus de 65 ans. Dans ce groupe également, une diminution significative des affections cardiovasculaires majeures et d'infarctus du myocarde est observée. Des saignements gastro-intestinaux sévères (ayant nécessité une transfusion) surviennent plus fréquemment et de façon significative dans le groupe AAS (RR 1,40; IC à 95% de 1,07 à 1,83; p=0,02). Pas de différence significative pour les autres effets indésirables entre les deux groupes.

 

Tableau: Survenue d'affections cardiovasculaires majeures et d'AVC dans le groupe AAS versus groupe placebo.

 

Risque relatif

IC à 95%

Valeur p

Affections cardiovasculaires majeures

RR=0,91

0,80 à 1,03

p=0,13

AVC

RR=0,83

0,69 à 0,99

p=0,04

AVC non fatal

RR=0,81

0,67 à 0,97

p=0,02

AVC ischémique

RR=0,76

0,63 à 0,93

p=0,009

AIT

RR=0,78

0,64 à 0,94

p=0,01

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l'administration de faibles doses d'AAS chez des femmes âgées de plus de 45 ans n'apporte pas de diminution significative d’affections cardiovasculaires majeures. Le risque d'AVC chute de façon significative, sans chute du risque d'infarctus du myocarde.

Financement

National Heart, Lung and Blood Institute et National Cancer Institute. L'acide acétylsalicylique et le placebo sont fournis par Bayer HealthCare.

Conflits d'intérêt

Trois auteurs ont reçu un soutien financier de Bayer et trois autres sont des conseillers dans cette firme.

 

Discussion

Efficacité chez la femme, efficacité chez l’homme

Cette importante étude, de longue durée est de bonne qualité méthodologique. En n'incluant que des femmes, elle comble un vide dans nos connaissances. Une comparaison avec l'étude réalisée auprès des hommes, la Physicians’ Health Study 1 s'impose. Cette étude en prévention primaire d’une durée de cinq ans possède un protocole comparable. L’administration d’une faible dose d'AAS y réduit, de façon significative, la fréquence d'infarctus du myocarde chez l’homme, particulièrement pour les hommes âgés de plus de 50 ans sans antécédent de pathologie coronarienne. Il n'y a, par contre, pas d'influence sur la fréquence des affections cérébrovasculaires, au contraire de l’observation faite dans l'étude ici analysée et concernant des femmes âgées de plus de 65 ans. Par ailleurs, comme pour les femmes, cette étude chez l’homme ne montre pas d'influence sur la mortalité cardiovasculaire totale. Cette différence observée entre homme et femme concernant les différents critères d'évaluation clinique reste actuellement inexpliquée mais est une source de spéculation. Des différences pharmacodynamiques suite à l’administration d'AAS pourraient exister 2. Par ailleurs, l'AAS semble être aussi efficace, dans les deux sexes, en prévention secondaire des affections cardiovasculaires 3.

Une méta-analyse concernant la prévention primaire avait déjà montré que la plus-value de l'AAS en tant qu'antiagrégant dépendait du risque cardiovasculaire de la population traitée 4. Cette observation pourrait contribuer à expliquer l'absence d’observation d'une efficacité de l'AAS sur la prévention de l'infarctus du myocarde chez les femmes. Le risque d'infarctus du myocarde dans l'étude ici analysée, se situe en effet à un niveau inférieur par rapport à celui présenté par les hommes inclus dans la Physicians’ Health Study. La différence entre les dosages utilisés - 100 mg tous les deux jours chez la femme et 325 mg par jour chez l’homme - peut jouer un rôle dans le résultat observé. Les auteurs émettent cependant des doutes à ce propos, tant sur des bases théoriques qu'expérimentales.

Personnes âgées

Un effet de l'AAS nettement favorable est observé chez les femmes âgées de plus de 65 ans. La prudence s'impose cependant lors d’une interprétation des résultats en sous-groupes 5. Dans le protocole de cette étude, une analyse en sous-groupes était prévue, mais les femmes de plus de 65 ans ne constituent que 10,3% de la population étudiée, avec une puissance statistique donc limitée pour cette observation. La conclusion que toute femme de plus de 65 ans est candidate pour un traitement préventif à base d'AAS est donc pour le moins prématurée. Dans des études en prévention, chez les hommes également, les personnes âgées de plus de 70 ans sont sous-représentées, de sorte que la recommandation d'administrer de l'AAS à toutes les personnes âgées est probablement porteuse de plus de tort que de bien 6,7. Dans cette étude, même si de très faibles doses d'AAS ont été utilisées, des effets indésirables gastro-intestinaux sévères se sont produits plus fréquemment dans le groupe traité, risque particulièrement élevé chez les personnes âgées. Une dose absolument sûre d'AAS n'existe donc pas.

Clinical Evidence 8 se base sur une recherche dans la littérature qui remonte à fin 2002 et conclut que le rôle des antiagrégants, dont l'AAS, en prévention primaire des affections cardiovasculaires est incertain. Déterminer précisément qui pourra tirer un réel bénéfice d'un tel traitement reste peu clair, même s'il est évident que celui qui court le risque le plus élevé en tirera le plus de bénéfice. Cette étude également ne permet pas d’apporter une réponse définitive dans ce domaine.

 

Conclusion

Cette importante étude nous montre qu'en prévention primaire des affections cardiovasculaires chez des femmes de plus de 45 ans, il n'y a pas de place pour un traitement avec des doses faibles d'acide acétylsalicylique (100 mg tous les deux jours) et que de faibles doses peuvent occasionner également des effets indésirables sévères.

 

Références

  1. Steering Committee of the Physicians’ Health Study Research Group. Final report on the aspirin component of the ongoing Physicians’ Health Study. N Engl J Med 1989;321:129-35.
  2. Levin RI. The puzzle of aspirin and sex. N Engl J Med 2005;352:1366-8.
  3. Antithrombotic Trialists' Collaboration. Collaborative meta-analysis of randomised trials of antiplatelet therapy for prevention of death, myocardial infarction and stroke in high risk patients. BMJ 2002;324:71–86.
  4. Hayden M, Pignone M, Phillips C et al. Aspirin for the primary prevention of cardiovascular events: a summary of the evidence for the U.S. Preventive Services Task force. Ann Intern Med 2002;136:161-72.
  5. Cook DI, Gebski VJ, Keech AC. Subgroup analysis in clinical trials. Med J Aust 2004;180:289-91.
  6. Elwood P, Morgan G, Brown G, Pickering J. Aspirin for everyone older than 50? For. BMJ 2005;330:1440-1.
  7. Baigent C. Aspirin for everyone older than 50? Against. BMJ 2005;330:1442-3.
  8. Foster C, Murphy M, Nicholas JJ et al. Primary prevention. Clin Evid (web archive).
 
L’aspirine en prévention cardiovasculaire chez la femme

Auteurs

Sturtewagen J.P.
Projekt Farmaka, Gent
COI :

Glossaire

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