Revue d'Evidence-Based Medicine



Interventions pour réduire la consommation de benzodiazépines chez les personnes âgées



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 1 Page 2 - 3

Professions de santé


Analyse de
Gould RL, Coulson MC, Patel N, et.al. Interventions for reducing benzodiazepine use in older people: meta-analysis of randomised controlled trials. Br J Psychiatry 2014;204:98-107.


Question clinique
Quelles sont les interventions les plus efficaces pour réduire la consommation de benzodiazépines chez les personnes âgées ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses de bonne qualité méthodologique mais réalisée sur base d’une question de recherche très large ne permet pas de tirer de conclusion pratique pour le clinicien dans un contexte de soins particulier. Parmi les interventions étudiées, une intervention multifacettes incluant de la psychothérapie dans le but d’arrêter des BZD chez la personne âgée semble être la plus efficace.


Que disent les guides de pratique clinique ?
La dépendance aux benzodiazépines, y compris chez la personne âgée, est un problème fréquent en Belgique et l’assuétude des patients aux médicaments est un défi pour le prestataire de soins (8). Au-delà des recommandations pratiques à mettre en œuvre lorsqu’un sevrage est envisagé, c’est toute la problématique dans son ensemble qu’il convient de reconsidérer. Ainsi, si les BZD présentent des bénéfices cliniques à court terme, dans certaines indications, elles présentent également des effets indésirables sérieux dont il faut discuter dès la première prescription avec le patient. Les objectifs thérapeutiques de chaque patient doivent être mis en écho avec les connaissances du praticien. Quand la prescription d’une BZD a été initiée, il y a lieu de reconsidérer la pertinence de chaque renouvellement avec le patient et de rappeler régulièrement le risque de dépendance aux BZD. Une information complète, pédagogique, doit permettre aux patients de décider s’ils continuent ou pas le traitement et de l’adapter au mieux de leurs besoins. Enfin, quand les alternatives thérapeutiques sont épuisées et/ou mises en échec, quand un sevrage s’avère difficile, quand une demande est consciemment répétée et que les enjeux sont bien compris, celle-ci ne devrait pas être rejetée d’office par le praticien sous prétexte de recommandations de bonne pratique.


Interventions pour réduire la consommation de benzodiazépines chez les personnes âgées

 

Contexte

La prévalence des prescriptions de benzodiazépines (BZD) chez les personnes âgées reste élevée (de 12 à 32%) (1) et est même plus élevée chez les patients déprimés ou anxieux (de 57 à 59%) (2). En Belgique, en 2006, plus de 50% des résidents de maison de repos (avec risque de chutes) étaient sous BZD (3). Les personnes âgées métabolisent ces molécules plus lentement et elles sont plus sensibles aux effets indésirables : déficit cognitif, chutes, fractures, accidents de la route, délirium et dépendance. Cette synthèse méthodique avec méta-analyses a pour but d’identifier les stratégies les plus efficaces pour réduire la consommation de BZD chez les personnes âgées.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

Sources consultées 

Etudes sélectionnées 

  • RCT ; âge minimum de 50 ans
  • réduction ou arrêt du traitement des BZD associé ou non à une réévaluation de la prescription, une psychothérapie ou une pharmacothérapie (changement de molécule, placebo)
  • interventions pour changer la réévaluation de la prescription de BZD (avec intervention éducative, révision du traitement ou feedback sur la prescription)
  • interventions comparées avec un contrôle non actif (liste d’attente ou traitement usuel) ou avec un contrôle actif (placebo, support social ou psychothérapie)
  • critères d’exclusion : études avec manque de données pour calculer l’effet de l’intervention et études avec un nombre de participants <5
  • 2 848 RCTs identifiées ; sélection de 16 RCTs (N = 10 avec arrêt des BZD, N = 8 avec changement de traitement).

 

Population étudiée 

  • patients d’âge moyen de 74,1 ans dont 73,4% de femmes dans le bras arrêt des BZD, âge moyen de 79,4 ans dont 77,4% de femmes dans le bras changement de prescription.

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : efficacité des interventions permettant l’arrêt de la consommation de BZD vs contrôle ; maintien de l’efficacité à court terme (0,5 - 3 mois) et à long terme (12 mois)
  • analyse avec calcul des rapports de cotes (OR) quant à l’utilisation des BZD, en fonction des patients ou des types de prises en charge.

Résultats

Tableau 1. Résultats pour réduction ou arrêt du traitement des BZD.

 

Arrêt des BZD 

OR groupé (IC à 95%) ; NNT

OR (IC à 95%) ; NNT à 0,5 - 3 mois     

OR (IC à 95%) ; NNT

à 12 mois

Avec psychothérapie  

5,06 (2,68 à 9,57) ; 3 

3,90 (1,94 à 7,82) ; 4  

3 (1,43 à 6,28) ; 5

Avec réévaluation de la prescription

1,43 (1,02 à 2,02) ; 13  

   

Avec pharmacothérapie  

NS 

NS

 

 

 

Tableau 2. Résultats des interventions pour changer la prescription de BZD (et donc leur utilisation).

 

OR (IC à 95%) ; NNT

Intervention multiple 

1,37 (1,10 à 1,72) ; 15

Intervention simple 

NS 

NS : non significatif ; NNT (number needed to treat (alias nombre de sujets à traiter) ; OR : odds ratio (alias rapport de cotes)

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une aide supervisée à l’arrêt des BZD associée à de la psychothérapie est l’intervention à recommander auprès des personnes âgées, bien que certaines contraintes pragmatiques nécessitent d’envisager d’autres stratégies telles que la réévaluation du traitement prescrit.

Financement

Mental Health of Older Adults and Dementia Clinical Academic Group at the Institute of Psychiatry of King’s College London et du South London et Maudsley National Health Service Foundation Trust.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est signalé.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Les auteurs ont suivi les directives PRISMA (4) pour les rapports de synthèses méthodiques et de méta-analyses. Trois chercheurs ont indépendamment l’un de l’autre sélectionné les études, avec discussion et consensus en cas de désaccord. Le diagramme de flux de la méta-analyse est correctement présenté. Une recherche de 5 risques de biais classiques (séquence d’attribution, respect du secret de l’attribution, insu des évaluateurs, évaluation des données manquantes, mention incomplète des résultats) a été effectuée sur base des recommandations de la Cochrane Collaboration (5) mettant en évidence qu’aucune étude incluse ne présentait aucun biais et que la majorité d’entre elles en présentaient 3 à 4. Des tests statistiques destinés à évaluer l’hétérogénéité des études ont été réalisés. Une analyse de méta-régression a été faite pour étudier la relation entre les types d’intervention et l’ampleur de l’effet observé. Un biais de publication a été recherché et a été pris en compte dans l’analyse des résultats si nécessaire. Les caractéristiques des populations incluses ne sont pas décrites. Les tests statistiques appliqués sont nombreux et parfois complexes vu la question clinique large et les difficultés méthodologiques rencontrées par les auteurs.

Mise en perspective des résultats

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses couvre une question très large et rend l’interprétation des résultats difficile. Concernant la population : seul l’âge était un critère d’inclusion. Les patients étaient donc aussi bien en home qu’à domicile ou en maison de repos (et de soins). La plupart des études incluses incluaient des patients avec des problèmes d’insomnie, mais aussi souffrant d’anxiété. Nous ne savons rien de pathologies possiblement associées telles que la dépression, les troubles affectifs bipolaires, les réactions à un facteur de stress, les névroses. Nous ne savons pas non plus si, par exemple, les patients (ou leur entourage) étaient demandeurs ou non d’une diminution des BZD. Concernant les interventions : si les grands types d’intervention sont correctement cités, nous ne pouvons rien dire quant au contenu de chacun d’entre eux. Que couvre des termes tels que ‘psychothérapie’ ou ‘éducation du patient’ ? Quelles sont les circonstances liées à une intervention multiple ou simple ? Quels sont les intervenants ? Les aidants naturels jouent-ils un rôle ou non ? Concernant les critères de jugement : seul l’arrêt de la prise de BZD voire l’ampleur de l’effet d’une intervention sont pris en compte. Des critères de jugement cliniques importants tels que déficit cognitif, chutes, fractures, accidents de la route, hospitalisation, mortalité, ne sont pas étudiés. Même si ce n’était pas le but de cette étude, ces critères de jugement cliniques sont ce qui importe pour les cliniciens et les patients.

Se focaliser sur une population de personnes âgées est une bonne idée. Pour que des recommandations pratiques puissent être faites aux cliniciens, nous avons besoin de définir des pathologies précises, d’outils standardisés (critères de Beers par exemple (6) ou START and STOPP (7)) ou d’interventions décrites avec précision, de la description précise de leur utilisation, d’un contexte de soins semblable au nôtre, de l’accessibilité financière des outils, ou de la possibilité de réaliser les interventions décrites (personnel adéquat ou actes possibles par les nomenclatures professionnelles) dans notre système de soins. Malheureusement, cette synthèse méthodique ne nous permet pas de tirer de conclusion pratique solide. Tout au plus pouvons-nous suggérer que, si une diminution ou un arrêt des benzodiazépines est envisagé au cours d’une intervention clinique dans un contexte de soins particulier, autant privilégier une approche multifacettes incluant de la psychothérapie.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses de bonne qualité méthodologique mais réalisée sur base d’une question de recherche très large ne permet pas de tirer de conclusion pratique pour le clinicien dans un contexte de soins particulier. Parmi les interventions étudiées, une intervention multifacettes incluant de la psychothérapie dans le but d’arrêter des BZD chez la personne âgée semble être la plus efficace.

 

Pour la pratique 

La dépendance aux benzodiazépines, y compris chez la personne âgée, est un problème fréquent en Belgique et l’assuétude des patients aux médicaments est un défi pour le prestataire de soins (8). Au-delà des recommandations pratiques à mettre en œuvre lorsqu’un sevrage est envisagé, c’est toute la problématique dans son ensemble qu’il convient de reconsidérer (9). Ainsi, si les BZD présentent des bénéfices cliniques à court terme, dans certaines indications, elles présentent également des effets indésirables sérieux dont il faut discuter dès la première prescription avec le patient. Les objectifs thérapeutiques de chaque patient doivent être mis en écho avec les connaissances du praticien. Quand la prescription d’une BZD a été initiée, il y a lieu de reconsidérer la pertinence de chaque renouvellement avec le patient et de rappeler régulièrement le risque de dépendance aux BZD. Une information complète, pédagogique, doit permettre aux patients de décider s’ils continuent ou pas le traitement et de l’adapter au mieux de leurs besoins. Enfin, quand les alternatives thérapeutiques sont épuisées et/ou mises en échec, quand un sevrage s’avère difficile, quand une demande est consciemment répétée et que les enjeux sont bien compris, celle-ci ne devrait pas être rejetée d’office par le praticien sous prétexte de recommandations de bonne pratique (9).

 

Références 

  1. Dionne PA, Vasiliadis HM, Latimer E, et al. Economic impact of inappropriate benzodiazepine prescribing and related drug interactions among elderly persons. Psychiatr Serv 2013;64:331-8.
  2. Préville M, Vasiliadis HM, Bossé C, et al. Pattern of psychotropic drug use among older adults having a depression or an anxiety disorder: results from the longitudinal ESA study. Can J Psychiatry 2011;56:348-57.
  3. Vander Stichele RH, Van de Voorde C, Elseviers M, et al. L'utilisation des médicaments dans les maisons de repos et les maisons de repos et de soins belges. Health Services Research (HSR). Bruxelles: Centre fédéral d'expertise des soins de santé (KCE); 2006. KCE reports 47 B (D/2006/10.273/62).
  4. Moher D, Liberati A, Tetzlaff J, Altman DG; PRISMA Group. Preferred reporting items for systematic reviews and meta-analyses: the PRISMA statement. BMJ 2009;339:b2535.
  5. Higgins JP, Altman DG, Sterne JA. Chapter 8: Assessing risk of bias in included studies. In Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions (Version 5.1.0) (eds JP Higgins, S Green). The Cochrane Collaboration, 2011.
  6. Fick DM, Cooper JW, Wade WE, et al. Updating the Beers criteria for potentially inappropriate medication use in older adults: results of a US consensus panel of experts. Arch Intern Med 2003;163:2716-24.
  7. O’Mahony D, O’Sullivan D, Byrne S, et al. STOPP/START criteria for potentially inappropriate prescribing in older people: version 2. Age Ageing 2014 Oct 16 [Epub ahead of print].
  8. Chevalier P, Debauche M, Dereau P, et al. Assuétude aux médicaments. Recommandations de bonne pratique. SSMG 2009.
  9. Baldwin D, Aitchison K, Bateson A, et al. Benzodiazepines: risks and benefits. A reconsideration. J Psychopharmacol 2013;27:967-71.

 

 


Auteurs

De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI :

Fraipont B.
Centre Académique de Médecine Générale, Université Catholique de Louvain
COI :

Glossaire

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