Revue d'Evidence-Based Medicine



HTA : inhibiteur calcique plutôt qu’un thiazide en ajout à un IEC ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 9 Page 104 - 105

Professions de santé


Analyse de
Jamerson K, Weber MA, Bakris GL, et al; ACCOMPLISH Trial Investigators. Benazepril plus amlodipine or hydrochlorthiazide for hypertension in high-risk patients. N Engl J Med 2008;359:2417-28.


Question clinique
Chez des patients hypertendus avec risque cardiovasculaire accru, l’association d’un inhibiteur calcique plutôt que celle d’un diurétique thiazidé à un IEC est-elle plus efficace en termes de prévention d’événements cardiovasculaires ?


Conclusion
Cette étude chez des patients âgés présentant une hypertension artérielle systolique isolée et un risque cardiovasculaire accru montre un bénéfice de l’association d’amlodipine plutôt que d’hydrochlorothiazide à du bénazépril en termes de prévention d’événements cardiovasculaires. Ses limites méthodologiques et la différence observée entre les deux bras d’étude pour les chiffres de pression artérielle n’autorisent cependant pas de conclusion pour la pratique.


 

Contexte

Chez les sujets hypertendus présentant un risque cardiovasculaire accru en raison de comorbidités, une association thérapeutique antihypertensive est en général nécessaire pour atteindre les valeurs cibles de pression artérielle. Nous disposons de peu de données comparatives de l’efficacité des différentes associations.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 11 506 patients, de 68 (ET 7) ans en moyenne, 60% d’hommes, 83% de race blanche, en Amérique du Nord et en Scandinavie
  • avec hypertension systolique isolée, PAS moyenne de 145 mmHg, PAD moyenne de 80 mmHg ; 3% jamais traités par antihypertenseurs ; 74% traités par 2 ou 3 antihypertenseurs
  • avec risque cardiovasculaire accru : infarctus de myocarde (23%), hospitalisation pour angor instable (11%), revascularisation coronaire (36%), hypertrophie ventriculaire gauche (13%), AVC (13%), diabète sucré (60%), taux de filtration glomérulaire <60 (18%), tabagisme (11%), dyslipidémie (74%, dont 68% sous hypolipidémiant), FA (7%).

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée, en double aveugle, multicentrique (548), internationale
  • randomisation sans période de lavage dans 2 bras : par jour soit 20 mg de bénazépril + 5 mg d’amlodipine (n=5 744) soit 20 mg de bénazépril + 12,5 mg d’hydrochlorothiazide (n=5 762)
  • valeurs cibles de PA : <140/90 mmHg ou <130/80 mmHg en cas de diabète ou d’insuffisance rénale
  • en cas de non atteinte des valeurs cibles : titration des médicaments d’étude et, en cas de dose maximale atteinte, ajout d’une autre classe d’antihypertenseurs que les 3 étudiées (nécessaire chez 32% des inclus)
  • suivi moyen de 35,7 mois sous amlodipine et de 35,6 mois sous thiazide.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : délai de survenue du premier événement cardiovasculaire (infarctus du myocarde non fatal, AVC, hospitalisation pour angor instable, revascularisation coronaire, réanimation réussie après arrêt cardiaque) ou d’un décès cardiovasculaire (mort subite, infarctus du myocarde fatal, AVC, intervention coronaire, insuffisance cardiaque congestive ou autre cause cardiovasculaire)
  • critères secondaires : ensemble des événements cardiovasculaires (critère primaire sans les événements fatals) ; ensemble des décès cardiovasculaires, AVC et infarctus non fatals ; éléments isolés des critères primaires et secondaires, hospitalisation pour insuffisance cardiaque, mortalité globale
  • analyse en intention de traiter.

 

Résultats

En faveur du groupe bénazépril-amlodipine

  • critère primaire : différence absolue de risque est égale à la différence entre le risque de survenue d’un événement dans le groupe exposé (dans une étude d’observation) ou le groupe intervention (dans une étude expérimentale) et ce risque dans le groupe non exposé ou le groupe contrôle. Si le risque diminue, cette différence de risque est appelée réduction absolue du risque (RAR) ; si le risque augmente, l’expression accroissement absolu du risque (AAR) est utilisée.">RAR de 2,2% et réduction relative de risque est une valeur relative de diminution du risque. C’est le rapport entre la différence de risque entre le groupe intervention et le groupe contrôle d’une part et le risque dans le groupe contrôle d’autre part. Cette mesure indique la réduction proportionnelle du risque d’un critère défavorable due à l’intervention. La RRR est calculée (Ri - Rc) / Rc ou ARR / Rc.">RRR de 19,6% (HR 0,80 avec IC à 95% de 0,72 à 0,90) (p<0,001)
  • critères secondaires :
    • infarctus du myocarde fatal ou non : HR 0,78 avec IC à 95% de 0,62 à 0,99, p=0,04
    • revascularisation coronaire : HR 0,86 avec IC à 95% de 0,74 à 1,00, p=0,05
    • décès cardiovasculaire + infarctus du myocarde non fatal + AVC non fatal : HR 0,79 avec IC à 95% de 0,67 à 0,92, p=0,002.
 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’un traitement par l’association bénazépril-amlodipine est supérieur à l’association bénazépril-hydrochlorothiazide en termes de réduction des événements cardiovasculaires chez des patients hypertendus avec risque cardiovasculaire accru.

 

Financement

Firme Novartis, participant au “operations committee”.

 

Conflits d’intérêt

Tous les auteurs ont reçu des financements de plusieurs firmes.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La méthodologie de cette étude est globalement correcte. La randomisation est parfaite et les caractéristiques initiales dans les deux bras sont tout-à-fait comparables. L’adjudication des événements choisis comme critères est effectuée de manière centrale. Le taux de suivi est excellent avec 1% seulement de sorties d’étude. Certaines limites importantes sont cependant à souligner. En cours d’étude, les auteurs ont diminué la puissance de celle-ci de 90 à 80%, probablement en raison d’une incidence d’événements primaires moindre que prévue. Le choix des critères composites et les techniques d’analyse utilisées compliquent une interprétation correcte des résultats.

 

Mise en perspective des résultats

Les résultats de cette étude concerne un groupe spécifique de patients avec une pression artérielle systolique (PAS) légèrement trop élevée (145 mmHg en moyenne) et une pression artérielle diastolique (PAD) normale (80 mmHg en moyenne) mais avec une comorbidité cardiovasculaire importante et donc un risque cardiovasculaire augmenté, en surpoids (IMC moyen de 31 kg/m², périmètre abdominal de 104 cm), sous hypolipidémiant et antiagrégant plaquettaire dans 2/3 des cas, sous bêta-bloquant pour la moitié.

Le bénéfice observé en faveur de l’association bénazépril-amlodipine versus bénazépril-hydrochlorothiazide pour le critère primaire concerne le délai de survenue d’un événement cardiovasculaire. Des événements cardiovasculaires se présentant par la suite ne sont donc pas pris en considération. En outre, il s’agit d’un critère composite dont les différents éléments sont de pertinence clinique fort variable. L’analyse de ces différents éléments (critères secondaires) montre une diminution significative des infarctus du myocarde fatals ou non, une diminution à la limite de la signification statistique pour les revascularisations coronaires mais pas de différence pour la mortalité cardiovasculaire.

Un autre problème est la différence significative en faveur du groupe amlodipine pour les chiffres de pression artérielle observées après 3 ans de suivi entre les deux bras d’étude : 0,9 mmHg pour la PAS et 1,1 mmHg pour la PAD, p<0,001 pour les 2 différences. Aucune correction n’est faite en fonction de cette différence qui n’est par ailleurs pas expliquée par les auteurs. Cette différence, à première vue non cliniquement pertinente est cependant importante dans le cadre d’une étude d’intervention sur une large population comme cette étude-ci. Staessen (1) a montré qu’une différence de 2 mmHg pour la PAS entraînait une RRR de 15% de survenue d’un AVC, quel que soit l’antihypertenseur utilisé. Cette étude ACCOMPLISH montre une RRR de 19,6% pour le critère primaire composite ; la différence observée entre les groupes pour les chiffres de PA est de la plus haute importance et le bénéfice statistique observé en faveur du groupe amlodipine disparaîtrait sans doute dans une analyse tenant compte de cette différence.

Une analyse en sous-groupe montre que le bénéfice pour le critère primaire est surtout net pour les hommes de tout âge présentant un diabète sucré. Ce sous-groupe est-il plus avantagé par le fait de ne pas inclure un thiazide dans le traitement d’une hypertension compliquée ? Un intéressant sujet pour de futures études, aucune ne livrant actuellement des éléments allant dans ce sens. L’étude ALHATT (2), la méta-analyse en réseau de Psaty (3), l’étude SHEP (4), l’étude BPLTTC (5), l’étude ADVANCE (6) et la récente étude Hyvet  (7) montrent que les diurétiques thiazidés offrent un important bénéfice pour le traitement de l’hypertension à tous les stades et dans les différentes populations de patients.

 

Pour la pratique

La RBP belge concernant l’hypertension (8) recommande, en cas de non atteinte des valeurs cibles d’associer des antihypertenseurs avec des mécanismes d’action différents (GRADE 1). Le choix pour une association précise dépend des comorbidités présentées. Chez des sujets hypertendus et coronariens un bêta-bloquant est le traitement initial de premier choix auquel un antagoniste calcique peut être ajouté en cas d’angor. Pour toutes les autres comorbidités, c’est une association avec un diurétique qui est recommandée. La plus-value statistique de l’association bénazépril-amlodipine versus bénazépril-hydrochlorothiazide montrée dans l’étude ACCOMPLISH chez des patients âgés avec hypertension artérielle systolique isolée et risque cardiovasculaire accru ne remet pas en cause les recommandations actuelles en raison des limites de cette étude.

 

Conclusion

Cette étude chez des patients âgés présentant une hypertension artérielle systolique isolée et un risque cardiovasculaire accru montre un bénéfice de l’association d’amlodipine plutôt que d’hydrochlorothiazide à du bénazépril en termes de prévention d’événements cardiovasculaires. Ses limites méthodologiques et la différence observée entre les deux bras d’étude pour les chiffres de pression artérielle n’autorisent cependant pas de conclusion pour la pratique.

 

 

Références

  1. Staessen JA, Birkenhäger WH. Evidence that new antihypertensives are superior to older drugs. Lancet 2005;366:869-71
  2. De Cort P. L'étude ALLHAT : les diurétiques en premier choix pour traiter l'hypertension artérielle. MinervaF 2003;2(5):73-6.
  3. De Cort P. Les diurétiques restent le premier choix pour traiter l'hypertension artérielle non compliquée. MinervaF 2004;3(3):47-9.
  4. Prevention of stroke by antihypertensive drug treatment in older persons with isolated systolic hypertension. Final results of the Systolic Hypertension in the Elderly Program (SHEP). SHEP Cooperative Research Group. JAMA 1991;265:3255-64.
  5. Blood Pressure Lowering Treatment Trialists' Collaboration. Effects of different blood-pressure-lowering regimens on major cardiovascular events: results of prospectively-designed overviews of randomised trials. Lancet 2003;362:1527-35.
  6. Chevalier P. Association d’un IEC et d’un diurétique pour tous les diabétiques ? MinervaF 2007;6(10):150-1.
  7. De Cort P. Traitement de l’hypertension chez les personnes âgées d’au moins 80 ans. MinervaF 2008;7(9):130-1.
  8. De Cort P, Christiaens T, Philips H, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering: Hypertensie. Huisarts Nu 2009;38:340-61.

 

 

Nom de marque

Bénazépril : Cibacen®

HTA : inhibiteur calcique plutôt qu’un thiazide en ajout à un IEC ?



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