Revue d'Evidence-Based Medicine



Le rôle de l'exémestane dans le traitement du cancer du sein



Minerva 2005 Volume 4 Numéro 5 Page 68 - 70

Professions de santé


Analyse de
Coombes RC, Hall E, Gibson LJ et al. A randomized trial of exemestane after two to three years of tamoxifen therapy in postmenopausal women with primary breast cancer. N Engl J Med 2004;350:1081-92.


Question clinique
Chez des femmes post-ménopausées qui n’avaient pas connu de récidive de cancer du sein après deux à trois années de traitement adjuvant au tamoxifène, quel est l’effet, sur leur survie sans récidive, du passage vers l’exémestane versus la poursuite du traitement avec tamoxifène?


Conclusion
Cette analyse intermédiaire d’une étude encore en cours montre que, dans le traitement adjuvant du cancer mammaire primaire chez des femmes post-ménopausées, le passage à l’exémestane, après un traitement initial de deux à trois ans de tamoxifène, donne une survie sans maladie meilleure que la poursuite du traitement par le tamoxifène. Les données sur les effets à long terme ne sont cependant pas encore disponibles.Pour ce motif, l’exémestane ne constitue pas encore un traitement de référence dans le traitement adjuvant du carcinome mammaire en post-ménopause.Pour le cancer mammaire hormono-sensible, le traitement de référence reste le tamoxifène durant cinq ans. Le traitement par anastrozol sera préféré au tamoxifène lorsque le tamoxifène est contre-indiqué ou lorsque la tumeur présente des récepteurs positifs pour les oestrogènes et négatifs pour la progestérone, ou lors d’une surexpression de l’oncogène HER-2.


 

Résumé

Contexte

L’administration de tamoxifène durant cinq ans est la référence pour le traitement hormonal adjuvant d’un cancer du sein primaire hormono-sensible chez la femme post-ménopausée. L’exémestane est un inhibiteur stéroïdien, de troisième génération, de l’aromatase qui freine de façon irréversible la transformation d’androstènedione en oestradiol dans les tissus périphériques. Un avantage statistiquement significatif sur la survie sans récidive avait déjà été constaté pour l’anastrozol, inhibiteur non stéroïdien de l’aromatase, administré à la place du tamoxifène comme thérapie adjuvante 1.

Population étudiée

Cette étude inclut 4 742 femmes post-ménopausées, d’une moyenne d’âge de 64 ans, opérées d’un cancer du sein unilatéral, invasif, confirmé histologiquement, et traitées ensuite par chimio- et radiothérapie, si indiqué. Les récepteurs de la tumeur primaire n’avaient soit pas été identifiés, soit été reconnus sensibles aux oestrogènes et les femmes avaient déjà pris du tamoxifène durant au moins deux ans et au plus trois ans et un mois. Les critères d’exclusion sont, entre autres, la présence d’une récidive locale, de métastases ou d’autres tumeurs, une ostéoporose sévère et l’usage d’une substitution hormonale quatre semaines avant la randomisation.

Protocole de l’étude

Dans cette étude randomisée,multicentrique, en double aveugle, le groupe contrôle (n= 2 380) poursuit le traitement au tamoxifène et, dans le groupe intervention (n= 2 362), le traitement adjuvant est remplacé par de l’exémestane. Les femmes sont examinées tous les trois mois durant la première année, tous les six mois durant les deuxième et troisième années et ensuite une fois par an.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est la survie sans maladie (délai jusqu’à la première récidive locale ou à distance, jusqu’à la survenue d’un nouveau cancer du sein primaire ou mortalité globale). Les critères de jugement secondaires sont: survie globale, incidence de cancer du sein controlatéral, tolérance et survie sans cancer du sein, en excluant les décès sans diagnostic de cancer du sein. Les analyses sont faites en intention de traiter. Une analyse en modèle de risques proportionnels de Cox est réalisée.

Résultats

Lors de la deuxième analyse intermédiaire de l’étude, après un suivi moyen de 30,6 mois, la survie sans récidive est significativement plus élevée dans le groupe sous exémestane: 91,5% (IC à 95% de 90,0 à 92,7) par rapport à 86,8% (IC à 95% de 85,1 à 88,3) pour le tamoxifène. La survie sans cancer du sein est également augmentée. Pas d’avantage significatif pour la survie globale (voir tableau). Le traitement par exémestane provoque davantage de diarrhées, de douleurs articulaires, d’ostéoporose et de troubles visuels, alors que le tamoxifène entraîne davantage de problèmes gynécologiques, de pertes de sang vaginales, de crampes musculaires et d’incidents thromboemboliques. La survenue d’effets indésirables motive un arrêt de traitement chez 138 femmes du groupe exémestane et 121 femmes du groupe tamoxifène. Un nombre plus élevé de cancers primaires non mammaires surviennent chez les femmes qui prennent du tamoxifène durant cinq ans.

 

Tableau: Rapports de hasards corrigés*, pour les critères primaire et secondaires, du groupe exémestane versus groupe tamoxifène.

Critères

Rapport de hasard (IC à 95%)

Valeur p

Survie sans maladie

0,67 (0,56 - 0,82)

<0,001

Survie sans cancer du sein

0,62 (0,50 - 0,76)

<0,001

Délai jusqu’à la survenue d’un cancer

du sein controlatéral

0,44 (0,20 - 0,98)

0,04

Survie globale

0,89 (0,67 - 1,17)

0,41

*corrigé pour: sensibilité hormonale, métastases ganglionnaires, chimiothérapie, usage d’une substitution hormonale.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que pour le traitement adjuvant d’un cancer primaire du sein chez des femmes post-ménopausées, le passage vers l’exémestane après un premier traitement au tamoxifène de deux à trois ans, permet d’améliorer la survie sans maladie, par rapport à un traitement de référence de cinq ans au tamoxifène.

Financement

Pfizer et «Cancer Research UK».

Conflits d’intérêt

Tous les auteurs ont reçu des honoraires de la firme Pfizer et la plupart des auteurs ont des liens avec d’autres firmes pharmaceutiques.

 

Discussion

Le tamoxifène comme référence

L’intérêt pour les inhibiteurs de l’aromatase va croissant dans le traitement hormonal des carcinomes mammaires post-ménopausiques. Les inhibiteurs non stéroidiens de l’aromatase semblent au moins aussi efficaces que le tamoxifène en première ligne de soins chez les femmes présentant un cancer du sein métastasé 2,3,4. Une meilleure survie sans maladie avait déjà été décrite pour l’anastrozol comparé au tamoxifène comme traitement adjuvant 1,5. Dans la pratique clinique actuelle, l’anastrozol est considéré comme le traitement de choix lorsque les récepteurs oestrogéniques sont positifs, mais les récepteurs progestéroniques négatifs, ou lorsqu’il y a une sur-expression de l’oncogène HER-2 6. Plusieurs arguments plaident pour le passage du tamoxifène à un inhibiteur de l’aromatase après deux ou trois ans de traitement. De nombreuses patientes récidivent et présentent des métastases endéans les cinq ans après le diagnostic. Une résistance au tamoxifène est observée déjà après douze à dix-huit mois. En outre, le tamoxifène agit parfois comme un agoniste et stimule la poursuite de la multiplication des cellules cancéreuses 7.

Effets indésirables: pas de différence

Les effets indésirables sérieux du tamoxifène, tels que la thrombophlébite et le carcinome de l’endomètre, n’apparaissent qu’après quelques années. Il serait donc logique d’initier un traitement par inhibiteur de l’aromatase après obtention de l’effet favorable maximal du tamoxifène et avant la survenue de ses effets indésirables importants. Par ailleurs, le tamoxifène réduit la résorption osseuse, en sorte qu’un traitement préalable par tamoxifène pourrait peut-être limiter l’effet ostéoporotique de l’inhibiteur de l’aromatase.

Trop tôt pour conclure

Nous n’avons aucune explication claire à la constatation d’une moindre survenue de cancers non mammaires secondaires lors du passage à l’exémestane (effet protecteur de l’exémestane? risque accru du tamoxifène? hasard?). D’autres études pourront éventuellement confirmer cette observation.

Il est prématuré de tirer des conclusions définitives. Cette publication concerne une analyse intermédiaire et le suivi moyen est de 30,6 mois. Un suivi prolongé de ce groupe de patientes donnera davantage de précisions.Les résultats de l’étude BIG/FEMTA sont attendus avec beaucoup d’espoir. Celle-ci compare quatre groupes: deux ans de tamoxifène suivi de trois ans de létrozol, deux ans de létrozol suivi de trois ans de tamoxifène, cinq années de tamoxifène et cinq années de létrozol. Une autre étude en cours,ARNO, compare un traitement de deux ans de tamoxifène suivis de trois ans d’anastrozol à un traitement de cinq ans de tamoxifène.

 

Conclusions

Cette analyse intermédiaire d’une étude encore en cours montre que, dans le traitement adjuvant du cancer mammaire primaire chez des femmes post-ménopausées, le passage à l’exémestane, après un traitement initial de deux à trois ans de tamoxifène, donne une survie sans maladie meilleure que la poursuite du traitement par le tamoxifène. Les données sur les effets à long terme ne sont cependant pas encore disponibles.Pour ce motif, l’exémestane ne constitue pas encore un traitement de référence dans le traitement adjuvant du carcinome mammaire en post-ménopause.Pour le cancer mammaire hormono-sensible, le traitement de référence reste le tamoxifène durant cinq ans. Le traitement par anastrozol sera préféré au tamoxifène lorsque le tamoxifène est contre-indiqué ou lorsque la tumeur présente des récepteurs positifs pour les oestrogènes et négatifs pour la progestérone, ou lors d’une surexpression de l’oncogène HER-2.

 

Références

  1. Cocquyt V. Anastrazol et tamoxifène pour traiter le cancer du sein. MinervaF 2004;3(2):20-2.
  2. Bonneterre J, Thurlimann B, Robertson JF et al. Anastrozole versus tamoxifen as first-line therapy for advanced breast cancer in 668 postmenopausal women: results of the tamoxifen or arimidex randomized group efficacy and tolerability study. J Clin Oncol 2000;18:3748-57.
  3. Nabholtz JM, Buzdar A, Pollak M et al. Anastrozole is superior to tamoxifen as first-line therapy for advanced breast cancer in postmenopausal women: results of a North American multicenter randomized trial. J Clin Oncol 2000;18:3758-67.
  4. Mouridsen H, Gershanovich M, Sun Y et al. Superior efficacy of letrozole versus tamoxifen as first-line therapy for postmenopausal women with advanced breast cancer: results of a phase III study of the International Letrozole Breast Cancer Group. J Clin Oncol 2001;19:2596-606.
  5. Baum M, Budzar AU, Cuzick J et al. Anastrozole alone or in combination with tamoxifen versus tamoxifen alone for adjuvant treatment of postmenopausal women with early breast cancer: first results of the ATAC randomised trial. Lancet 2002;359:2131- 9. [Erratum in: Lancet 2002;360:1520]
  6. Dowsett M. Analysis of time to recurrence in the ATAC (arimidex, tamoxifen, alone or in combination) trial according to estrogen receptor and progesterone receptor status. Breast Cancer Res Treat 2003;82(Suppl 1):S6. [abstract]
  7. Coombes RC, Hall E, Gibson LJ et al. A randomized trial of exemestane after two to three years of tamoxifen therapy in postmenopausal women with primary breast cancer. N Engl J Med 2004;350:1081-92. [Erratum in: N Engl J Med 2004;351:2461]

Nom de marque

Anastrozol = Arimidex®

Exémestane = Aromasin®

Létrozole = Femara®

Tamoxifène = Merck-Tamoxifen®, Nolvadex®, Tamizam®,Tamoplex®,Tamoxifene EG®, Tamoxifen-Ratiopharm®

Le rôle de l'exémestane dans le traitement du cancer du sein

Auteurs

Cocquyt V.
Dienst Medische Oncologie, Universitair Ziekenhuis Gent
COI :

Renard V.
Radiotherapie, oncologie en hematologie AZ St Lucas, Gent
COI :

Code





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