Revue d'Evidence-Based Medicine



Clopidogrel et aspirine pour la fibrillation auriculaire



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 10 Page 144 - 145

Professions de santé


Analyse de
ACTIVE Investigators, Connolly SJ, Pogue J, Hart RG, et al. Effect of clopidogrel added to aspirin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2009;360:2066-78.


Question clinique
En cas de contre-indication à la prise d’un antagoniste de la vitamine K, l’ajout de clopidogrel à l’aspirine versus aspirine seule diminue-t-il les événements cardiovasculaires en cas de FA ?


Conclusion
Cette étude montre, chez des patients en fibrillation auriculaire et à risque accru de faire un accident vasculaire cérébral et avec contre-indication à la prise d’antagonistes de la vitamine K, un bénéfice d’un traitement clopidogrel-aspirine versus aspirine seule en prévention de la survenue d’un événement vasculaire majeur (AVC principalement), bénéfice peut-être légèrement supérieur au risque accru d’hémorragie, mais ceci demande confirmation dans la pratique.


 

Contexte

En cas de fibrillation auriculaire (FA), les antagonistes de la vitamine K et les antiagrégants plaquettaires réduisent le risque d’AVC respectivement de 64% et de 22% (1), les anticoagulants étant plus efficaces que l’aspirine (de 38%) mais augmentant le risque d’hémorragie extracrânienne majeure (de 70%). Les anticoagulants sont donc recommandés chez les patients à haut risque d’AVC et l’aspirine chez les sujets à faible risque. En cas de FA et de contre-indication à un traitement anticoagulant, l’utilité d’ajouter du clopidogrel à l’aspirine n’avait pas encore été évaluée.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 7 554 randomisés dans l’étude ACTIVE A
  • avec fibrillation auriculaire (active ou au moins 2 épisodes intermittents dans les 6 derniers  mois) et risque accru de faire un AVC : âge ≥ 75 ans, HTA durant le traitement, antécédent d’AVC ou d’AIT, d’embolie systémique non du SNC, FEVG < 45%, artérite périphérique, âge de 55 à 74 ans et diabète sucré ou ischémie coronarienne
  • avec contre-indication à un traitement anticoagulant
  • âge moyen de 71 ans ; 58,2% d’hommes ; FA permanente (continue sans espoir de restauration du rythme sinusal-RS) dans 63,7%, persistante (continue sans interposition d’épisodes de RS) dans 14,0% et paroxystique (épisode cédant spontanément) dans 22,1% des cas
  • exclusion : traitement anticoagulant ou par clopidogrel nécessaire, risque hémorragique (ulcère peptique documenté dans les 6 derniers mois, antécédent d’hémorragie intracérébrale), thrombocytopénie significative, abus d’alcool.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée, multicentrique
  • tous les patients traités par aspirine 75 à 100 mg/j
  • groupe clopidogrel (75 mg/j) (n=3 772)
  • versus groupe placebo (n=3 782)
  • suivi moyen de 3,6 ans.

 

Mesure des résultats

  • critère primaire composite : AVC, infarctus du myocarde, embolie systémique non du système nerveux central ou décès vasculaire
  • critères secondaires : AVC, composants du critère primaire, critère composite primaire + hémorragies majeures.
  • intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • < 1% d’arrêts de suivi ; arrêts de traitement de 16,3% (clopidogrel) et 15,2% (placebo) à 1 an et de 39,4% et 37,1% respectivement à 4 ans
  • résultats : voir tableau.

 

Tableau. Résultats pour les principaux critères d’efficacité et de sécurité : incidence en %, risque relatif groupe clopidogrel versus groupe placebo avec IC à 95% et valeur p.

 

 

clopidogrel

placebo

RR clopidogrel/placebo

IC à 95% et valeur p

Primaire composite

6,8

7,6

0,89

0,81 à 0,98

0,01

AVC

2,4

3,3

0,72

0,62 à 0,83

< 0,001

Infarctus du myocarde

0,7

0,9

0,78

0,59 à 1,03

0,08

Saignement majeur (sévère ou fatal)

2,0

1,3

1,57

1,29 à 1,92

<0,001

 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’en cas de contre-indication à un traitement anticoagulant chez des patients en fibrillation auriculaire, l’ajout de clopidogrel à l’aspirine réduit le risque d’événement vasculaire majeur, particulièrement d’AVC, et augmente le risque d’hémorragie majeure.

 

Financement 

Firmes Sanofi-Aventis et Bristol-Myers Squibb qui ont participé à l’élaboration du protocole et du suivi mais non à la collecte des données ni à l’analyse de celles-ci ni à la rédaction du manuscrit.

 

Conflits d’intérê

4 auteurs déclarent avoir reçu des financements de plusieurs firmes à titres divers.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La méthodologie de cette RCT est correcte. Cette étude ACTIVE A fait partie d’une triade de recherche avec protocole factoriel : les patients sans contre-indication aux anticoagulants sont inclus dans l’étude ACTIVE W, les patients repris dans ACTIVE A et ACTIVE W pouvant être inclus dans une étude ACTIVE I avec irbésartan versus placebo. L’étude ACTIVE W (2) a été arrêtée prématurément en raison d’un bénéfice net d’un traitement anticoagulant oral versus aspirine + clopidogrel. Dans l’étude ACTIVE A, sur une durée moyenne de 3,6 ans, le taux d’arrêt de traitement (mais avec suivi persistant) est élevé, de près de 40% mais semblable dans les 2 groupes (sans mention des motifs d’arrêt cependant) ; l’analyse des résultats est faite en intention de traiter ce qui valide les estimations. Cette étude-ci inclut une population importante pour une puissance calculée à 88%. Les critères diagnostiques et les échelles de risque (score CHADS2 est un score permettant d’évaluer le risque, pour un patient en fibrillation auriculaire, de faire un accident vasculaire cérébral ou une embolie systémique. Ce score attribue 2 points en cas d’antécédent d’AVC ou d’AIT et point pour chacune des caractéristiques suivantes : âge > 75 ans, anamnèse d’HTA, de diabète, d’insuffisance cardiaque récente.">CHADS2 pour l’AVC) ou de sévérité de l’affection (Rankin pour l’AVC) sont bien détaillés et validés. Une adjudication des événements est faite de façon centrale et les AVC confirmés par un neurologue. L’implication de la firme commercialisant le clopidogrel est importante dans cette étude.

 

Mise en perspective des résultats

Cette RCT, comme les autres études ACTIVE, inclut uniquement des patients en FA et avec un risque élevé de faire un AVC, sur base d’une liste de conditions précises, et pour cette étude-ci, qui ne peuvent pas prendre un anticoagulant oral. Le motif de cette contre-indication est soit un risque d’interaction médicamenteuse, un risque hémorragique accru, une observance inadéquate de l’INR, un refus du patient. Si un traitement anticoagulant n’est pas contre-indiqué, son efficacité est supérieure à celle de l’aspirine et à celle de l’association aspirine-clopidogrel. Sa supériorité versus aspirine a été montrée dans une méta-analyse (1) incluant 29 études, soit 28 044 participants de 71 ans d’âge moyen sur 1,5 ans de suivi moyen. Les antagonistes de la vitamine K réduisent le risque d’AVC de 64% versus 22% pour l’aspirine mais augmentent le risque d’hémorragie extracrânienne de 70% et le risque d’hémorragie intracrânienne de 128%. Une étude parue après cette méta-analyse (3) confirmait la plus-value de la warfarine versus aspirine chez 973 patients en fibrillation auriculaire et âgés d’au moins 75 ans, pour le critère primaire composé d’AVC majeur, hémorragie intracrânienne ou embolie systémique : Réduction Relative de Risque de 50% (IC à 95% de 21 à 69), NST de 21 (IC à 95% de 12 à 58). Sa supériorité versus association clopidogrel-aspirine a été montrée dans l’étude ACTIVE W (2) : Risque Relatif de l’association versus warfarine de 1,44 (IC à 95% de 1,18 à 1,76 ; p=0,0003).

Le risque de saignement est accru, dans cette étude-ci, pour l’association clopidogrel-aspirine versus aspirine seule, que ce soit les hémorragies en général ou les hémorragies majeures ou mineures. Cette observation avait été faite précédemment en prévention cardio-vasculaire chez des sujets à risque augmenté (4,5).

L’administration de l’association clopidogrel-aspirine ne peut donc être envisagée versus aspirine seule que si le bénéfice thrombo-embolique préventif dépasse le risque hémorragique. Les seules indications prouvées sont le syndrome coronarien aigu sans élévation du segment ST et la période suivant la mise en place d’une endoprothèse (4), auxquelles nous pourrions ajouter, d’après cette étude-ci, la fibrillation auriculaire avec risque d’AVC augmenté chez des patients présentant une contre-indication à la prise d’antagonistes de la vitamine K. La comparaison (calculée par nous-mêmes) du NST (=125) pour le critère primaire composite et du NNN (=143) pour les saignements majeurs a cependant de quoi rendre perplexe quant au bénéfice réellement apporté.

 

Pour la pratique

La warfarine est plus efficace que l’aspirine dans la prévention thrombo-embolique chez les patients atteints de fibrillation auriculaire avec un risque d’AVC élevé, quel que soit l’âge du patient. Elle augmente cependant fortement le risque d’hémorragie (extracrânienne et surtout intracrânienne). Les anticoagulants sont donc recommandés chez les patients à haut risque d’AVC et l’aspirine chez les sujets à faible risque. Dans la pratique, le nombre de patients chez lesquels les antagonistes de la vitamine K ne sont pas recommandés, p. ex. en raison d’une contre-indication, de problèmes d’observance, de co-morbidité, de polymédication, est important ; l’aspirine est dans ces cas une alternative (6). Cette étude-ci ajoute les preuves de la plus-value, dans ce cas précis de non recommandation des anticoagulants oraux, d’une association clopidogrel-aspirine versus aspirine seule mais toujours avec risque hémorragique accru. Cette indication n’est actuellement pas reconnue  en Belgique pour le remboursement du clopidrogel.

 

Conclusion

Cette étude montre, chez des patients en fibrillation auriculaire et à risque accru de faire un accident vasculaire cérébral et avec contre-indication à la prise d’antagonistes de la vitamine K, un bénéfice d’un traitement clopidogrel-aspirine versus aspirine seule en prévention de la survenue d’un événement vasculaire majeur (AVC principalement), bénéfice peut-être légèrement supérieur au risque accru d’hémorragie, mais ceci demande confirmation dans la pratique.

 

 

Références

  1. Hart RG, Pearce LA, Aguilar MI. Meta-analysis: antithrombotic therapy to prevent stroke in patients who have nonvalvular atrial fibrillation. Ann Intern Med 2007;146:857-67.
  2. ACTIVE Writing Group of the ACTIVE Investigators, Connolly S, Pogue J, Hart R, et al. Clopidogrel plus aspirin versus oral anticoagulation for atrial fibrillation in the Atrial fibrillation Clopidogrel Trial with Irbesartan for prevention of Vascular Events (ACTIVE W): a randomised controlled trial. Lancet 2006;367:1903-12.
  3. Mant J, Hobbs FD, Fletcher K, et al; BAFTA investigators; Midland Research Practices Network (MidReC). Warfarin versus aspirin for stroke prevention in an elderly community population with atrial fibrillation (the Birmingham Atrial Fibrillation Treatment of the Aged Study, BAFTA): a randomised controlled trial. Lancet 2007;370:493-503.
  4. Chevalier P. Pas d’intérêt de rajouter du clopidogrel à l’aspirine en prévention cardiovasculaire ? MinervaF 2006;5(6):88-91.
  5. Chevalier P. Association du clopidogrel à l’aspirine : rien de neuf. MinervaF 2008;7(2):32.
  6. Prévention thrombo-embolique dans la fibrillation auriculaire. Folia Pharmacotherapeutica 2008;35:2-3.
Clopidogrel et aspirine pour la fibrillation auriculaire



Ajoutez un commentaire

Commentaires