Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité d’une prise en charge multifactorielle du diabète en termes de mortalité



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 8 Page 122 - 123

Professions de santé


Analyse de
Gaede P, Lund-Andersen H, Parving HH, Pedersen O. Effect of a multifactorial intervention on mortality in type 2 diabetes. N Eng J Med 2008;358:580-91.


Question clinique
Une prise en charge multifactorielle des patients présentant un diabète de type 2 avec une microalbuminurie persistante prévient-elle mieux les décès qu’un traitement conventionnel ?


Conclusion
Cette étude confirme, pour des patients diabétiques de type 2 à risque cardiovasculaire élevé (microalbuminurie constante), l’intérêt d’une prise en charge globale du diabète de type 2 incluant strictement tous les facteurs de risque cardiovasculaire. L’effet protecteur d’une telle prise en charge multifactorielle en termes de prévention d’événements cardiovasculaires observés après 7,8 ans se prolonge ensuite, avec, en outre, une diminution de la mortalité sur les 13,3 ans d’observation totale.


 

Résumé

  

Contexte

L’étude Steno2, précédemment analysée dans Minerva (1), montrait l’intérêt d’une prise en charge multifactorielle des différents facteurs de risque cardiovasculaire chez des diabétiques de type 2 avec microalbuminurie persistante, en termes de diminution de moitié des événements cardiovasculaires versus traitement conventionnel. Sur un suivi de 7,8 ans, un effet sur la mortalité n’était pas observé. Pour évaluer ce critère décès (global et cardiovasculaire), la poursuite de l’étude était nécessaire, permettant aussi d’évaluer l’évolution en termes de complications micro et macrovasculaires.

Population étudiée

  • RCT Steno2 de Copenhagen : inclusion de 160 patients diabétiques de type 2 avec microalbuminurie persistante ; suivi sur 7,8 ans ; 27 décès et 3 abandons d’étude
  • inclusion dans cette étude d’observation des 130 patients restants ; âge moyen de 62,5 ans.

Protocole d’étude

  • étude d’observation
  • à la suite d’une RCT à 2 bras
  • groupe intervention (GI) avec modifications de style de vie (régime, exercices physiques, arrêt du tabagisme) et traitements médicamenteux progressifs pour atteindre des cibles strictes (HbA1c < 6,5%, cholestérolémie totale à jeun < 175 mg/dl, triglycéridémie à jeun < 150 mg/dl, pression artérielle systolique (PAS) < 130 mm Hg et diastolique (PAD)  < 80 mm Hg) avec encadrement par une équipe (médecin, infirmière, diététicienne)
  • groupe contrôle (GC) : soins courants par le médecin généraliste en référence aux recommandations danoises
  • à la fin de cette RCT, insistance auprès des patients des deux groupes et de leurs médecins sur l’importance d’une prise en charge multifactorielle.

Mesure des résultats

  • critère primaire : mortalité globale (de toute cause)
  • critères secondaires : décès de cause cardiovasculaire, critère cardiovasculaire composite (décès cardiovasculaire, AVC non fatal, infarctus du myocarde non fatal, CABG, PTCA, revascularisation périphérique, amputation pour ischémie)
  • critères tertiaires : néphropathie diabétique, rétinopathie, neuropathie
  • analyse en intention de traiter.

Résultats

  • facteurs de risque cardiovasculaire : stables dans le GI sur cette période de suivi de 5,5 ans (sauf PAS) ; en voie d’amélioration dans le GC
  • décès : moins sur 13,3 ans dans le GI que dans le GC : RAR de 20% et NST de 5 (voir tableau)
  • moins de décès cardiovasculaires et d’événements cardiovasculaires GI versus GC (voir tableau).

Tableau : Nombre (n avec % dans le groupe) de décès, de décès et d’événements cardiovasculaires (CV) pour les patients issus du groupe intervention (GI) versus issus du groupe contrôle (GC) avec RAR et HR (IC à 95% et valeur p).

 

 

GI

(n=80)

GC

(n=80)

RAR

HR (IC à 95% ; valeur p)

Critère primaire

Nombre de décès (%)

24 (30)

40 (50)

20

0,54 (0,32 à 0,89; 0,02)

Critères secondaires

Nombre de décès CV (%)

9 (11)

19 (24)

13

0,43 (0,19 à 0,94; 0,04)

Nombre d’événements CV

51

158

 

0,41 (0,25 à 0,67; < 0,001)

 

Conclusion des auteurs

Chez des patients présentant un diabète de type 2 à haut risque vasculaire, un traitement intensif avec une association de différents médicaments et une modification des habitudes de vie apporte une efficacité persistante en termes de prévention des décès, globaux comme cardiovasculaires, et des complications vasculaires.

Financement

Danish Health Research Council.

Conflits d’intérêt

Deux auteurs mentionnent des liens financiers avec une ou plusieurs firmes pharmaceutiques.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La sélection initiale des patients dans l’étude Steno2 était déjà sévère : 160 patients inclus dans la RCT sur les 315 recrutés. Au terme de la RCT, l’intervention spécifique est arrêtée mais tous les patients (des 2 groupes) reçoivent la même information concernant l’utilité d’une prise en charge multifactorielle du diabète de type 2. Les 130 patients ayant terminé la RCT sont alors repris dans une étude d’observation sans intervention des chercheurs. Il faut cependant souligner que lors des visites de suivi dans cette étude, 84% des sujets du groupe intervention et 87% de ceux du groupe contrôle continuaient à être traités dans des cliniques de diabétologie. Cette étude concerne donc une population très sélectionnée. Pour l’enregistrement des événements, une adjudication centrale est réalisée par un comité indépendant. La cause de décès est déterminée sur base des certificats de décès officiels. Grâce à un enregistrement online, l’étude est arrêtée lors de l’enregistrement de 60 décès, chiffre protocolé comme nécessaire pour pouvoir montrer une différence entre les groupes ;  en raison de la durée de cette étude (13,3 ans au total) et du risque élevé des participants, ce quota a été atteint.

 

Interprétation des résultats

Cette étude d’observation montre une différence significative entre les deux groupes pour l’incidence cumulée des décès, mais aussi des événements cardiovasculaires (déjà significative dans la RCT). Il faut souligner le risque cardiovasculaire initialement plus élevé dans cette population d’étude. Ce risque (fort) augmenté ajouté à la forte sélection de la population (voir paragraphe précédent) ne permettent pas d’extrapoler les résultats de cette étude à l’ensemble de la population des patients présentant un diabète de type 2, certainement pour l’ampleur du résultat.

Les caractéristiques (données démographiques, habitudes de vie, constantes biologiques, médicaments utilisés) des différents survivants au terme de l’étude sont bien décrites. Des différences significatives sont observées au niveau des médicaments pris. Les personnes du groupe contrôle initial prennent moins de metformine (37% versus 66%), moins de sulfonylurées (16% versus 40%), globalement moins d’antidiabétiques oraux (ADO, 47% versus 84%), moins d’insuline en association avec un ADO (42% versus 83%) que les patients issus du groupe intervention. Elles prennent aussi moins d’aspirine (76% versus 85%)  mais, par contre, plus de bêta-bloquants (32% versus 15%) et plus d’antihypertenseurs en général (100% versus 93%). Nous ne disposons cependant pas des données concernant les personnes décédées (environ la moitié des participants), ce qui ne nous permet pas une interprétation correcte pour les différences observées. L’évolution observée dans cette étude de suivi illustre bien l’intérêt d’une prise en charge multifactorielle : pour les patients issus du groupe contrôle, la pression artérielle diastolique continue à descendre (déjà diminuée dans la RCT) et d’autres facteurs de risque sont favorablement influencés (glycémie à jeun, HbA1c, cholestérolémie totale, LDL-cholestérolémie, triglycéridémie, albuminurie). Les auteurs attribuent ces observations à une attention plus soutenue pour ces facteurs de risque lors de cette période d’observation.

 

Autres études

Le protocole de cette étude ne permet pas de jauger la valeur intrinsèque de chacune des composantes de l’intervention multifactorielle complexe. Il n’est donc pas possible d’établir une liste des interventions par ordre de priorité chez des patients présentant un diabète de type 2 et à haut risque cardiovasculaire. L’importance des conseils de style de vie a surtout été étudiée pour la prévention du diabète (2-5) mais est moins nette pour la prise en charge de patients à haut risque. L’étude UKPDS estime que 88 patients doivent suivre un traitement hypoglycémiant intensif durant 10 ans pour prévenir un décès lié au diabète ; de même, 38 personnes doivent être traitées durant le même laps de temps pour la prévention d’un infarctus du myocarde (6). L’intensité d’un traitement antidiabétique chez des sujets à haut risque a été récemment critiquée lors de l’annonce de l’arrêt prématuré de l’étude ACCORD (7) 18 mois avant le terme prévu, pour motif de données de sécurité. Dans cette étude, le traitement du diabète de type 2 avec une association de différentes insulines et d’antidiabétiques oraux (nouveaux) en ciblant une HbA1c plus basse (< 6%) que celle qui est actuellement recommandée (< 7%) augmente la mortalité par rapport à un contrôle glycémique moins sévère. Cette augmentation de risque ne peut être expliquée par la survenue d’hypoglycémies ou le recours à un médicament précis. Par contre, dans l’étude ADVANCE (8) également analysée dans ce numéro de Minerva avec une valeur cible d’HbA1c moins sévère, une augmentation de la mortalité n’est pas observée. D’autres évaluations de ces traitements intensifs restent nécessaires, d’autant plus que de telles interventions multifactorielles sont fort onéreuses et nécessitent un encadrement conséquent.

 

Conclusion

Cette étude confirme, pour des patients diabétiques de type 2 à risque cardiovasculaire élevé (microalbuminurie constante), l’intérêt d’une prise en charge globale du diabète de type 2 incluant strictement tous les facteurs de risque cardiovasculaire. L’effet protecteur d’une telle prise en charge multifactorielle en termes de prévention d’événements cardiovasculaires observés après 7,8 ans se prolonge ensuite, avec, en outre, une diminution de la mortalité sur les 13,3 ans d’observation totale.

 

Références

  1. Sunaert P, Feyen L. L’étude Steno-2: prise en charge multifactorielle du diabète de type 2. MinervaF 2004;3(2):29-32.
  2. Wens J. Kan een gezonde leefstijl diabetes voorkomen? Minerva 2002;31(1):45-7.
  3. Lindström J, Louheranta A, Mannelin M, et al; Finnish Diabetes Prevention Study Group. The Finnish Diabetes Prevention Study (DPS): Lifestyle intervention and 3-year results on diet and physical activity. Diabetes Care 2003;12:3230-6.
  4. Wens J. Efficacité de la metformine et des interventions concernant le style de vie sur le “syndrome métabolique”. MinervaF2006; 5(3):38-41.
  5. Knowler WC, Barrett-Connor E, Fowler SE, et al; Diabetes Prevention Program Research Group. Reduction in the incidence of type 2 diabetes with lifestyle intervention or metformin. N Engl J Med 2002;346:393-403.
  6. Wens J. Intensieve behandeling van diabetes type 2. Minerva 1999;28(3):125-6.
  7. Action to Control Cardiovascular Risk in Diabetes Study Group, Gerstein HC, Miller ME, Byington RP, et al. Effects of intensive glucose lowering in type 2 diabetes. N Engl J Med 2008;358:2545-59.
  8. ADVANCE Collaborative Group, Patel A, MacMahon S, Chalmers J, et al. Intensive blood glucose control and vascular outcomes in patients with type 2 diabetes. N Engl J Med 2008;358:2560-72.
Efficacité d’une prise en charge multifactorielle du diabète en termes de mortalité

Auteurs

Wens J.
Vakgroep FAMPOP (Family Medicine and Population Health), Universiteit Antwerpen
COI :

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