Revue d'Evidence-Based Medicine



Cholécystectomie versus attitude conservatrice : évaluation clinique et économique



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 5 Page 59 - 60

Professions de santé


Analyse de
Brazzelli M, Cruickshank M, Kilonzo M, et al. Clinical effectiveness and cost-effectiveness of cholecystectomy compared with observation/conservative management for preventing recurrent symptoms and complications in adults presenting with uncomplicated symptomatic gallstones or cholecystitis: a systematic review and economic evaluation. Health Technol Assess 2014;18:1-101.


Question clinique
Tous les patients symptomatiques de pathologie biliaire lithiasique doivent-ils subir une cholécystectomie en termes de bénéfice clinique et de rapport coût-efficacité ?


Conclusion
Cette méta-analyse bien conduite mais malheureusement incluant un nombre limité d’études et de patients conclut que le traitement conservateur de la lithiase biliaire symptomatique sous forme de colique biliaire ou de cholécystite non compliquée pourrait être une option thérapeutique acceptable et économiquement favorable. La chirurgie est plus efficace mais plus coûteuse. Il faut néanmoins souligner que des patients porteurs d’une lithiase biliaire peuvent développer des complications majeures menaçant la vie, telles que obstruction du cholédoque, pancréatite aiguë ou nécrotico-hémorragique et angiocholite.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Des consensus professionnels (Société étatsunienne des chirurgiens gastro-intestinaux et endoscopistes), recommandent depuis 2010 une cholécystectomie laparoscopique précoce en cas de cholécystite aiguë, soit en insistant sur l’absence de risque augmenté de complications, une diminution des coûts et des durées d’hospitalisation déjà sur base de preuves (Niveau I, GRADE A), soit sans référence ni niveau de preuve précis, avec recommandation d’une intervention dans les 72 premières heures (HAS France 2013). Une étude de bonne qualité méthodologique publiée en 2013 et analysée dans Minerva, renforçait ces recommandations et précisait que si le statut du patient le permet, chaque cholécystite lithiasique aiguë devrait bénéficier d’une chirurgie rapide laparoscopique (idéalement endéans les 24 h). Cette méta-analyse pourrait remettre en questions ces recommandations mais d’autres études prospectives sont nécessaires afin d’optimaliser la sélection des patients ayant ou non besoin d’une chirurgie en cas de lithiase biliaire symptomatique sous forme de colique biliaire ou de cholécystite aiguë non compliquée.


Contexte

La pathologie biliaire lithiasique est une des pathologies abdominales les plus fréquentes spécialement chez les femmes et sa prise en charge chirurgicale est économiquement importante (1). La question de l’efficacité du traitement conservateur versus intervention chirurgicale est pertinente selon que le patient est porteur de lithiase biliaire non compliquée, ou compliquée de cholécystite aiguë. Cette question est d’autant plus importante que depuis l’introduction de la cholécystectomie laparoscopique, les indications de la chirurgie pour ces pathologies se sont élargies. Cette méta-analyse tente d’y répondre.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse et évaluation économique 

Sources consultées

  • bases de données MEDLINE, EMBASE, Science Citation Index (SCI), Bioscience Information Service (BIOSIS) et Cochrane Central Register of Controlled Trials (1980 au 9/9/2012)
  • bases de données d’abstracts de congrès de gastro-entérologie, de divers Clinical Trials Registry (WHO, Current CT, National Institute of Health Research Portfolio).

Etudes sélectionnées

  • études randomisées contrôlées (RCTs) ou non randomisées comparant la cholécystectomie (ouverte ou laparoscopique) vs traitement conservateur ou simple observation, chez des adultes présentant un 1er épisode de douleur biliaire ou une cholécystite, et pressentis pour une prise en charge chirurgicale en 2ème ligne de soins
  • sélection finale de 2 RCTs (2,3) dont les résultats ont été rapportés dans 6 publications (par l’équipe norvégienne de Schmidt) sur les 6 779 citations potentielles identifiées
  • exclusion des synthèses, éditoriaux, opinions d’experts, rapports de cas ainsi que des rapports publiés dans une autre langue que l’anglais et pour lesquels une traduction n’a pas pu être obtenue.

Population étudiée

  • 201 patients adultes (âgés >18 ans, 50 et 58 ans en médiane, ET de 20 à 79 ans) dont 75% de femmes, ayant une maladie lithiasique, confirmée par échographie
  • répartition en 2 groupes :
    • 99 patients pour le groupe traitement chirurgical (C) (cholécystectomie) et antibiotiques si nécessaire
    • 102 pour le groupe avec attitude conservatrice ou observé (O) (traitement par analgésiques, anti-inflammatoires si nécessaire)
  • le premier épisode de lithiase symptomatique a été défini selon que le patient avait été référé pour chirurgie ou pour prise en charge de symptômes cliniques ou douloureux préalables
  • exclusion des patients présentant une cholécystite aiguë sévère, une cholangite, une pancréatite, une maladie associée à la lithiase biliaire ainsi qu’une situation médicale contre-indiquant un geste opératoire ou une grossesse
  • durée moyenne du suivi : 14 ans (13-16).

Mesure des résultats

  • efficacité clinique pendant le follow-up de 14 ans: critères de jugement primaires :
    • nombre de patients subissant une cholécystectomie
    • nombre de crises douloureuses, douleur évaluée sur une échelle visuelle analogique
    • mortalité
    • nombreux critères liés à la chirurgie et ses multiples complications (plaie biliaire, pancréatite aiguë, infections, fistule…..)
  • évaluation coûts-efficacité : Markov model (coût et QALYs)
  • évaluation hétérogénéité : funnel plots, test I2 et analyse des résultats par modèle d’effets aléatoires ou fixes selon les résultats
  • méthode de Mantel-Haenszel pour l’estimation des RR groupés.

Résultats

  • nombre de patients subissant une cholécystectomie (sur une durée de 14 ans) : 46 (45%) du groupe O versus 87 (88%) du groupe C (RR de 0,5 avec IC à 95% de 0,34 à 0,73 et p = 0,0004)
  • nombre de crises douloureuses et mortalité : pas de différence significative
  • différence statistiquement significative du groupe O versus C : complications liées à la lithiase 14% vs 2% ; complications lithiasiques menant à une cholécystite aiguë 9% vs 0% ; complications induites par la chirurgie 7% vs 19% ; complications mineures liées à la chirurgie 1% vs 13%.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que pour la plupart des patients se présentant avec une douleur de colique biliaire le traitement de choix est la cholécystectomie. Cependant, près de la moitié des patients pour lesquels une attitude conservatrice et une observation attentive sont envisagées ne devront pas subir d’intervention chirurgicale et ne présenteront pas de complications. Vu la pénurie de données disponibles, les auteurs préconisent une grande étude multicentrique de bonne qualité méthodologique.

Financement de l’étude

National Institute for Health Research Health Technology Assessment.

Conflits d’intérêts

Aucun déclaré.

 

Discussion

 

Considérations méthodologiques

Cette méta-analyse est de bonne qualité méthodologique, mais elle n’est basée que sur 2 études de petite taille aux populations différentes et inclut de ce fait peu de patients pour une pathologie fréquente. Les critères d’inclusion et d’exclusion ont été bien décrits. Deux auteurs ont évalué de façon indépendante les articles sélectionnés, ont extrait les données et ont évalué différents risques de biais, cotés ‘faibles’ au terme de leurs analyses. Les résultats sont présentés clairement. Les auteurs ont calculé une hétérogénéité statistique modérée, tant pour le recours à la chirurgie que pour les crises douloureuses. Des techniques statistiques adéquates ont été utilisées lors de l’analyse des résultats sommés. Aucun conflit d’intérêts n’est mentionné.

Evaluation coût-efficacité de la stratégie d’observation ou de la chirurgie

Actuellement, il n’existe pas d’évaluation économique comparant des patients observés et opérés. On trouve dans la littérature des comparaisons entre cholécystectomie précoce et retardée, déjà commentées par Minerva (4-6), et d’autres entre cholécystectomie ouverte et laparoscopique.

Pour cette méta-analyse, un modèle de Markov de novo a dû être développé pour évaluer les 2 interventions en termes de coût-efficacité et d’efficience clinique (mesurée en QALYs, quality-adjusted life-years).

Les patients à qui l’on a proposé une observation attentive ont eu un risque significativement plus élevé de développer des complications liées à la lithiase et en particulier la cholécystite aiguë ; la pancréatite aiguë et les calculs de la voie biliaire principale restant rares, mais graves. 45% des patients observés ont dû être orientés vers la chirurgie, en revanche seulement entre 12 et 10% des patients prévus pour la chirurgie l’ont évitée.

A peu près la moitié des patients présentant une lithiase biliaire symptomatique non compliquée n’a pas eu besoin d’une intervention chirurgicale. La chirurgie est un traitement plus coûteux et plus efficace puisque évitant surtout les complications fréquentes telles que la cholécystite aiguë, mais est également plus à risque de complications chirurgicales. L’attitude conservatrice pourrait être justifiée puisque moins coûteuse mais ceci au prix d’une moindre efficacité. En ce qui concerne l’aspect économique, de bonnes conclusions ne pourront être tirées que quand des analyses très détaillées seront faites incluant l’ensemble des frais relatifs à cette pathologie, tels que toutes les visites médicales et paramédicales ainsi que la consommation de médicaments.

Mise en perspective des résultats

Cette méta-analyse, bien que ne se référant qu’à 201 patients, est intéressante parce qu’elle met en balance le ‘dogme’ que toute lithiase biliaire symptomatique devrait bénéficier d’une approche chirurgicale. Le résultat principal de cette analyse est qu’un traitement conservateur pourrait être proposé, voir justifié, chez la moitié des patients porteurs d’une lithiase biliaire symptomatique. Le message à retenir est que le dicton qui dit que « chaque patient présentant des complications liées à la lithiase biliaire principale devrait bénéficier d’une intervention chirurgicale » n’est peut-être plus tout à fait correct. Cependant, l’option chirurgicale de cholécystectomie, bien que plus coûteuse, est plus efficace et évite des complications de type cholécystite aiguë. Dans le contexte du traitement conservateur, voire observation de la pathologie lithiasique biliaire, on ne doit pas oublier les risques de développement de complications sévères telles que la pancréatite aiguë (nécrotico-hémorragique) et l’empierrement de la voie biliaire principale. Cette méta-analyse ne permet pas de définir clairement et correctement les populations à risque ni celles pouvant bénéficier d’une discussion quant aux différentes options thérapeutiques sans que les patients ne soient mis en danger.

En tenant compte des répercussions économiques médicales d’un traitement conservateur de la moitié des patients porteurs de la pathologie la plus fréquente en gastro-entérologie, il est impératif de mettre en route des études prospectives bien menées afin de répondre une fois pour toute à la question posée.

 

Conclusion de Minerva

Cette méta-analyse bien conduite mais malheureusement incluant un nombre limité d’études et de patients conclut que le traitement conservateur de la lithiase biliaire symptomatique sous forme de colique biliaire ou de cholécystite non compliquée pourrait être une option thérapeutique acceptable et économiquement favorable. La chirurgie est plus efficace mais plus coûteuse. Il faut néanmoins souligner que des patients porteurs d’une lithiase biliaire peuvent développer des complications majeures menaçant la vie, telles que obstruction du cholédoque, pancréatite aiguë ou nécrotico-hémorragique et angiocholite.

 

Pour la pratique

Des consensus professionnels (Société étatsunienne des chirurgiens gastro-intestinaux et endoscopistes), recommandent depuis 2010 une cholécystectomie laparoscopique précoce en cas de cholécystite aiguë, soit en insistant sur l’absence de risque augmenté de complications, une diminution des coûts et des durées d’hospitalisation déjà sur base de preuves (Niveau I, GRADE A) (7), soit sans référence ni niveau de preuve précis, avec recommandation d’une intervention dans les 72 premières heures (HAS France 2013) (8). Une étude de bonne qualité méthodologique publiée en 2013 et analysée dans Minerva (5,6), renforçait ces recommandations et précisait que si le statut du patient le permet, chaque cholécystite lithiasique aiguë devrait bénéficier d’une chirurgie rapide laparoscopique (idéalement endéans les 24 h). Cette méta-analyse pourrait remettre en questions ces recommandations mais d’autres études prospectives sont nécessaires afin d’optimaliser la sélection des patients ayant ou non besoin d’une chirurgie en cas de lithiase biliaire symptomatique sous forme de colique biliaire ou de cholécystite aiguë non compliquée.

 

Références 

  1. Kim WR, Brown J, Terrault NA, El-Serag H. Burden of liver disease in the United States: summary of a workshop. Hepatology 2002;36:227-42.
  2. Schmidt M, Søndenaa K, Vetrhus M, et al. A randomized controlled study of uncomplicated gallstone disease with a 14-year follow up showed that operation was the preferred treatment. Dig Surg 2011;28:270-6.
  3. Schmidt M, Søndenaa K, Vetrhus M, et al. Long-term follow-up of a randomized controlled trial of observation versus surgery for acute cholecystitis: non-operative management is an option in some patients. Scand J Gastroenterol 2011;46:1251–6.
  4. Wilson E, Gurusamy K, Gluud C, Davidson BR. Cost-utility and value-of-information analysis of early versus delayed laparoscopic cholecystectomy for acute cholecystitis. Br J Surg 2010;97:210-9.
  5. Lerut J. Cholécystite aiguë : cholécystectomie laparoscopique précoce ou retardée ? MinervaF 2014;13(9):110-1.
  6. Gutt CN, Encke J, Köninger J, et al. Acute cholecystitis: early versus delayed cholecystectomy, a multicenter randomized trial (ACDC study, NCT00447304). Ann Surg 2013;258:385-93.
  7. SAGES. Guidelines for the clinical application of laparoscopic biliary tract surgery. Society of American Gastrointestinal and Endoscopic Surgeons, January 2010. Available at: http://www.sages.org/publications/guidelines/guidelines-for-the-clinical-application-of-laparoscopic-biliary-tract-surgery/
  8. HAS. Quand faut-il faire...une cholécystectomie ? Haute Autorité de Santé, janvier 2013. http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2013-03/points-cle_solution_-_qd_faire_cholecystectomie.pdf

 

 

 


Auteurs

Lerut J.
Cliniques Universitaires St Luc, Bruxelles
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