Revue d'Evidence-Based Medicine



Les thiazides en premier choix mais indisponibles



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 7 Page 79 - 79

Professions de santé


 

Ces dix dernières années, quelques méta-analyses importantes ont balisé le traitement antihypertenseur tout en favorisant ainsi la prévention d’événements cardiovasculaires. Pour chacune d’elles, les diurétiques thiazides à faible dose sont avancés comme étant le traitement de premier choix, aussi bien en cas d’hypertension non compliquée qu’en cas d’hypertension avec comorbidité. Dans ce domaine particulier, plusieurs analyses ont été publiées dans la revue Minerva : celle de la méta-analyse de Psaty en 2003 (1), celle de la méta-analyse de Law en 2003 (2) et celle d’une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration en 2009 (3). En prolongement de ces études, une nouvelle méta-analyse en réseau (4) a été publiée en 2011. Elle concerne principalement la prévention de l’insuffisance cardiaque chez des patients ayant une hypertension artérielle compliquée. Les chercheurs ont sélectionné les RCTs (N=34) publiées de 1987 à 2004 évaluant un traitement médicamenteux pour 223 313 patients hypertendus, aussi bien avec hypertension systolique qu’avec insuffisance rénale, diabète, comorbidité cardiovasculaire, grand âge qu’avec une hypertension non compliquée. La méta-analyse qui inclut les différents médicaments antihypertenseurs pour les comparer entre eux ou versus placebo, ne montre pas d’hétérogénéité et l’intérêt de différents médicaments versus placebo en prévention de l’insuffisance cardiaque, et particulièrement : diurétiques OR de 0,59 (IC à 95 % de 0,47 à 0,73), IEC OR de 0,71 (IC à 95 % de 0,59 à 0,85), sartans OR de 0,76 (IC à 95 % de 0,62 à 0,90). Les diurétiques sont en outre significativement plus efficaces que les IEC avec un OR de 0,83 (IC à 95 % de 0,69 à 0,99) et que les sartans avec un OR de 0,83 (IC à 95 % de 0,63 à 0,97).

Une méta-analyse récente de Messerli (5) apporte les preuves, grâce à une méthodologie correcte, que les diurétiques thiazides à faible dose font diminuer moins les chiffres de pression artérielle que d’autres médicaments … ce qui n’enlève rien à l’intérêt clinique des diurétiques. Au contraire, une autre formulation est possible : une diminution moindre des chiffres de pression artérielle est nécessaire avec les diurétiques pour atteindre des résultats cliniques meilleurs ! Une précédente étude (2) nous avait par ailleurs appris que la moitié d’une dose de référence pour un thiazide diminuait fortement les effets indésirables de ce médicament tout en ne diminuant que très faiblement son efficacité clinique (2). Une publication récente (6) d’un suivi à long terme d’une étude évaluant l’efficacité d’un traitement de 4,5 ans de chlortalidone pour une hypertension systolique isolée (étude SHEP) illustre à nouveau cette supériorité clinique : après 22 ans, la survie reste plus importante de 0,55 année chez les patients ayant reçu un traitement par chlortalidone.

L’intérêt indubitable des diurétiques à faible dose dans le traitement de l’hypertension, avec dans ce cas la prévention de l’insuffisance cardiaque comme cible, est à nouveau mis en exergue dans cette récente méta-analyse. A juste titre, l’hydrochlorothiazide est, au niveau universel, le médicament antihypertenseur le plus prescrit, en monothérapie dans au moins un tiers des cas. En 2008, plus de 134,1 millions de prescriptions de ce médicament ont été rédigées aux U.S.A. En 2010, selon les données Pharmanet, 715 000 belges ont reçu un remboursement pour au moins un conditionnement d’un diurétique (en association ou non) : 31 000 pour la chlortalidone et 111 000 pour l’indapamide.

Le médecin (généraliste) belge s’interroge et s’indigne donc quand il n’a plus la possibilité de prescrire en monothérapie ce médicament de première ligne, essentiel. Il constate d’abord, impuissant, la disparition du marché de l’hydrochlorothiazide en monothérapie, puis la disponibilité très irrégulière de la chlortalidone. Il est singulier qu’une faible dose de ce médicament (12,5 mg) ne puisse être administrée que sous la forme d’un ¼ de comprimé d’une spécialité (Hygroton® 50 mg), ce qui exige inutilement des efforts du médecin comme du pharmacien.

Minerva est conscient de la complexité d’une conciliation permanente des intérêts économiques avec une santé publique idéale mais quand les autorités demandent de prescrire selon les règles de l’EBM, elles doivent aussi assurer la disponibilité des médicaments concernés. La menace d’indisponibilités de plus en plus fréquentes se dessine : pénicillines orales, amoxicilline parentérale, thrimétoprime,…

  

 

Références

  1. De Cort P. Les diurétiques restent le premier choix pour traiter l'hypertension artérielle non compliquée. MinervaF 2004;3(3):47-9.
  2. De Cort P. Efficacité de faibles doses d'antihypertenseurs et de leurs associations. MinervaF 2005;4(5):70-2.
  3. De Cort P. Hypertension non compliquée : les thiazides à faible dose restent un premier choix. Minerva online 27/05/2010.
  4. Sciarretta S, Palano F, Tocci G, et al. Antihypertensive treatment and development of heart failure in hypertension. A Bayesian network meta-analysis of studies in patients with hypertension and high cardiovascular risk. Arch Intern Med 2011;171:384-94.
  5. Messerli FH, Makani H, Benjo A, et al. Antihypertensive efficacy of hydrochlorothiazide as evaluated by ambulatory blood pressure monitoring. J Am Coll Cardiol 2011;57:590-600.
  6. Kostis JB, Cabrera J, Cheng JQ, et al. Association between chlorthalidone treatment of systolic hypertension and low-term survival. JAMA 2011;306:2588-96.
Les thiazides en premier choix mais indisponibles

Auteurs

De Cort P.
em. Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
COI :

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