Revue d'Evidence-Based Medicine



Warfarine ou aspirine pour la fibrillation auriculaire de la personne âgée ?



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 6 Page 92 - 93

Professions de santé


Analyse de
Mant J, Hobbs FD, Fletcher K, et al; BAFTA investigators; Midland Research Practices Network (MidReC). Warfarin versus aspirin for stroke prevention in an elderly community population with atrial fibrillation (the Birmingham Atrial Fibrillation Treatment of the Aged Study, BAFTA): a randomised controlled trial. Lancet 2007;370:493-503.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de la warfarine versus faible dose d’aspirine en prévention de l’AVC et des thromboembolies artérielles chez des personnes âgées de plus de 75 ans présentant une fibrillation auriculaire ?


Conclusion
Cette étude BAFTA montre que l’administration de warfarine avec un INR cible de 2,5 (entre 2 et 3) est plus efficace que celle de 75 mg d’aspirine par jour, également dans une population âgée d’au moins 75 ans, en fibrillation auriculaire et ne présentant pas de contre-indication à un traitement anticoagulant oral.


 

Résumé

Contexte

La fibrillation auriculaire (FA) est le trouble du rythme le plus fréquent chez la personne âgée, présente chez environ 12% des personnes de plus de 75 ans. Un traitement préventif de l’accident vasculaire cérébral (AVC) est plus efficace avec un anticoagulant (antivitamine K) qu’avec un antiagrégant (1) mais les personnes âgées avec FA ont aussi, un risque accru de saignements majeurs en dehors de celui d’AVC, ce qui entraîne souvent une méfiance vis-à-vis des anticoagulants. La balance entre prévention de l’AVC et risque accru de saignement est mal établie chez ces personnes en raison d’une sous-représentation de cette tranche d’âge dans les études.

 

Population étudiée

  • patients recrutés dans 260 pratiques de médecine générale en Angleterre et au Pays de Galles, âgés d’au moins 75 ans, présentant une FA ou un flutter auriculaire à l’ECG
  • exclusion des patients présentant : pathologie cardiaque rhumatismale, saignement majeur non traumatique dans les 5 dernières années, ulcère gastrique à l’endoscopie dans l’année écoulée, varices œsophagiennes, allergie à la warfarine ou à l’aspirine, maladie terminale, chirurgie récente (< 3 mois), hypertension artérielle (> 180/110 mmHg), indication ou contre- indication de warfarine en fonction des facteurs de risque d’AVC ou de saignement
  • inclusion de 973 patients (sur les 4 639 recrutés) ; âge moyen de 81,5 (ET 4,2) ans.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, prospective, en protocole ouvert, avec insu pour les évaluateurs
  • intervention : soit warfarine à dose adaptée à l’INR cible de 2,5 (n = 488), soit aspirine à faible dose (75 mg/j) (n = 485)
  • durée moyenne d’étude de 2,7 (ET 1,2) ans
  • analyse en intention de traiter.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : AVC fatal ou invalidant (ischémique ou hémorragique), autre saignement intracrânien ou thromboembolie artérielle cliniquement significative
  • critères secondaires : saignement majeur (fatal ou nécessitant transfusion ou chirurgie), hospitalisation pour hémorragie, décès ou hospitalisation pour événement vasculaire, mortalité globale.

Résultats

  • sorties d’étude : 4 patients dans chaque groupe
  • critère primaire : incidence annuelle moindre dans le groupe warfarine (voir tableau)
  • saignements majeurs : pas de différence pour l’incidence annuelle (voir tableau).

 

Tableau : incidence annuelle du critère de jugement primaire et des saignements majeurs dans le groupe warfarine versus groupe aspirine, avec Réduction Absolue de Risque (RAR) et IC à 95%, Risque Relatif (RR) avec IC à 95% et valeur p. 

 

warfarine

aspirine

RAR (IC à 95%)

RR (IC à 95%)

valeur p

Critère primaire

1,8 %*

3,8%*

2% (0,7 à 3,2)

0,48 (0,28 à 0,8)

0,003

Saignement majeur

1,4%

1,6%

0,2% (-0,7 à 1,2) †

0,87 (0,43 à 1,73)

0,67†

* dont 1,6% vs 3,4% AVC fatal ou invalidant ; † non significatif

  

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les résultats de cette étude BAFTA confortent le recours à une anticoagulation orale chez des patients âgés de plus de 75 ans présentant une fibrillation auriculaire sauf contre-indication ou décision du patient que le bénéfice potentiel n’est pas supérieur aux désagréments de ce traitement.

 

Financement

Medical Research Council, Midlands Research Consortium et le Primary Care Research Trust (Royaume-Uni).

 

Conflits d’intérêt

Uun des auteurs mentionne avoir reçu des honoraires de différentes firmes pharmaceutiques et avoir participé à l’élaboration de plusieurs guides de pratique sur la FA. Les autres auteurs déclarent une absence de conflits d’intérêt.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La randomisation de cette étude d’intervention prospective est bien respectée avec stratification selon l’âge et le sexe. La répartition selon le score CHADS2 est identique dans les 2 groupes avec plus de 70% de score 1-2. Seuls 21% des personnes recrutées sont inclus, avec une forte sélection, dont il faut tenir compte lors de l’extrapolation des résultats (voir paragraphe suivant). Le nombre total de patients inclus est inférieur à celui estimé pour une puissance suffisante (90%) pour le critère primaire, ce qui pourrait entraîner l’absence de mise en évidence d’une différence pour les saignements majeurs. L’étude est en protocole ouvert mais une adjudication des événements pour le critère primaire est faite sur base documentée et en insu par des neurologues indépendants de la recherche. Les sorties d’étude sont minimes et il y a peu de permutation entre les groupes.

 

Interprétation des résultats

Les résultats de cette étude BAFTA confirment une supériorité de la warfarine sur l’aspirine en termes de prévention de l’AVC chez des personnes âgées présentant une FA. Pour éviter sur une durée de 2,7 ans 1 AVC supplémentaire, il faut traiter 21 personnes (IC à 95% de 12 à 58) par warfarine plutôt que par aspirine (1). Il n’y a pas de différence au point de vue mortalité annuelle : 8% sous warfarine, 8,4% sous aspirine. Parmi les patients recrutés mais non inclus, 42,8% ont été exclus par leur médecin traitant jugeant un traitement anticoagulant nécessaire. Il est donc possible que les patients sélectionnés ont un risque d’AVC moindre que celui de l’ensemble des patients d’au moins 75 ans en FA, avec donc une sous-estimation de l’avantage de la warfarine pour cette population. La prise en charge d’autres facteurs de risque (hypertension, hyperlipidémie) est également peut-être plus performante chez les patients sélectionnés. L’incidence basse (2% dans les 2 groupes) de saignements majeurs est probablement liée à une exclusion des patients à risque accru : 11,3% des patients recrutés ne sont pas inclus pour cette raison. Le suivi remarquable du traitement anticoagulant dans cette étude explique aussi cette faible incidence d’hémorragies : l’INR cible (entre 2 et 3) est respecté en moyenne pendant 67% du temps. Pour ces raisons, Jaffer estime que l’extrapolabilité des résultats de cette étude est limitée (2).

L’adaptation des doses de warfarine en fonction des résultats pour l’INR est faite pour la moitié des patients à l’hôpital, pour l’autre moitié par le médecin généraliste. Une étude belge récente (3) montre un respect de la valeur cible d’INR dans 50% des cas seulement mais dans une autre publication, les mêmes auteurs montrent que les performances peuvent être améliorées si le médecin généraliste utilise une procédure facile à appliquer et dispose, éventuellement d’un appareil de mesure de l’INR (4). Un autre auteur (5) estime également que l’INR peut parfaitement être adapté en première ligne de soins. Il faut également souligner que 40% des patients inclus dans cette étude étaient déjà sous anticoagulation orale avant le début de celle-ci. Une étude récente (6) montre que des patients prétraités avec succès par anticoagulation orale présentent moins de risques de complications avec ce traitement que ceux qui le débutent.

 

Autres études

Des analyses en sous-groupes de cette étude montrent que la réduction relative de risque ne dépend ni de l’âge ni du score CHADS2 selon qu’il soit ≤ 2 ou ≥ 3. Il n’y a cependant pas de subdivision entre le score 1 (seul l’âge de 75 ans au moins comme facteur de risque) et le score 2 (≥ 75 ans et autre facteur de risque). Cette étude-ci n’apporte donc pas de réponse quant à l’intérêt d’une anticoagulation chez des personnes plus âgées en FA ne présentant pas d’autre facteur de risque (le groupe au risque le moins élevé, qui représente, en vérité, une minorité). Certains commentateurs (3) plaident pour un recours plus large aux anticoagulants, même chez les sujets de plus de 75 ans sans autre facteur de risque. Une étude (7) montre cependant que l’administration d’aspirine offre une protection suffisante chez des patients en FA sans antécédent d’AVC ou d’AIT, sans ischémie coronarienne, hypertension ni diabète et quel que soit leur âge.

 

Pour la pratique

Cette étude conforte les guides de pratique actuels (8) qui recommandent un traitement anticoagulant chez les sujets en FA âgés de plus de 75 ans et présentant un autre facteur de risque (insuffisance cardiaque, hypertension, diabète, antécédent d’AIT ou d’AVC). Le risque de saignement majeur peut être minimisé grâce à un suivi rigoureux de l’anticoagulation, ce qui impose le respect d’un contrat tant de la part du médecin que de celle du patient. L’exclusion de patients en fonction d’un risque hémorragique accru sous anticoagulant repose principalement sur le jugement clinique du médecin.

 

Conclusion

Cette étude BAFTA montre que l’administration de warfarine avec un INR cible de 2,5 (entre 2 et 3) est plus efficace que celle de 75 mg d’aspirine par jour, également dans une population âgée d’au moins 75 ans, en fibrillation auriculaire et ne présentant pas de contre-indication à un traitement anticoagulant oral.

 

Références

  1. Willems R, De Cort P. Un traitement antithrombotique peut-il prévenir un AVC chez des patients présentant une FA sans atteinte valvulaire ? MinervaF 2008;7(5):90-1.
  2. Jaffer AK. Warfarin reduced major stroke more than aspirin in elderly patients with atrial fibrillation in primary care. Evid Based Med 2008;12:172.
  3. Claes N, Buntinx F, Vijgen J, et al. The Belgian Improvement Study on Oral Anticoagulation Therapy: a randomized clinical trial. Eur Heart J 2005;26:2159-65.
  4. Claes N, Buntinx F, Vijgen J, et al. Quality assessment of oral anticoagulation in Belgium, as practiced by a group of general practitioners. Acta Cardiol 2005;60:247-52.
  5. Burton C, Isles C, Norrie J, et al. The safety and adequacy of antithrombotic therapy for atrial fibrillation: a regional cohort study. Br J Gen Pract 2006;56:697-702.
  6. ACTIVE Writing Group of the ACTIVE Investigators, Connolly S, Pogue J, Hart R, et al. Clopidogrel plus aspirin versus oral anticoagulation for atrial fibrillation in the Atrial fibrillation Clopidogrel Trial with Irbesartan for prevention of Vascular Events (ACTIVE W): a randomised controlled trial. Lancet 2006;367:1903-12.
  7. van Walraven C, Hart RG, Wells GA, et al. A clinical prediction rule to identify patients with atrial fibrillation and a low risk for stroke while taking aspirin. Arch Intern Med 2003;163:936-43.
  8. Fuster V, Rydén LE, Cannom DS, et al; Task Force on Practice Guidelines, American College of Cardiology/American Heart Association; Committee for Practice Guidelines, European Society of Cardiology; European Heart Rhythm Association; Heart Rhythm Society. ACC/AHA/ESC 2006 guidelines for the management of patients with atrial fibrillation-executive summary: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on practice guidelines and the European Society of Cardiology Committee for Practice Guidelines (Writing Committee to Revise the 2001 Guidelines for the Management of Patients with Atrial Fibrillation). Eur Heart J 2006;27:1979-2030.
Warfarine ou aspirine pour la fibrillation auriculaire de la personne âgée ?

Auteurs

De Cort P.
em. Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
COI :

Verhamme P.
Bloedings- en Vaatziekten, Universitair Ziekenhuis Leuven
COI :

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