Revue d'Evidence-Based Medicine



Dépression majeure : antipsychotique en ajout à un antidépresseur ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 10 Page 120 - 121

Professions de santé


Analyse de
Nelson JC, Papakostas GI. Atypical antipsychotic augmentation in major depressive disorder: a meta-analysis of placebo-controlled randomized trials. Am J Psychiatry 2009;166:980-91.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité de l’ajout versus placebo d’un antipsychotique atypique à un antidépresseur chez un adulte présentant une dépression majeure résistante au traitement ?


Conclusion
Cette méta-analyse conclut que, en cas de dépression majeure résistant à un traitement antidépresseur, l’ajout d’un antipsychotique atypique à cet antidépresseur augmente la réponse et la rémission pour ces patients. Les nombreuses limites de cette méta-analyse et des études qu’elle inclut et l’augmentation des effets indésirables observée, invitent à un complément d’information.


 

Contexte

Environ 5 à 10% de la population présenterait un épisode dépressif majeur au cours de sa vie (1) et 38% des sujets ne répondraient pas à un traitement antidépresseur, 54% ne présentant pas de rémission avec ce traitement durant 6 à 12 semaines (2). L’utilité de l’ajout d’autres médicaments dans ces cas de résistance à l’antidépresseur était insuffisamment prouvée (1,3-4). Des preuves scientifiques sont maintenant avancées (5) concernant l’efficacité de l’ajout d’un antipsychotique atypique à faible dose à l’antidépresseur en cas de résistance thérapeutique.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse

Sources consultées

  • MEDLINE de 1966 à janvier 2009 avec les termes de recherche : dépression majeure, aripiprazole ou olanzapine ou palipéridone ou quétiapine ou rispéridone ou ziprasidone
  • Cochrane Clinical Trials Register
  • posters de congrès psychiatriques importants depuis 2000
  • consultation des fabricants d’antipsychotiques atypiques.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : études de la phase aiguë, en groupes parallèles, en double aveugle, contrôlées versus placebo, avec ajout d’un antipsychotique atypique (APA) versus placebo à un antidépresseur
  • inclusion de 16 études (donc 5 non publiées), soit 3 480 patients ; ajout d’un antipsychotique atypique chez 2 014 d’entre eux.

 

Population étudiée

  • patients présentant une dépression majeure unipolaire non psychotique paraissant résistante à un traitement antidépresseur en fonction de l’anamnèse individuelle ou d’une étude prospective précédente
  • absence de mention des caractéristiques : sexe, âge, sévérité de la dépression.

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : réponse au traitement (amélioration ≥50% sur l’échelle Hamilton Rating Scale for Depression (HRSD) ouMADRS évalue la gravité de la dépression par le biais d'un entretien semi-structuré à 10 items (score maximal de 60 points)."> Montgomery and Asberg Depression Rating Scale) ou rémission
  • critères secondaires : arrêt de traitement lié à un effet indésirable
  • analyse en intention de traiter et en modèle d’effets fixes.

Résultats

  • critères primaires :
    • réponse (N = 16) : significativement plus élevée sous APA (44,2%) que sous placebo (22,9%) : OR 1,69 avec IC à 95% de 1,46 à 1,95 et p<0,00001
    • rémission (N = 16) : significativement plus élevée sous APA (30,7%) que sous placebo (17,2%) : OR 2,00 avec IC à 95% de 1,69 à 2,37 et p<0,00001
    • pas de différence significative entre les différents APA.
  • critères secondaires :
    • arrêt de traitement lié à un effet indésirable (N = 15) : significativement plus élevé sous APA (9,1%) que sous placebo (2,3%) : OR 3,91 avec IC à 95% de 2,68 à 5,72 et p<0,00001.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les antipsychotiques atypiques sont des médicaments efficaces en ajout lors de troubles dépressifs majeurs mais qu’ils sont associés à un risque accru d’arrêt de traitement en raison de leurs effets indésirables.

 

Financement

Ppas de financement extérieur.

Conflits d’intérêt 

Les 2 auteurs ont reçu des financements et sont consultants pour différentes firmes pharmaceutiques.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Les auteurs ont réalisé une recherche fort large dans la littérature. Un funnel plot montre cependant un risque de biais de publication. Suivant les auteurs, les résultats n’auraient pas été influencés par ce biais possible. Ils n’ont retenu que les études randomisées contrôlées versus placebo. Les études n’incluent que des patients présentant une dépression unipolaire non psychotique. La définition de résistance thérapeutique est trop vague pour pouvoir garantir une population homogène entre les différentes études pour ce critère ; nous ne savons également pas à quel traitement les patients étaient « résistants ». Les critères de jugement sont bien précisés (réponse, rémission, arrêt de traitement) mais, d’autre part, pour définir une rémission, les auteurs font appel aux descriptions différentes selon les études incluses. La différence entre réponse et rémission est donc insuffisamment nette dans cette méta-analyse. Le reproche principal à faire à cette méta-analyse est l’absence d’évaluation de la qualité méthodologique des études incluses.

Des analyses de sensibilité explorent l’influence des différents médicaments, de la durée d’étude (de 4 à 12 semaines) et de la définition d’une résistance thérapeutique soit à l’anamnèse soit lors d’une RCT (prospective). Aucun impact n’est montré pour ces différentes variables. Nous ne disposons malheureusement pas d’analyses de sensibilité en fonction de la publication ou non des études ou de leur source de financement.

Mise en perspective des résultats

Cette méta-analyse montre des résultats significativement en faveur de l’efficacité de l’ajout d’un antipsychotique atypique. De nombreuses questions restent cependant sans réponse. Les auteurs mentionnent, pour une réponse comme pour une rémission, un NST de 9 mais le mode de calcul de ce chiffre n’est pas transparent et aucun intervalle de confiance n’est donné. Aucune conclusion ne peut être tirée pour le dosage optimal de l’APA. L’efficacité thérapeutique est-elle maintenue à moyen et à long terme, les études étant limitées à 8 semaines (sauf 1 de 12 semaines)? Dans les groupes placebo, l’antidépresseur seul permet d’obtenir une réponse chez 1 patient sur 5 et une rémission chez 1 sur 6, ce qui complique l’interprétation des résultats. La survenue d’intolérance à plus long terme en cas de traitement associé n’est pas connue (6), notamment en ce qui concerne le risque de troubles métaboliques et la survenue de dyskinésies tardives avec les APA. Cette méta-analyse ne précise pas la rapidité de la réponse observée, élément pertinent pour la pratique clinique en cas de dépression sévère et de dépressions avec risque suicidaire dans lesquelles une réponse rapide peut être cruciale. Seuls 4 APA sont évalués : olanzapine, aripiprazole, rispéridone et quétiapine. Les résultats ne peuvent pas être extrapolés aux autres APA.

L’ajout d’un APA n’est évalué que depuis ces dernières années et n’est donc pas recommandé dans les guides de pratique concernant le traitement de la dépression. La mise à jour du guide de pratique de NICE (7) recommande en cas de non réponse à un traitement antidépresseur, d’optimaliser sa posologie, de s’orienter vers une autre classe, d’associer 2 antidépresseurs ou d’ajouter un autre médicament qu’un antidépresseur (lithium, miansérine et mirtazapine, olanzapine, aripiprazole ou rispéridone).

L’optimalisation de la posologie et l’orientation vers une autre classe sont à préférer selon ce guide de pratique, étant donné qu’une monothérapie est potentiellement moins riche en effets indésirables qu’une association. La méta-analyse évaluée ici confirme cette incidence accrue d’effets indésirables en cas d’association. Nous ne disposons pas actuellement d’études comparatives, en cas de résistance thérapeutique, entre les différentes stratégies d’ajout et versus autres stratégies. Les résultats de l’étude ouverte sans randomisation STAR*D (8) avec différentes options thérapeutiques montrent principalement que l’acceptation d’un traitement de seconde intention (autre classe ou ajout) dépendrait fortement de l’efficacité et de la tolérance au traitement en cours : une efficacité limitée et une mauvaise tolérance orientent le choix vers un changement d’antidépresseur.

D’autres évaluations restent nécessaires : association d’un APA versus traitement non médicamenteux, détermination d’une sous-population pouvant bénéficier de l’ajout d’un APA, rôle du médecin généraliste en cas de résistance à un traitement antidépresseur.   

Pour la pratique

La RBP belge concernant la dépression (9) recommande au médecin généraliste de référer à la deuxième ligne le patient présentant une dépression majeure sévère et une réponse insuffisante à un antidépresseur. En raison des preuves insuffisantes à l’époque, concernant l’efficacité de l’ajout d’un APA ou d’un changement de classe d’antidépresseur (1,3-4), Minerva avait conclu à l’adéquation de l’instauration d’une thérapie comportementale cognitive ou à une référence en deuxième ligne comme alternative. Cette conclusion ne peut être remise en question par la présente méta-analyse dont les limites sont importantes et au vu de l’accroissement des effets indésirables conduisant à l’arrêt du traitement en cas d’ajout d’un APA à l’antidépresseur.

 

Conclusion

Cette méta-analyse conclut que, en cas de dépression majeure résistant à un traitement antidépresseur, l’ajout d’un antipsychotique atypique à cet antidépresseur augmente la réponse et la rémission pour ces patients. Les nombreuses limites de cette méta-analyse et des études qu’elle inclut et l’augmentation des effets indésirables observée, invitent à un complément d’information.

 

 

Références

  1. Barbui C, Butler R, Cipriani A, et al. Depression in adults (drug and other physical treatments). Clinical Evidence. Web edition (search date April 2006).
  2. Gartlehner G, Hansen RA, Thieda P, et al. Comparative effectiveness of second-generation antidepressants in the pharmacologic treatment of adult depression. Comparative Effectiveness Review, No. 7. Rockville, MD: Agency for Healthcare Research and Quality. January 2007.
  3. Réunion de Consensus de l’INAMI. L’usage efficient des antidépresseurs dans le traitement de la dépression. Bruxelles, 11 mai 2006.
  4. De Meyere M. Dépression majeure résistante au citalopram : ajouter un antidépresseur ou en changer ? MinervaF 2007;6(2):25-8.
  5. Papakostas GI, Shelton RC, Smith J, et al. Augmentation of antidepressants with atypical antipsychotic medications for treatment-resistant major depressive disorder: a meta-analysis. J Clin Psychiatry 2007;68:826–31.
  6. Keitner GI. Adding atypical antipsychotics to antidepressants increases response in treatment-resistant major depression but increases discontinuation as a result of adverse events. Evid Based Med 2010;15:19-20. Comment on: Nelson JC, Papakostas GI. Atypical antipsychotic augmentation in major depressive disorder: a meta-analysis of placebo-controlled randomized trials. Am J Psychiatry 2009;166:980-91.
  7. NICE. Depression. The treatment and management of depression in adults. NICE clinical guideline 90, October 2009.
  8. Rush AJ. STAR*D: What have we learned? Am J Psychiatry 2007;164:201-4.
  9. Heyrman J, Declercq T, Rogiers R, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering: Depressie bij volwassenen: aanpak door de huisarts. Huisarts Nu 2008;37:284-317.
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