Revue d'Evidence-Based Medicine



Acide hyaluronique en intra-articulaire dans la gonarthrose



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 4 Page 58 - 59

Professions de santé


Analyse de
Arrich J, Piribauer F, Mad P et al. Intra-articular hyaluronic acid for the treatment of osteoarthritis of the knee: systematic review and meta-analysis. CMAJ 2005;172:1039-43.


Question clinique
Quelle est l'efficacité des infiltrations intra-articulaires d'acide hyaluronique chez des patients atteints de gonarthrose?


Conclusion
Cette méta-analyse correctement réalisée conclut qu'il n'existe pas de preuves d'une efficacité cliniquement pertinente d'infiltrations intra-articulaires d'acide hyaluronique en comparaison avec le placebo. Minerva avait déjà cité l'absence d'une plus-value nette par rapport aux AINS ainsi que l’absence d’une comparaison avec le paracétamol ou avec un traitement non médicamenteux. Notre conclusion demeure: il n'y a actuellement pas de place pour des préparations à base d'acide hyaluronique dans l'arbre décisionnel du traitement de la gonarthrose.


 

Résumé

Contexte

Près de 10% des personnes âgées d'au moins 55 ans souffrent de gonarthrose. Le mécanisme de dégénérescence du cartilage articulaire est mal connu, mais la matrice constituée de glycans glucosaminiques et de protéoglycans semble jouer un rôle important. L'acide hyaluronique est un glycan glucosaminique, utilisé fréquemment dans la pratique; les preuves de l'efficacité de ce traitement coûteux restent néanmoins contradictoires. Une méta-analyse récente conclut que l'acide hyaluronique présente «dans le meilleur des cas, une efficacité faible». Les résultats de précédentes méta-analyses correspondent cependant difficilement à une efficacité clinique pertinente.

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse.

Sources consultées

Medline, EMBASE, CINAHL, Biosis et le Cochrane Controlled Trial Register (jusqu’en avril 2004).

Etudes sélectionnées

Sont incluses, les RCTs randomisées, contrôlées versus placebo, qui évaluent l'efficacité de l'acide hyaluronique chez des patients présentant une gonarthrose. La qualité méthodologique des études est appréciée à l'aide du secret de l’attribution, du caractère aveugle et de l'analyse en intention de traiter. Parmi les 1 159 articles trouvés, 24 RCTs ont été sélectionnées. Deux RCTs ne permettent pas d'en extraire des données, ce qui réduit le nombre de RCTs incluses dans la méta-analyse à 22.      

Population étudiée

Un total de 3 139 patients sont inclus dans ces 22 études (de 40 à 408 patients par étude), dont 28 à 75% sont des femmes, avec un âge moyen de 46 à 69 ans et une durée moyenne de la maladie de 9,6 à 102 mois.

Mesure des résultats

Les critères de jugement «douleur au repos», «douleur au mouvement» et «fonction articulaire» sont regroupés à l'aide du modèle d'effet aléatoire. La douleur est appréciée dans la plupart des études à l'aide d'une échelle visuelle analogique (EVA). La fonction articulaire est déterminée grâce aux échelles de fonction WOMAC ou de Lesquesne. Des analyses de sensibilité qui tiennent compte de la qualité méthodologique et du poids moléculaire de l'acide hyaluronique sont effectuées.

Résultats

En raison d'une hétérogénéité évidente, les auteurs ne se prononcent pas sur l'efficacité de l'acide hyaluronique sur la «douleur au repos». Deux études de grande qualité méthodologique ne montrent pas de différence significative versus placebo. Les patients traités par acide hyaluronique (neuf études) présentaient moins de «douleur au mouvement»: différence moyenne sur une échelle visuelle analogique de 100 mm après 2 à 6 semaines de -3,8 mm (IC à 95% de -9,1 à 1,4), après 10 à 14 semaines de -4,3 mm (IC à 95% de -7,6 à -0,9) et après 22 à 30 semaines de -7,1 mm (IC à 95% de -11,8 à -2,4). Ces différences sont cependant plus faibles que ce qui a été considéré comme cliniquement pertinent (c’est-à-dire 15 mm). A aucun moment, une amélioration significative de la «fonction du genou» n’est observée. Des effets indésirables (souvent minimes, tels que douleur au site d'injection) sont rapportés un peu plus fréquemment lors d’un traitement avec l'acide hyaluronique (RR 1,08; IC à 95% de 1,01 à 1,15). Une analyse de sensibilité de quatre études de haute qualité méthodologique ou de l'ensemble des études classées selon le poids moléculaire ne donne pas de résultats significatifs.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, sur base des preuves existantes, il n'y a pas d’arguments en faveur d'une efficacité clinique pertinente d'infiltrations intra-articulaires d'acide hyaluronique et que cette pratique peut être accompagnée d'un risque majoré d'effets indésirables.

Financement

Hauptverband der Österreichischen Sozialversicherungsträger (financement partiel).

Conflits d'intérêt

Aucune mention.

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse répond aux critères d'une bonne méthodologie: une recherche bien définie, des exigences de qualité sévères pour l’inclusion des études et des analyses de sensibilité pour ce qui concerne la qualité méthodologique des études et le poids moléculaire de l'acide hyaluronique. Le mérite principal de cette méta-analyse est sa tentative de mesurer l'efficacité à l'aide de critères cliniquement pertinents. Comme toutes les études ne rapportent pas les mêmes critères de jugement, les méta-analyses calculent fréquemment un «effet global», tel que, par exemple, «la douleur en général», en regroupant plusieurs types d’efficacité. L'interprétation de la valeur clinique d'un tel effet global est souvent difficile 1. En sélectionnant, au sein des études, les données sur trois critères de jugement spécifiques, douleur au repos, douleur au mouvement et fonction du genou, et en les sommant par critère et par moment où la mesure est effectuée, Arrich et coll obtiennent des conclusions sur des critères d'évaluation qui ont également une signification pour la pratique.

Interprétation des résultats

Les auteurs font remarquer que la qualité méthodologique des études trouvées laisse à désirer. Ils constatent, pour chacun des critères de jugement, une importante hétérogénéité statistique non expliquée, ce qui, selon eux, ne rend pas une sommation possible. Si une sommation est, malgré tout, réalisée, comme elle a été faite pour le critère «douleur au repos», un résultat non significatif peut devenir subitement significatif. Toutes les insuffisances méthodologiques des études ont pour conséquence une surévaluation de l'efficacité. Cette observation est également valable surtout pour l'évaluation de l'efficacité «douleur au mouvement». De par le choix des critères d'évaluation et la façon de sommer de cette méta-analyse, un jugement clinique sur l'ordre de grandeur de l'efficacité observée est possible. Que signifie pour le patient une amélioration de la douleur au mouvement de maximum 12 mm sur une échelle de 100 mm? Une efficacité semblable peut être obtenue en administrant du paracétamol, mais une comparaison directe avec ce traitement de premier choix de l'arthrose n'est (pas encore) publiée 2. Wang et coll font remarquer, dans leur méta-analyse, que les études qui autorisent le recours au paracétamol comme adjuvant, montrent une moindre efficacité 4. L'acide hyaluronique n'a pas de plus-value franche sur les AINS 1,3. Deux études qui comparent l'acide hyaluronique avec l'administration de corticostéroïdes en intra-articulaire donnent des résultats contradictoires 2. Les effets indésirables restent limités à des plaintes locales liées à l'infiltration, mais leur mention est rarement faite.

Autres méta-analyses

Plusieurs synthèses méthodiques et méta-analyses d'études contrôlées versus placebo concernant l'acide hyaluronique ont déjà été publiées, dont une synthèse Cochrane 1. Même si des études toujours différentes sont incluses, les résultats sont comparables 4-6. La mauvaise qualité méthodologique des études est mentionnée ainsi que le risque d'un biais de publication en faveur de l'acide hyaluronique. Elles diffèrent en ce qui concerne les critères de jugement rapportés, mais surtout pour l'interprétation des résultats. Arrich et coll estiment les insuffisances méthodologiques des essais individuels d’une importance telle qu'ils relativisent les résultats de la sommation et qu'ils la rejettent même. Lo et coll concluent quand même à la présence d’une petite efficacité, mais ne mentionnent pas comment leur ampleur d’effet sommée doit être interprétée sur le plan clinique 5. Ils relativisent néanmoins ce résultat en relevant un biais de publication. Modawal et coll se basent uniquement sur onze études et concluent qu'il y a un effet modéré jusqu'à 10 semaines après l'infiltration, mais plus au-delà 6. Enfin, Wang et coll, en passant, sans difficultés, les limites méthodologiques identifiées outre, concluent dans leur méta-analyse que «l'efficacité de l'acide hyaluronique est confirmée» 4.

Cette analyse des méta-analyses montre, une fois de plus, combien lors de la lecture et du jugement des méta-analyses, nous devons rester proche de la pertinence clinique.

Minerva et les Folia avaient déjà mentionné l'important effet placebo des infiltrations intra- articulaires (de 20 jusqu’à 80%) 1,3,7, ce qui met en question la valeur d'un tel médicament par rapport à celle d’un traitement per os (tel le paracétamol). Pas davantage de comparaison avec une approche non médicamenteuse (gymnastique, activités physiques).

Pas d'argument majeur donc pour justifier un traitement à base de ce produit fort coûteux.

 

Conclusion

Cette méta-analyse correctement réalisée conclut qu'il n'existe pas de preuves d'une efficacité cliniquement pertinente d'infiltrations intra-articulaires d'acide hyaluronique en comparaison avec le placebo. Minerva avait déjà cité l'absence d'une plus-value nette par rapport aux AINS ainsi que l’absence d’une comparaison avec le paracétamol ou avec un traitement non médicamenteux 3. Notre conclusion demeure: il n'y a actuellement pas de place pour des préparations à base d'acide hyaluronique dans l'arbre décisionnel du traitement de la gonarthrose.

 

Références

  1. Bellamy N, Campbell J, Robinson V et al. Viscosupplementation for the treatment of osteoarthritis of the knee. Cochrane Database Syst Rev 2005, Issue 4. .
  2. Chard J, Smith C, Lohmander S, Scott D. Osteoarthritis of the knee. Clin Evid 2006;14:
  3. Luyten F. Les infiltrations d’acide hyaluronique sont-elles efficaces dans la gonarthrose? MinervaF 2003;2(9):152-4.
  4. Wang CT, Lin J, Chang CJ et al. Therapeutic effects of hyaluronic acid on osteoarthritis of the knee. J Bone Joint Surg 2004;86-A:538-45.
  5. Lo GH, LaValley M, McAlindon T, Felson DT. Intra-articular hyaluronic acid in treatment of knee osteoarthritis. A meta-analysis. JAMA 2003;290:3115-21.
  6. Modawal A, Ferrer M, Choi HK, Castle JA. Hyaluronic acid injections relieve knee pain. J Fam Pract 2005;54:758-7.
  7. INjections intra-articulaires en cas de gonarthrose. Folia Pharmacotherapeutica 2005;32:23-4.
Acide hyaluronique en intra-articulaire dans la gonarthrose

Auteurs

van Driel M.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

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