Revue d'Evidence-Based Medicine



Méthylprednisolone et patients cancéreux en fin de vie



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 3 Page 33 - 34

Professions de santé


Analyse de
Paulsen O, Klepstad P, Rosland JH. Efficacy of methylprednisolone on pain, fatigue, and appetite loss in patients with advanced cancer using opioids: a randomized, placebo-controlled, double-blind trial. J Clin Oncol 2014;32:3221-8.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de l’ajout de 32 mg de méthylprednisolone sur la douleur, la fatigue et la perte d’appétit chez des patients adultes souffrant d’un cancer et prenant déjà des opioïdes versus placebo ?


Conclusion
Cette RCT de bonne qualité méthodologique, mais dont les résultats sont difficilement extrapolables aux patients cancéreux pris en charge exclusivement en ambulatoire, souligne l’absence d’effet cliniquement significatif de la méthylprednisolone à la posologie de 32 mg par jour en addition aux opioïdes sur la douleur chez des adultes cancéreux en fin de vie. Par contre, un effet bénéfique sur la fatigue et la perte d’appétit, au moins à court terme, est possible. D’autres études sont cependant indispensables.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le guide de pratique clinique GAIN ne recommande pas l’utilisation des corticoïdes comme antidouleur (14). Hormis des situations spécifiques, il n’y a pas de recommandations pour prescrire des corticoïdes comme antidouleur adjuvant à des patients cancéreux (14,15). L’étude analysée ici ne remet pas en cause ces recommandations. L’utilisation de corticoïdes pour des patients en soins palliatifs souffrant de fatigue ou de perte d’appétit est une solution à envisager, uniquement après avoir éliminé et pris en charge des causes spécifiques, pour de courtes périodes, en l’absence de données à plus long terme. Toute utilisation des corticostéroïdes dans ces indications devraient être planifiées et régulièrement réévaluées. Un plan d’arrêt doit être prévu dès l’introduction de la molécule (16). L’étude analysée ici ne remet pas non plus en cause ces recommandations.


Méthylprednisolone et patients cancéreux en fin de vie

Contexte

Les douleurs cancéreuses sont d’origines multiples et leur gestion est complexe (1). De part leur puissante action anti-inflammatoire, les corticostéroïdes sont parfois considérés comme des analgésiques adjuvants (2) et sont fréquemment utilisés en soins palliatifs dans les douleurs d’origine cancéreuse (3) en dépit du peu de preuves existant sur leur efficacité  dans cette indication (4). Une mise au point dans ce domaine était donc la bienvenue.

 

Résumé

Population étudiée

  • critères d’inclusion : patients souffrant de cancer ; > 18 ans, recrutés dans 5 centres de soins palliatifs et d’oncologie norvégiens ; moyenne de douleur de ≥ 4 et ≤ 8 sur une échelle numérique, avec une espérance de vie jugée ≥ à 4 semaines  et un usage d’opioïdes pour douleurs cancéreuses modérées à graves ; les patients pouvaient être hospitalisés ou traités en ambulatoire
  • sur 592 patients recrutés : 50 patients ont été randomisés (parité hommes/femmes) et 47 analysés ; âge moyen de 64 ans (ET de 12,2 ans), atteints d’un cancer et utilisant des opioïdes, avec douleur moyenne de 4,76 à 4,36 sur le NRS
  • critères d’exclusion : score NRS ≥ 8 dans les 24 dernières heures, utilisation de corticoïdes ou d’AINS les 4 dernières semaines, diabète, ulcère gastroduodénal, radiothérapie ou traitement systémique du cancer commencé récemment (< 4 semaines) , compression médullaire ou nécessité d’une chirurgie osseuse, trouble cognitif sévère ou modification du traitement par opioïdes dans les 48 dernières heures
  • au total : patients atteints d’un cancer à un stade avancé en soins palliatifs, 96 % avec des métastases, indice de Karnofsky moyen de 66 et seulement 26,5 % avec encore un traitement systémique (chimiothérapie et/ou thérapie hormonale)
  • les cancers les plus rencontrés étaient ceux d’origine pulmonaire (23%), gastro-intestinale (23%) et gynécologique (19%).

Protocole d’étude

  • étude clinique multicentrique randomisée contrôlée versus placebo en double aveugle, étude en groupes-parallèles
  • patients répartis en 2 groupes : 26 patients ont reçu 2x/j 16 mg de méthylprednisolone (MP) pendant 7 jours, 23 patients ont reçu un placebo sous forme de capsules identiques
  • contact téléphonique quotidien par une infirmière pour s’assurer de l’adhésion au protocole.

 

Mesures des résultats

  • critère de jugement primaire : différence d’intensité de la douleur moyenne au jour 7 (sur questionnaire Brief Pain Inventory)  entre le groupe MP et le groupe placebo
  • critères de jugement secondaires :
    • modification dans la prise d’analgésique morphinique entre le jour 0 et le jour 7 dans chaque groupe (différences moyennes absolues et différences relatives en équivalents oraux de morphine)
    • intensité quotidienne de la douleur au repos (Edmonton Symptom Assessment System : échelle NRS de 0 à 10 quotidienne, rapportée à une air sous la courbe)
    • changements de la fatigue et de l’appétit entre J0 et J7 (évalués selon le Questionnaire C30 : European Organisation for Research and Treatment of Cancer-Quality of Life Questionnaire C30 (5), échelle de 0 à 100, 100 correspondant à la fatigue maximale ou perte d’appétit maximale)
    • satisfaction globale à propos de l’intervention au J7 (échelle NRS, de 0, pas de bénéfice, à 10, bénéfice majeur)
  • effets indésirables recherchés au J7 par entretiens semi-structurés
  • analyse faite en intention de traiter.

 

Résultats

  • critère de jugement primaire : pas de différence significative dans la mesure de l’intensité de la douleur moyenne (DM) au jour 7 entre les 2 groupes. La différence en intensité de la douleur moyenne restait non significative entre les 2 groupes, même quand calculée en termes de changement par rapport au J1
  • critères de jugement secondaires :
    • pas de différence significative dans la variation de consommation des opioïdes, (augmentation similaire dans les 2 groupes), ni dans l’intensité quotidienne de la douleur au cours de  la semaine (aire sous la courbe)
    • changement de l’intensité de la fatigue entre J0 et J7 : amélioration significative de la fatigue dans le groupe MP de 17 points (avec IC à 95 % de - 27 à - 6) et dégradation de la fatigue dans le groupe placebo de 3 points (avec IC à 95 % de - 5 à 11)
    • changement de l’intensité de la perte d’appétit entre J0 et J7 : amélioration significative de l’appétit pour le groupe MP de 24 points (avec IC à 95 % de - 38 à -11) et perte d’appétit supérieure de 2 points dans le groupe placebo (avec IC à 95 % de - 8,1 à 11,2)
    • satisfaction globale au traitement au jour 7 : groupe MP plus satisfait que le groupe placebo : groupe MP avec NRS de 5,4 (avec IC à 95 % de 4,05 à 6,7), et groupe placebo avec NRS de 2,0 (avec IC à 95 % de 0,71 à 3,29)
  • effets indésirables: pas de différence significative.

 

Conclusions des auteurs

Les auteurs concluent que la prise quotidienne de 32 mg de méthylprednisolone n’améliore pas la douleur cancéreuse des patients sous opioïdes mais qu'elle améliore la fatigue, réduit la perte d’appétit et augmente la satisfaction globale du patient. Le bénéfice clinique au-delà du court terme devrait être étudié dans une future étude.

 

Conflits d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt

 

Financement

Telemark Hospital Trust et South-Eastern Norway Regional Health Authority, institutions publiques norvégiennes qui déclarent n’avoir joué aucun rôle dans la planification, l’analyse ou la publication de l’étude.

 

Discussion

 

Méthodologie

La méthodologie de cette RCT paraît correcte  et sa présentation est assez claire  (se basant sur les Good Clinical Practice Guidelines). La séquence et le secret d’attribution sont brièvement décrits et semblent corrects.

La taille de l’échantillon, relativement réduite, a été calculée pour détecter une différence de douleur moyenne de 1,5 (seuil de signification clinique) (sur une échelle de 1 à 10) comme critère de jugement primaire. La sélection des patients appellent 3 remarques. Premièrement, le recrutement a été exclusivement hospitalier (les patients pouvant être hospitalisés ou non) et deuxièmement, en raison du nombre et de la fréquence des critères d’exclusion dans la population étudiée, 592 patients ont dû être recrutés pour n’en sélectionner que 50. Ceci peut sembler adéquat vu les objectifs de l’étude, mais de ce fait, une population différente de la population générale de patients cancéreux en fin de vie a pu être sélectionnée, ce qui peut limiter l’extrapolabilité des résultats observés aux patients suivis exclusivement en ambulatoire. Troisièmement, le critère d’exclusion le plus fréquent (présent chez 28% des patients) concerne les patients qui prenaient déjà des corticoïdes pendant les 4 semaines avant inclusion. Ceci est un point positif car on ne peut de ce fait pas suspecter les auteurs d’avoir sélectionné de patients « bons répondeurs aux corticoïdes ». Il y a eu très peu de patients sortis de l’étude (1 dans chaque groupe), vu la courte durée de l’étude.

Une dernière remarque par rapport à la méthodologie est qu’une présentation des résultats en termes de pourcentages de patients significativement améliorés aurait peut-être également présenté un intérêt par rapport à la présentation choisie en différence d’intensité de douleur moyenne.

 

Mise en perspective des résultats

La douleur a été évaluée par une échelle numérique validée (NRS : valeurs variant de 0 (pas de douleur) à 10 (la pire imaginable) dans les 24 dernières heures). Il faut souligner que les patients prenaient en moyenne par jour 222 mg en équivalent de morphine orale. L’absence de différence significative au niveau de l’efficacité sur la douleur au jour 7 est à mettre en parallèle avec l’absence de différence pour l’intensité de la douleur mesurée quotidiennement et avec l’absence de différence de consommation d’opioïdes.

Par contre, les différences significatives pour les critères de jugement secondaires tels que fatigue, perte d’appétit et satisfaction du traitement, sont intéressantes. Il faut cependant rappeler que les résultats observés pour le critère de jugement primaire n’étant pas statistiquement significatifs, les résultats significatifs observés pour les critères de jugement secondaire doivent être interprétés comme des hypothèses intéressantes à vérifier dans d’autres études spécialement conçues dans ce but (6). Il faut préciser que l’intervalle de confiance pour l’amélioration de la fatigue sous corticoïdes inclus des valeurs jugées non cliniquement significatives. A partir de cette étude, aucune analyse en sous-groupe n’est possible, ce qui est logique vu la taille de l’échantillon. Pourtant, vu l’intérêt possible, voire probable des corticoïdes dans des situations spécifiques liées au cancer, il serait intéressant de poursuivre les études dans des sous-groupes bien définis.

Peu d’effets indésirables ont été relevés dans cette étude. D’autres études avec ce type de patients confirment également le peu d’effets indésirables avec les corticoïdes sur une courte période (7,8) mais soulignent qu’ils apparaissent avec l’accumulation des doses de corticoïdes et donc avec un usage à moyen et long terme (9,10).

Enfin, et comme le souligne les auteurs eux-mêmes, la courte durée de l’étude pose des questions. Un délai d’efficacité plus long, des effets indésirables retardés, ou des problèmes de sevrage avec la cortisone sont à envisager. Cette étude ne nous permet donc pas de nous prononcer sur la place d’un traitement à la cortisone dans une stratégie globale de soulagement thérapeutique en cas de cancers avancés (traitement court, avec éventuel effet rémanent versus traitement de fond).

 

Autres études

Très peu d’études récentes de qualité sont publiées sur le sujet. Il s’agirait ainsi de la première étude randomisée, contrôlée en double aveugle.

Quelques études, de qualité méthodologique modérée, montrent un effet modeste d’une corticothérapie sur la douleur de patients cancéreux (4,7).    

Des études bien construites ont montré l’intérêt analgésique de la corticothérapie dans des situations spécifiques liées au cancer : céphalées liées à des métastases cérébrales (11), douleurs liées à des métastases d’origine prostatique (12).

L’effet de la cortisone sur les symptômes de fatigue et de perte d’appétit chez des patients cancéreux est lui déjà bien établi (8,13) mais uniquement sur de courtes périodes.

 

Conclusion de Minerva

  

Cette RCT  de bonne qualité méthodologique, mais dont les résultats sont difficilement extrapolables aux patients cancéreux pris en charge exclusivement en ambulatoire, souligne l’absence d’effet cliniquement significatif de la méthylprednisolone à la posologie de 32 mg par jour en addition aux opioïdes sur la douleur chez des adultes cancéreux en fin de vie. Par contre, un effet bénéfique sur la fatigue et la perte d’appétit, au moins à court terme, est possible. D’autres études sont cependant indispensables.

 

Pour la pratique

Le guide de pratique clinique GAIN ne recommande pas l’utilisation des corticoïdes comme antidouleur (14). Hormis des situations spécifiques, il n’y a pas de recommandations pour prescrire des corticoïdes comme antidouleur adjuvant à des patients cancéreux (14,15). L’étude analysée ici ne remet pas en cause ces recommandations.

L’utilisation de corticoïdes pour des patients en soins palliatifs souffrant de fatigue ou de perte d’appétit est une solution à envisager, uniquement après avoir éliminé et pris en charge des causes spécifiques, pour de courtes périodes, en l’absence de données à plus long terme. Toute utilisation des corticostéroïdes dans ces indications devraient être planifiées et régulièrement réévaluées. Un plan d’arrêt doit être prévu dès l’introduction de la molécule (16). L’étude analysée ici ne remet pas non plus en cause ces recommandations.

 

 

Références

  1. Raphael J, Ahmedzai S, Hester J, et al. Cancer pain: part 1:Pathophysiology; oncological, pharmacological, and psychological treatments: a perspective from the British Pain Society endorsed by the UK Association of Palliative Medicine and the Royal College of General Practitioners. Pain Med 2010;11:742-64.
  2. Mensah-Nyagan AG, Meyer L, Schaeffer V, et al. Evidence for a key role of steroids in the modulation of pain. Psychoneuroendocrinology 2009;34Suppl1:S169-S77.
  3. Klepstad P, Kaasa S, Cherny N, et al. Pain and pain treatments in European palliative care units. A cross sectional survey from the European Association for Palliative Care Research Network. Palliat Med 2005;19:477-84.
  4. Paulsen Ø, Aass N, Kaasa S, Dale O. Do corticosteroids provide analgesic effects in cancer patients? A systematic literature review. J Pain Symptom Manage 2013;46:96-105.
  5. Aaronson NK, Ahmedzai S, Bergman B, et al. The European Organisation for Research and Treatment of Cancer QLQ-C30: a quality-of-life instrument for use in international clinical trials in oncology. J Natl Cancer Inst 1993;85:365-76.
  6. Lemiengre M, van Driel M. Marketing de critères primaires et secondaires. [Editorial]  MinervaF 2006;5(6);81.
  7. Bruera E, Roca E, Cedaro L, et al. Action of oral methylprednisolone in terminal cancer patients: a prospective randomized double-blind study. Cancer Treat Rep 1985;69:751-4.
  8. Yennurajalingam S, Frisbee-Hume S, Palmer JL, et al. Reduction of cancer-related fatigue with dexamethasone: a double-blind, randomized, placebo-controlled trial in patients with advanced cancer. J Clin Oncol 2013;31:3076-82.
  9. Stanbury RM, Graham EM. Systemic corticosteroid therapy - side effects and their management. Br J Ophthalmol 1998;82:704-8.
  10. Fardet L, Kassar A, Cabane J, Flahault A. Corticosteroid-induced adverse events in adults: frequency, screening and prevention. Drug Saf 2007;30:861-81.
  11. Ryan R, Booth S, Price S. Corticosteroid-use in primary and secondary brain tumour patients: a review. J Neurooncol 2012;106:449-59.
  12. Tannock I, Gospodarowicz M, Meakin W, et al. Treatment of metastatic prostatic cancer with low-dose prednisone: evaluation of pain and quality of life as pragmatic indices of response. J Clin Oncol 1989;7:590-97.
  13. Yavuzsen T, Davis MP, Walsh D, et al. Systematic review of the treatment of cancer-associated anorexia and weight loss. J Clin Oncol 2005;23:8500-11.
  14. Gain. General Palliative Care Guidelines for the management of pain at the end of life in adult patients. 2011
  15. Palliatieve zorg. Deel 1: De medicamenteuze pijnstilling. Geneesmiddelenbrief 2009;16:29-36.
  16. Department of Health and Human Services. Care Management Guidelines. Fatigue, Anorexia and Cachexia. 2009

 

 

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