Revue d'Evidence-Based Medicine



Post endoprothèse pharmacoactive: 2 antiagrégants plaquettaires pendant plus d’un an?



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 5 Page 57 - 58

Professions de santé


Analyse de
Mauri L, Kereiakes DJ, Yeh RW; DAPT Study Investigators. Twelve or 30 months of dual antiplatelet therapy after drug-eluting stents. N Engl J Med 2014;371:2155-66.


Question clinique
Quelle est la durée optimale en termes d’efficacité (prévention de thrombose et/ou évènement clinique) et de sécurité (risque hémorragique) d’une association d’antiagrégants plaquettaires chez des patients chez lesquels une endoprothèse pharmacoactive (drug-eluting stent) est implantée ?


Conclusion
Cette RCT de bonne qualité méthodologique mais incluant une population fort sélectionnée montre la plus-value de la poursuite au-delà d’un an d’une association antiagrégante plaquettaire (thiénopyridine + aspirine) versus aspirine seule chez des patients ayant subi l’implantation d’une endoprothèse coronaire pharmacoactive, bénéfice en termes de thrombose du stent et de prévention d’évènements cardio- et cérébrovasculaires, mais avec un risque hémorragique accru et sans bénéfice montré au point de vue mortalité de toute cause.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le guide de pratique européen de l’ESC recommande l’administration d’une association antiagrégante plaquettaire (aspirine + clopidogrel/prasugrel), en l’absence d’un risque hémorragique accru, durant 6 mois post implantation d’une endoprothèse pharmacoactive nouvelle génération, et durant 1 an post syndrome coronarien aigu quelle que soit la technique de revascularisation. Une précédente méta-analyse de RCTs n’a pas apporté d’argument permettant de remettre ces conclusions en doute, ni une autre RCT publiée en 2014. La RCT analysée ici, n’apporte également pas d’arguments suffisants pour modifier ces recommandations de manière systématique.


Contexte

Le risque de thrombose artérielle (dans les 6 à 12 mois post implantation surtout) est accru après la mise en place d’une endoprothèse pharmacoactive dans une artère coronaire. Pour diminuer ce risque, l’administration d’une association antiagrégante plaquettaire (aspirine + clopidogrel/prasugrel) est recommandée, en l’absence d’un risque hémorragique accru, durant 6 mois post implantation d’une endoprothèse pharmacoactive nouvelle génération, et durant 1 an post syndrome coronarien aigu quelle que soit la technique de revascularisation (1). L’utilité de la poursuite de ce traitement au-delà d’un an restait discutée (efficacité versus sécurité), en fonction des résultats d’études d’observation surtout (2). Le bénéfice d’une association antiagrégante plaquettaire au-delà de 12 mois restait à démontrer dans une RCT adéquate.

 

Résumé

Population étudiée

  • 9 961 patients âgés d’au moins 18 ans après placement d’une endoprothèse pharmacoactive (sirolimus-, zotarolimus-, paclitaxel-, everolimus-eluting) ayant reçu un traitement par 75 mg/j de clopidogrel (environ 65%) ou par 10 mg/j de prasugrel et 75 mg à 162 mg/j d’aspirine en ouvert durant 12 mois ; âge moyen de 62 ans, 25 à 26% de femmes, BMI moyen de 30,5 kg/m², 30% de diabétiques, 75% d’hypertendus, 25% de fumeurs (actuels ou dans l’année précédente), 50,9% avec au moins 1 facteur de risque de thrombose du stent ; près de 90% aux USA
  • indication d’endoprothèse : infarctus STEMI 10%, infarctus NSTEMI 16%, angor instable 17%, angor stable 38%
  • randomisation après 12 mois de traitement thiénopyridine (clopidogrel ou prasugrel) + aspirine en ouvert des patients sans évènement cardio- ou cérébrovasculaire majeur, nouvelle revascularisation, saignement modéré ou sévère, et adhérant à la thiénopyridine.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée versus placebo, multicentrique, en double aveugle
  • traitement : aspirine plus soit thiénopyridine poursuivie (n = 5 020), soit placebo (n = 4 941) pour 18 mois supplémentaires
  • après ces 18 mois de randomisation, poursuite de l’aspirine seule et suivi durant 3 mois encore.
 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : incidence cumulée de thrombose documentée ou probable du stent et ou évènement indésirable cardio- ou cérébrovasculaire majeur (composite : décès, infarctus du myocarde, AVC)
  • critères secondaires : différents éléments du critère primaire composite
  • critère primaire de sécurité (en analyse de non-infériorité) : saignement modéré ou sévère
  • analyse en ITT pour le critère primaire d’efficacité, avec estimation de Kaplan Meier.

Résultats

  • critères primaires :
    • incidence de thrombose du stent : 0,4% sous thiénopyridines versus 1,4% sous placebo ; HR de 0,29 (avec IC à 95% de 0,17 à 0,48) ; p < 0,001
    • évènement cardio-ou cérébrovasculaire majeur : 4,3% sous thiénopyridines versus 5,9% sous placebo ; HR de 0,71 (avec IC à 95% de 0,59 à 0,85) ; p < 0,001
    • résultats similaires en imputation multiple et après les 3 mois de surveillance complémentaires
  • critères secondaires (thiénopyridines versus placebo) :
    • infarctus du myocarde : 2,1% versus 4,1% ; HR de 0,47 (avec IC à 95% de 0,37 à 0,61) ; p < 0,001
    • décès cardiaques : 0,9% versus 1,0% ; p = 0,98
    • décès de toute cause : 2% versus 1,5% ; HR de 1,36 (avec IC à 95% de 1,00 à 1,85) ; p = 0,05 ; différence devenant significative à 33 mois (2,3% versus 1,8% ; HR à 1,36 ; p = 0,04) en raison des décès non cardiovasculaires (liés souvent à des hémorragies)
  • saignements modérés ou sévères : 2,5% versus 1,6% ; HR à 1,61 avec IC à 95% de 1,21 à 2,16 ; p = 0,001, donc non-infériorité non atteinte avec résultats similaires après imputation multiple et après 3 mois d’observation supplémentaires.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une association antiagrégante plaquettaire poursuivie plus d’un an après la mise en place d’une endoprothèse pharmacoactive, versus aspirine seule, réduit significativement le risque de thrombose du stent et les évènements indésirables cardio- et cérébrovasculaires majeurs mais est associée à un risque accru de saignements.

Financement de l’étude 

Huit firmes productrices de stent et de médicaments ; don du Department of Health and Human Services (USA).

Conflits d’intérêts 

Les firmes susnommées ont contribué au dessin de l’étude et à la récolte des données ; le Harvard Clinical Research Institute a réalisé l’étude et effectué les analyses (3 premiers et dernier auteur) : seuls 4 auteurs sur 22 déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts à propos de cette publication et d’autres collaborations avec des firmes de médicaments/dispositifs.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT est basée sur une méthodologie rigoureuse. Une stratification est réalisée à la randomisation à 12 mois selon le type de stent, le site hospitalier, le type de thiénopyridine, le risque de thrombose du stent. Le calcul du nombre de patients à inclure (9 800) se base sur une puissance de 85% (analyse en ITT). Pour la non-infériorité pour le critère de sécurité, la borne était fixée à 0,8%. Pour estimer les données manquantes, les données sont comparées avec celles de l’ensemble des patients randomisés, avec imputations multiples et modèle de régression logistique. Des analyse de sous-groupes (14 facteurs pré spécifiés) ont été réalisées.

Soulignons que cette étude est issue d’une collaboration entre le privé (industrie) et le public (FDA, Harvard Clinical Research Institute (HCRI) qui a analysé indépendamment les résultats).

Interprétation des résultats

Une association antiagrégante plaquettaire prolongée au-delà d’un an se montre bénéfique dans cette étude, principalement en raison de la réduction du nombre d’infarctus du myocarde, mais avec un risque accru d’hémorragies.

Il faut souligner que la population incluse dans cette étude-ci est une population sélectionnée : 22 866 patients ont reçu initialement une endoprothèse pharmacoactive, mais seuls 43,6% des sujets ont été randomisés à 12 mois. Les raisons de non éligibilité de 5 261 patients furent, entre autres : évènements cliniques (2 638 sujets dont 616 avec une hémorragie sévère ou modérée), non adhérence au traitement (1 144). Parmi les patients éligibles (7 644), 5 808 (76%) n’ont pas donné leur consentement. Il s’agit donc, en quelque sorte, d’une population enrichie pour un traitement par association antiagrégante, probablement aussi moins à risque d’effets indésirables après 1 an de traitement.

L’interprétation d’une différence au point de vue mortalité de toute cause observée à 33 mois (en défaveur de l’association) doit rester fort prudente. Une inégalité de répartition des patients souffrant initialement de cancer est observée ; l’exclusion de ces patients dans une analyse de sensibilité effectuée post hoc annule la différence observée au niveau de la mortalité.

Mise en perspective des résultats

Une méta-analyse de RCTs publiée en 2014 (3) a évalué la différence entre des traitements associant des antiagrégants plaquettaires post implantation d’endoprothèses pharmacoactives sur un court terme (3 à 6 mois, 4 081 patients) et sur un long terme (12 à 24 mois, 4 076 sujets). Elle n’a pas montré de différence pour le critère composite décès cardiaque ou infarctus du myocarde entre un traitement court (3,3%) et un traitement long (3,0%) : OR de 1,11 avec IC à 95% de 0,87 à 1,43 ; p = 0,41. Par contre le risque de saignement majeur était significativement accru en cas de traitement prolongé : 0,29% pour un traitement court versus 0,71% avec p = 0,01, soit un OR de 0,41 avec IC à 95% de 0,21 à 0,81.

Les résultats de la RCT ARTIC-Interruption (4) ont également été publiés en 2014. Cette RCT réalisée en France avait montré, sur une première période d’un an, l’absence d’un bénéfice de l’ajustement d’un traitement antiagrégant plaquettaire en fonction de la réponse inhibitrice (groupe avec monitoring) versus groupe traitement conventionnel sans évaluation de la fonction plaquettaire. A noter plusieurs critères d’exclusion initiaux dans cette étude, dont une intervention coronaire percutanée pour infarctus STEMI. Parmi les 2 440 patients issus de cette première RCT, 1 286 ont été enrôlés immédiatement dans une deuxième RCT avec poursuite du traitement (thiénopyridine + aspirine) ou poursuite de l’aspirine seule (avec arrêt de la thiénopyridine) durant 6 à 18 mois. Sur un suivi médian de 17 mois, pour le critère primaire composite (décès, infarctus du myocarde, thrombose du stent, AVC, revascularisation urgente), aucune différence n’est observée entre les 2 groupes : 4% sous association versus 4% sous aspirine seule soit un HR de 1,17 avec IC à 95% de 0,68 à 2,03 et p = 0,58. L’ensemble des saignements est par contre plus important sous association : 2% versus 1% soit un HR de 0,26 avec IC à 95% de 0,07 à 0,91 et p = 0,04. Les saignements majeurs étant numériquement plus fréquents : 1% versus <0,5% ; HR de 0,15 avec IC à 95% de 0,02 à 1,20 et p = 0,073. L’imprécision de ces résultats (très large intervalle de confiance) est sans doute liée au manque de puissance de cette étude pour ces critères. Les auteurs soulignent aussi que les patients à haut risque ont été exclus de cette étude.

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT de bonne qualité méthodologique mais incluant une population fort sélectionnée montre la plus-value de la poursuite au-delà d’un an d’une association antiagrégante plaquettaire (thiénopyridine + aspirine) versus aspirine seule chez des patients ayant subi l’implantation d’une endoprothèse coronaire pharmacoactive, bénéfice en termes de thrombose du stent et de prévention d’évènements cardio- et cérébrovasculaires, mais avec un risque hémorragique accru et sans bénéfice montré au point de vue mortalité de toute cause.

 

Pour la pratique

Le guide de pratique européen de l’ESC (1) recommande l’administration d’une association antiagrégante plaquettaire (aspirine + clopidogrel/prasugrel), en l’absence d’un risque hémorragique accru, durant 6 mois post implantation d’une endoprothèse pharmacoactive nouvelle génération, et durant 1 an post syndrome coronarien aigu quelle que soit la technique de revascularisation. Une précédente méta-analyse de RCTs (3) n’a pas apporté d’argument permettant de remettre ces conclusions en doute, ni une autre RCT publiée en 2014 (4). La RCT analysée ici, n’apporte également pas d’arguments suffisants pour modifier ces recommandations de manière systématique.

 

Références 

  1. Windecker S, Kolh P, Alfonso F, Collet JP, et al. 2014 ESC/EACTS Guidelines on myocardial revascularization: The Task Force on Myocardial Revascularization of the European Society of Cardiology (ESC) and the European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS) Developed with the special contribution of the European Association of Percutaneous Cardiovascular Interventions (EAPCI). Eur Heart J 2014;35:2541-619.
  2. Eisenstein EL, Anstrom KJ, Kong DF, et al. Clopidogrel use and long-term clinical outcomes after drug-eluting stent implantation. JAMA 2007;297:159-68.
  3. El-Hayek G, Messerli F, Bangalore S, et al. Meta-analysis of randomized clinical trials comparing short-term versus long-term dual antiplatelet therapy following drug-eluting stents. Am J Card2014;114:236-42.
  4. Collet JP, Silvain J, Barthélémy O, et al. Dual-antiplatelet treatment beyond 1 year after drug-eluting stent implantation (ARCTIC-Interruption): a randomised trial. Lancet 2014;384:1577-85.

 

Noms de marque

Clopidogrel : Plavix® et génériques

Prasugrel : Efient®

Abréviations

NSTEMI : infarctus du myocarde sans élévation du segment ST

STEMI : infarctus du myocarde avec élévation du segment ST

 

 

 




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