Revue d'Evidence-Based Medicine



Des statines pour tous les patients diabétiques?



Minerva 2005 Volume 4 Numéro 7 Page 100 - 102

Professions de santé


Analyse de
Colhoun HM, Betteridge DJ, Durrington PN et al. on behalf of the CARDS investigators. Primary prevention of cardiovascular disease with atorvastatin in type 2 diabetes in the Collaborative Atorvastatin Diabetes Study (CARDS): multicentre randomised placebo-controlled trial. Lancet 2004;364:685-96.


Question clinique
Quelle est l’efficacité cardiovasculaire préventive de 10 mg d’atorvastatine, versus placebo, chez des patients diabétiques de type 2 sans antécédent cardiovasculaire et présentant des valeurs de LDL-cholestérol relativement basses?


Conclusion
Cette étude montre que l’administration de 10 mg d’atorvastatine réduit le nombre de premiers évènements cardiovasculaires chez des diabétiques de type 2 présentant au moins un facteur de risque cardiovasculaire supplémentaire.La réduction est indépendante des valeurs initiales du LDL-cholestérol. Alors que certaines directives recommandent, sur base de ces résultats, d’instaurer un traitement par statine chez tout patient diabétique de type 2, il reste important de calculer, pour chaque patient individuellement, le profil de risque global et de décider, sur base de cette évaluation, de prescrire ou non une statine. Les arguments sont encore insuffisants pour prescrire systématiquement une statine chez les patients diabétiques de type 2 sans risque additionnel.


 

Résumé

Contexte

Chez les patients diabétiques de type 2, l’évaluation du profil de risque cardiovasculaire (facteurs liés au mode de vie, pression artérielle et lipides) et la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaires, ont une importance au moins équivalente à celle du contrôle de la glycémie. L’étude Steno 1 a démontré l’importance d’une telle prise en charge multifactorielle. Dans ce contexte, chez les patients diabétiques présentant des antécédents de pathologie cardiovasculaire, un traitement par statine est initié, également en cas de profil lipidique considéré jusqu’il y a peu comme favorable. L’efficacité préventive d’une statine chez des patients diabétiques de type 2 sans pathologie cardiovasculaire reste imprécise.

Population étudiée

Au départ de 132 centres en Angleterre et en Irlande, 2 838 patients diabétiques de type 2 sans pathologie cardiovasculaire (angor, infarctus, chirurgie coronaire, accident vasculaire cérébral (AVC), artérite périphérique sévère) sont recrutés s’ils présentent au moins un des facteurs de risque suivants: hypertension, rétinopathie, micro- ou macroalbuminurie ou tabagisme. Ils doivent également présenter un LDL-cholestérol <160 mg/dl et des triglycérides <600 mg/dl. Les participants ont un âge moyen de 62 ans (40 à 75 ans), 68% sont des hommes et 94% sont de race blanche.Leur valeur moyenne de LDL-cholestérol est de 117 mg/dl; 65% des patients sont traités avec des antidiabétiques oraux et 19% avec de l’insuline.

Protocole de l’étude

Les patients de cette étude contrôlée, randomisée, en double aveugle,multicentrique, reçoivent, en complément de leur traitement habituel, soit 10 mg d’atorvastatine soit un placebo.Le suivi est mensuel durant les trois premiers mois, et bimensuel ensuite.Lors du suivi, le médecin traitant garde la possibilité de rajouter, si nécessaire, une statine aux médicaments de l’étude.

Mesure des résultats

Les critères de jugement primaires sont la survenue du premier évènement cardiovasculaire, notamment une ischémie coronarienne aiguë (angor instable, infarctus du myocarde y compris infarctus silencieux, décès brutal d’origine coronarienne et réanimation d’arrêt cardiaque), chirurgie coronaire et AVC.Les critères de jugement secondaires sont l’effet de l’atorvastatine sur la mortalité totale et sur un critère cardiovasculaire composite.L’analyse est effectuée en intention de traiter.

 

Tableau: Critères de jugement primaires et secondaires de l’étude CARDS.  

 

Placebo 

n=1 410

Atorvastatine

10 mg

n=1 428

HR

(IC 95%)

 

 

Valeur p

 

 

NST/

4 ans#

 

Critères de jugement primaires

127 (9,0%)

83 (5,8%)

0,63 (0,48 - 0,83)

0,001

27

Ischémie coronarienne aiguë*

77 (5,5%)

51 (3,6%)

0,64 (0,45 - 0,91)

Nd

45

Ischémie coronarienne aiguë

68 (4,8%)

47 (3,3%)

0,67 (0,53 - 0,97)

Nd

58

(angor instable exclu)

         

Revascularisation coronaire

34 (2,4%)

24 (1,7%)

0,69 (0,41 - 1,16)

Nd

NS

AVC

39 (2,8%)

21 (1,5%)

0,52 (0,31 - 0,89)

Nd

69

Critères de jugement secondaires

 

 

 

 

 

Mortalité totale

82 (5,8%)

61 (4,3%)

0,73 (0,52 - 1,01)

0,059

NS

Tous les évènements cardiovasculaires

rassemblés

189 (13,4%)

134 (9,4%)

0,68 (0,55 - 0,85)

0,001

23

*  ischémie coronarienne aiguë: infarctus du myocarde, y compris infarctus silencieux, angor instable, décès coronarien, réanimation d’arrêt cardiaque

#  NST calculé sur base du nombre d’années patients (5 166 années patients dans le groupe placebo, 5 384 dans le groupe atorvastatine)

NS: non significatif; Nd: non disponible dans l’article

 

Résultats

L’étude s’est clôturée en juin 2003, avec deux années d’avance sur les prévisions, en raison de résultats intermédiaires positifs. Le suivi moyen est de 3,9 ans. Une moyenne de 85% des personnes incluses dans le groupe intervention et de 9% de celles reprises dans le groupe placebo a pris une statine durant l’étude. Un total de 210 premiers évènements cardiovasculaires est enregistré: 83 (5,8%) dans le groupe intervention et 127 (9%) dans le groupe placebo. Le rapport de hasards désigne le risque relatif de survenue d’un résultat dans une analyse réalisée à l’aide du modèle de régression de Cox. Il s’agit d’un risque relatif « instantané » tenant compte de la durée de présence dans l’étude.">rapport de hasards, non corrigé, de la survenue d’un premier évènement cardiovasculaire est de 0,63 (IC à 95% de 0,48 à 0,83; p=0,0001) en faveur du groupe atorvastatine (voir tableau). Une correction pour l’âge, le sexe et le centre d’étude n’a pas d’effet substantiel: HR 0,64 (p=0,002).Les patients présentant, lors de la randomisation, une valeur LDL supérieure ou inférieure à 120 mg/dl, obtiennent des résultats thérapeutiques similaires (HR 0,62; IC à 95% de 0,43 à 0,91 versus HR 0,63; IC à 95% de 0,42 à 0,94 pour le critère de jugement primaire).Quatre-vingt deux patients du groupe placebo et 61 du groupe atorvastatine décèdent en cours d’étude. Dans les deux groupes, le traitement est arrêté par le médecin chez 1% des patients en raison d’effets indésirables possiblement liés à la médication de l’étude. Pas de cas de rhabdomyolyse.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’administration de 10 mg d’atorvastatine est efficace et sûre en prévention d’un premier événement cardiovasculaire chez des patients diabétiques de type 2 sans valeur élevée de LDL. Il n’y a pas d’argument en faveur d’une valeur seuil de LDL-cholestérol. Selon les auteurs, il ne faut plus se poser la question «Est-il nécessaire de donner une statine à tous les patients diabétiques?» mais bien «Existe-t-il des diabétiques présentant un risque suffisamment bas pour ne pas recevoir une statine?».

Financement

UK Department of Health, Diabetes UK et Pfizer.

Conflits d’intérêt

Les sponsors sont des membres ayant droit de vote dans le groupe d’accompagnement de l’étude.Le suivi, la collecte et l’introduction des données sont faits par la firme Pfizer. Plusieurs auteurs ont reçu un défraiement de Astra Zeneca, Merck Sharp & Dohme et Pfizer. Le centre de coordination est financé par Pfizer.

 

Discussion

Prévention primaire dans une population à risque élevé

Les patients diabétiques de type 2 ont un risque de mortalité cardiovasculaire augmenté de 2 à 4 fois en comparaison avec les patients non diabétiques. Une étude de cohorte finlandaise (sur un suivi de sept ans) observe que le risque d’infarctus du myocarde chez un patient diabétique sans pathologie coronarienne équivaut au risque du patient non diabétique avec pathologie coronarienne 2,3. Un tel risque élevé demande une prise en charge rigoureuse des facteurs de risque cardiovasculaire, comparable à celle réalisée en prévention secondaire. Les données concernant l’efficacité des statines auprès de patients diabétiques sans pathologie cardiovasculaire étaient limitées et contradictoires 4. L’étude CARDS est la première étude bien conçue comparant l’effet d’une statine uniquement chez des patients diabétiques de type 2 sans pathologie cardiovasculaire prouvée. Les patients de cette étude avaient, en plus de leur diabète, au moins un facteur de risque cardiovasculaire supplémentaire.L’étude ne peut donc apporter de réponse définitive concernant les patients diabétiques sans facteur de risque additionnel.

Implications pour la pratique

Il n’est pas aisé d’isoler, dans cette publication, des résultats cliniquement pertinents.Le nombre de patients qui doivent être traités durant quatre ans pour éviter un premier évènement cardiovasculaire (NST) est mentionné uniquement pour le critère de jugement primaire composite. Un travail de recherche et de calcul doit être effectué pour connaître le NST pour les autres critères cliniques. Sur base des données disponibles, il n’est pas possible non plus de calculer un intervalle de confiance pour le NST. Pour le lecteur moyen, la comparaison des résultats de cette étude avec les autres est donc difficile. L’étude CARDS confirme les résultats de l’étude HPS, qui a montré que la prise quotidienne de 40 mg de simvastatine chez 2 912 diabétiques de type 2 sans antécédent cardiovasculaire, diminue le risque de pathologie cardiovasculaire de 33% (NST 24 sur cinq ans)5.Les auteurs de l’étude CARDS conseillent de prescrire une statine à tout patient diabétique de type 2, sauf en cas de risque cardiovasculaire démontré suffisamment faible.Sur base d’études de cohorte et des résultats positifs des deux études précitées, l‘European Societies Task Force on Cardiovascular Disease Prevention in Clinical Practice 6 et l’ADA 7 entre autres, ont adapté leurs directives. Ils conseillent de prescrire une statine à tous les diabétiques de type 2, également chez des patients sans antécédent de pathologie cardiovasculaire.Les arguments justifiant une telle approche sont le nombre important de patients diabétiques de type 2 présentant un risque élevé de pathologie cardiovasculaire et la commodité de traduire un tel message dans la pratique, c’est-à-dire «une statine pour tout patient diabétique de type 2».

Une certaine réserve est-elle justifiée?

Dans le groupe de patients diabétiques de type 2 sans pathologie cardiovasculaire, de grandes différences de risque existent en fonction de la présence ou non d’autres facteurs de risque en dehors du diabète. Dans l’étude CARDS, 63% des patients présentent un facteur de risque complémentaire, 30% deux et 7% plus de deux.Plus de 80% des sujets présentent une hypertension dont nous savons qu’elle augmente fortement le risque de pathologie cardiovasculaire. Nous manquons de données concernant l’intérêt d’administrer une statine chez des patients diabétiques sans facteur de risque supplémentaire, de même que sur le bénéfice d’une administration prolongée de statines. En outre,n’oublions pas que deux précédentes études, l’étude ALLHAT-LLA et l’étude ASCOT-LLA n’avaient pu montrer d’efficacité pour ce traitement en prévention primaire chez des patients diabétiques de type 2 8,9. Dans l’étude ALLHAT, cette absence d’efficacité peut éventuellement être expliquée par une faible différence d’utilisation d’une statine entre le groupe placebo et le groupe d’intervention (40% seulement), avec, comme conséquence, une différence limitée dans les valeurs de LDL-cholestérol obtenues (23,8 mg/dl)8. Dans l’étude CARDS, la LDL-cholestérolémie diminue de 40% (-47 mg/dl). Une explication possible pour l’étude ASCOTT-LLA est le nombre limité d’évènements coronariens (3% dans le groupe atorvastatine et 3,6% dans le groupe placebo) survenus chez les patients diabétiques en cours d’étude 8-10. Tant dans l’étude HPS que dans l’étude CARDS, la réduction de risque n’est pas influencée par les valeurs initiales des lipides. Ce ne sont pas les valeurs des lipides, mais le profil de risque global qui est déterminant pour prendre la décision d’instaurer un traitement avec une statine. Cette étude n’apporte pas de réponse sur les valeurs cibles.

 

Conclusions

Cette étude montre que l’administration de 10 mg d’atorvastatine réduit le nombre de premiers évènements cardiovasculaires chez des diabétiques de type 2 présentant au moins un facteur de risque cardiovasculaire supplémentaire.La réduction est indépendante des valeurs initiales du LDL-cholestérol. Alors que certaines directives recommandent, sur base de ces résultats, d’instaurer un traitement par statine chez tout patient diabétique de type 2, il reste important de calculer, pour chaque patient individuellement, le profil de risque global et de décider, sur base de cette évaluation, de prescrire ou non une statine. Les arguments sont encore insuffisants pour prescrire systématiquement une statine chez les patients diabétiques de type 2 sans risque additionnel.

 

Références

  1. Sunaert P, Feyen L. L’étude Steno-2: prise en charge multifactorielle du diabète de type 2. MinervaF 2004;3(2):29-32.
  2. Stamler J, Vaccaro O, Neaton JD,Wentworth D. Diabetes, other risk factors, and 12-yr cardiovascular mortality for men screened in the Multiple Risk Factor Intervention Trial. Diabetes Care 1993;16:434-44.
  3. Haffner SM,Lehto S,Ronnemaa T et al.Mortality from coronary heart disease in subjects with type 2 diabetes and in nondiabetic subjects with and without prior myocardial infarction. N Engl J Med 1998;339:229-34.
  4. Lemiengre M. Traitement hypocholestérolémiant en 2004: ALLHAT-LLT. MinervaF 2004;3(4):58-68.
  5. Heart Protection Study Collaborative Group. MRC/BHF Heart Protection Study of cholesterol-lowering with simvastatin in 5963 people with diabetes: a randomised placebocontrolled trial. Lancet 2003;361:2005-16.
  6. De Backer G,Ambrosioni E, Borch-Johnsen K et al. European guidelines on cardiovascular disease prevention in clinical practice. Third Joint Task Force of European and Other Societies on Cardiovascular Disease Prevention in Clinical Practice. Eur Heart J 2003;24:1601-10.
  7. American Diabetes Association Standards of Medical Care. Diabetes Care 2005;28(S1):4-36.
  8. ALLHAT Officers and Coordinators for the ALLHAT Collaborative Research Group. Major outcomes in high-risk hypertensive patients randomized to angiotensin-converting enzyme inhibitor or calcium channel blocker vs diuretic: The Antihypertensive and Lipid-Lowering Treatment to Prevent Heart Attack Trial (ALLHAT). JAMA 2002;288:2981-97.
  9. Sever PS, Dahlöf B,Poulter NR et al.Prevention of coronary and stroke events with atorvastatin in hypertensive patients who have average or lower-than-the-average cholesterol concentrations, in the Anglo-Scandinavian Cardiac Outcomes Trial-Lipid Lowering Arm (ASCOTT-LLA): a multicentre randomised controlled trial. Lancet 2003;361:1149-58.
  10. Garg A. Statins for all patients with type 2 diabetes: not so soon. Lancet 2004;364:641-2.
Des statines pour tous les patients diabétiques?

Auteurs

Christiaens T.
Klinische Farmacologie, Vakgroep Farmacologie, UGentVakgroep Fundamentele en Toegepaste Medische Wetenschappen, UGent
COI :

Feyen L.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

Sunaert P.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

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