Revue d'Evidence-Based Medicine



Prévention primaire des maladies cardiovasculaires par une alimentation de type méditerranéen



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 1 Page 8 - 9

Professions de santé


Analyse de
Estruch R, Ros E, Salas-Salvadó J, et al. Primary prevention of cardiovascular disease with a Mediterranean diet. N Engl J Med 2013;368:1279-90.


Question clinique
Une alimentation de type méditerranéen peut-elle contribuer à réduire le risque d’accident cardiovasculaire en prévention primaire ?


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone

 

 

Contexte 

L’alimentation méditerranéenne traditionnelle se caractérise par une consommation élevée d’huile d’olive, de fruits, de noix, de légumes et de céréales, une consommation modérée de poissons, de volailles et de vin, et une consommation basse de produits laitiers, de viandes rouges et de sucreries. Il apparaît au  travers de plusieurs études d’observation et d’une étude clinique de prévention secondaire que ce type de consommation alimentaire réduit le risque d’accident cardiovasculaire (1). Plusieurs études cliniques de petite taille ont par ailleurs montré l’effet de cette alimentation sur les facteurs de risque d’accidents cardiovasculaires (2). Une étude prospective pour analyser les bénéfices réels en termes de prévention primaire du risque cardiovasculaire faisait encore défaut.

 

Résumé

 

Population étudiée 

  • 7 447 personnes dont 3 165 hommes âgés de 55 à 80 ans et 4 282 femmes âgées de 60 à 80 ans, sans antécédents d’évènements cardiovasculaires, présentant soit un diabète de type 2, soit au moins 3 facteurs de risque cardiovasculaire majeurs (tabagisme, hypertension artérielle, taux élevé de cholestérol LDL, taux bas de cholestérol HDL, surcharge pondérale ou obésité, une histoire familiale d’accidents cardiovasculaires prématurés).

 

Protocole d’étude 

  • étude randomisée contrôlée multicentrique (11 centres d’intervention comprenant au moins un diététicien et une infirmière, chacun étant connecté à 20 médecins généralistes pour le recrutement) (3) effectuée en Espagne (de 2003 à 2011)
  • répartition aléatoire en trois groupes : 1) diète méditerranéenne avec un supplément d’huile d’olive extra-vierge 50 g par jour (groupe olive) ; 2) diète méditerranéenne avec un supplément de noix  30 g par jour composés de 15 g de noix, 7,5 g d’amandes, et 7,5 de noisettes (groupe noix) ; 3) diète pauvre en graisses, y compris celles contenues dans l’huile d’olive et les noix (groupe contrôle)
  • suppléments d’huile d’olive (groupe olive) et de noix (groupe noix) fournis par des donateurs ; absence de conseils pour une restriction de la consommation totale d’énergie et la promotion de l’activité physique
  • pour les participants du groupe olive et du groupe noix : conseils diététiques personnalisés et en groupes tous les 3 mois
  • pour le groupe contrôle : remise annuelle d’une brochure expliquant le régime pauvre en graisses, et, après modification du protocole (en 2006), conseils diététiques en groupes tous les 3 mois
  • temps médian de participation dans l’étude : 4,8 années.

 

Mesure des résultats 

  • critère de jugement primaire composite : infarctus du myocarde ou AVC ou décès cardiovasculaire
  • critères de jugement secondaires : infarctus du myocarde, AVC, mortalité cardiovasculaire, mortalité globale
  • évènements comptabilisés sur déclaration des participants, de leur médecin généraliste, et suite à une revue annuelle des dossiers médicaux et du registre de mortalité national
  • questionnaire médical général, questionnaire de fréquence alimentaire et questionnaire sur l’activité physique administrés chaque année
  • mesure de l’adhérence aux recommandations diététiques par la concentration d’hydroxytyrosol urinaire (groupe olive) et la concentration plasmatique d’acide alpha-linolénique (groupe noix) dans un sous-échantillon aléatoire de participants
  • analyse en intention de traiter en modèle de régression de Cox.

 

Résultats 

  • après la randomisation, 2,8 % de non-participation, 7,0 % de perdus de vue (plus nombreux dans le groupe contrôle,11,3 %))
  • groupes olive et noix : augmentation de la consommation de ces deux aliments et de poissons et de légumineuses par rapport au groupe contrôle
  • groupe contrôle : diminution faible de  la consommation de graisses (proportion de l’énergie consommée à partir des graisses : de 39 % à l’inclusion à 37 % à la fin de l’intervention (pour 41 % dans les groupes intervention) 
  • critère primaire : 8,1 par 1 000 personne-années dans le groupe olive, 8,0 dans le groupe noix et 11,2 dans le groupe contrôle ; HR de 0,70 avec IC à 95 % de 0,53 à 0,91 pour le groupe olive comparé au groupe contrôle et de 0,70 avec IC à 95 % de 0,53 à 0,94 pour le groupe noix comparé au groupe contrôle ; différences observées dès la première année (courbes de Kaplan-Meier) ;  résultats similaires en analyses multi-variées
  • critères secondaires : seul le taux d’AVC est significativement réduit dans les groupes olive et noix versus groupe contrôle.

 

Conclusion des auteurs 

Les auteurs concluent qu’une diète méditerranéenne enrichie en huile d’olive extra vierge ou en noix diminue l’incidence d’évènements cardiovasculaires chez des individus à haut risque cardiovasculaire.

 

Financement de l’étude 

Gouvernement espagnol (agence de recherche biomédicale) ; différents donateurs pour certains ingrédients du régime, qui ne sont intervenus à aucun des stades de la recherche.

  

Conflits d’intérêt des auteurs 

13 parmi les 18 auteurs, dont l’auteur principal, déclarent faire partie de comités d’avis scientifiques ou de groupes de direction de différentes institutions dans le domaine de l’alimentation et/ou avoir reçu des honoraires pour diverses raisons de ces institutions ou de firmes (pharmaceutiques) ; 5 auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Il s’agit d’une étude randomisée contrôlée, c’est-à-dire une étude expérimentale la plus adaptée pour mettre en évidence un rapport causal entre l’intervention et l’effet observé.

Cette étude présente un certain nombre de zones d’ombre quant à la méthodologie (voir table des risques de biais en-dessous). La description de l’élaboration et de la gestion de la séquence de randomisation est insuffisante. Le respect du secret d’attribution n’est que fort partiellement rapporté. L’intervention n’était pas en insu (impossible) mais l’adjudication des évènements a été effectuée en insu. Le risque de rapport incomplet des résultats est bas étant donné les analyses de sensibilité avec imputation des données manquantes montrant des résultats semblables. Des résultats sont mentionnés pour tous les critères de jugement pré-spécifiés (plus de détails sur le site web du N Engl J Med).

Il est aussi à noter que les analyses tiennent compte du regroupement des patients par cabinet de médecine générale et par centre d’intervention (n = 11) de façon peu transparente. Par ailleurs, des analyses intermédiaires ont été menées chaque année. En principe, l’étude devait durer 4 ans. Mais après 4 ans, la durée de l’étude a été prolongée à 6 ans tout en diminuant la taille de l’échantillon. On en déduit qu’après 4 ans d’étude les différences entre groupes n’atteignaient pas le niveau de significativité statistique requis par l’application d’analyses intermédiaires aussi fréquentes (règles d’O’Brien-Fleming), et que c’est devenu le cas après 6 ans. Il n’est donc pas très clair si l’étude a été arrêtée prématurément ou si sa durée a été adaptée aux résultats préliminaires des évaluations intermédiaires... En dépit de ces limites, on peut qualifier la qualité de cette étude de haute à modérée suivant la terminologie GRADE (4).

 

Table. Risque de biais

 

Type de biais

Risque de biais

Explications

Génération de la séquence randomisée (biais de sélection)

Incertain

La génération et la gestion de la séquence randomisée ne sont pas décrites même dans une publication antérieure consacrée à la méthodologie de cet essai (4). Dans cette publication, il est seulement mentionné que les tables d’attribution aléatoire étaient « élaborées au niveau central » et que « les infirmières de l’étude en charge de l’attribution aléatoire étaient indépendantes de celles chargées de la prise en charge des participants ». On  en déduit que la randomisation n’était pas centralisée, mais préparée seulement au niveau central. S’il s’agit d’une randomisation simple ou en blocs et/ou stratifiées par centre est inconnu.

Masquage de la répartition aléatoire (biais de sélection)

Incertain

La façon dont la répartition aléatoire de l’intervention a été menée n’est pas décrite, même dans la publication antérieure consacrée à la méthodologie de l’essai (4). Il y est simplement fait mention que « les médecins généralistes n’étaient pas informés de l’attribution des patients à un des groupes d’intervention». Ceci n’avait que relativement peu d’importance puisque les participants étaient identifiés et contactés directement à partir des fichiers électroniques des cabinets de médecine générale. Par contre, la stratégie pour empêcher que les infirmières en charge de l’intervention aient pu « prédire » la répartition aléatoire n’est pas décrit.

Intervention en aveugle (biais de performance et de détection)

Risque bas

Les participants et le personnel de l’intervention ne pouvaient pas être mis en aveugle. Par contre, le comité chargé d’établir la survenue des évènements cardiovasculaires l’était.

Résultats incomplets (biais d’abandon)

Risque bas

Au total 7 % des participants ont été perdus de vue durant ≥ 2 années de suivi. Les perdus de vue étaient plus nombreux dans le groupe contrôle mais les analyses de sensibilité avec imputation des données manquantes n’ont pas révélé des résultats différents. Le seuil de 2 ans et plus pour définir les perdus de vue est surprenant pour des participants vus tous les 3 mois. Comment ont été gérés les perdus de vue avec une durée moindre n’est pas expliqué.

Rapportage sélectif (biais de rapportage)

Risque bas

Toutes les variables d’évaluation pré-spécifiées ont été présentées.

 

 

Mise en perspective des résultats

Cette étude est la première à établir expérimentalement l’effet préventif de la diète méditerranéenne sur la survenue d’accidents cardiovasculaires en prévention primaire chez des personnes à risque cardiovasculaire élevé. L’échelles ou avec des instruments différents. Les résultats ne peuvent donc être rassemblés comme tels. Afin de pouvoir les sommer quand même, une technique de standardisation peut être utilisée.">ampleur d’effet observée (30 % de réduction) est importante et assez proche de ce que l’on observe avec l’utilisation des statines (5).

Cet effet se marque étonnement tôt dans l’intervention. Il est déjà présent lors de la première année. D’ailleurs en excluant les 49 évènements cardiovasculaires de la première année (sur 288 au total), les comparaisons entre groupes ne sont plus statistiquement significatives, un phénomène qui ne se produit pas si on exclut les 89 évènements survenus au-delà de 4 ans (comme présentés par les auteurs dans le matériel supplémentaire).

L’effet préventif observé sur l’indicateur d’évaluation composite est en réalité essentiellement dû à l’effet sur la prévention des AVC. Cela est conforme avec les résultats d’études d’observation antérieures (6,7). La survenue des AVC est fortement associée à la pression artérielle et une publication antérieure a rapporté que les participants des groupes olive et noix de cette étude avaient une pression artérielle plus basse trois mois après l’inclusion (8). Les auteurs ne rapportent malheureusement pas les variations de pression artérielle dans le suivi ultérieur des participants. Notons aussi que la fréquence de l’hypertension était légèrement plus élevée à l’inclusion chez les participants du groupe contrôle. Cependant, quand l’hypertension à l’inclusion est prise en compte dans les analyses multi-variées, l’effet de l’intervention ne varie pas.

Bien que les auteurs parlent de l’effet de la diète méditerranéenne, en réalité le régime alimentaire ne différait pas beaucoup entre les 3 groupes (9). La différence essentielle entre les groupes tenait aux suppléments d’huile d’olive et de noix, résultant en un apport de graisses mono- et poly-insaturées et de polyphénols dans les groupes intervention, et non dans les conseils diététiques qui semblent avoir eu un impact limité sur la consommation alimentaire dans le groupe contrôle.

Que des suppléments d’huile d’olive extra vierge ou de noix produisent un effet similaire chez des personnes consommant un autre type de diète et/ou présentant un profil de risque cardiovasculaire différent de celui des sujets de cette étude reste à explorer. Le coût des produits utilisés pourrait aussi constituer une barrière à cette approche chez certaines personnes, et il serait intéressant d’établir si des quantités moindres pourraient produire le même effet. Enfin, il est aussi à noter que « une difficulté à changer d’habitudes alimentaires » constituait un des critères d’exclusion, un élément qui questionne un peu plus la validité externe de cette étude.

 

Effets indésirables

Les effets indésirables sont peu décrits dans cet article, mais peu probables.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée contrôlée, de bonne qualité méthodologique, montre que des suppléments d’huile d’olive extra-vierge (50 g par jour) ou de noix (30 g par jour) en ajout à une alimentation de type méditerranéen peuvent réduire de façon significative l’incidence des accidents cardiovasculaires, et particulièrement des AVC, en prévention primaire chez des personnes présentant un haut risque cardiovasculaire.

 

Pour la pratique

La RBP belge sur la gestion du risque cardiovasculaire (10) insiste sur l’importance d’une alimentation saine et équilibrée. Si un régime méditerranéen (plus d’huile d’olive, de fruits, de noix, de légumes et de céréales, moins de produits laitiers, de viandes rouges et de sucreries) versus alimentation occidentale semble plus favorable en post infarctus pour réduire la mortalité globale et le critère décès cardiovasculaire + infarctus non fatal (preuve de qualité modérée) (11), nous ne disposons pas de telles preuves en prévention primaire. Chez des personnes en prévention primaire mais à haut risque cardiovasculaire, l’ajout de suppléments d’huile d’olive ou de noix à ce régime méditerranéen pourrait, selon les résultats de cette étude, être utile, mais ces résultats ne peuvent pas être davantage généralisés.

 

 

Références

  1. Sofi F, Abbate R, Gensini GF, Casini A. Accruing evidence on benefits of adherence to the Mediterranean diet on health: an updated systematic review and meta-analysis. Am J Clin Nutr 2010;92:1189-96.
  2. Esposito K, Marfella R, Ciotola M, et al. Effect of a Mediterranean-style diet on endothelial dysfunction and markers of vascular inflammation in the metabolic syndrome: a randomized trial. JAMA 2004;292:1440-6.
  3. Martinez-Gonzalez MA, Corella D, Salas-Salvado J, et al. Cohort profile: design and methods of the PREDIMED study. Int J Epidemiol 2012;41:377-85.
  4. Guyatt G, Oxman AD, Akl EA, et al. GRADE guidelines: 1. Introduction-GRADE evidence profiles and summary of findings tables. J Clin Epidemiol 2011;64:383-94.
  5. Taylor F, Huffman MD, Macedo AF, et al. Statins for the primary prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 1.
  6. Samieri C, Feart C, Proust-Lima C, et al. Olive oil consumption, plasma oleic acid, and stroke incidence: the Three-City Study. Neurology 2011;77:418-25.
  7. Misirli G, Benetou V, Lagiou P, et al. Relation of the traditional Mediterranean diet to cerebrovascular disease in a Mediterranean population. Am J Epidemiol 2012;176:1185-92.
  8. Estruch R, Martinez-Gonzalez MA, Corella D, et al. Effects of a Mediterranean-style diet on cardiovascular risk factors: a randomized trial. Ann Intern Med 2006;145:1-11.
  9. Appel LJ, Van HL. Did the PREDIMED trial test a Mediterranean diet? N Engl J Med 2013;368:1353-4.
  10. Boland B, Christiaens T, Goderis G, et al. Globaal cardiovasculair risicobeheer Gevalideerd door CEBAM onder het nummer 2007/01.
  11. Skinner JS, Cooper A. Secondary prevention of ischaemic cardiac events. Clinical Evidence BMJ Publishing Group Ltd 2011.
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