Revue d'Evidence-Based Medicine



Infiltration ou chirurgie pour le syndrome du canal carpien?



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 1 Page 14 - 16

Professions de santé


Analyse de
Ly-Pen D, Andréu JL, de Blas G et al. Surgical decompression versus local steroid injection in carpal tunnel syndrome: a one-year, prospective, randomized, open, controlled clinical trial.. Arthritis Rheum 2005;52:612-9.


Question clinique
Quelle est l’efficacité relative des injections locales de corticostéroïdes et de la chirurgie dans le traitement d’un syndrome du canal carpien idiopathique (SCC)?


Conclusion
Cette étude conclut à l’absence d’une efficacité supérieure d'un traitement chirurgical primaire d'un syndrome du canal carpien par rapport à la réalisation de deux infiltrations locales consécutives avec un corticostéroïde.


Contexte 

Il n'existe pas de critères diagnostiques ni de guide de pratique universellement admis pour le SCC. Certaines anomalies électrophysiologiques sont considérées comme suggestives du diagnostic. Pour le traitement du syndrome du canal carpien, une gradation thérapeutique est généralement pratiquée, débutant par attelle et AINS pour se poursuivre par injection de corticostéroïdes en cas de réponse thérapeutique insuffisante. Pour éviter un déficit moteur du pouce et une perte de sensibilité, la chirurgie est souvent recommandée dans les cas sévères. Le traitement optimal en fonction du degré de sévérité clinique ou électrophysiologique reste cependant mal défini.

 

Population étudiée

Les 101 patients inclus (93 femmes, 8 hommes), âgés de plus de 18 ans, ont été adressés par leur médecin à une unité de traitement du syndrome du canal carpien mise en place pour cette étude, dans un hôpital espagnol, suite à des symptômes suggestifs d’un SCC depuis au moins 3 mois et après échec d'un traitement d’au moins 2 semaines par AINS et attelle. Une grossesse en cours, la présence d'un diabète, d'une hypothyroïdie, d'une arthropathie inflammatoire, d'une polyneuropathie, d'une atrophie de l’éminence thénar, d'une chirurgie préalable pour SCC ou d'une précédente infiltration pour ce syndrome constituaient des facteurs d’exclusion. Le SCC était confirmé par une analyse électrophysiologique.

 

Protocole d’étude 

Dans cette étude clinique contrôlée, comparative, prospective, randomisée, ouverte, la répartition est réalisée aléatoirement par poignet (163 au total) dans deux groupes. Un premier groupe (n=80) a été opéré par abord palmaire limité (par le même chirurgien). L’autre groupe (n=83) a reçu une à deux injections (séparées de 2 semaines) de 20 mg d'acétate de paraméthasone dans le canal carpien, par l’investigateur principal de l’étude. Celui-ci a revu les patients à 2 semaines, 3 mois, 6 mois et 12 mois après le début du traitement. L’analyse se fait en intention de traiter.

 

Mesure des résultats 

Les résultats sont exprimés par les patients sur 3 échelles visuelles analogiques se rapportant aux paresthésies nocturnes, aux douleurs et au déficit fonctionnel. Le résultat est considéré comme positif s’il y a amélioration d’au moins 20% sur une des échelles visuelles analogiques par rapport à la situation avant le début du traitement. Le critère de jugement primaire est le pourcentage de poignets atteignant, à 3 mois, au moins 20% d’amélioration sur l’échelle visuelle analogique pour les paresthésies nocturnes (en se basant sur l'observation que celles-ci s’avèrent être plus gênantes pour les patients que les douleurs ou le déficit fonctionnel diurnes). Les critères de jugement secondaires sont les pourcentages de poignets présentant une amélioration de 20% sur l’échelle visuelle analogique pour les paresthésies nocturnes à 6 et 12 mois, une réponse de 20% pour le déficit fonctionnel et la douleur ainsi qu’une réponse de 50% et 70% pour les paresthésies nocturnes, la douleur et le déficit fonctionnel. Des définitions précises sont mentionnées pour les critères d'échec de traitement.

 

Résultats 

Sur les 80 poignets inclus dans le groupe traité par chirurgie, 11 n’ont pas été opérés (par refus du traitement) et 12 sont sortis de l’étude pour échec du traitement (7 cas) ou déménagement (5 cas). Sur 83 poignets inclus dans le groupe traité par infiltration, 1 n’a pas été infiltré (par refus du traitement) et 16 sont sortis de l’étude pour échec du traitement (12 cas), déménagement (2 cas) ou fracture du poignet (2 cas). En ce qui concerne le critère de jugement primaire, une différence significative (p = 0,001) est observée entre les 2 groupes: à 3 mois, 94% des patients du groupe traité par infiltration et 75% des patients du groupe traité par chirurgie ont présenté une amélioration d’au moins 20% de leurs paresthésies nocturnes. Pour les critères secondaires, à 12 mois, aucune différence significative n'est observée pour les paresthésies nocturnes, la douleur diurne et l'amélioration fonctionnelle, sauf pour une amélioration fonctionnelle d’au moins 70%, davantage (p = 0,04) retrouvée dans le groupe opéré (65%) que dans le groupe infiltré (48,2%). Aucune complication significative n’a été notée dans les 2 groupes.

 

Conclusions des auteurs 

Les auteurs concluent à une meilleure efficacité, à court terme, d'une infiltration locale de stéroïdes par rapport à la décompression chirurgicale en termes d'amélioration symptomatique. A un an, l'efficacité symptomatique est semblable.

 

Financement

Non décrit.

 

Conflits d’intérêt 

Non mentionnés.

 
 

Discussion 

Le syndrome du canal carpien témoigne de la neuropathie compressive la plus fréquente avec une prévalence, dans la population générale, de 2,7%1. Il présente un impact professionnel et social important. Ses symptômes habituels sont constitués d’engourdissements et de douleurs, dans le territoire du nerf médian, avec exacerbation nocturne. Les examens électrophysiologiques concourent souvent au diagnostic.

 

Considérations sur la méthodologie de cette étude

Cette étude n'est pas en double-aveugle, par choix éthique. Comme les résultats évalués sont les données subjectives fournies exclusivement par les patients, sans évaluation fonctionnelle précise par un tiers, ceci pourrait constituer un biais important. Les auteurs reconnaissent ne pas avoir utilisé, comme critère d’évaluation, une échelle (DASH disabilities of the arm, shoulder and hand) publiée antérieurement au début de leur étude, mais non validée en langue espagnole à ce moment-là. L’évaluation des paresthésies nocturnes comme critère de jugement primaire semble cependant judicieux 2. C’est en effet le problème principal de la majorité des patients, avant les problèmes fonctionnels, même dans des cas chroniques sévères 3. La répartition entre les groupes n'est pas faite par patients (n=101) mais par poignets (n=163), certains patients ayant donc subi et intervention chirurgicale (56 réellement opérés) et infiltration(s) (49 patients infiltrés). L'infiltration d'un SCC pourrait avoir influencé le résultat de l'intervention chirurgicale de l'autre poignet. Les auteurs discutent de ce cas d'espèce mais affirment (sans fournir les données) qu'une analyse exclut une telle possibilité.

Dans 80% des cas, deux infiltrations ont été effectuées dans le même poignet. L'étude évalue donc plutôt l'efficacité de deux infiltrations consécutives versus chirurgie.

 

Intérêt par rapport aux autres études

L'efficacité d'exercices spécifiques, de l'administration d'AINS, d'un traitement par ultrasons, du port d'une attelle n'est pas montrée dans des RCTs 4. Un traitement corticostéroïde oral s'est montré efficace à court terme 4. Pour l'efficacité de l'injection locale d'un corticostéroïde, quatre petites RCTs 4 (dont trois sont reprises dans une synthèse méthodique 5 montrent: une efficacité d'une infiltration, versus placebo ou absence de traitement, à quatre et six semaines d'évolution, une efficacité plus grande que celle d'une injection du même corticostéroïde dans le deltoïde à un mois, une efficacité d'une infiltration à huit et douze semaines. Une étude prospective montre une efficacité (79% des sujets) d'une infiltration, à plus long terme (16 mois), pour un SCC léger 6. Il n’existe pas de RCT comparant chirurgie et placebo 4. D'autres petites RCTs ont montré un intérêt de la chirurgie par rapport à une immobilisation par attelle ou l'équivalence d'efficacité de différentes techniques chirurgicales, mais avec différents effets indésirables, généralement transitoires, variables suivant la technique utilisée 4. De multiples facteurs tant nerveux périphériques que centraux ou psychosociaux 7 interviennent dans l’évolution, rendant l'interprétation des études et les conclusions pour la pratique plus difficiles.

 

Effets indésirables

Cette publication rapporte les résultats de la première étude randomisée comparant les deux traitements les plus classiques du SCC: l’injection locale de corticostéroïdes et la décompression chirurgicale. Elle montre que les deux traitements sont d'efficacité semblable. La chirurgie ne montre une supériorité significative que sur le critère «amélioration fonctionnelle de plus de 70% à 12 mois», soit un NST de 6. Etant donné les limites méthodologiques que nous avons décrites, la pertinence clinique de ce bénéfice statistique reste faible. Deux fractures de poignet sont enregistrées chez des patients ayant subi une infiltration mais ne sont pas attribuées, par les auteurs, au traitement. Dans leur discussion, les auteurs mentionnent un taux d'échec du traitement plus important, au fil de l'étude, dans le groupe infiltré. Les auteurs mentionnent que, dans le groupe infiltrations, davantage d’échecs thérapeutiques sont enregistrés, survenant pour la plupart entre les visites des six et douzième mois. Cette étude ne permet pas de conclusions pour un traitement de deuxième ligne, en cas d'échec des infiltrations. Une étude à long terme, analysant notamment les résultats chirurgicaux dans les cas réfractaires au traitement par infiltration reste indispensable.

 

Conclusion

Cette étude conclut à l’absence d’une efficacité supérieure d'un traitement chirurgical primaire d'un syndrome du canal carpien par rapport à la réalisation de deux infiltrations locales consécutives avec un corticostéroïde.

 

Références

  1. Atroshi I, Gummesson C, Johnsson R et al. Prevalence of carpal tunnel syndrome in a general population. JAMA 1999;282:153-8.
  2. Nora DB, Becker J, Ehlers JA, Gomes I. What symptoms are truly caused by median nerve compression in carpal tunnel syndrome? Clin Neurophysiol 2005;116:275-83.
  3. Thonnard J, Saels P, Van den Bergh P, Lejeune T. Effects of chronic median nerve compression at the wrist on sensation and manual skills. Exp Brain Res 1999;128:61-4.
  4. Ashworth N. Carpal tunnel syndrome. Clin Evid 2005;13:1388-404.
  5. Marshall S, Tardif G, Ashworth N. Local corticosteroid injection for carpal tunnel syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2002, Issue 4.
  6. Agarwal V, Singh R, Sachdev A et al. A prospective study of the long-term efficacy of local methyl prednisolone acetate injection in the management of mild carpal tunnel syndrome. Rheumatology (Oxford) 2005;44:647-50.
  7. Katz JN, Losina E, Amik BC III et al. Predictors of outcomes of carpal tunnel release. Arthritis Rheum 2001;44:1184-93.
Infiltration ou chirurgie pour le syndrome du canal carpien?

Auteurs

Barbier O.
Service d'orthopédie et de traumatologie, Cliniques Universitaires St-Luc, Bruxelles
COI :

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

Glossaire

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