Revue d'Evidence-Based Medicine



Aide à l’arrêt du tabagisme : quelle place pour la cigarette électronique ?



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 4 Page 42 - 43

Professions de santé


Analyse de
Bullen C, Howe C, Laugesen M, et al. Electronic cigarettes for smoking cessation: a randomised controlled trial. Lancet 2013;382:1629-37.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité des cigarettes électroniques contenant de la nicotine versus patchs de nicotine et cigarettes électroniques sans nicotine sur l’arrêt du tabagisme ?


Conclusion
Cette étude pragmatique, de bonne qualité méthodologique, montre que les e-cigarettes contenant de la nicotine ne sont pas plus efficaces dans l’arrêt du tabagisme que les e-cigarettes placebo ou les patchs à la nicotine.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Selon les recommandations de Domus Medica, les interventions médicamenteuses recommandées pour l’arrêt du tabagisme sont le traitement de substitution nicotinique, le bupropion et la nortriptyline. Sur base des données actuelles, la place des cigarettes électroniques contenant de la nicotine reste peu claire.


Aide à l’arrêt du tabagisme : quelle place pour la cigarette électronique ?

Contexte

La cigarette électronique (e-cigarette) a été introduite en 2004. Il s’agit d’un dispositif en forme de cigarette qui vaporise un aérosol pouvant contenir de la nicotine. Le nombre d’utilisateurs est en augmentation, mais la place des e-cigarettes comme moyen pour arrêter de fumer reste sujet à controverse en raison du manque de données d’études fiables concernant leur efficacité et leur sécurité (1).

 

Résumé

Population étudiée

  • inclusion de 657 patients âgés d’au moins 18 ans (âge moyen de 40 à 43 ans), dont 62% de femmes, qui, au cours de l’année précédente, fumaient au moins 10 cigarettes par jour (+/- 18 par jour en moyenne) et qui voulaient arrêter de fumer
  • critères d’exclusion : grossesse et allaitement ; utilisation d’autres moyens pour arrêter de fumer ou participation à un programme d’arrêt du tabagisme ; antécédents d’infarctus du myocarde, d’AVC ou d’angor grave au cours des deux dernières semaines ; présence d’une affection insuffisamment maîtrisée, allergie ou dépendance à d’autres substances chimiques.

Protocole de l’étude

  • étude pragmatique contrôlée randomisée, menée en ouvert, avec 3 groupes parallèles dans un rapport de 4/4/1 :
    • e-cigarettes contenant de la nicotine (n = 289)
    • patchs de nicotine (21 mg par 24 heures) (n = 295)
    • e-cigarettes placebo (n = 73)
  • utilisation dès 1 semaine avant jusqu’à 12 semaines après la date prévue de l’arrêt du tabagisme
  • stratification en fonction de l’ethnicité, du sexe et du degré de dépendance à la nicotine (Test de Fagerström (alias FTND) > 5 ou ≤ 5)
  • tous les participants pouvaient faire appel à un soutien comportemental par téléphone.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : maintien de l’arrêt du tabagisme pendant une période de 6 mois (nombre de cigarettes fumées ≤ 5) après la date de l’arrêt du tabagisme, mentionné par le patient et confirmé par une mesure de la concentration en CO dans l’air expiré (< 10 ppm) à 6 mois
  • critères de jugement secondaires : arrêt complet du tabagisme durant les 7 derniers jours aux mois 1, 3 et 6 mentionné par le patient ; délai jusqu’à la récidive du tabagisme ; nombre de cigarettes fumées par jour ; nombre de cartouches de nicotine utilisées ou de patchs de nicotine utilisés ; recours à d’autres traitements pour arrêter de fumer ; symptômes de sevrage ; statut de dépendance ; délai entre 2 cigarettes et effets indésirables
  • analyse en intention de traiter (ITT)
  • analyse par protocol pour le critère de jugement primaire.

Résultats

  • maintien de l’arrêt du tabagisme pendant une période de 6 mois après la date fixée pour l’arrêt du tabagisme : 7,3% versus 5,8% et 4,1% respectivement dans les groupes recevant des e-cigarettes contenant de la nicotine, des patchs à la nicotine et des e-cigarettes placebo ; en chiffres absolus, la différence de risque qui en résulte n’est pas statistiquement significative, à savoir 1,51 (avec IC à 95% de -2,49 à 5,51) pour les e-cigarettes à la nicotine versus patchs à la nicotine et 3,16 (avec IC à 95% de -2,29 à 8,61) pour les e-cigarettes à la nicotine versus e-cigarettes placebo
  • à 6 mois, il n’y avait pas de différence statistiquement significative quant à l’arrêt complet du tabagisme durant les 7 derniers jours entre le groupe e-cigarettes contenant de la nicotine et le groupe patchs de nicotine et entre le groupe e-cigarettes contenant de la nicotine et le groupe e-cigarettes placebo
  • le délai jusqu’à la reprise du tabagisme était plus long, de manière statistiquement significative (p < 0,0001), avec les e-cigarettes contenant de la nicotine (durée médiane de 35 jours) qu’avec les patchs de nicotine (durée médiane de 14 jours)
  • l’observance du traitement était meilleure, de manière statistiquement significative (p < 0,0001), avec les e-cigarettes contenant de la nicotine et avec les e-cigarettes placebo qu’avec les patchs à la nicotine
  • il n’y avait pas de différence statistiquement significative quant à l’incidence des effets indésirables entre le groupe e-cigarettes contenant de la nicotine et le groupe patchs à la nicotine.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les e-cigarettes, qu’elles contiennent de la nicotine ou un placebo, sont modérément efficaces pour aider les fumeurs à arrêter de fumer. Le degré d’abstinence est comparable à celui observé avec les patchs à la nicotine, et il y a peu d’effets indésirables. La place des e-cigarettes comme méthode pour l’arrêt du tabagisme reste incertaine, et une recherche plus approfondie est impérativement nécessaire pour estimer correctement la balance risques-bénéfices, tant au niveau individuel qu’à l’échelle de la population.

Financement de l’étude

Health Research Council of New Zealand, qui n’est intervenu ni dans l’élaboration du protocole de l’étude, ni dans la conduite de l’étude, ni dans le traitement des résultats.

Conflits d’intérêt

Différents auteurs étaient impliqués dans la consultance sur les moyens et méthodes pour l’arrêt du tabagisme.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Il s’agit d’une étude pragmatique qui a été correctement conçue (2). Avec un nombre limité de critères d’inclusion et d’exclusion, les investigateurs sont parvenus à obtenir un échantillon représentatif de patients issus de la pratique quotidienne qui étaient motivés pour arrêter de fumer. On a comparé l’utilisation libre d’e-cigarettes et l’utilisation quotidienne recommandée de patchs à la nicotine. Il n’était évidemment pas possible de mener cette étude en aveugle. Ce point est important pour l’interprétation des résultats parce que le patient rapportait lui-même l’arrêt du tabagisme. Concernant les autres critères de jugement, l’évaluation de l’effet a bien été effectuée en aveugle. Les auteurs ont déterminé les résultats en intention de traiter, ce qui donne un reflet fiable de la réalité. La taille de l’échantillon a été calculée correctement. Sur la base de différentes méta-analyses concernant le traitement de substitution nicotinique (3), on s’attendait à un degré d’abstinence de 15% avec les e-cigarettes placebo et de 20% avec les patchs à la nicotine. En comparaison avec ces groupes, on voulait montrer une augmentation du degré d’abstinence avec les e-cigarettes contenant de la nicotine respectivement de 15% et de 10%.

 

Interprétation des résultats

Cette étude n’a pas pu montrer la supériorité des e-cigarettes contenant de la nicotine par rapport aux patchs à la nicotine. Dans une analyse post hoc (mentionnée dans la partie « Discussion de l’étude »), les auteurs essaient encore de montrer la non-infériorité des e-cigarettes contenant de la nicotine par rapport aux patchs à la nicotine. Pour montrer la supériorité, l’estimation du degré d’abstinence était probablement trop optimiste. En outre, le nombre de patients sortis de l’étude a été plus élevé dans le groupe patchs à la nicotine (27%) versus 17% pour les e-cigarettes contenant de la nicotine, ce qui peut avoir entraîné une influence sur les résultats. Les auteurs attribuent ce nombre plus important de sorties d’étude à une déception possible des personnes affectées au groupe patchs à la nicotine. En effet, il se peut que la participation à l’étude fût motivée par la possibilité éventuelle de tester des e-cigarettes. L’observance du traitement mesurée confirme en partie cette hypothèse car elle était plus élevée avec les e-cigarettes qu’avec les patchs à la nicotine, et ce de manière statistiquement significative. Après six mois, 29% utilisaient encore des e-cigarettes contenant de la nicotine, 35% utilisaient encore des e-cigarettes sans nicotine, et seulement 8% utilisaient encore des patchs à la nicotine. D’un autre côté, la différence entre les résultats de l’analyse en intention de traiter et ceux de l’analyse par protocole est limitée. Une autre manière d’expliquer pourquoi les e-cigarettes contenant de la nicotine ne semblent pas supérieures est qu’elles libèrent peut-être une quantité de nicotine relativement faible par rapport aux cigarettes classiques bien que cette question soit encore sujette à discussion et fortement étudiée (4). Le pic de concentration de nicotine dans le plasma survient 10 minutes après le début de l’utilisation, ce qui est considérablement plus lent qu’avec une véritable cigarette, qui donne un pic dans les 10 secondes. Toutefois, parmi les personnes qui ont utilisé des e-cigarettes, une sur trois déclare vouloir continuer, ce qui peut laisser craindre un risque de dépendance futur (4).

Cette étude a été reprise dans une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration (1) publiée en 2014 portant sur l’effet des e-cigarettes sur l’arrêt du tabagisme. Au total, 13 études ont été incluses, à savoir 2 RCTs et 11 études de cohorte. 9 études étaient encore en cours au moment de la sélection des articles. Après 6 mois, une abstinence plus importante dans le groupe e-cigarettes versus groupe e-cigarettes placebo (9% versus 4%) a été observée, ce qui donne un RR de 2,29 (avec IC à 95% de 1,05 à 4,96) et un nombre de sujets à traiter (NNT) de 20 pendant 6 mois. En raison du petit nombre d’études, les auteurs de la synthèse méthodique qualifient de faible à très faible le niveau de preuve de ce résultat, ce qui signifie qu’une recherche plus poussée pourra encore avoir un impact important sur cette estimation de l’effet. Aucune des RCTs et des études de cohorte n’a montré d’effets indésirables graves.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude pragmatique, de bonne qualité méthodologique, montre que les e-cigarettes contenant de la nicotine ne sont pas plus efficaces dans l’arrêt du tabagisme que les e-cigarettes placebo ou les patchs à la nicotine.

 

Pour la pratique

Selon les recommandations de Domus Medica, les interventions médicamenteuses recommandées pour l’arrêt du tabagisme sont le traitement de substitution nicotinique, le bupropion et la nortriptyline (5). Sur base des données actuelles, la place des cigarettes électroniques contenant de la nicotine reste peu claire.

 

Références

  1. McRobbie H, Bullen C, Hartmann-Boyce J, Hajek P. Electronic cigarettes for smoking cessation and reduction. Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 12.
  2. Michiels B. Quelle est la grande particularité des essais cliniques pragmatiques ? MinervaF 2014;13(10);129.
  3. Fiore M, Jaen C, Baker T, et al. Treating tobacco use and dependence: 2008 update. Rockville, MD: US Department of Health and Human Services, Public Health Service, 2008.
  4. Nicotine dans les cigarettes électroniques: quelles conséquences sanitaires? URL http://www.stop-tabac.ch/fr/e-cig-avec-nicotine-les-consequences-sanitaires ; site consulté le 24/04/2015.
  5. Rookstopstrategie Domus Medica. http://www.domusmedica.be/documentatie/richtlijnen/overzicht/stoppen-met-roken-horizontaalmenu-393/1146-rookstopstrategie.html?showall=1&limitstart (geraadpleegd op 12 december 2014).

 

 

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