Revue d'Evidence-Based Medicine



L’effet du dépistage du cancer de la prostate, dépend-il du taux du PSA à l’âge de 60 ans?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 10 Page 123 - 124

Professions de santé


Analyse de
Carlsson S, Assel M, Sjoberg D, et al. Influence of blood prostate specific antigen levels at age 60 on benefits and harms of prostate cancer screening: population based cohort study. BMJ 2014;348:g2296.


Question clinique
Le taux de PSA à l’âge de 60 ans est-il corrélé au risque relatif d’incidence de cancer de la prostate, de métastases ou de mortalité liée au cancer de la prostate ?


Conclusion
Cette étude de cohorte rétrospective comportant 2 cohortes de périodes différentes provenant de 2 études différentes suggère que l’effet du dépistage du cancer de la prostate par détermination du PSA dépend du taux de PSA à l’âge de 60 ans. En raison de limites sur le plan méthodologique, il est nécessaire de poursuivre la recherche avant de pouvoir appliquer ces résultats.


Que disent les guides de pratique clinique ?
À ce jour, il n’existe pas suffisamment de preuves pour procéder au dépistage du cancer de la prostate par la détermination du PSA étant donné le gros problème du surdiagnostic, du surtraitement et d’un impact socioéconomique important. L’étude discutée ci-dessus n’apporte pas de preuve valable. Si un patient demande lui-même un dépistage par détermination du PSA, on peut éventuellement l’effectuer après avoir discuté avec lui des implications d’un taux de PSA élevé. Le rôle principal du médecin est d’informer le patient correctement. Le Centre fédéral d'expertise des soins de santé (KCE) et la Vlaamse Liga tegen Kanker (VLK) ont récemment élaboré des brochures d’information rédigées sur une base scientifique ; ils ont en outre développé un site Internet pour accompagner les médecins et les patients dans la décision d’effectuer ou non un dépistage précoce du cancer de la prostate.


L’effet du dépistage du cancer de la prostate, dépend-il du taux du PSA à l’âge de 60 ans?

 


 

 

 

Contexte

Le dépistage du cancer de la prostate par la détermination du taux sérique de l’antigène prostatique spécifique (PSA) reste controversé en raison d’un surdiagnostic important au regard de la faible réduction de la mortalité liée au cancer de la prostate (1). Après l’introduction du dépistage par détermination du PSA au milieu des années 1990, on a également observé une forte augmentation de l’incidence en particulier des tumeurs de bas grade localisées, tumeurs pour lesquelles la prostatectomie radicale immédiate n’apporte aucune plus-value (2,3). On pourrait limiter le surdiagnostic et le surtraitement en ciblant le dépistage des cancers de la prostate à haut risque de décès. Le taux de PSA à l’âge de 60 ans pourrait être corrélé au risque de cancer de la prostate et au résultat clinique des patients (4).

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 1 756 hommes âgés de 57,5 à 62,5 ans en 1995-1996, pour la première fois soumis à un dépistage par PSA (5) versus 1 162 hommes n’ayant pas bénéficié d’un dosage par PSA mais chez qui ce dosage a pu être réalisé rétrospectivement sur des échantillons de sang.

Protocole de l’étude

  • étude de cohorte rétrospective avec comparaison de 2 cohortes de 2 études différentes (étude de Gothenburg portant sur le dépistage du cancer de la prostate et étude de Malmö portant sur le risque cardiovasculaire).

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : différence après 15 ans de l’incidence cumulative du cancer de la prostate, du cancer de la prostate métastasé et de la mortalité liée au cancer de la prostate entre ceux qui se sont soumis au dépistage et ceux qui ne s’y sont pas soumis ; rapports de hasards (hazard ratio, HR) pour l’effet du dépistage sur le diagnostic de cancer de la prostate, sur les métastases du cancer de la prostate et sur les décès dus au cancer prostatique
  • critères de jugement secondaires : nombre nécessaire pour dépister (Number Needed to Screen - NNS) et nombre nécessaire pour poser le diagnostic (Number Needed to be Diagnosed - NND) pour prévenir, chez un homme, un cancer de la prostate métastasé ou le décès en rapport avec le cancer de la prostate.

 

Résultats

  • critères de jugement primaires :
    • après 15 ans, l’incidence cumulative pour le cancer de la prostate était de 19,6% (81% découverts grâce au dépistage) pour ceux qui s’étaient soumis au dépistage versus 6,4% pour ceux qui ne s’y étaient pas soumis (HR de 3,67 avec IC à 95% de 2,79 à 4,89) ; pour le cancer de la prostate métastasé et pour les décès liés au cancer de la prostate il n’y avait aucune différence statistiquement significative en termes d’incidence cumulative (respectivement 1,5% versus 2% et 0,9% versus 1,7%)
    • pour les patients de 60 ans avec PSA initial < 2 ng/ml (71,7% de la population totale étudiée dont le taux de PSA était connu), il y a eu, par 10 000 hommes s’étant soumis au dépistage, une augmentation statistiquement significative de 767 diagnostics de cancer prostatique (avec IC à 95% de 565 à 970) et aussi de 49 décès dus au cancer de la prostate (avec IC à 95% de 5 à 74)
    • pour ceux dont le PSA initial se situait entre 1 et 2 ng/ml, il y a eu, par 10 000 hommes s’étant soumis au dépistage, une augmentation statistiquement significative de 1462 diagnostics de cancer prostatique (avec IC à 95% de 1101 à 1822) et aussi de 85 décès dus au cancer de la prostate (IC à 95% de 2 à 138)
    • pour ceux dont le PSA initial était < 1 ng/ml, il n’y a pas eu d’augmentation statistiquement significative du nombre de diagnostics de cancer de la prostate
  • critères de jugement secondaires :
    • pour les hommes de 60 ans dont le PSA initial était ≥ 2 ng/ml, il y a eu une réduction statistiquement significative de la mortalité liée au cancer de la prostate, avec un nombre de patients à dépister (NNS) de 23 et un nombre de patients à diagnostiquer (NND) de 6
    • pour ceux dont le PSA initial était ≥ 3 ng/ml, il y a eu une réduction statistiquement significative de la mortalité due au cancer de la prostate, avec un NNS de 17 et un NND de 5
    • pour ceux dont le PSA se situait entre 2 et 2,99 ng/ml, il y a eu une réduction statistiquement significative de la mortalité due au cancer de la prostate, avec un NNS de 45 et un NND de 12.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la balance entre les avantages et les désavantages du dépistage du cancer de la prostate par dosage du taux de PSA varie nettement en fonction du taux de PSA à l’âge de 60 ans. Chez les hommes dont le taux de PSA est < 1 ng/ml, il n’est pas recommandé de poursuivre le dépistage. Il est avantageux de poursuivre le dépistage par détermination du PSA chez les patients dont le taux de PSA est ≥ 2 ng/ml, le nombre nécessaire pour dépister et le nombre de sujets à traiter étant tous deux extrêmement favorables. La décision de poursuivre le dépistage chez les patients dont le taux de PSA se situe entre 1 et 2 ng/ml se prendra au cas par cas en concertation avec le patient.

Financement

Différents fonds nationaux et internationaux impliqués dans la recherche sur le cancer de la prostate mais qui ne sont intervenus dans aucune des phases de l’étude.

Conflits d’intérêt

Un auteur est propriétaire de brevets pour l’« antigène spécifique de prostate libre », pour la « kallicrein-related peptidase 2 » et pour l’« analyse du PSA intact ». Un autre auteur est inscrit en tant que co-inventeur sur un brevet pour des analyses de PSA intact/clivé et pour une méthode statistique qui prédit le résultat des ponctions-biopsies de la prostate. Les autres auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette étude de cohorte rétrospective compare entre elles 2 cohortes de périodes différentes et provenant de 2 études différentes. Le choix de 60 ans comme âge pour déterminer le taux de PSA de référence se fonde sur les résultats de l’étude menée à Malmö (4). La mortalité par cancer de la prostate dans l’étude menée à Malmö était semblable à celle du groupe témoin de l’étude menée à Gothenburg, qui n’avait pas été soumis au dépistage. On ignore s’il existe d’autres différences pertinentes (comme l’IMC) entre les 2 cohortes et si une correction a été appliquée pour en tenir compte. Les critères de jugement sont bien décrits pour les 2 cohortes. Dans l’étude menée à Gothenburg, il y avait un lien entre la base de données du dépistage et le registre national suédois du cancer. Un comité indépendant, s’appuyant sur l’acte de décès, a déterminé si le décès avait un rapport avec un cancer de la prostate. Dans l’étude menée à Malmö, on s’est appuyé uniquement sur les dossiers médicaux des participants. Un dossier était disponible pour 80% des hommes chez qui a été posé un diagnostic de cancer de la prostate et pour 83% de ceux qui sont décédés après un diagnostic de cancer de la prostate. La cause du décès a été déterminée indépendamment du taux de PSA.

Étant donné la lente évolution du cancer de la prostate, la période de suivi choisie, qui est de 15 ans, est peut-être trop courte. Pour la cohorte de Gothenburg, on a utilisé les données en « intention de dépister ». Comme, dans l’étude menée à Malmö, la mise en correspondance concernait 3 témoins pour 1 cas, certains participants n’ont pas eu de prélèvement sanguin, et plus de la moitié des taux de PSA a dû être imputée. D’un côté, cela a permis de prévenir une perte de puissance statistique, mais, d’un autre côté, cela peut avoir faussé les résultats.

Interprétation des résultats

Il ressort d’une récente mise à jour de l’étude ERSPC (6) que, pour prévenir un seul décès par cancer de la prostate après 13 ans de suivi, 781 hommes (avec IC à 95% de 490 à 1 929) doivent s’être soumis au dépistage par détermination du taux du PSA (4). Ceci s’accompagne d’un surdiagnostic important de tumeurs de pronostic moins péjoratif. Comme cela a déjà été dit, ceci nous permet de conclure que les coûts du dépistage par détermination du PSA sont tellement élevés par rapport aux avantages qu’il en devient indéfendable (1). Nous ne parlons pas seulement des coûts des analyses du PSA (qui, aujourd’hui, ne sont plus remboursées en Belgique), mais aussi de toutes les conséquences d’une valeur de PSA élevée pour le patient. Celui-ci devra, de ce fait, subir différents examens et se retrouvera en suivi actif, ce qui peut exercer une pression psychologique importante sur lui (7). De nombreux hommes seront en outre traités inutilement, avec le risque d’effets secondaires, notamment l’impuissance et l’incontinence (8).

Il ressort des résultats de cette étude que le dépistage du cancer de la prostate tous les 2 ans entraîne une réduction importante de la mortalité spécifiquement liée au cancer de la prostate chez les hommes dont le taux de PSA est ≥ 2 ng/ml à l’âge de 60 ans et que dans cette catégorie, le nombre d’hommes qui doivent se soumettre au dépistage est relativement faible. Chez les hommes dont le taux de PSA est inférieur à 1 ng/ml à l’âge de 60 ans, il s’avère que le risque de cancer de la prostate métastasé et de mortalité spécifiquement lié au cancer de la prostate après 15 ans est peu élevé et ne justifie pas de poursuivre le dépistage du cancer de la prostate. Entre 1 et 2 ng/ml, le taux de PSA se situe dans une zone grise, mais poursuivre le dépistage lorsque le taux de PSA est < 1 ou entre 1 et 2 ng/ml entraînera vraisemblablement un surdiagnostic avec peu d’effets sur la prévention du cancer de la prostate métastasé et sur la mortalité spécifiquement liée au cancer de la prostate.

Il convient pourtant de faire preuve de prudence lors de l’applicabilité de ces résultats, même si elle paraît utile à première vue. Tout d’abord, l’incidence cumulative du cancer de la prostate et de la mortalité due au cancer de la prostate dans l’étude menée à Gothenburg est plus élevée que dans les autres centres européens qui ont participé à l’étude ERSPC (European Randomized Study of Screening for Prostate Cancer, étude randomisée portant sur le dépistage du cancer de la prostate) (1,6). Les résultats ne peuvent donc pas être simplement généralisés au reste de la population occidentale. D’autant qu’il s’agit de 2 cohortes de différentes périodes et que leur comparaison a été effectuée en post-hoc.

Les résultats ne peuvent donc être considérés que pour générer une hypothèse. Par ailleurs, on espère obtenir des marqueurs moléculaires validés plus spécifiques du cancer prostatique à haut risque.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude de cohorte rétrospective comportant 2 cohortes de périodes différentes provenant de 2 études différentes suggère que l’effet du dépistage du cancer de la prostate par détermination du PSA dépend du taux de PSA à l’âge de 60 ans. En raison de limites sur le plan méthodologique, il est nécessaire de poursuivre la recherche avant de pouvoir appliquer ces résultats.

 

Pour la pratique

À ce jour, il n’existe pas suffisamment de preuves pour procéder au dépistage du cancer de la prostate par la détermination du PSA (9) étant donné le gros problème du surdiagnostic, du surtraitement et d’un impact socioéconomique important. L’étude discutée ci-dessus n’apporte pas de preuve valable. Si un patient demande lui-même un dépistage par détermination du PSA, on peut éventuellement l’effectuer après avoir discuté avec lui des implications d’un taux de PSA élevé. Le rôle principal du médecin est d’informer le patient correctement. Le Centre fédéral d'expertise des soins de santé (KCE) et la Vlaamse Liga tegen Kanker (VLK) ont récemment élaboré des brochures d’information rédigées sur une base scientifique ; ils ont en outre développé un site Internet pour accompagner les médecins et les patients dans la décision d’effectuer ou non un dépistage précoce du cancer de la prostate (10,11).

 

Références

  1. Spinnewijn B, Van den Bruel A. Cancer de la prostate : à dépister ou non ? MinervaF 2009;8(9):124-5. Comment on Schröder FH, Hugosson J, Roobol MJ; ERSPC Investigators. Screening and Prostate-Cancer Mortality in a Randomized European Study. N Engl J Med 2009;360:1320-8.
  2. Laurent M, Claessens F, Joniau S, Van Poppel H. Prostatectomie radicale ou temporisation en cas de cancer de la prostate localisé dépisté par dosage du PSA. Minerva online 28/04/2013.
  3. Wilt TJ, Brawer MK, Jones KM, et al; Prostate Cancer Intervention versus Observation Trial (PIVOT) Study Group. Radical prostatectomy versus observation for localized prostate cancer. N Engl J Med 2012;367:203-13.
  4. Vickers AJ, Cronin AM, Björk T et al. Prostate specific antigen concentration at age 60 and death from prostate cancer: case-control study. BMJ 2010;341:c4521.
  5. Hugosson J, Carlsson S, Aus G, et al. Mortality results from the Göteborg randomised population-based prostate-cancer screening trial. Lancet Oncol 2010;11:725-32.
  6. Schröder FH, Hugosson J, Roobol MJ, et al; for the ERSPC Investigators Screening and prostate cancer mortality: results of the European Randomised Study of Screening for Prostate Cancer (ERSPC) at 13 years of follow-up. Lancet 2014. Available online 6 August 2014.
  7. van Leeuwen PJ, Conolly D, Tammela TL, et al. Balancing the harms and benefits of early detection of prostate cancer. Cancer 2010;116:4857-65.
  8. Laurent M, Claessens F, Van Poppel H, Haustermans K. Cancer prostatique localisé : effets indésirables à long terme de la prostatectomie et de la radiothérapie externe. Minerva online 28/06/2013.
  9. Cancer de la prostate.  Duodecim Medical Publications Ltd. 2/12/2010.
  10. Mambourg F, Kohn L, Robays J, Janssens S, Albertijn M, Ronsmans M, De Laet C. Un outil d’aide à la décision en cas de demande d’un dépistage du cancer de la prostate par PSA – Synthèse. Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2014. KCE Reports 224Bs. D/2014/10.273/43.
  11. Beslissinghulp voor mannen met vragen over vroegtijdige opsporing van prostaatkanker 2014. http://www.dekeuzemaken.be/

Auteurs

Van den Broeck T.
Dienst Urologie, UZ Leuven; Laboratorium voor Moleculaire Endocrinologie, KU Leuven
COI :

Laurent M.
Laboratorium voor Moleculaire Endocrinologie, KU Leuven; Dienst Inwendige Geneeskunde, UZ Leuven
COI :

Joniau S.
Dienst Urologie, UZ Leuven
COI :

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