Revue d'Evidence-Based Medicine



Impact de l’intervention des soins palliatifs à domicile



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 4 Page 40 - 41

Professions de santé


Analyse de
Seow H, Brazil K, Sussman J, et al. Impact of community based, specialist palliative care teams on hospitalisations and emergency department visits late in life and hospital deaths: a pooled analysis. BMJ 2014;348:g3496.


Question clinique
L’intervention d’une équipe de soins palliatifs à domicile en fin de vie permet-elle de limiter les hospitalisations ou les admissions en urgence ou de réduire le risque de mourir à l’hôpital ?


Que disent les guides de pratique clinique ?
En Flandre, il existe depuis vingt ans des équipes organisées de soins palliatifs à domicile. La collaboration des médecins généralistes avec les autres services de soins s’accroît chaque année. Les rapports annuels de la fédération flamande de soins palliatifs (Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen) confirment les résultats de cette étude. Il est encore possible d’améliorer les résultats en restant attentif à inscrire précocement, dans les équipes, les patients au stade palliatif et à assurer des concertations fréquentes et la transmission des informations entre tous les intervenants impliqués dans les soins. Une recherche est actuellement menée pour structurer cette coopération en un trajet de soins.


Contexte

La plupart des patients au stade palliatif choisissent de mourir chez eux (1). L’intervention d’une équipe de soins palliatifs à domicile est souvent demandée pour assurer une bonne prise en charge et pour éviter des hospitalisations inutiles. Si la plupart des études ont constamment pu montrer un meilleur contrôle des symptômes, une plus grande satisfaction des patients et une meilleure qualité de vie (2-8), on ignore encore si la présence de ces équipes entraîne une diminution du nombre des hospitalisations et des visites au service des urgences.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 3 912 personnes décédées entre 2009 et 2012 après l’intervention de 11 équipes interdisciplinaires de soins palliatifs à domicile différentes ; les équipes de soins à domicile se sont mises en place indépendamment les unes des autres dans différentes régions de l’Ontario (Canada), et chacune d’elle accompagnait annuellement plus de 50 patients âgés d’au moins 18 ans atteints de diverses pathologies au stade palliatif ; l’accompagnement était assuré 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7
  • 41 133 personnes décédées entre 2009 et 2012 dans la même région avant le développement de l’équipe de soins palliatifs à domicile (cohorte historique) ou dans une région de soins voisine, de taille comparable et avec un accès aux soins de santé similaire, mais sans équipe de soins palliatifs à domicile disponible (cohorte géographique).

Protocole de l’étude

  • étude de cohorte rétrospective
  • au moyen d’un numéro d’assurance soins de santé, unique et codé, au niveau provincial, chaque patient a été relié à différentes bases de données officielles qui contenaient les paramètres suivants: date du décès, âge au moment du décès, sexe ; hospitalisations et décès à l’hôpital, degré de comorbidité et présence d’un cancer ; visites à un service d’urgences ; recours aux services de soins à domicile
  • appariement de 3 109 personnes décédées après l’intervention d’une équipe interdisciplinaire de soins palliatifs à domicile (n = 90 à 830) avec 3 109 personnes décédées après une prise en charge classique ; âge médian de 75 ans (ET de 63 à 84 ans) ; 52% de femmes ; 79% avaient un cancer
  • un appariement sur les scores de propension a été réalisé pour un grand nombre de facteurs de confusion tels que la région de soins et le moment du début des soins, le type et la durée de l’intervention des services de soins à domicile, l’âge au moment du décès, le sexe, le degré de comorbidité, le diagnostic de cancer, les hospitalisations et les visites au service des urgences avant l’intervention.

Mesure des résultats

  • critères de jugement : hospitalisation au cours des 2 dernières semaines de vie ; visite au service des urgences au cours des 2 dernières semaines de vie ; décès à l’hôpital
  • analyse de sensibilité pour tenir compte des différences dans la composition du groupe témoin.

Résultats

  • 31,2% des patients traités par une équipe de soins à domicile versus 39,3% des patients qui recevaient les soins classiques ont été hospitalisés au cours de leurs 2 dernières semaines de vie (RR de 0,68 avec IC à 95% de 0,61 à 0,76)
  • 28,9% des patients traités par une équipe de soins à domicile versus 34,5% des patients qui recevaient les soins classiques ont été pris en charge dans un service d’urgences au cours de leurs 2 dernières semaines de vie (RR de 0,77 avec IC à 95% de 0,69 à 0,86)
  • 16,2% des patients traités par une équipe de soins à domicile versus 28,6% des patients qui recevaient les soins classiques sont décédés à l’hôpital (RR de 0,46 avec IC à 95% de 0,40 à 0,52).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les équipes de soins palliatifs à domicile, malgré les différences dans leur composition et leur situation géographique, sont efficaces pour limiter le recours aux soins aigus en fin de vie et le nombre de décès à l’hôpital.

Financement

Canadian Institutes of Health Research ; les bases de données utilisées étaient gérées par l’Institute for Clinical Evaluative Sciences, qui est financé par l’Ontario Ministry of Health and Long Term Care.

 

Conflits d’intérêt

Trois des 9 auteurs travaillent comme médecins dans trois des équipes de soins palliatifs à domicile et ont permis l’accès aux données. Ils n’ont pas été impliqués dans l’analyse ; tous les autres auteurs déclarent ne pas être en relation avec les équipes ni avec les organisations assurant le financement.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Les critères d’inclusion pour les équipes de soins palliatifs à domicile sont clairement indiqués. La sélection du groupe témoin a aussi été minutieusement effectuée. Un appariement sur les scores de propension pour un grand nombre de facteurs de confusion a été réalisé pour pouvoir comparer de manière rétrospective les 2 cohortes de patients. Cette méthode permet de contrôler toute une série de facteurs de confusion sans trop perdre de données d’observation (9). La mise en évidence de ces facteurs de confusion repose sur une recherche antérieure (10,11). D’autres facteurs n’ont cependant pas été repris dans l’analyse. Tout d’abord, l’expertise et l’attitude des médecins pour les soins à domicile : « Dans quelle mesure les médecins sont-ils prêts à soigner les patients palliatifs à domicile ? » et « Dans quelle mesure les médecins sont-ils experts ? Sont-ils suffisamment formés ? ». Ces deux variables sont pertinentes car beaucoup d’hospitalisations en urgence sont la conséquence de problèmes relativement limités qu’une intervention médicale simple peut résoudre (12). D’un autre côté, il est difficile de quantifier ces variables (expertise et attitude), qui ne sont par ailleurs pas disponibles dans les bases de données administratives. Un deuxième facteur important est la présence de l’entourage et ses capacités de prise en charge. La littérature scientifique reconnaît en effet que la décompensation de l’entourage est un motif fréquent d’hospitalisations (13). Néanmoins, les bases de données peuvent mentionner la présence de l’entourage (non ses capacités), ce qui permet de l’inclure dans le score de propension.

Les critères de jugement choisis sont souvent utilisés dans la recherche portant sur les soins palliatifs et sont des indicateurs de qualité reconnus au niveau de la population.

 

Mise en perspective des résultats

Une synthèse de la Cochrane Collaboration publiée en 2013 (14) a montré que la probabilité de mourir chez soi augmente lorsqu’on fait intervenir une équipe de soins palliatifs à domicile. Il y aurait également un petit gain sur le plan du contrôle des symptômes. Actuellement, aucune conclusion ne peut être tirée quant au rapport coût-efficacité. Les résultats observés dans la présente étude sont valables tant pour la plupart des équipes distinctes que pour les données sommées de l’ensemble des équipes. La composition diverse des équipes pourrait peut-être expliquer la différence entre les résultats des différentes équipes, mais cela ne peut se déduire de la présente étude. Elle a en tout cas montré que des équipes ayant un même noyau, mais dont la composition finale varie et qui n’ont pas la même taille conduisent à des résultats positifs. La recherche doit se poursuivre pour montrer quelle est l’influence de la composition de l’équipe sur ces critères de jugement.

Si nous voulons appliquer ces résultats canadiens à la situation en Belgique il convient de faire un certain nombre de remarques. Pour commencer, la première ligne au Canada est constituée de différents systèmes d’offre de soins qui fonctionnent parallèlement les uns aux autres sans véritable coordination entre eux. Les médecins généralistes proposent, indépendamment de ces services, des soins aux patients, mais ne font que rarement des visites à domicile. En Belgique par contre, les soins palliatifs sont souvent coordonnés par le médecin généraliste (ou se font en tout cas en concertation avec lui), et le médecin généraliste rend facilement visite aux patients qui sont au stade palliatif. Deuxièmement, le délai entre le moment où le patient prend contact avec l’équipe canadienne et son décès est en moyenne de 73 jours. En Belgique, l’accompagnement dure moins d’un mois dans 60% des cas. Cette étude ne permet pas d’évaluer l’importance de cette différence, mais on peut imaginer que, plus l’équipe palliative intervient tôt, plus les chances d’anticiper les problèmes sont grandes. Pour le moment, on ignore cependant quelle est la durée optimale de l’accompagnement. Troisièmement, les patients non cancéreux qui reçoivent des soins palliatifs sont de plus en plus nombreux (20% en Flandre). La littérature scientifique montre que le besoin de soins est comparable chez les patients cancéreux et chez les patients non cancéreux. La présente étude canadienne ne permet cependant pas de tirer des conclusions quant à l’utilité des équipes de soins palliatifs à domicile chez les patients non cancéreux. Quatrièmement, la composition des équipes palliatives n’est pas la même au Canada et en Belgique. Les équipes canadiennes comportent plus de médecins et moins d’infirmiers que les équipes belges. En Belgique, le médecin généraliste, qui reste le responsable final, est conseillé et soutenu par l’équipe de soins palliatifs. On ignore également si cette collaboration était présente dans cette étude.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude de cohorte rétrospective, menée dans un autre contexte de soins, montre que l’intervention des équipes de soins palliatifs à domicile entraîne une diminution du nombre d’hospitalisations, d’admissions en urgence et de décès à l’hôpital.

 

Pour la pratique

En Flandre, il existe depuis vingt ans des équipes organisées de soins palliatifs à domicile. La collaboration des médecins généralistes avec les autres services de soins s’accroît chaque année. Les rapports annuels de la fédération flamande de soins palliatifs (Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen) (15) confirment les résultats de cette étude. Il est encore possible d’améliorer les résultats en restant attentif à inscrire précocement, dans les équipes, les patients au stade palliatif et à assurer des concertations fréquentes et la transmission des informations entre tous les intervenants impliqués dans les soins. Une recherche est actuellement menée pour structurer cette coopération en un trajet de soins (16).

 

 

Références

  1. Gomes B, Higginson IJ, Calanzani N, et al. Preferences for place of death if faced with advanced cancer: a population survey in England, Flanders, Germany, Italy, the Netherlands, Portugal and Spain. Ann Oncol 2012;23:2006-15.
  2. Aiken LS, Butner J, Lockhart CA, et al. Outcome evaluation of a randomized trial of the PhoenixCare intervention: program of case management and coordinated care for the seriously chronically ill. J Palliat Med 2006;9:111-26.
  3. Brumley R, Enguidanos S, Jamison P, et al. Increased satisfaction with care and lower costs: results of a randomized trial of in-home palliative care. J Am Geriatr Soc 2007;55:993-1000.
  4. Hughes SL, Cummings J, Weaver F, et al. A randomized trial of the cost effectiveness of VA hospital-based home care for the terminally ill. Health Serv Res 1992;26:801-17.
  5. Hughes SL, Weaver FM, Giobbie-Hurder, et al; Department of Veterans Affairs Cooperative Study Group on Home-Based Primary Care. Effectiveness of team-managed home-based primary care: a randomized multicenter trial. JAMA 2000;284:2877-85.
  6. Rabow MW, Dibble SL, Pantilat SZ, McPhee SJ. The comprehensive care team: a controlled trial of outpatient palliative medicine consultation. Arch Intern Med 2004;164:83-91.
  7. Zimmer JG, Groth-Juncker A, McCusker J. A randomized controlled study of a home health care team. Am J Public Health 1985;75:134-41.
  8. Bakitas M, Lyons KD, Hegel MT, et al. Effects of a palliative care intervention on clinical outcomes in patients with advanced cancer: the Project ENABLE II randomized controlled trial. JAMA 2009;302:741-9.
  9. Poelman T. Appariement sur les scores de propension. MinervaF 2013;12(8):103.
  10. Seow H, Barbera L, Howell D, Dy SM. Using more end-of-life homecare services is associated with using fewer acute care services: a population-based cohort study. Med Care 2010;48:118-24.
  11. Gomes B, Higginson IJ. Factors influencing death at home in terminally ill patients with cancer: systematic review. BMJ 2006;332:515-21. Erratum in: BMJ 2006;332:1012.
  12. Hjermstad MJ, Kolflaath J, Løkken AO, et al. Are emergency admissions in palliative cancer care always necessary? Results from a descriptive study. BMJ Open 2013;3(5).
  13. Gott M, Frey R, Robinson J, et al. The nature of, and reasons for, 'inappropriate' hospitalisations among patients with palliative care needs: a qualitative exploration of the views of generalist palliative care providers. Palliat Med 2013;27:747-56.
  14. Gomes B, Calanzani N, Curiale V, et al. Effectiveness and cost-effectiveness of home palliative care services for adults with advanced illness and their caregivers. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 6.
  15. http://www.palliatief.be/template.asp?f=index.htm
  16. http://www.pro-spinoza.be/index.php/welkom/

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Auteurs

Pype P.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent; End-of-life Care Research Group, VUB-UGent
COI :

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