Revue d'Evidence-Based Medicine



Antagonistes des leucotriènes dans l'asthme chronique persistant



Minerva 2003 Volume 2 Numéro 1 Page 7 - 9

Professions de santé


Analyse de
ROBINSON DS, CAMPBELL D, BARNES PJ. Addition of leukotriene antagonists to therapy in chronic persistent asthma: a randomised double-blind placebo-controlled trial. Lancet 2001;357:2007-11.


Question clinique
Quel est l’effet des antagonistes des leucotriènes en traitement additif de l’asthme chronique insuffisamment contrôlé par les corticoïdes et/ou les ß2-mimétiques de longue durée d’action et/ou la théophylline ?


Conclusion
Les preuves de l’utilité des antagonistes des récepteurs CysLT1 (leucotriènes) comme traitement additionnel des corticoïdes inhalés dans l’asthme sont insuffisantes. En cas d’asthme modéré à sévère chez les adultes, le traitement standard reste une association de corticostéroïdes inhalés avec des ß2-antagonistes à longue durée d’action.


 

Contexte

Cinq pour cent des asthmatiques continuent à présenter des symptômes et une diminution des capacités pulmonaires malgré de hautes doses de corticoïdes inhalés, de corticoïdes oraux, de ß2 mimétiques à longue durée d’action et de théophylline. Les études contrôlées ont déjà montré un rôle possible pour les antagonistes des leucotriènes dans la prévention de l’asthme d’effort. Chez des patients asthmatiques, ils pourraient également réduire les symptômes, améliorer la fonction respiratoire et permettre de réduire la dose de corticoïdes. Cependant le rôle des antagonistes des leucotriènes comme thérapie additionnelle n’est pas encore démontré.

Population de l’étude

Cent personnes âgées de 22 à 79 ans, avec un âge moyen de 52,3 ans, dont 62 femmes ont été sélectionnées parmi une population de patients d’une polyclinique d’un hôpital britannique. Les patients asthmatiques restant symptomatiques malgré un traitement ont été inclus. Ont été exclus les patients présentant une exacerbation aiguë nécessitant une corticothérapie orale ou ceux qui avaient présenté une exacerbation dans le mois précédent. Tous les patients prenaient des corticostéroïdes inhalés. Septante trois patients utilisaient en plus des ß2 agonistes de longue durée d’action, associés à de la théophylline pour 18 d’entre eux, à des corticostéroïdes pour 17 et aux deux substances pour 15 parmi ceux-ci. En début d’étude, le VEMS médian était de 59,9 % (IQR 48-80,5) et le débit expiratoire de pointe est le débit expiratoire maximal atteint lors d’une expiration forcée maximale, après une ins-piration également maximale. Ce test permet d’apprécier globalement la fonction respiratoire et peut être facilement réa-lisé en dehors d’un laboratoire d’épreuves respiratoires fonctionnelles. Ce test est peu spécifique. Sa valeur moyenne chez l’adulte est de 10 l/seconde (600 l/min). La dispersion autour de la valeur de référence est de 15-20 %. La variabilité du DEP (en %) est la différence entre la valeur la plus haute (en soirée) et la valeur la plus basse (le matin) de la journée divi-sée par la moyenne de ces valeurs, multipliée par cent.">débit expiratoire de pointe moyen de 63,6 % (quartiles (P75 et P25) et décrit ainsi les limites entre lesquelles les 50% moyens des résultats sont situés.">IQR 50,3-86,1) de la valeur prévue. Chez 43 des 72 patients ayant terminé l’étude, l’obstruction des voies respiratoires était clairement réversible lors de l’utilisation de ß2 agonistes de courte durée d’action. Trois patients étaient fumeurs et 41 connus pour présenter une atopie.

Protocole d’étude

Il s’agit d’une étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, avec étude clinique avec permutation, les personnes incluses sont réparties en deux groupes. Le premier groupe reçoit d’abord le traitement A et ensuite le traitement B, alors que le second groupe sera traité dans l’ordre inverse. Un avantage de ce type d’étude est que le nombre de personnes qu’il est nécessaire d’inclure pour mesurer un effet est petit. Une critique de cette méthode est que l’effet du premier traitement peut être encore présent lorsqu’on débute le deuxième traitement. C’est pour cela qu’après le traitement avec le premier produit, une période sans médicament («wash-out-period», période de «lavage») est le plus souvent intercalée.">permutation (cross-over). Un groupe (n = 53) reçoit pendant 2 semaines 10 mg de montélukast quotidien et ensuite un placebo durant 2 semaines. Dans l’autre groupe (n = 47) la succession des traitements est inversée. Les participants scorent pendant 4 semaines la survenue des symptômes (toux, expectorations, dyspnée, sifflements, symptômes nocturnes) : absence de symptômes = 0, léger = 1, modéré = 2, sévère = 3. Ils notent également le nombre de bouffées de ß2 mimétiques de courte durée d’action utilisées ainsi que les éventuels effets secondaires. Il leur était préalablement demandé de mesurer le débit expiratoire de pointe (DEP) 2 fois par jour (le matin et le soir).

Mesure des résultats

Les scores quotidiens et les débits expiratoires de pointe ont été comparés pour chaque patient durant les traitements actifs et placebo. De ceux-ci, une valeur moyenne des 3 et 7 derniers jours a été isolée afin de distinguer un effet immédiat et un effet à long terme. Pour chaque patient, on calcule également la différence de DEP matinal entre la période de traitement et celle pendant laquelle le placebo était administré. Une réponse était définie comme une augmentation du DEP moyen d’au moins 15 %.

Résultats

Des 100 patients, 72 ont été inclus dans l’étude ; 9 patients ont quitté l’étude en raison d’un accroissement des symptômes (n = 2 dans la phase placebo) ou en raison de céphalées ou de symptômes gastro-intestinaux (2 dans la phase de traitement actif, 4 dans la phase placebo) ; 19 avaient trop peu de mesures et d’annotations exigées au départ. Comparé au placebo, l’administration de montélukast n’a pas influencé significativement le score des symptômes, ni l’utilisation de ß2 mimétiques, ni le DEP vespéral ou matinal. La différence moyenne sur les 7 derniers jours entre le traitement actif et le placebo a été de 0,05 (IC à 95 % de -0,86 à 1,14 avec p = 0,73) pour les scores des symptômes, et de 0,41 (IC à 95 % de -0,29 à 0,57 avec p = 0,06) pour l’utilisation de ß2 antagonistes à courte durée d’action. La différence moyenne pour le DEP matinal a été de 1,18 l/min (IC à 95 % de -14,29 à 17,14 avec p = 0,82) et de -0,50 l/min (IC à 95 % de -17,42 à 12,86 avec p = 0,81) pour le DEP vespéral. Une comparaison du DEP matinal moyen sur une période de 7 jours entre la phase de traitement actif et la phase placebo, montre une réponse (amélioration > 15%) pour 4 patients sous montélukast et 7 sous placebo. Les valeurs moyennes des 3 derniers jours ne mentionnent pas de différence entre les 2 groupes. Aucune différence n’a non plus été notée dans les valeurs de VEMS mesurées (à l’hôpital) en début et en fin d’étude. Les auteurs concluent à l’absence d’avantage de l’utilisation du montélukast comme traitement additionnel dans l’asthme modéré à sévère.

Conflits d’intérêt/financement

Aucun n’est rapporté.

 

Discussion

La place des antagonistes des récepteurs CysLT1 dans l’asthme reste controversée. Les leucotriènes (LTs) sont des médiateurs puissants bronchoconstricteurs et pro-inflammatoires observés en concentration majorée dans les voies respiratoires des asthmatiques. Les antagonistes spécifiques de ces substances semblaient donc présenter un apport thérapeutique intéressant. Des études cliniques chez des patients présentant un asthme léger à modéré ont depuis lors démontré que les antagonistes des récepteurs CysLT1 présentaient une efficacité thérapeutique significative versus placebo. Cet effet semble comparable à celui de faibles doses de corticoïdes inhalés (équivalent à < 400 µg de beclometasone quotidien), sans différence d’effets secondaires mais à un prix substantiellement plus élevé.

Ces antagonistes des récepteurs CysLT1 ont également été proposés comme ajout utile à un traitement de base par corticostéroïdes inhalés chez des patients présentant un asthme modéré à sévère insuffisamment contrôlé par ces corticostéroïdes inhalés. Un des arguments avancés pour justifier cette proposition est une étude rapportant une inhibition incomplète de la production endogène de LTs par les stéroïdes dans l’asthme, laissant supposer que les antagonistes de ces récepteurs CysLT1 pourraient avoir un effet thérapeutique fortement complémentaire 1. Quelques études cliniques, à nouveau chez des patients présentant un asthme modéré à sévère, ont montré en effet que l’addition des antagonistes des récepteurs CysLT1 à des corticoïdes inhalés à faible dose avait quelque effet complémentaire entre autres sur le contrôle des symptômes et sur la sévérité de la bronchoconstriction : ainsi dans l’étude de LAVI OLETTE et coll., une augmentation complémentaire du VEMS de 4,32 % a été observée 2 . À l’inverse, LÖFDAHL et coll. ont montré que, versus placebo, l’ajout d’antagonistes des récepteurs CysLT1, permettait de diminuer davantage les doses de corticoïdes avant de déstabiliser l’asthme (respectivement 30 versus 47 %)3.

Pour déterminer la valeur ajoutée des antagonistes des récepteurs CysLT1 en association avec les corticoïdes inhalés, une comparaison avec le golden standard actuel, les ß2 mimétiques à longue durée d’action, est cependant essentielle. Plusieurs études importantes, à long terme, parmi lesquelles les recherches FACET 4 et OPTIMA 5 ont clairement montré, chez des patients présentant un asthme modéré à sévère, et insuffisamment contrôlés par des faibles doses de corticoïdes inhalés, l’avantage de l’addition de ces ß2 mimétiques à longue durée d’action par rapport à l’accroissement des doses de corticoïdes inhalés. Dans une étude multicentrique américaine récente, l’addition de salmétérol ou de montélukast a été comparée chez 948 patients restant symptomatiques malgré une dose élevée de corticoïdes inhalés. Sur les 12 semaines de l’étude, l’addition de salmétérol semblait avoir un effet significativement supérieur sur les symptômes et la fonction respiratoire à celui du montélukast 6. L’étude de ROBINSON et coll. analysée ici semble franchir un pas supplémentaire. Leur but était de préciser l’efficacité du montélukast en traitement de 3 e ligne chez des patients asthmatiques sévères demeurant symptomatiques malgré de hautes doses de corticoïdes inhalés, associés à des ß2 mimétiques à longue durée d’action, à de la théophylline ou même à des corticoïdes oraux. L’efficacité du montélukast n’a pas été supérieure à celle du placebo. Il faut noter que les patients inclus dans cette étude ont été recrutés dans un centre de référence de 3 e ligne au Royaume Uni. Tous présentaient un asthme persistant fort sévère et étaient donc non représentatifs des patients dans la pratique ambulatoire habituelle. Cependant, cette étude illustre à nouveau la place imprécise des antagonistes des récepteurs CysLT1 dans le traitement d’entretien de l’asthme.

 

Recommandations pour la pratique

Les preuves de l’utilité des antagonistes des récepteurs CysLT1 (leucotriènes) comme traitement additionnel des corticoïdes inhalés dans l’asthme sont insuffisantes. En cas d’asthme modéré à sévère chez les adultes, le traitement standard reste une association de corticostéroïdes inhalés avec des ß2 antagonistes à longue durée d’action 7.

La rédaction

 

Références

  1. DWORSKI R, FITZGERALD GA, OATES JA, et al. Effect of oral prednisone on airway inflammatory mediators in atopic asthma. Am J Respir Crit Care Med 1994;149:953-9.
  2. LAVIOLETTE M, MALMSTROM K, LU S, et al. Montelukast added to inhaled beclomethasone in treatment of asthma. Montelukast/Beclomethasone Additivity Group. Am J Respir Crit Care Med 1999;160:1862-8.
  3. LÖFDAHL CG, REISS TF, LEFF JA, et al. Randomised, placebo-controlled trial of effect of a leukotriene receptor antagonsist, montelukast, on tapering inhaled corticosteroids in asthmatic patients. BMJ 1999;319:87-90.
  4. PAUWELS RA, LÖFDAHL CG, POSTMA DS, et al. Effect of inhaled formoterol and budesonide on exacerbations of asthma. N Engl J Med 1997;337:1405-11.
  5. O’BYRNE PM, BARNES PJ, RODRIGUEZ-ROISIN R, et al. Low dose inhaled budesonide and formoterol in mild persistent asthma The OPTIMA randomized trial. Am J Respir Crit Care Med 201;164:1392-7.
  6. FISH JE, ISRAEL E, MURRAY JJ, et al. Salmeterol powder provides significantly better benefit than montelukast in asthmatic patients receiving concomitant inhaled corticosteroid therapy. Chest 2001;120:423-30.
  7. GEIJER RMM, VAN HENSBERGEN W, BOTTEMA BJAM, et al. NHG-Standaard Astma bij volwassenen: Behandeling. Huisarts Wet 2001;44:153-64.
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