Revue d'Evidence-Based Medicine



Education individuelle des patients lombalgiques



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 7 Page 102 - 103

Professions de santé


Analyse de
Engers A, Jellema P, Wensing M, et al. Individual patient education for low back pain. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 1.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de programmes éducatifs individuels, versus absence d’intervention, intervention non éducative ou autre programme éducatif, en cas de lombalgies non spécifiques chez un adulte ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique ne montre que peu de plus-value d’interventions éducatives pour des patients lombalgiques : un bénéfice pertinent n’est montré que pour des interventions intenses (dans la durée) en dehors du cadre de la médecine générale et pour des lombalgies aiguës et subaiguës. Sa méthodologie ne permet pas de tirer de conclusions valides pour la pratique et ne peut remettre les guidelines actuels en doute.


 

Résumé

 

Contexte

Sans mise en évidence d’une étiologie précise, une lombalgie est dite non spécifique. Les programmes éducatifs pour les patients visent à modifier leur comportement en les informant de l’intérêt de rester actif, de reprendre les activités normales dès que possible, de ne pas se morfondre, de s’adapter aux limites imposées par leur dos douloureux, d’adopter des mesures préventives de lumbago et de lombalgies. Ces messages peuvent trouver place lors d’une discussion avec un professionnel de la santé, une formation spécifique, une information écrite (p ex une brochure à emporter), ou d’autres procédés tels qu’une vidéo. L’efficacité de telles mesures n’avait pas encore été évaluée de manière systématique.

 

Méthodologie

Synthèse méthodique

 

Sources consultées

  • MEDLINE, EMBASE, CINAHL, PsycINFO (jusqu’en juillet 2006) et Cochrane CENTRAL
  • références des articles identifiés.

 

Etudes sélectionnées

  • RCTs
  • avec programme éducatif individuel
  • publication en anglais, allemand ou néerlandais
  • exclusion : exclusion des études incluant des patients avec entités cliniques spécifiques (infection, cancer, métastase, ostéoporose, arthrite rhumatoïde, fracture, syndrome radiculaire lombo-sacré) ou des programmes éducatifs par groupe ou multidisciplinaires
  • 24 études sélectionnées : 12 versus absence d’intervention, 11 versus intervention non éducative, 8 comparant des programmes éducatifs individuels.

 

Population étudiée

  • patients présentant des lombalgies aiguës, subaiguës ou chroniques non spécifiques
  • âgés d’au moins 16 ans ; âge moyen de 31 à 46 ans et proportion de femmes de 35% à 100% selon les études.

 

Mesure des résultats

  • intensité de la douleur, mesure globale de l‘amélioration, status lombaire fonctionnel, reprise du travail, status fonctionnel général
  • mesure de la pertinence clinique via la taille de l’effet.

 

Résultats

Taille de l'effet cliniquement pertinente dans 18 études (75%)

a. Lombalgies (sub)aiguës

  • une session éducative individuelle de 2,5 heures est plus efficace qu’une absence d’intervention pour la reprise du travail à court (< 6 mois) et long terme (≥ 6 mois) (preuves fortes)
  • pas de différence entre la remise d’une brochure ou une session éducative de 20 minutes et l’absence d’intervention pour le critère soulagement de la douleur à court ou à long terme (preuves fortes)
  • programmes éducatifs individuels aussi efficaces que des interventions non éducatives sur la douleur à long terme et sur l’amélioration globale (preuves fortes).

 

b. Lombalgies chroniques

  • pas d’étude comparant programme éducatif versus absence d’intervention
  • remise d’un document écrit moins efficace que des interventions non éducatives (stabilisation vertébrale, physiothérapie, yoga, exercices, école du dos suédoise) (preuves fortes).

 

c. Lombalgies (sub)aiguës et/ou chroniques

  • programmes éducatifs pas plus efficaces que d’autres techniques, e. a. : thérapie comportementale en groupe, visite du poste de travail, acupuncture, chiropraxie, physiothérapie, massages, thérapie manuelle, chaleur (preuves fortes).

 

d. Comparaisons entre programmes éducatifs

  • pas de différence significative.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez des patients présentant des lombalgies aiguës ou subaiguës, des programmes éducatifs intensifs semblent être efficaces. Chez des patients souffrant de lombalgies chroniques, l’efficacité de programmes d’éducation individuelle est, par contre, toujours peu nette.

 

Financement

Ministère de la Santé des Pays-Bas et départements universitaires.

 

Conflits d’intérêt

Pas de conflits d’intérêt ; 1 auteur coéditeur d’un groupe de la Cochrane Collaboration ne l’était pas pour cette synthèse méthodique.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique avec résultats qualitatifs bénéficie d’un protocole rigoureux. Deux chercheurs évaluent la qualité méthodologique des études, indépendamment l’un de l’autre, et estiment que 58% des études (14 sur 24) sont de haute qualité. Ils pratiquent des analyses de sensibilité suivant la qualité des études. Ils attribuent un niveau de preuve scientifique (preuves fortes, modérées, limitées, contradictoires, absence) et évaluent la concordance des résultats des différentes études. Ils ont pratiqué une restriction de langue pour la sélection des études. Cette restriction n’a cependant qu’un effet minime sur les résultats, selon eux, mais cette affirmation fait encore l’objet de discussion entre experts (1). Le problème majeur de cette méta-analyse est le choix des études, à la fois très large et très restreint. Très large parce que les interventions sont multiples et fort variables, suivant les critères d’inclusion des auteurs : une intervention est constituée, dans une étude, par une session d’information orale limitée à 5 minutes (polyclinique) et, à l’autre extrême, dans une autre étude, l’examen et l’information éducative sont réalisés dans une clinique de la colonne par trois professionnels de la santé de disciplines différentes, sur une durée allant jusqu’à 3 heures. L’ensemble des études est cliniquement hétérogène. Très restreint parce que l’analyse porte sur un programme éducatif souvent isolé des soins habituels, ce qui ne correspond pas à la réalité du terrain ; restreint aussi parce que seules les interventions éducatives en face-à-face sont évaluées avec exclusion de toute démarche encadrée dans un groupe. Ces limites méthodologiques sont importantes à garder en mémoire lors de l’interprétation des résultats.

 

Analyse des résultats

Outre les limites au niveau de la diversité des programmes évalués dans les études incluses, il faut également souligner le contexte de réalisation de ces programmes éducatifs. Une minorité d’études se déroulent dans le cadre propre de la médecine générale. Celles-ci se limitent toutes à la remise d’un document écrit accompagnée généralement d’une information biopsychosociale. La durée de cette information n’est pas précisée dans cette synthèse, ni le fait que le document donné ait été brièvement ou largement explicité… ni si ce document a été lu et son contenu appliqué par le récipiendaire. Les autres interventions se déroulent dans des services paracliniques (clinique de la colonne, service de physiothérapie), d’organismes assureurs ou en lien avec le travail. Il faut rappeler que les études avec des sujets présentant une douleur sciatique étaient exclues de cette synthèse.

Avec toutes ces réserves, la seule intervention éducative montrant des preuves fortes d’une plus-value versus « absence d’intervention » (en fait « soins habituels » ou « au moins une visite chez le médecin généraliste ») concerne uniquement les lombalgies aiguës ou subaiguës. Elle est réalisée dans une clinique de la colonne, en Finlande, par trois intervenants de disciplines différentes sur une durée de 2 à 3 heures. L’absence de preuves d’efficacité de l’ensemble, hétérogène, de toutes les interventions, ne peut pas supprimer l’intérêt potentiel de l’étude finlandaise.

 

Mise en perspective

Il n’est guère facile de tirer de ce type de synthèse méthodique des conclusions pour la pratique quotidienne. Cette situation résonne en écho avec une démarche similaire, dans le même domaine. Parmi les avis éducatifs donnés aux patients lombalgiques aigus, figure en bonne place celui de rester actif. Cette affirmation repose sur plusieurs méta-analyses et est reprise dans le chapitre de Clinical Evidence consacré aux lombalgies, écrit sous la responsabilité d’un des co-auteurs de la présente synthèse (2), et est reprise dans les guidelines internationaux (3). La Cochrane Collaboration a cependant publié une méta-analyse montrant l’absence de preuves d’efficacité de cet avis donné aux patients… avant de retirer cette synthèse (4). Les auteurs expliquent ces divergences par le fait qu’ils ont pris en compte, pour leur méta-analyse, uniquement les RCTs incluant un groupe pour lequel l’avis de rester actif était le seul traitement, sans co-intervention. La même équipe de quatre auteurs, avait publié, deux années auparavant, une autre synthèse méthodique (5) incluant 11 études contrôlées (total de 1963 patients). Ils concluaient qu’en cas de lombalgies aiguës, la formulation d’un avis pour rester actif réduit mieux la douleur et améliore davantage les capacités fonctionnelles (à 3-4 semaines et à 12 semaines) versus un avis de rester alité ; leur avis repose, en fait, sur 2 études avec un total de 464 patients et l’intervalle de confiance pour la DMS pour la douleur est très proche de la non signification (DMS 0,22 ; IC à 95% de 0,02 à 0,41), avec une faible pertinence clinique donc.

Nous atteignons ici les limites des synthèses méthodiques : à vouloir obtenir une évaluation globale sur des interventions trop différentes l’une de l’autre, à vouloir isoler une intervention de son contexte de pratique, la démarche aboutit à une analyse et à des résultats certes corrects au point de vue méthodologique mais exsangues pour la pratique.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique ne montre que peu de plus-value d’interventions éducatives pour des patients lombalgiques : un bénéfice pertinent n’est montré que pour des interventions intenses (dans la durée) en dehors du cadre de la médecine générale et pour des lombalgies aiguës et subaiguës. Sa méthodologie ne permet pas de tirer de conclusions valides pour la pratique et ne peut remettre les guidelines actuels en doute.

 

 

Références

  1. Jüni P, Holenstein F, Sterne J, et al. Direction and impact of language bias in meta-analyses of controlled trials: empirical study. Int J Epidemiol 2002;31:115-23.
  2. Koes B, van Tulder M. Low back pain (acute). Clin Evid 2006;4:1102-15.
  3. Koes BW, van Tulder MW, Ostelo R, et al. Clinical guidelines for the management of low back pain in primary care: an international comparison. Spine 2001;26:2504-13.
  4. Hilde G, Hagen KB, Jamtvedt G, Winnem M. Withdrawn: Advice to stay active as a single treatment for low-back pain and sciatica. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 2.
  5. Hagen KB, Hilde G, Jamtvedt G, Winnem M. Bed rest for acute low-back pain and sciatica. Cochrane Database Syst Rev 2004, Issue 4.
Education individuelle des patients lombalgiques

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
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