Revue d'Evidence-Based Medicine



Douleur chronique : prescrire des opiacés ?



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 4 Page 39 - 39

Professions de santé


Douleur chronique : prescrire des opiacés ?

La douleur chronique est définie comme une douleur qui persiste plus de trois mois ou qui n’est pas en rapport avec le stimulus nociceptif initial et qui, en outre, limite les capacités fonctionnelles et est suffisamment grave pour entraîner le recours au médecin. On range aussi dans ce trouble douloureux les douleurs dont une affection somatique n’explique que partiellement l’intensité et la durée (1). En médecine générale, la prévalence de cette affection est estimée à 2% (2), et la qualité de vie en est grandement affectée. Beaucoup de dérivés de la morphine (en patch) sont actuellement prescrits pour cette indication (3), ce qui s’accompagne d’une augmentation des surdosages, de la consommation abusive, de la dépendance et des obstacles à une approche non médicamenteuse (4). Versus placebo, un soulagement de la douleur grâce aux opiacés n’a encore été montré que sur le court terme (5).

Une récente synthèse méthodique de 39 études a évalué l’effet à long terme (minimum 3 mois) des dérivés morphiniques en cas de douleur chronique d’étiologies diverses (nociceptive, neuropathique, arthrose, fibromyalgie, lombalgies) (6). Les investigateurs n’ont pas trouvé d’études contrôlées portant sur l’efficacité avec un suivi de plus de 16 semaines. Une étude rétrospective en cohorte chez 9 940 patients a cependant montré un risque accru de surdosage (HR de 5,2 avec IC à 95% de 2,1 à 12,5). Une récente étude de cohorte ajoute encore que ce sont surtout les opiacés à action prolongée qui sont à l’origine des accidents de surdosage (7). Il ressort d’une étude d’observation menée en première ligne que la prévalence de consommation abusive (0,6 à 8%) et de dépendance (3 à 6%) est également plus importante. La synthèse méthodique révèle aussi les éléments suivants : un plus grand risque de fracture chez les personnes âgées d’au moins 60 ans (n = 2 341) qui avaient utilisé des opiacés pendant 33 mois en moyenne (rapport de cotes (RC) de 1,28 avec IC à 95% de 0,99 à 1,64; un plus grand risque d’infarctus du myocarde (RC de 2,66 avec IC à 95% de 2,30 à 3,08 dans une étude de cohorte

chez  297 314 patients qui avaient utilisé des opiacés pendant au moins 180 jours, et RC de 1,28 avec IC à 95% de 1,19 à 1,37 dans une étude cas-témoins portant sur 11 693 cas) ; un plus grand risque de dysfonction érectile nécessitant un traitement médical (RC de 1,45 avec IC à 95% de 1,12 à 1,87). Cette récente synthèse méthodique nous permet donc de conclure qu’en raison du manque d’études, on ne peut pas se prononcer sur l’efficacité à long terme des dérivés morphiniques. En revanche, il existe bien un bon nombre de preuves concernant d’importants effets indésirables lors d’une utilisation de longue durée.

Une autre récente synthèse méthodique avec méta-analyse, de bonne qualité méthodologique (8), et portant sur de nouveaux traitements en cas de douleur neuropathique (névralgie), dont 13 études avec des opiacés (oxycodone 10-120 mg et morphine 90-240 mg), a montré que les preuves concernant l’efficacité des opiacés sont également au-dessous du niveau exigé. Un risque de consommation abusive (surtout aux doses élevées) et de mortalité par surdosage en opiacés prescrits a aussi été montré. Pour des motifs de sécurité, leur utilisation n’est donc conseillée que comme troisième choix. Ceci est en contradiction avec les recommandations antérieures, dans lesquelles les opiacés étaient encore des produits de deuxième, voire de premier choix (9). Minerva a déjà signalé qu’en cas de douleur diffuse chronique (fibromyalgie), une approche thérapeutique cognitivo-comportementale et des exercices étaient efficaces en première ligne, même si les résultats qui ressortent des synthèses méthodiques avec méta-analyse sont contradictoires (10). Cet avis est repris de manière approfondie dans la recommandation SOLK de la société néerlandaise des médecins généralistes (NHG) (1), qui traite de tous les « syndromes symptomatiques fonctionnels », entre autres du syndrome de douleur chronique. Les traitements non pharmacologiques qui demandent la participation active du patient, comme les exercices physiques et la psychothérapie, sont plus efficaces que les traitements physiques passifs, y compris les injections et les interventions chirurgicales. Les interventions exclusivement somatiques mettent en œuvre une approche qui ne prend pas en compte les différents aspects de la douleur, et qui, par conséquent, empêche de traiter la douleur correctement.

Conclusion 

Lors du traitement de la douleur chronique non cancéreuse, le médecin généraliste ne doit pas s’attendre à un avantage d’un traitement de longue durée avec des opiacés. Il doit au contraire être attentif à des effets indésirables graves. Les interventions exclusivement somatiques pour douleur chronique ne tiennent pas compte de la complexité de la douleur, ce qui empêche de traiter la douleur correctement. Une approche durable et globale comprend donc des antalgiques simples, une bonne communication avec le patient à propos d’une définition large du problème et une approche thérapeutique non médicamenteuse.

 

 

Références

  1. NHG-standaard. Somatisch onvoldoende verklaarde lichamelijke klachten (SOLK). Huisarts Wet 2013;56:222-30.
  2. de Waal MW, Arnold IA, Eekhof JA, van Hemert AM. Somatoform disorders in general practice: prevalence, functional impairment and comorbidity with anxiety and depressive disorders. Br J Psychiatry 2004;184:470-6.
  3. Boudreau D, Von Korf M, Rutter CM, et al. Trends in long-term opioid therapy for chronic non-cancer pain. Pharmacoepidemiol Drug Saf 2009;18:1166-75.
  4. Starrels JL, Becker WC, Weiner MG, et al. Low use of opioid risk reduction strategies in primary care even for high risk patients with chronic pain. J Gen Intern Med 2011;26:958-64
  5. Furlan AD, Sandoval JA, Mailis-Gagnon A, Tunks E. Opioids for chronic noncancer pain: a meta-analysis of effectiveness and side effects. CMAJ 2006;174:1589-94.
  6. Chou R, Turner JA, Devine EB, et al. The effectiveness and risks of long-term opioid therapy for chronic pan: a systematic review for a national institutes of health pathways to prevention workshop. Ann Intern Med 2015;162:276-86.
  7. Miller M, Barber CW, Leatherman S, et al. Prescription opioid duration of action and the risk of unintentional overdose among patients receiving opioid therapy. JAMA Intern Med 2015;175:608-15.
  8. Finnerup NB, Attal N, Haroutounian S, et al. Pharmacotherapy for neuropathic pain in adults: a systematic review and meta-analysis. Lancet 2015;14:162-73.
  9. Dworkin RH, Backonja M, Rowbotham MC, et al. Advances in neuropathic pain: diagnosis, mechanisms, an treatment recommendations. Arch Neurol 2003;60:1524-34.
  10. Crismer A. Fibromyalgie : efficacité de traitements non médicamenteux sur la douleur ? MinervaF 2012;11(7):82-3.

 

 

 

 

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Auteurs

De Cort P.
em. Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
COI :

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