Revue d'Evidence-Based Medicine



Des corticostéroïdes à usage intranasal en cas de rhinosinusite aiguë ?



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 4 Page 44 - 45

Professions de santé


Analyse de
Zalmanovici Trestioreanu A, Yaphe J. Intranasal steroids for acute sinusitis. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 12.


Question clinique
En cas de rhinosinusite aiguë chez l’adulte et chez l’enfant, les corticostéroïdes à usage intranasal soulagent-ils mieux les symptômes qu’un placebo ou l’absence de traitement ?


Conclusion
Cette méta-analyse de bonne qualité méthodologique montre un effet statistiquement significatif mais cliniquement très limité des corticostéroïdes à usage intranasal chez les personnes atteintes de rhinosinusite aiguë. La population étudiée dans cette méta-analyse n’est toutefois pas représentative de la population qui consulte en médecine générale. Nous ne pouvons donc pas extrapoler les résultats à la première ligne.


Que disent les guides de pratique clinique ?
En cas de rhinosinusite aiguë, les guides de bonne pratique actuels préconisent de ne prescrire qu’un traitement symptomatique par paracétamol et inhalation de vapeur humide chaude, sans antibiotiques et sans corticostéroïdes à usage intranasal. Les résultats de cette méta-analyse ne remettent pas ces recommandations en question. Actuellement, les CSIN n’ont pas leur place dans le traitement de la rhinosinusite aiguë en médecine générale.


Contexte

Dans la pratique du médecin généraliste, l’incidence annuelle de la rhinosinusite est estimée à environ 30 patients sur 1 000 (1). La rhinosinusite aiguë est donc probablement l’un des dix diagnostics les plus fréquents en médecine générale. Seulement 0,2 à 2% des infections des voies respiratoires supérieures se compliquent d’une rhinosinusite bactérienne (2). On admet que, sur le plan physiopathologique, les symptômes de la rhinosinusite sont provoqués par une infection virale de la muqueuse nasale. Il semble donc logique qu’une diminution de l’inflammation par l’administration locale de corticostéroïdes puisse entraîner une diminution de l’œdème de la muqueuse et accélérer le soulagement et la guérison des symptômes.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

  • le registre central Cochrane des essais contrôlés (Cochrane Central Register of Controlled Trials, CENTRAL 2013, n°4 ; MEDLINE, EMBASE (d’avril 2011 à mai 2013)
  • les listes de références et les auteurs des publications trouvées
  • le Système d’enregistrement international des essais cliniques (International Clinical Trials Registry Platform(ICTRP) de l’OMS et ClinicalTrials.gov
  • pas de restriction quant à la langue de publication.

Études sélectionnées

  • inclusion de 4 études contrôlées, randomisées (RCT), menées en double aveugle, comparant l’efficacité des corticostéroïdes à usage intranasal (CSIN) versus placebo ; 3 études multicentriques ; 1 étude avec un bras complémentaire antibiotique
  • une étude (3) a évalué la mométasone après 15 jours ; 3 autres études ont évalué le budésonide (4), le fluticasone (5) et la mométasone (6) après 21 jours.

Population étudiée

  • 1 973 enfants et adultes (de 1 à 78 ans) chez qui avait été posé le diagnostic clinique de sinusite aiguë avec confirmation à la radiologie ou par endoscopie nasale.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : différence proportionnelle entre le groupe CSIN et le groupe placebo quant au nombre de patients chez qui les symptômes ont disparu ou se sont améliorés
  • critères de jugement secondaires : différence entre le groupe CSIN et le groupe placebo sur les points suivants : arrêt du traitement en raison d’effets indésirables, proportion de patients qui ont développé des complications, nombre de patients sortis de l’étude, fréquence de réapparition des symptômes, proportion de patients retournant à l’école ou au travail dans un délai déterminé
  • analyse en intention de traiter
  • analyse des résultats en modèle d’effets fixes en cas d’absence d’hétérogénéité.

Résultats

  • critère de jugement primaire :
    • après 5 (N = 1) à 21 (N = 2) jours, les symptômes avaient disparu ou l’affection était guérie chez 73% des patients qui avaient pris des CSIN versus 66,4% de ceux qui avaient reçu le placebo (réduction absolue de risque de 0,07 avec IC à 95% de 0,03 à 0,11 et RR de 1,1 avec IC à 95% de 1,04 à 1,18)
    • l’effet versus placebo était plus important avec une dose quotidienne de 400 µg de mométasone (RR de 1,10 avec IC à 95% de 1,02 à 1,18) qu’avec une dose quotidienne de 200 µg de mométasone (RR de 1,04 avec IC à 95% de 0,98 à 1,11) (N = 2)
  • critères de jugement secondaires :
    • dans 1 étude (3), le traitement a été arrêté en raison d’effets indésirables chez 1% des patients qui prenaient 200 µg de mométasone, chez 3% de ceux qui en prenaient 400 µg et chez 2% de ceux qui prenaient le placebo
    • il n’y avait pas de différence statistiquement significative quant au nombre de patients sortis de l’étude entre le groupe CSIN et le groupe placebo (N = 3), ni quant à la fréquence de la réapparition des symptômes (N = 2)
    • aucune étude n’a rapporté la proportion de patients ayant développé des complications ou celle des patients qui sont retournés à l’école ou au travail endéans un délai déterminé.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’utilisation de corticostéroïdes à usage intranasal en monothérapie ou comme traitement adjuvant en plus des antibiotiques est étayée dans une mesure limitée pour le traitement de la sinusite aiguë confirmée à l’endoscopie nasale ou à la radiologie. En conséquence, pour prescrire un CSIN, les médecins devraient mettre en balance les avantages limités mais cliniquement importants et les éventuels effets indésirables mineurs.

Financement 

Non mentionné.

Conflits d’intérêt

Inconnus.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Chaque étape de cette synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration a été minutieusement effectuée. La recherche dans la littérature et la sélection des articles ont été effectuées par 2 personnes indépendamment l’une de l’autre, la méthodologie de chaque étape a été soigneusement supervisée, et des experts ont évalué la synthèse dans son ensemble. Seules 4 études ont pu être incluses, avec donc impossibilité de détecter un biais de publication. Pour effectuer la méta-analyse, les auteurs ont utilisé les données en ITT. On peut cependant s’interroger sur la qualité méthodologique des études incluses. Dans l’étude de Meltzer (3), les participants ont passé une rhinoscopie pour exclure des polypes nasaux et non pas pour poser le diagnostic de sinusite : cette étude ne répond donc pas aux critères d’inclusion prédéfinis de la synthèse méthodique. Il n’y a qu’une seule étude pour laquelle il est clair que l’affectation des participants aux groupes d’étude a été réalisée en aveugle (secret de l’attribution) et pour aucune des 4 études l’évaluation de l’effet du traitement n’a été explicitement effectuée en aveugle.

Mise en perspective des résultats

La méta-analyse de 3 études a montré un avantage statistiquement significatif des CSIN versus placebo, pour le soulagement des symptômes et la guérison. À juste titre, l’étude de Barlan (4), comportant 41% de sorties d’étude, n’a pas été incluse. Les 2 études les plus importantes (n = 730) incluses dans la méta-analyse ne montrent pas d’avantage statistiquement significatif des CSIN. Les auteurs ont calculé un risque attribuable (RA) de seulement 9%, ce qui signifie que la guérison ou l’amélioration des symptômes ne pouvait être attribuée aux CSIN que chez seulement 1 patient sur 11. Sur la base de la petite différence absolue de risque, nous pouvons aussi calculer un nombre de sujets à traiter (NST) de 1428. La pertinence clinique de l’effet est donc faible.

Il est difficile d’extrapoler le résultat de cette méta-analyse à la pratique de médecine générale. Les critères pour la guérison et l’amélioration des symptômes dans les différentes études incluses sont très hétérogènes. En outre, le critère de l’âge pour l’inclusion différait fort, et le nombre d’enfants inclus est inconnu. Il est donc inopportun de tirer des conclusions concernant l’effet chez les enfants. Tous les patients des études de Barlan (4), de Dolor (5) et de Nayak (6) ont reçu un antibiotique en plus du CSIN et, dans l’étude de Dolor (5), il leur a même été prescrit un spray nasal de xylométazoline. Dans 3 études, les participants ont été inclus sur base de l’examen d’imagerie qui devait confirmer le diagnostic de rhinosinusite. Cette approche n’est pas routinière en MG, et le guide de bonne pratique du NHG sur la rhinosinusite aiguë, qui a récemment été revu (7), déconseille d’ailleurs l’imagerie en cas de sinusite aiguë. On ne sait donc pas si les populations incluses sont représentatives des patients qui consultent un MG pour des symptômes de rhinosinusite, et dont le diagnostic se fonde sur le tableau clinique.

À ce jour, seules 3 études ont été menées pour connaître l’effet des CSIN en cas de symptômes évoquant une rhinosinusite aiguë en pratique ambulatoire. L’étude de Meltzer (3) a montré une différence statistiquement significative quant à la diminution du score symptomatique à partir du deuxième jour dans les groupes mométasone versus placebo. Une RCT publiée en 2007 (8) commentée dans Minerva (9) a montré que, chez les patients présentant des symptômes de rhinosinusite aiguë en MG, l’amoxicilline, le budésonide intranasal ou l’association des 2 n’étaient pas plus efficaces qu’un placebo après 10 jours. Une autre étude menée au niveau de la première ligne et publiée en 2012 (10) a montré une diminution statistiquement plus importante du score symptomatique moyen avec la fluticasone (2 dosages) qu’avec un placebo. Les 2 études dont le résultat est statistiquement significatif (3,10) étaient toutes 2 commanditées par l’industrie tandis que l’étude sans effet significatif (8) était financée de manière indépendante, ce qui peut avoir influencé le résultat (11). Les 2 études avec un effet étaient également de grande ampleur (respectivement 981 et 724 participants), ce qui a permis de montrer une différence statistiquement significative pour de petites différences. Statistiquement significatif ne veut pas dire pour autant cliniquement pertinent. La différence quant au score de gravité des symptômes entre le placebo et le traitement actif n’atteignait certainement pas 25% alors qu’il a été montré qu’en cas de rhume, les patients attendent du traitement qu’il leur apporte une amélioration d’au moins 25% pour justifier le coût, les risques et les autres désavantages (12). On est également en droit de se poser des questions sur la pertinence clinique d’un score symptomatique. La présence de plusieurs symptômes modérés donnera au total le même score qu’un symptôme unique important. Pourtant, on peut s’imaginer que, pour le patient, la deuxième situation est nettement moins acceptable (pensons aux céphalées, par exemple). En résumé, nous pouvons dire que la preuve de l’efficacité des CSIN en cas de rhinosinusite aiguë est très faible.

 

Conclusion de Minerva

Cette méta-analyse de bonne qualité méthodologique montre un effet statistiquement significatif mais cliniquement très limité des corticostéroïdes à usage intranasal chez les personnes atteintes de rhinosinusite aiguë. La population étudiée dans cette méta-analyse n’est toutefois pas représentative de la population qui consulte en médecine générale. Nous ne pouvons donc pas extrapoler les résultats à la première ligne.

 

Pour la pratique

En cas de rhinosinusite aiguë, les guides de bonne pratique actuels préconisent de ne prescrire qu’un traitement symptomatique par paracétamol et inhalation de vapeur humide chaude, sans antibiotiques et sans corticostéroïdes à usage intranasal (7,13). Les résultats de cette méta-analyse ne remettent pas ces recommandations en question. Actuellement, les CSIN n’ont pas leur place dans le traitement de la rhinosinusite aiguë en médecine générale.

 

 

Références

  1. NIVEL. Incidentie en prevalentie van Acute/chronische sinusitis in de Nederlandse huisartsenpraktijk naar leeftijd en geslacht (per 1 000 patiëntjaren) (2012a). www.nivel.nl.
  2. Fokkens WJ, Lund VJ, Mullol J, et al. European Position Paper on Rhinosinusitis and Nasal Polyps 2012. Rhinol Suppl 2012;3-298.
  3. Meltzer EO, Bachert C, Staudinger H. Treating acute rhinosinusitis: comparing efficacy and safety of mometasone furoate nasal spray, amoxicillin, and placebo. J Allergy Clin Immunol 2005;116:1289-95.
  4. Barlan IB, Erkan E, Bakir M, et al. Intranasal budesonide spray as an adjunct to oral antibiotic therapy for acute sinusitis in children. Annals Allergy Asthma Immunol 1997;78:598-601.
  5. Dolor RJ, Witsell DL, Hellkamp AS, et al. Comparison of cefuroxime with or without intranasal fluticasone for the treatment of rhinosinusitis. The CAFFS Trial: a randomized controlled trial. JAMA 2001;286:3097-105.
  6. Nayak AS, Settipane GA, Pedinoff A, et al; Nasonex Sinusitis Group. Effective dose range of mometasone furoate nasal spray in the treatment of acute rhinosinusitis. Annals Allergy Asthma Immunol2002;89:271-8.
  7. Venekamp RP, De Sutter A, Sachs A, et al. NHG-Standaard Acute rhinosinusitis (derde herziening). Huisarts Wet 2014; 57:537.
  8. Williamson IG, Rumsby K, Benge S, et al. Antibiotics and topical nasal steroid for treatment of acute maxillary sinusitis: a randomized controlled trial. JAMA 2007;298:2487-96.
  9. De Sutter A. Antibiotique per os et corticostéroïdes intranasaux pour la rhinosinusite aiguë ? MinervaF 2008;7(8);114-5.
  10. Keith PK, Dymek A, Pfaar O, et al. Fluticasone furoate nasal spray reduces symptoms of uncomplicated acute rhinosinusitis: a randomised placebo-controlled study. Prim Care Respir J 2012;21:267-75.
  11. Chevalier P. Le biais de l’industrie. MinervaF 2014;13(1):1.
  12. Barrett B, Harahan B, Brown D, et al. Sufficiently important difference for common cold: severity reduction. Ann Fam Med 2007;5:216-23.
  13. De Sutter A, Gordts F, Van Lierde S. Acute Rhinosinusitis. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering. Huisarts Nu 2005;34:234-57.

 

 

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Auteurs

De Sutter A.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

De Meyere M.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

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