Revue d'Evidence-Based Medicine



Comment appliquer les preuves à un cas clinique spécifique ?



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 4 Page 50 - 50

Professions de santé


En tant que médecin généraliste, vous constatez une augmentation du cholestérol total à jeun (250 mg/dl) et du LDL-cholestérol à jeun (130 mg/dl) chez une patiente de 60 ans. Son BMI est de 27, et sa PA de 140/90 mmHg. Elle ne fume pas, n’est pas atteinte de diabète et ne souffre pas d’affection cardiovasculaire (CV) grave. À l’aide du tableau SCORE, vous calculez un risque cumulé de mortalité CV à 10 ans de 2%. Vous vous demandez si une statine serait utile pour réduire le risque CV chez cette femme. Sur le site web de Minerva, vous trouvez un commentaire sur l’utilité prophylactique des statines chez les patients présentant un faible risque cardiovasculaire (1,2). Comment allez-vous procéder pour appliquer les preuves au cas de votre patiente (3) ?

Tout d’abord, vous devez être certain que l’article dont traite Minerva est de bonne qualité et mène à des preuves de qualité (4,5). Si la qualité est bonne, cela signifie que la validité interne est bonne. On attend des synthèses méthodiques avec méta-analyse d’études cliniques randomisées menées correctement qu’elles apportent des preuves de qualité. L’étude portant sur l’utilité du cholestérol qui a été trouvée ici répond à ces critères : il s’agit d’une méta-analyse rassemblant les données de 80 711 personnes.

Ensuite, vous devez vous demander si les résultats peuvent être généralisés. Dans quelle mesure la validité externe est-elle bonne ? Nous examinons ainsi l’inclusion et l’exclusion des participants de l’étude, leurs caractéristiques de base, le milieu (première ligne versus deuxième/troisième ligne) et la mesure utilisée pour évaluer l’effet (est-ce que seul l’effet sur le cholestérol est mesuré ou bien la mortalité est-elle, elle aussi, examinée ?)

Le commentaire dans Minerva indique que l’âge moyen des participants est de 58 ans (51 - 76 ans) ; qu’il s’agit en moyenne pour 62% d’hommes (0% - 100%) ; qu’en moyenne 7% des participants (0% - 35%) étaient atteints de diabète et 47% (16% - 100%) d’HTA. Le risque moyen de mortalité CV à 10 ans était de 6% (0% - 18%) dans la population étudiée. Nous voyons donc que les femmes étaient relativement sous-représentées et que les personnes incluses étaient en moyenne un peu plus atteintes d’HTA ou de diabète et présentaient un risque CV accru. Ensuite vient le difficile exercice de déterminer si ces différences ont influencé l’effet du traitement par statines. Une statine a-t-elle un effet différent chez les hommes et chez les femmes ou chez les personnes atteintes d’HTA ou de diabète ? Y a-t-il des statines fortes et des statines faibles ? En d’autres termes, nous sommes donc à la recherche d’une modification d’effet. Pour cela, il faut effectuer des analyses de sous-groupes (6). La méta-analyse originale a tenté de savoir si certains facteurs ont influencé l’ampleur de l’effet. Il a été impossible de retenir un facteur ayant une incidence. La seule différence tient au fait que le risque de base dépendra de certains facteurs prédisposants, tels que le taux de cholestérol total, le sexe, la pression artérielle, le tabagisme, le diabète (cf. tableau SCORE). S’il apparaît qu’une modification d’effet est bien présente (ce qui n’est pas le cas ici), les preuves les plus adaptées doivent être utilisées pour déterminer l’ampleur de l’effet appropriée dans le sous-groupe particulier, soit via une étude originale menée dans le sous-groupe spécifique, soit via une analyse de sous-groupe robuste (dans une méta-analyse).

Une question importante à se poser est : à partir de quelle ampleur de l’effet est-ce que j’estime qu’il est cliniquement pertinent d’instaurer un traitement (7,8)? Il ne suffit donc pas qu’un effet soit statistiquement significatif. Au plus le critère de jugement choisi est robuste et le risque sous-jacent élevé (par exemple mortalité, AVC), au plus on attache d’importance à une ampleur de l’effet de petite taille. La combinaison du risque sous-jacent et de l’ampleur de l’effet s’exprime en nombre de sujets à traiter (NST) (9). Cette méta-analyse (1,2) examine l’effet sur la mortalité totale, ce qui est considéré comme un critère de jugement très fort sur le plan clinique. L’administration de statines pendant une période de 2 ans en moyenne (0,5 à 5,3 ans) a donné un risque relatif (RR) de 0,90 (avec IC à 95% de 0,84 à 0,97), une différence absolue de risque de 0,42 (avec IC à 95% de 0,13 à 0,67) et un NST de 239 (avec IC à 95% de 149 à 796). Comme le risque absolu chez votre patiente est de 2% et non de 6%, vous devrez recalculer la différence absolue de risque (DAR) et le NST comme suit :

Si le RR = RA dans le groupe intervention (GI) / RA dans le groupe placebo (GP),

alors, RA dans le GI = RR*RA dans le GP

et si la DAR = RA dans le GI – RA dans le GP,

alors, la DAR = (RR*RA dans le GP) – RA dans le GP

Soit : DAR = (0,9*2%) - 2% = -0,2% ou NST = 100/0,2 = 500

 

La patiente ne verra donc pas son risque CV diminuer pour passer de 2% à 1,8% si une statine lui est prescrite. En d’autres mots, pour prévenir un décès, il faudra traiter pendant 2 ans 500 femmes ayant un profil semblable à celui de notre patiente. Cette méta-analyse ne permet pas de se prononcer sur l’ampleur de l’effet après une plus longue période de traitement et de suivi. Outre les avantages possibles d’un traitement, nous devons aussi rechercher les inconvénients possibles afin de les mettre en balance. Les effets indésirables sont exprimés en nombre nécessaire pour nuire (NNH, pour Number Needed to Harm). Le NST peut alors être « comparé » avec le NNH. Si nous regardons les effets indésirables graves mentionnés dans la méta-analyse, nous ne trouvons cependant pas de différence significative : RR de 1,01 (avec IC à 95% de 0,96 à 1,07), et il est inutile de calculer le NNH.

Bien que l’équilibre reste donc positif, mais que l’effet doive tout de même être qualifié de minime, d’autres considérations sont certainement nécessaires. Quel est le coût ? Qu’en est-il de des modalités de remboursement ? Le médicament s’administre-t-il aisément (observance du traitement par le patient) ? Y a-t-il des effets indésirables susceptibles d’influencer l’observance du traitement ? Quelles sont les interactions possibles avec les traitements existants ? Quel est l’avis de la patiente sur les points suivants : Est-elle prête à prendre quotidiennement des médicaments pour ce problème ? Existe-t-il éventuellement d’autres interventions possibles, comme des adaptations du mode de vie ?

Ce qui paraissait être une question simple débouche donc sur une démarche d’évaluation difficile impliquant de nombreux facteurs. Mettre en pratique suppose traduire et interpréter.

Cet exercice est intrinsèquement sujet aux influences et aux erreurs. Tous les professionnels de la santé ne doivent heureusement pas faire seuls cet exercice pour chaque problème médical rencontré. Les analyses et commentaires publiés dans la revue Minerva et les guides de bonne pratique (comme ceux que l’on trouve sur EBMPracticeNet) ont déjà préalablement réalisé beaucoup de travail d’évaluation. Une conférence de consensus de l’INAMI s’est également exprimée dans un rapport de jury sur le NST avec les médicaments hypocholestérolémiants dans la prévention primaire et secondaire (10).

 

 

Références

  1. De Weirdt S, Lemiengre M. Utilité des statines chez des sujets à risque cardiovasculaire peu élevé. MinervaF 2012;11(4):43-4.
  2. Tonelli M, Lloyd A, Clement F, et al; for the Alberta Kidney Disease Network. Efficacy of statins for primary prevention in people at low cardiovascular risk: a meta-analysis. CMAJ 2011;183:E1189-202.
  3. Scholten RJ, Offringa M, Assendelft WJ. Inleiding in evidence-based medicine : klinisch handelen gebaseerd op bewijsmateriaal. Hoofstuk 7: Bewijs toepassen op individuele patiënten. 2014 Bohn Stafleu Van Loghum.
  4. Chevalier P. Van Driel M. Vermeire E. Evaluation de la qualité méthodologique des méta-analyses. MinervaF 2008;7(1):16.
  5. Chevalier P. Qualité méthodologique et biais dans les RCTs. MinervaF 2010;9(6):76.
  6. Chevalier P. Analyse en sous-groupes (mise à jour). MinervaF 2010;9(10):124.
  7. Chevalier P. Pertinence de résultats pour une pratique clinique précise. MinervaF 2009;8(3):36.
  8. Chevalier P. Critères intermédiaires et critères d’évènements cliniques pertinents : ampleur d’effet différente. MinervaF 2014;13(9):116.
  9. Chevalier P. Nombre de sujets à traiter. MinervaF 2009;8(2):24.
  10. L’usage rationnel des hypolipidémiants. Rapport du jury. INAMI, Réunion de consensus, 22 mai 2014. http://www.inami.fgov.be/SiteCollectionDocuments/consensus_texte_long_20140522.pdf

 

 

 

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Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
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