Revue d'Evidence-Based Medicine



En prévention secondaire, ajouter de l'aspirine au clopidogrel?



Minerva 2005 Volume 4 Numéro 6 Page 87 - 89

Professions de santé


Analyse de
Diener H, Bogousslavsky J, Brass LM et al, on behalf of the MATCH investigators. Aspirin and clopidogrel compared with clopidogrel alone after recent ischaemic stroke or transient ischaemic attack in high-risk patients (MATCH): randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet 2005;364:331-7.


Question clinique
Est-il utile d’ajouter de l’aspirine au traitement par clopidogrel de patients à haut risque, récemment victimes d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ou d’un accident ischémique transitoire (AIT)?


Conclusion
L’étude MATCH ne montre pas de réduction significative de survenue d’incidents vasculaires chez des patients venant de présenter un AVC ou un AIT et présentant au moins un autre facteur de risque, lors d’un ajout d’aspirine à un traitement préalable par clopidogrel.Cette association thérapeutique conduit cependant à une augmentation du risque de saignement majeur.


 

Résumé

Contexte

Plusieurs études ont comparé l’efficacité et la sécurité du clopidogrel versus acide acétylsalicylique (aspirine) chez des sujets à haut risque vasculaire. Une synthèse de ces études (reprenant également la ticlopidine versus aspirine) montre une efficacité modeste mais significative des dérivés thiénopyridiniques (ticlopidine, clopidogrel) versus aspirine, y compris dans le sous-groupe des patients ayant présenté un AIT ou un accident vasculaire cérébral ischémique 1. D’autres études ont évalué l’intérêt de l’ajout du clopidogrel à l’aspirine dans des populations très ciblées 2,3 mais non dans une population spécifique post AIT ou AVC. Assez étonnamment, l’étude ici analysée évalue l’intérêt de l’ajout de l’aspirine au clopidogrel dans ce type de population, alors que l’ajout de clopidogrel à l’aspirine n’a pas été étudié spécifiquement dans ce cadre.

Population étudiée

Dans 507 centres (stroke units ou départements de neurologie) répartis sur 28 pays, 7 599 patients ayant présenté un AVC ischémique ou un AIT dans les trois mois précédents et porteurs d’au moins un autre facteur de risque (AVC ischémique précédent, infarctus du myocarde précédent, angine de poitrine, diabète sucré ou artérite périphérique) ont été recrutés.Les patients à haut risque de saignement (par exemple atteints d’un ulcère peptique ou d’une insuffisance hépatique sévère) ont été exclus.

Protocole d’étude

Dans cette étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, les patients inclus, tous sous 75 mg par jour de clopidogrel, reçoivent soit 75 mg d’aspirine quotidiens (n=3 797) soit un placebo (n=3 802).

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est composite: survenue d’AVC ischémique,d’infarctus du myocarde, de décès vasculaire ou de réhospitalisation pour événement ischémique aigu (central, coronarien ou périphérique). Les critères de jugement secondaires sont les critères individuels inclus dans le composite primaire, plus la combinaison de ceux-ci avec la survenue d’un AVC ou d’un décès. L’analyse est faite en intention de traiter.

Résultats

Dans le groupe aspirine + clopidogrel, 15,7% des patients présentent un critère de jugement primaire, par rapport à 16,7% dans le groupe ne consommant que le clopidogrel, soit une différence non significative. Des saignements mettant le pronostic vital en jeu (entre autres intracérébraux) se présentent chez 2,6% des patients sous traitement combiné versus 1,3% sous aspirine seule, soit une augmentation de risque absolue de 1,3% (IC à 95% de 0,6 à 1,9). Cette association thérapeutique provoque également davantage de saignements majeurs (différence de risque absolue entre le groupe aspirine et le groupe sans aspirine de 1,36 (IC à 95% de 0,86 à 1,86; p<0,0001). Aucune différence au point de vue mortalité.

Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que l’ajout d’aspirine au clopidogrel chez des patients à haut risque, ayant récemment présenté un AVC ischémique ou un AIT, ne réduit les incidents vasculaires majeurs que de manière non significative, au prix d’un risque accru de saignement majeur ou à risque vital.

Financement

L’étude est financée par les firmes Sanofi-Synthelabo et Bristol Myers, mais avec un comité de direction indépendant. Les analyses des résultats sont faites et par le sponsor et indépendamment de celui-ci.

Conflits d’intérêt

Deux auteurs mentionnent avoir été consultants ou orateurs pour différentes firmes pharmaceutiques.

 

Discussion

Clopidrogel et aspirine: autres études

Dans l’étude CAPRIE 4, l’efficacité du clopidogrel est comparée à celle de l’aspirine chez des patients récemment victimes d’un AVC ischémique ou d’un infarctus du myocarde ou atteints d’une artérite périphérique symptomatique.Chez ces patients, la réduction du risque de survenue du critère de jugement primaire (AVC ischémique, infarctus du myocarde ou décès vasculaire) est très légèrement supérieure avec le clopidogrel versus aspirine (RR 8,7%, p=0,043). Une analyse plus détaillée de cette étude 5 montre que la différence observée est liée à l’efficacité dans le sous-groupe de patients présentant une artériopathie. Cette étude présentait également plusieurs biais méthodologiques.L’étude CURE 2 a comparé durant une moyenne de neuf mois l’efficacité de l’ajout de clopidogrel à de l’aspirine (75 à 325 mg par jour) chez des sujets présentant un syndrome coronarien aigu sans élévation du segment ST. Elle montre un bénéfice de ce traitement sur un critère composite (décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde non fatal ou AVC) avec un RR de 0,80 (IC à 95% de 0,72 à 0,90, p<0,001) mais au prix d’une augmentation significative des saignements majeurs (RR 1,38; p=0,001).L’étude CREDO 3 évalue l’intérêt de l’administration de clopidogrel, versus placebo, chez des patients ayant subi une angioplastie coronaire et sous aspirine (81 à 325 mg par jour) sur un an de suivi. Cette étude montre également une diminution du risque de survenue du critère composite (décès, infarctus du myocarde, AVC) sans augmentation significative du risque de saignement majeur.L’étude MATCH ici analysée, a été élaborée dans le but d’évaluer si, pour des patients ayant présenté un AIT ou un AVC ischémique, l’ajout d’aspirine au clopidogrel présentait également un avantage.

Limites méthodologiques

Cette étude concerne une population à haut risque. La dose d’aspirine utilisée (75 mg) est moindre que celle administrée dans l’étude CAPRIE (325 mg), ce qui illustre l’évolution des mentalités quant à la dose préventive d’aspirine.L’étude est correctement menée et les données de 96% des patients inclus sont disponibles. Le protocole d’étude suscite cependant quelques réflexions.La décision d’associer de l’aspirine à du clopidogrel pour évaluer l’efficacité de cette combinaison versus clopidogrel seul et non versus aspirine seule est étonnante. En effet, l’aspirine est universellement reconnue comme l’antiagrégant de premier choix. L’avantage marginal du clopidogrel, par rapport à l’aspirine, dans l’étude CAPRIE, ne pèse pas lourd face à l’expérience acquise avec l’aspirine et le coût plus élevé du clopidogrel. Il eût été plus logique de comparer l’association à de l’aspirine. Le choix dans l’étude MATCH repose peut-être sur une tentative des firmes commercialisant le clopidogrel de positionner celui-ci en première ligne au détriment de l’aspirine. D’autres études sont cependant en cours, ajoutant le clopidogrel à un traitement par aspirine. Nous nous demandons, enfin, quelle peut être l’importance du choix de la période d’inclusion dans l’étude (dans les trois mois après un AVC ou AIT) sur les résultats observés. Dans les premiers jours qui suivent un tel événement, le risque de récidive (ou de survenue) d’AVC est en effet plus important et il est donc plus facile de mettre un effet bénéfique en évidence.

Efficacité préventive secondaire dans cette population spécifique

Cette étude ne montre donc pas de réduction significative de risque grâce à l’ajout d’aspirine au clopidogrel dans cette population à haut risque et ayant présenté un AIT ou un AVC. L’étude CAPRIE ne montrait, elle, pas d’efficacité significative du clopidogrel versus aspirine chez les sujets ayant présenté un AVC:RR du critère combiné (AVC, infarctus du myocarde, décès vasculaire) de 0,90 (IC à 95% de 0,79 à 1,04), soit une RRR non significative de 7,3% 4. La présente étude ne peut être un argument pour justifier l’administration de clopidogrel seul dans cette indication.

Risque de saignements

Les résultats de cette étude illustrent, une fois encore, l’ampleur du risque de saignements importants avec une association de deux médicaments comportant chacun leur propre risque de saignement.Comme les auteurs de l’étude MATCH le reconnaissent eux-mêmes et comme le souligne un commentateur 6, plusieurs raisons sont à l’origine d’un moins bon rapport risques/bénéfices pour un traitement post AVC ou AIT versus administration suite à un infarctus du myocarde. Dans une proportion non négligeable des cas d’AVC ischémique ou d’AIT, un examen par résonance magnétique montre des petits saignements cérébraux, préalables au traitement, souvent asymptomatiques, et non observés au CT scanner. Il serait intéressant de préciser, dans de futures études, si le risque de saignements intracérébraux majeurs avec l’association clopidogrel-aspirine se limite aux patients présentant ces lésions intracérébrales. L’incidence de saignement observée, dans cette étude, avec l’association thérapeutique est plus haute que celle rapportée dans les études CURE et CREDO. Dans celles-ci, le clopidogrel est ajouté à l’aspirine, alors que c’est l’inverse dans l’étude MATCH. C’est probablement l’explication de la différence de risque observée. Même si l’augmentation de ce risque n’est pas significative dans toutes les études (voir CREDO), la majorité de celles-ci montre son accroissement, ce qui représente au vu de la large prescription du clopidogrel, un risque important pour un nombre significatif de sujets en chiffres absolus.

 

Conclusions

L’étude MATCH ne montre pas de réduction significative de survenue d’incidents vasculaires chez des patients venant de présenter un AVC ou un AIT et présentant au moins un autre facteur de risque, lors d’un ajout d’aspirine à un traitement préalable par clopidogrel.Cette association thérapeutique conduit cependant à une augmentation du risque de saignement majeur.

 

Références

  1. Hankey G, Sudlow C,Dunbabin D.Thienopyridine derivates (ticlopidine, clopidogrel) versus aspirin for preventing stroke and other serious vascular events in high vascular risk patients. The Cochrane Database of Systematic Reviews 1999, Issue 4.
  2. The Clopidogrel in Unstable angina to prevent Recurrent Events trial investigators. Effects of clopidogrel in addition to aspirin in patients with acute coronary syndromes without ST-segment elevation. N Engl J Med 2001:345:494-502.
  3. Steinhubl SR, Berger PB, Mann JTIII et al, for the CREDO investigators. Early and sustained dual oral antiplatelet therapy following percutaneous coronary intervention: a randomized control trial. JAMA 2002:288:2411-20.
  4. CAPRIE Steering Committee. A randomised, blinded, trial of clopidogrel versus aspirin in patients at risk of ischaemic events (CAPRIE). Lancet 1996;348:1329-39.
  5. Anonymous. Clopidogrel. La Revue Prescrire 1999;19:332-5.
  6. Rothwell PM.Lessons from MATCH for future randomised trials in secondary prevention of stroke [comment]. Lancet 2004:348:305-7.

Nom de marque

Clopidogrel: Plavix®

Ticlopidine: Ticlid®, Ticlopidin-Ratiopharm®, Ticlopidine EG®, Ticlopidine Teva®

En <strong><a style="font-size:medium" data-toggle="popover" data-trigger="hover" title="prévention" data-content="Trois niveaux de prévention peuvent être distingués. La prévention primaire englobe toutes les interventions ou activités visant à la prévention d’une maladie. Ces interventions visent les facteurs étiologiques de la maladie, par exemple l’arrêt du tabac pour éviter le cancer du poumon ou la vaccination pour prévenir des maladies infectieuses. La prévention secondaire vise à influencer favorablement l’évolution d’une maladie par un diagnostic précoce, par exemple par un dépistage de l’hypertension ou par une recherche de cas de diabète sucré. La prévention tertiaire vise à améliorer la santé des personnes souffrant d’une maladie (chronique) en accélérant la guérison ou en évitant des complications. L’administration d’acide acétylsalicylique après un accident vasculaire cérébral ou le contrôle de la glycémie ainsi que l’éducation de la personne diabétique sont des exemples de prévention tertiaire.">prévention</a></strong> secondaire, ajouter de l'aspirine au clopidogrel?

Auteurs

Bogaert M.
emeritus hoogleraar Farmacotherapie, UGent
COI :

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