Revue d'Evidence-Based Medicine



Valeur des symptômes et des signes cliniques pour le diagnostic de pneumonie chez le jeune enfant



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 6 Page 66 - 67

Professions de santé


Analyse de
Rambaud-Althaus C, Althaus F, Genton B, D’Acremont V. Clinical features for diagnosis of pneumonia in children younger than 5 years: a systematic review and meta-analysis. Lancet Infect Dis 2015;15:439-50.


Question clinique
Quelle est la valeur des symptômes et des signes cliniques versus radiographie du thorax pour le diagnostic de pneumonie chez l’enfant âgé de moins de 6 ans ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse montre qu’aucun signe clinique ou symptôme ne permet, à lui seul, d’établir ou d’exclure le diagnostic de pneumonie chez l’enfant de moins de 6 ans. Il est impossible de se prononcer sur la valeur diagnostique combinée de plusieurs caractéristiques cliniques, ni sur la place des tests rapides.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Les recommandations d’EBMPracticeNet pour le traitement de la pneumonie chez l’enfant indiquent qu’un traitement antibiotique peut être instauré en ambulatoire chez les enfants de plus de 6 mois lorsque l’auscultation des poumons révèle des crépitements dus à la pneumonie et si l’enfant est en bon état général. Néanmoins, il vaut toujours mieux faire une radiographie du thorax. En même temps, faire la distinction entre des râles sibilants (qui s’accompagnent de difficultés à l’expiration) et des crépitements fins dus à une pneumonie n’est pas toujours facile. La diminution unilatérale des bruits respiratoires est cependant toujours un signe important. L’enfant doit être hospitalisé en cas d’altération de l’état général ou s’il n’y a pas d’amélioration après 2 jours, en cas de dyspnée, d’infiltrats diffus ou d’atélectasie au niveau des poumons, ou de pleuropneumonie (épanchement pleural). Il ressort de l’étude commentée que les crépitements et la diminution des bruits respiratoires à l’auscultation des poumons ont un mauvais score comme indicateur d’une pneumonie ou pour exclure cette dernière. D’un autre côté, le guide de bonne pratique ne mentionne pas l’accélération de la fréquence respiratoire, le tirage intercostal et le battement des ailes du nez. Il ne fait pas non plus référence à l’inquiétude des parents et à l’intuition du médecin pour détecter ou exclure les infections graves.


Contexte

Il est important de pouvoir rapidement confirmer ou exclure une pneumonie chez le jeune enfant avant de décider sa prise en charge. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise de poser le diagnostic de pneumonie en présence d’une toux, d’une respiration rapide et d’un tirage intercostal (1). Cette recommandation vaut surtout pour les pays en voie de développement, où l’on ne dispose pas toujours d’un appareil de radiographie, mais, elle est bien sûr aussi valable pour les soins de santé dans notre pays, les radiographies étant à éviter autant que possible chez les jeunes enfants.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse

 

Sources consultées

  • bases de données Cochrane des synthèses méthodiques, MEDLINE, EMBASE
  • listes de références des articles trouvés
  • consultées le 30 septembre 2013 et le 6 novembre 2014
  • pas de restriction quant à la date et la langue de publication.

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : enfants entre 2 mois et 6 ans ; études comparant la précision des symptômes et des signes cliniques (tests index) versus radiographie du thorax (test de référence) pour poser le diagnostic de pneumonie ; en consultation externe ou lors d’une hospitalisation ; pays industrialisés ou en voie de développement
  • critères d’exclusion : risque accru de pneumonie en raison d’une atteinte immunitaire (VIH, neutropénie, sous-alimentation) ; comorbidité (mucoviscidose, ventilation mécanique, brûlures) ; patients présentant uniquement une respiration sifflante ; études aux soins intensifs ; moins de 20 patients
  • sélection finale de 18 articles (19 études) parmi les 1 839 articles trouvés ; 110 à 3 941 enfants par étude ; 16 études en pays en voie de développement ; 7 en polycliniques, 7 dans des services d’urgence, 7 en hôpital et 1 comme programme de surveillance rurale en Gambie.

Population étudiée

  • 14 297 enfants < 6 ans présentant une infection respiratoire aiguë qui, en raison d’une toux (N = 5), d’une suspicion clinique de pneumonie (N = 6), ou suspicion de pneumonie sur la base de critères spécifiques (N = 7), ont été inclus dans une étude diagnostique.

 

Mesure des résultats

Résultats

  • la prévalence de la pneumonie confirmée à la radiographie variait de 7% à 69% (médiane de 30% avec écart interquartile de 15 à 63%)
  • au total, l’évaluation de la précision diagnostique a concerné 78 tests (dont 32 symptômes et 20 signes cliniques) (avec différents seuils pour l’âge, la durée de la maladie, la durée de la toux, la fréquence cardiaque, la fréquence respiratoire et la température ; avec 7 définitions différentes pour le tirage intercostal)
  • spécificité de > 80% pour 3 signes d’alarme : cyanose (N = 2 ; respectivement 0,98 (avec IC à 95% de 0,93 à 1,00) et 0,94 (avec IC à 95% de 0,89 à 0,96)), stridor (N = 2 ; respectivement 0,92 (avec IC à 95% de 0,86 à 0,96) et 1,00 (avec IC à 95% de 0,94 à 1,00)), grunting (alias gémissement respiratoire) (N = 5 ; 0,87 (avec IC à 95% de 0,65 à 0,96))
  • spécificité de 97% pour les bruits respiratoires bronchiques (N = 2 ; respectivement 0,97 (avec IC à 95% de 0,93 à 0,99) et 0,97 (avec IC à 95% de 0,95 à 0,98)) ; les autres résultats de l’auscultation, tels que les crépitements, avaient une spécificité plus faible
  • sensibilité élevée pour 2 symptômes : la fièvre (N = 6 ; 0,94 (avec IC à 95% de 0,88 à 0,97)) et la toux (N = 5 ; 0,96 (avec IC à 95% de 0,91 à 0,98))
  • le rapport de vraisemblance positif (LR+) était le plus élevé pour une fréquence respiratoire > 50/min, un grunting et un battement des ailes du nez ; le rapport de vraisemblance négatif (LR-) était le plus faible pour une toux, une fréquence respiratoire > 40/min et de la fièvre ; des crépitements et des bruits respiratoires diminués à l’auscultation des poumons n’obtenaient pas de LR+ ou de LR- significatif (voir tableau).

 

 

Tableau. Performance diagnostique des symptômes et des signes dans la pneumonie chez le jeune enfant (estimations sommées).

 

 

N =

n =

Sensibilité (IC à 95%)

Spécificité (IC à 95%)

LR+

LR-

Antécédents de fièvre

6

8 260

0,94 (0,88-0,97)

0,12 (0,06-0,23)

1,06 (1,00-1,12)

0,53 (0,41-0,69)

Toux

5

6 421

0,96 (0,91-0,98)

0,14 (0,03-0,46)

1,12 (0,90-1,39)

0,30 (0,09-0,96)

Battement des ailes du nez

8

2 813

0,47 (0,28-0,66)

0,73 (0,52-0,87)

1,75 (1,20-2,56)

0,73 (0,59-0,89)

Grunting

5

1 251

0.24 (0,10-0,47)

0,87 (0,65-0,96)

1,78 (1,10-2,88)

0,88 (0,78-0,99)

Fréquence respiratoire > 40/min

4

1 058

0,78 (0,54-0,91)

0,51 (0,38-0,63)

1,58 (1,37-1,84)

0,43 (0,23-0,83)

Fréquence respiratoire > 50/min

7

1 834

0,53 (0,30-0,74)

0,72 (0,58-0,83)

1,90 (1,45-2,48)

0,65 (0,45-0,95)

Crépitements

7

2 510

0,53 (0,37-0,69)

0,58 (0,48-0,67)

1,26 (0,99-1,60)

0,81 (0,61-1,08)

Bruits respiratoires diminués

5

1 364

0,22 (0,12-0,38)

0,76 (0,29-0,96)

0,93 (0,15-5,67)

1,02 (0,58-1,80)

Tirage intercostal

4

1 870

0,48 (0,16-0,82)

0,72 (0,89)

1,76 (0,86-3,58)

0,71 (0,38-1,35)

 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’aucun signe clinique seul n’est suffisamment précis pour permettre de poser le diagnostic de pneumonie. La combinaison de plusieurs signes de la maladie dans un arbre décisionnel pourrait augmenter la performance diagnostique. L’ajout de nouveaux tests rapides pour le diagnostic d’une pneumonie bactérienne pourrait contribuer à atteindre un niveau de précision acceptable.

 

Financement de l'étude

Swiss National Science Foundation.

 

Conflits dintérêt des auteurs

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Deux chercheurs ont effectué indépendamment l’un de l’autre la recherche et la sélection dans la littérature scientifique des études utiles. L’extraction des données réalisée par un chercheur a été contrôlée par un deuxième chercheur. L’évaluation de la qualité des études incluses a été effectuée à l’aide du QUADAS-2 (Quality Assessment of Diagnostic Accuracy Studies) (2). La méta-analyse a tenu compte de l’hétérogénéité inhérente entre les études. Les courbes HSROC montrent de manière visuelle la discrimination des tests ou signes cliniques. Les critères d’inclusion pour la méta-analyse étaient larges de sorte que les études incluses ont été menées dans divers environnements et utilisaient diverses règles d’interprétation des radiographies du thorax. Presque toutes les études ont été menées au niveau de la deuxième ligne de soins et utilisaient différents critères d’inclusion, ce qui explique la grande diversité du risque a priori. Lors d’une présélection au niveau de la première ligne, certains signes et symptômes, comme la fièvre et la toux, étaient déjà utilisés, ce qui avait bien sûr un impact sur la valeur diagnostique de ces éléments. Le plus souvent, la spécificité diminue et la sensibilité augmente, ce qui fait que le rapport de vraisemblance négatif pour la toux est, par exemple, surestimé. L’extrapolation est donc difficile vers la première ligne de soins où la prévalence est faible.

 

Interprétation des résultats

Un nombre très important de symptômes et de signes cliniques sont retrouvés dans la littérature pour le diagnostic de pneumonie, souvent avec différents seuils et différentes définitions. Cela indique que probablement aucun signe clinique ou symptôme n’est en soi un bon indicateur de pneumonie chez le jeune enfant ou ne permet de l’exclure. Une fréquence respiratoire ≥ 50/min est le meilleur indicateur, avec un LR+ sommé de 1,9 tandis que la toux, avec un LR- sommé de 0,3 indique une moindre probabilité de présence d’une pneumonie chez le jeune enfant en cas d’absence de toux. La valeur diagnostique des crépitements et la diminution des bruits respiratoires à l’auscultation des poumons ont un mauvais score pour respectivement établir et exclure une pneumonie.

Comme les auteurs le reconnaissent eux-mêmes, il serait intéressant de calculer la valeur diagnostique combinée de plusieurs éléments (idéalement à partir des données individuelles provenant des différentes études). Cela correspondrait ainsi plus à la pratique clinique.

La grande hétérogénéité en termes de sensibilité et de spécificité pour la toux, l’accélération de la fréquence respiratoire et le tirage intercostal (les critères de l’OMS) indique combien il est difficile de reproduire la valeur diagnostique d’un test dans une autre étude. Les auteurs reconnaissent que cela peut s’expliquer par le fait que le test de référence est moins précis dans les études plus anciennes. Mais cela peut aussi être dû à une autre présélection, aux prévalences et au choix de définitions différentes ou trop larges pour les tests. De plus, certains éléments qui ne peuvent être mesurés exactement, comme les divers bruits auscultatoires, peuvent conduire à une grande diversité d’interprétation. Le risque a priori joue aussi un rôle : les bruits respiratoires entendus chez l’enfant n’ont pas la même signification chez un enfant très malade, présentant une fièvre élevée et de la somnolence que chez un enfant qui joue et dont le niveau de vigilance est normal. Même la fréquence respiratoire et la température corporelle peuvent fortement varier. De ce fait, des éléments comme l’impression générale des prestataires de soins ou des parents pourraient parfois obtenir un meilleur score sur le plan diagnostique que les signes cliniques (3,4). Une règle simple de prédiction de pneumonie (la combinaison de dyspnée avec l’impression clinique du médecin que l’enfant est très malade) a été testée dans différents ensembles de données pour déterminer la valeur diagnostique en cas d’infection grave. Le LR- variait de 0,13 à 0,8 et le LR+ de 1,58 à 8,18. L’inquiétude des parents n’a pas pu être vérifiée (5).

Les auteurs de l’étude analysée ici, prônent clairement le développement et l’utilisation de tests rapides pour montrer les paramètres de l’hôte et/ou les pathogènes. Le test CRP, le mieux étudié, est déjà disponible comme test rapide, mais sa plus-value pour le diagnostic est cependant limitée (6). Les partisans et leurs opposants sont donc montés au créneau. Dans tous les cas, il conviendra de préciser leur place dans le raisonnement ‘test-diagnostic-traitement’ (7,8).

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse montre qu’aucun signe clinique ou symptôme ne permet, à lui seul, d’établir ou d’exclure le diagnostic de pneumonie chez l’enfant de moins de 6 ans. Il est impossible de se prononcer sur la valeur diagnostique combinée de plusieurs caractéristiques cliniques, ni sur la place des tests rapides.

 

Pour la pratique

Les recommandations d’EBMPracticeNet (9) pour le traitement de la pneumonie chez l’enfant indiquent qu’un traitement antibiotique peut être instauré en ambulatoire chez les enfants de plus de 6 mois lorsque l’auscultation des poumons révèle des crépitements dus à la pneumonie et si l’enfant est en bon état général. Néanmoins, il vaut toujours mieux faire une radiographie du thorax. En même temps, faire la distinction entre des râles sibilants (qui s’accompagnent de difficultés à l’expiration) et des crépitements fins dus à une pneumonie n’est pas toujours facile. La diminution unilatérale des bruits respiratoires est cependant toujours un signe important. L’enfant doit être hospitalisé en cas d’altération de l’état général ou s’il n’y a pas d’amélioration après 2 jours, en cas de dyspnée, d’infiltrats diffus ou d’atélectasie au niveau des poumons, ou de pleuropneumonie (épanchement pleural).

Il ressort de l’étude commentée que les crépitements et la diminution des bruits respiratoires à l’auscultation des poumons ont un mauvais score comme indicateur d’une pneumonie ou pour exclure cette dernière. D’un autre côté, le guide de bonne pratique ne mentionne pas l’accélération de la fréquence respiratoire, le tirage intercostal et le battement des ailes du nez. Il ne fait pas non plus référence à l’inquiétude des parents et à l’intuition du médecin pour détecter ou exclure les infections graves (3-5).

 

 

Références 

  1. WHO Pneumonia Fact sheet n°331. Update november 2014.
  2. QUADAS-2. Cochrane Bias Methods Group. 2011.
  3. Michiels B. Diagnostic ambulatoire d’infections sévères chez les enfants. MinervaF 2010;9(10):128-9.
  4. Van den Bruel A, Haj-Hassan T, Thompson M, et al; European Research Network on Recognizing Serious Infection investigators. Diagnostic value of clinical features at presentation to identify serious infection in children in developed countries: a systematic review. Lancet 2010;375:834-45.
  5. Verbakel JY, Van den Bruel A, Thompson M, et al; European Research Network on Recognising Serious Infection (ERNIE). How well do clinical prediction rules perform in identifying serious infections in acutely ill children across an international network of ambulatory care datasets? BMC Med 2013;11:10.
  6. Michiels B. Le raisonnement ‘test-diagnostic-traitement’. [Editorial] MinervaF 2015;14(6);65.
  7. Michiels B. A quoi faut-il faire attention lors de l’interprétation des résultats des études diagnostiques. MinervaF 2015;14(6);76.
  8. Coenen S. Le diagnostic de pneumonie. MinervaF 2004;3(2):24-6.
  9. Traitement de la pneumonie chez l’enfant. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 26-11-2010.



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