Revue d'Evidence-Based Medicine



Repenser les synthèses d'évidence



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 10 Page 118 - 118

Professions de santé


 

 

(Texte et traduction sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone)


 

Dans le monde scientifique, les synthèses méthodiques sont reconnues comme étant une source d'information fiable et sûre, ayant pour but d'informer de façon claire et concise les cliniciens, les chercheurs ou les politiciens des effets d'une intervention médicale. Jusqu’à présent, la plupart des synthèses se fondent sur les résultats d'études publiées. Idéalement, les auteurs de la synthèse indiquent un soupçon de biais de sélection (au moyen d’un funnel plot) (1). Ces synthèses ne représentent cependant pas la seule source d'information, car les instances régulatrices (l’EMA en Europe et la FDA au États-Unis) ont accès à d'autres données d’études qui leur servent surtout à décider de la mise sur le marché ou non d'un médicament pour une indication particulière. Il s'agit de rapports d'essais cliniques contenant une mine d'informations, y compris les résultats d’études non publiées. Les auteurs de synthèses méthodiques Cochrane préconisent que celles-ci se basent plutôt sur ces rapports, vu les grandes divergences possibles entre les données publiées et les vrais résultats d’études (2).

Jefferson et coll, les auteurs de la synthèse sur les inhibiteurs de la neuraminidase, étaient les premiers à trancher dans le vif (3,4). Dans un éditorial antérieur de Minerva (5), nous avons attiré l'attention sur la conclusion de ces auteurs, à savoir qu’il est impossible, sur la base d’études publiées (et revues par les pairs), de démontrer une efficacité de l'oseltamivir sur les complications telles que la pneumonie. C’est pourquoi, Jefferson et coll ont estimé que la méta-analyse de Kaiser et coll qui démontrait cependant un effet positif, n’était pas fiable (6). Les données rendues publiques par la firme Roche ne permettaient en effet pas d’arriver à d’autres conclusions. Jefferson et coll se rendaient bien compte que l’exclusion des données non publiées pouvait conduire à un biais des effets réels de l’oseltamivir. C’est pourquoi ils ont retiré leur synthèse, entre autres aussi parce que Roche avait promis de mettre à leur disposition les rapports cliniques détaillés, qui se sont avérés par la suite incomplets. Après de maints efforts infructueux pour obtenir les rapports de Roche, les auteurs Cochrane se sont orientés vers les instances régulatrices officielles (EMA et FDA) sur base d'une « Freedom of Information Request » (une demande d'accès à l'information), possibilité qui n'existe que depuis 2010. Dans la nouvelle version de la synthèse Cochrane (4), les rapports de l'EMA (plus de 22 000 pages), en particulier en ce qui concerne l'oseltamivir, ont déjà été pris en compte. Les auteurs sont encore toujours en attente des rapports de la FDA. Les rapports de l'EMA sont plus détaillés que ceux de Roche, mais restent néanmoins incomplets. Les auteurs ne veulent dès lors pas encore se prononcer sur les effets de l'oseltamivir sur les complications (infections de voies respiratoires inférieures et usage d'antibiotiques). Les rapports ont toutefois mis en évidence de nouvelles données concernant les effets indésirables et l’effet des inhibiteurs de la neuraminidase sur la production d’anticorps (7).

Les auteurs Cochrane ont certainement raison lorsqu’ils affirment qu’il est indispensable que la  synthèse soit fiable et réalisée de manière objective. Il ressort de l'exemple de l'oseltamivir que chacun a utilisé les données probantes à sa convenance. La FDA se montre réticente (absence d'effet sur les complications), tandis que le CDC (US Centers for Disease Control and prevention) et le ECDC (le penchant européen du CDC) se basent encore toujours sur la synthèse controversée de Kaiser et coll pour étayer leur recommandation (présence d’un effet sur les complications). En réponse à la conclusion négative de la synthèse Cochrane, Roche a commandé une nouvelle méta-analyse auprès de la prestigieuse « Harvard School of Public Health » (8), qui a pu démontrer de nouveau un effet sur les infections des voies respiratoires inférieures. Jefferson et coll, toutefois, critiquent le manque de jugement de la part des auteurs de la Harvard School, qui ne disposaient une fois de plus pas de toutes les études et données (9).

Le problème ébauché ici, notamment des données incomplètes et peu fiables, est susceptible de concerner surtout l’évaluation de l’effet d’un médicament conçu et commercialisé par une seule firme particulière. Si la réalisation d’une synthèse méthodique fiable nécessite la lecture de rapports détaillés, ce travail n’est plus à la portée d’un simple chercheur. Les auteurs Cochrane eux-mêmes ont affirmé que la lecture et la synthèse des rapports EMA ont pris 14 mois, avec deux collaborateurs travaillant à temps plein (2). Il est incontestable que les moyens financiers actuels sont insuffisants pour effectuer de synthèses pareilles. Une mise au point des nouvelles techniques d'analyse et d'extraction est également souhaitable. Il est clair que nous atteignons les limites de ce qui est réalisable. Une collaboration plus étroite entre les instances publiques et les chercheurs indépendants serait utile, si ce n’est que pour éviter le double travail et pour mieux étayer les décisions politiques.

 

Références

  1. Chevalier P. van Driel M. Vermeire E. Biais de publication : identification et essai de correction. MinervaF 2007;6(9):144.
  2. Doshi P, Jones M, Jefferson T. Rethinking credible evidence synthesis. BMJ 2012;344:d7898.
  3. Jefferson T, Jones M, Doshi P, et al. Neuraminidase inhibitors for preventing and treating influenza in healthy adults. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 2.
  4. Jefferson T, Jones MA, Doshi P, et al. Neuraminidase inhibitors for preventing and treating influenza in healthy adults and children. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 1.
  5. Michiels B. Chercheurs de la Cochrane menés en bateau. MinervaF 2010;9(9):101.
  6. Kaiser L, Wat C, Mills T, et al. Impact of oseltamivir treatment on influenza-related lower respiratory tract complications and hospitalizations. Arch Intern Med 2003;163:1667-72.
  7. Michiels B. Inhibiteurs de la neuraminidase contre l’influenza (tous les groupes cibles). Minerva online 28/10/2012.
  8. Hernán MA, Lipsitch M. Oseltamivir and risk of lower respiratory tract complications in patients with flu symptoms: a meta-analysis of eleven randomized clinical trials. Clin Infect Dis 2011;53:277-9.
  9. Cochrane Neuraminidase Inhibitors Review Team. Does oseltamivir really reduce complications of influenza? Clin Infect Dis 2011;53:1302-3.
Repenser les synthèses d'évidence

Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

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