Revue d'Evidence-Based Medicine



Cholécystite aiguë : cholécystectomie laparoscopique précoce ou retardée ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 9 Page 110 - 111

Professions de santé


Analyse de
Gutt CN, Encke J, Köninger J, et al. Acute cholecystitis: early versus delayed cholecystectomy, a multicenter randomized trial (ACDC study, NCT00447304). Ann Surg 2013;258:385-93.


Question clinique
Quels sont le moment et l’abord optimal pour opérer une cholécystite aiguë chez un patient en bon état général ?


Conclusion
Cette étude correcte d’un point de vue méthodologique montre qu’une intervention laparoscopique précoce (endéans des 24 heures post hospitalisation) est médicalement et économiquement justifiée en cas de cholécystite aiguë non compliquée chez l’adulte en absence de comorbidité majeure (ASA 1 et 2). Ces résultats renforcent les conclusions d’études antérieures. Postposer l’intervention augmente le taux de complications et les coûts.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Des consensus professionnels insistent depuis plusieurs années sur l’intérêt d’une cholécystectomie laparoscopique précoce en cas de cholécystite aiguë, soit en insistant sur l’absence de risque augmenté de complications, une diminution des coûts et des durées d’hospitalisation (Société étatsunienne des chirurgiens gastro-intestinaux et endoscopistes, en 2010 déjà sur base de preuves (Niveau I, GRADE A)), soit sans référence ni niveau de preuve précis, avec recommandation d’une intervention dans les 72 premières heures (HAS France 2013). L’étude analysée ici confirme que, si le statut du patient le permet, chaque cholécystite lithiasique aiguë devrait bénéficier d’une chirurgie rapide laparoscopique (idéalement endéans les 24 h). Cette recommandation implique une réorganisation importante dans les différents hôpitaux et services de médecine interne, gastro-entérologie et de chirurgie quant à la prise en charge de la cholécystite aiguë. Vu la prévalence importante de cette pathologie, cette recommandation pourrait avoir un bénéfice économique (très) important de par la réduction du temps d’hospitalisation ainsi que du taux de réhospitalisation.


Cholécystite aiguë : cholécystectomie laparoscopique précoce ou retardée ?

 

Contexte

La cholécystite aiguë est de prévalence élevée et son impact socioéconomique est important. Par exemple, bien que le pourcentage des prestations de chirurgie de jour pour la cholécystectomie par laparoscopie ne soit que de 3% en Belgique Belgique (probablement à cause d’un manque de stimulant financier clair), ce pourcentage dépasse 50% dans certains autres pays (1). Le timing optimal de la chirurgie pour cholécystite aiguë reste controversé. Le traitement médical classique préconise de n’intervenir chirurgicalement qu’après une période de refroidissement de l’état inflammatoire. Vu la fréquence de cette pathologie, une étude randomisée contrôlée comparant la cholécystectomie précoce à la cholécystectomie retardée est plus que bienvenue tant pour des raisons médicales et que pour des raisons économiques.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • critères d’inclusion : symptômes de cholécystite aiguë accompagnés d’au moins trois des paramètres suivants : douleurs au niveau de l’hypochondre droit, signe de Murphy positif, leucocytose ou température rectale > 38°. Possibilité de réaliser une cholécystectomie laparoscopique endéans les 24 h de l’hospitalisation. Cholécystolithiase mise en évidence par échographie. Patients recrutés dans 35 centres en Allemagne et en Slovénie sur presque 4 ans (jusqu’au 28/11/2010)
  • critères d’exclusion : statut ASA 4 ou 5 (American Society of Anesthesiology), choc septique, perforation vésiculaire, impossibilité de chirurgie laparoscopique, espérance de vie < 48 h, grossesse ou allaitement, contre-indication à l’antibiothérapie par quinolones (moxifloxacine).

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, prospective, multicentrique, en protocole ouvert
  • 618 patients inclus, (n = 304 patients pour le groupe cholécystectomie laparoscopique immédiate (ILC) endéans les 24 h de l’hospitalisation et n = 314 patients pour le groupe traitement conservateur suivi d’une cholécystectomie élective (DLC) entre J7 - J45)
  • âge moyen de 55 (ILC) et 56 ans (DLC) et 63% (ILC) et 55% (DLC) de femmes
  • consultation de suivi à J75 post admission
  • tous les patients traités par moxifloxacine 400 mg/j en IV durant minimum 48 h : possibilité de passer à la prise orale selon la réponse clinique et le retour à la normale des marqueurs inflammatoires.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : morbidité, définie comme l’apparition d’une complication clinique importante utilisant le score de l’étude de Weigand (2) endéans les 75 jours post-inclusion
  • critères de jugement secondaires : morbidité, définie comme le taux de conversion de laparoscopie vers chirurgie ouverte, besoin de changement d’antibiothérapie selon intolérance ou absence de réponse, mortalité, endéans les 75 jours de l’étude, coûts et efficacité, la durée totale de l’hospitalisation ainsi que de l’hospitalisation post cholécystectomie
  • analyse par protocole et analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • critère de jugement primaire : la morbidité dans le groupe ILC est de 12% (n = 35) versus 33,3% (n = 86) dans le groupe DLC. Dans les deux groupes, le taux de complications était plus élevé chez les patients avec statut ASA > 2
  • critères de jugement secondaires du groupe ILC versus DLC: taux de conversion laparoscopique vers la chirurgie ouverte similaire dans les deux groupes (30% versus 33%). Changement de traitement antibiotique pour 7,2% versus 9,9%. Mortalité à J75 identique de 0,3%. Durée d’hospitalisation de 5,4 j versus 10 j avec une durée d’hospitalisation post cholécystectomie similaire (4,68 versus 4,89 j). Coûts de 46% plus élevés du groupe DLC (4 262 € versus 2 919 € pour ILC)
  •  les interventions additionnelles les plus fréquentes étaient la cholangio-pancréatographie endoscopique rétrograde, l’endoscopie haute et l’échographie. La cholécystectomie (ILC) est réalisée après une moyenne de 0,6 j (médiane de 1 ; intervalle de 0 - 4 j) versus 25,1 j (médiane de 23,0 ; intervalle de 1 - 99 j) pour le groupe DLC pour une durée médiane d’intervention de 67 et 71 minutes respectivement.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que leur étude randomisée, incluant un nombre important de patients, montre qu’une cholécystectomie laparoscopique endéans les 24 heures post hospitalisation est supérieure à une approche conservatrice en termes de morbidité et de coûts. Les auteurs estiment donc qu’une cholécystectomie laparoscopique immédiate devrait devenir le traitement de choix d’une cholécystite aiguë chez les patients opérables.

 

Financement de l’étude

Firme Bayer Vital GmbH qui a fourni également les médicaments d’étude mais n’est intervenue à aucun des stades de l’étude ; University Hospital of Heidelberg.

  

Conflits d’intérêt

Trois auteurs déclarent avoir reçu soit des honoraires pour cette étude, soit des honoraires pour conférence, soit des remboursements pour frais de voyage de la firme Bayer. Les autres auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le protocole d’étude, soumis à 35 centres allemands et slovènes, a été avalisé par leurs comités d’éthique respectifs et par l’institut fédéral pour médication et matériel médical allemand. Les centres participants ont été sélectionnés en tenant compte de leur expertise en matière de chirurgie biliaire laparoscopique (présence de chirurgiens digestifs et gastro-entérologues) et les données de l’étude ont été centralisées. Cette étude prospective et randomisée inclut un nombre important de patients. L’attribution des patients est bien décrite. Les critères d’inclusion et d’exclusion sont correctement décrits. Le choix de la moxifloxacine est justifié par son spectre élargi et sa bonne pénétration biliaire. L’interprétation des résultats a été faite selon un modèle bien défini s’étendant jusqu’au jour 75 après inclusion dans l’étude. L’analyse statistique primaire a été faite par protocole et en intention de traiter (ITT). La taille de l’échantillon d’étude est basée sur une hypothèse de taux de complication de 16% dans chaque groupe. Une différence de morbidité postopératoire de moins de 10% a été définie comme équivalente. Les conflits d’intérêt déclarés par certains auteurs ne devraient pas intervenir dans l’interprétation des résultats puisqu’il s’agit ici d’une étude basée sur analyse d’une approche chirurgicale.

 

Mise en perspective des résultats

L’inclusion des patients a tenu compte de six éléments bien définis dont, un des plus importants, la possibilité d’offrir une cholécystectomie laparoscopique endéans les 24 h de l’hospitalisation du patient. Afin d’obtenir un échantillon homogène, les patients présentant un risque chirurgical important (ASA IV et V), un choc septique, une complication biliaire infectieuse, une espérance de vie de moins de 48 h, une grossesse ou allaitement et une contre-indication à l’utilisation d’antibiotiques ont été exclus. Les résultats de cette étude incluant un nombre important de patients confirment ceux d’une étude coût-bénéfice (3) montrant que la cholécystectomie laparoscopique précoce en cas de cholécystite aiguë est moins chère (820 £ par patient) avec une qualité de vie meilleure par rapport à la chirurgie élective postposée. Une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration (4) montre qu’une cholécystectomie laparoscopique précoce (dans les 24 h d’un diagnostic de colique biliaire) réduit la morbidité versus période d’attente d’une cholécystectomie laparoscopique élective (avec attente moyenne de 4,2 mois). Cette synthèse repose sur une étude à haut risque de biais et ses auteurs plaidaient pour la réalisation de RCT de meilleure qualité, ce que nous obtenons avec l’étude analysée ici. Une étude suisse publiée en 2011 (5) incluant 4 113 patients cholécystectomisés en urgence avait également conclu qu’une intervention rapide est bénéfique tant pour le nombre de complications postopératoires, que pour la durée d’hospitalisation et le taux de ré-intervention.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude correcte d’un point de vue méthodologique montre qu’une intervention laparoscopique précoce (endéans des 24 heures post hospitalisation) est médicalement et économiquement justifiée en cas de cholécystite aiguë non compliquée chez l’adulte en absence de comorbidité majeure (ASA 1 et 2). Ces résultats renforcent les conclusions d’études antérieures. Postposer l’intervention augmente le taux de complications et les coûts.

 

Pour la pratique

Des consensus professionnels insistent depuis plusieurs années sur l’intérêt d’une cholécystectomie laparoscopique précoce en cas de cholécystite aiguë, soit en insistant sur l’absence de risque augmenté de complications, une diminution des coûts et des durées d’hospitalisation (Société étatsunienne des chirurgiens gastro-intestinaux et endoscopistes, en 2010 (6) déjà sur base de preuves (Niveau I, GRADE A)), soit sans référence ni niveau de preuve précis, avec recommandation d’une intervention dans les 72 premières heures (HAS France 2013 (7)). L’étude analysée ici confirme que, si le statut du patient le permet, chaque cholécystite lithiasique aiguë devrait bénéficier d’une chirurgie rapide laparoscopique (idéalement endéans les 24 h). Cette recommandation implique une réorganisation importante dans les différents hôpitaux et services de médecine interne, gastro-entérologie et de chirurgie quant à la prise en charge de la cholécystite aiguë. Vu la prévalence importante de cette pathologie, cette recommandation pourrait avoir un bénéfice économique (très) important de par la réduction du temps d’hospitalisation ainsi que du taux de réhospitalisation.

 

 

Références

  1. Van de Sande S, Swartenbroekx N, Van de Voorde C, et al. Évolution de l’hospitalisation de jour : impact du financement et de la règlementation. Health Services Research (HSR). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2012. KCE Reports 192B. D/2012/10.273/90.
  2. Weigand K, Koninger J, Encke J, et al. Acute cholecystitis - early laparoscopic surgery versus antibiotic therapy and delayed elective cholecystectomy: ACDC-study. Trials 2007;8:29.
  3. Wilson E, Gurusamy K, Gluud C, Davidson BR. Cost-utility and value-of-information analysis of early versus delayed laparoscopic cholecystectomy for acute cholecystitis. Br J Surg 2010;97:210-9.
  4. Gurusamy KS, Koti R, Fusai G, Davidson BR. Early versus delayed laparoscopic cholecystectomy for uncomplicated biliarycolic. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 6.
  5. Banz V, Gsponer T, Candinas D, Güller U. Population-based analysis of 4113 patients with acute cholecystitis: defining the optimal time-point for laparoscopic cholecystectomy. Ann Surg 2011;254:964-70.
  6. SAGES. Guidelines for the clinical application of laparoscopic biliary tract surgery. Society of American Gastrointestinal and Endoscopic Surgeons, January 2010. Available at: http://www.sages.org/publications/guidelines/guidelines-for-the-clinical-application-of-laparoscopic-biliary-tract-surgery/
  7. HAS. Quand faut-il faire...une cholécystectomie ? Haute Autorité de Santé, janvier 2013.

 

 




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