Revue d'Evidence-Based Medicine



Valeur des symptômes et de l’examen clinique pour le diagnostic de pathologie de la coiffe des rotateurs



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 6 Page 68 - 69

Professions de santé


Analyse de
Hermans J, Luime JJ, Meuffels DE, et al. Does this patient with shoulder pain have rotator cuff disease? JAMA 2013;310(8):837-47.


Question clinique
Quelle est la valeur des symptômes et de l’examen clinique pour le diagnostic de pathologie de la coiffe des rotateurs en cas d’épaule douloureuse chez l’adulte ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre qu’aucun test clinique ne permet d’établir ou d’exclure une pathologie de la coiffe des rotateurs. Le signe du rappel automatique en rotation externe et le signe du rappel automatique en rotation interne, lorsqu’il est absent, semblent cependant utiles pour respectivement établir et exclure une rupture de la coiffe des rotateurs. Il est impossible de se prononcer sur la valeur diagnostique combinée de plusieurs tests cliniques, ni sur la place des tests cliniques dans le raisonnement ‘test-diagnostic-traitement’.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Les recommandations de Duodecim préconisent de palper les tendons de la coiffe des rotateurs et de provoquer la douleur pour déterminer l’existence d’un arc douloureux et d’effectuer la manœuvre de Neer et celle de Hawkins ainsi que la rotation externe et l’abduction contre résistance. Les recommandations de la NHG préconisent, lors de l’examen de l’épaule, une abduction active, une abduction passive et une rotation externe passive. Cette étude montre qu’un arc douloureux (abduction passive) ne permet que dans une certaine mesure de révéler une pathologie de la coiffe des rotateurs. Le signe du rappel automatique en rotation externe et le signe du rappel automatique en rotation interne, lorsqu’il est absent, peuvent être utiles respectivement pour établir et pour exclure le diagnostic de rupture complète de la coiffe des rotateurs.



Contexte

On estime qu’en médecine générale, l’incidence et la prévalence des plaintes au niveau de l’épaule sont respectivement de 24 épisodes par 1 000 années et de 35 patients sur 1 000/an annuellement (1). La cause la plus fréquente des symptômes au niveau de l’épaule est la diminution de l’espace sous-acromial. Plus précisément, il s’agit d’une tendinopathie, d’une rupture partielle ou totale d’un ou de plusieurs tendons de la coiffe des rotateurs ou d’une bursite sous-acromiale (2). En plus de l’anamnèse et de l’examen clinique, il existe de nombreux tests cliniques spécifiques pour poser le diagnostic de pathologie de la coiffe des rotateurs.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse

Sources consultées

  • MEDLINE, EMBASE, CINAHL jusqu’en mai 2013
  • les références des articles trouvés.

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : description de l’anamnèse, examen clinique ou tests diagnostiques se rapportant à la pathologie de la coiffe des rotateurs ; informations sur la sensibilité et la spécificité ; utilisation d’un test de référence avec détermination préalable des critères diagnostiques ; données brutes publiées ou obtenues auprès des auteurs ; plusieurs langues acceptées
  • critères d’exclusion : polyarthrite rhumatoïde, fibromyalgie, instabilité de l’épaule, déchirure du bourrelet glénoïdal, fracture, capsulite rétractile, tumeur, syndrome douloureux régional complexe, anomalie résultant d’un AVC
  • sélection finale de 28 articles sur les 76 trouvés, 1 dont le niveau de preuve était de I ; 4 dont le niveau de preuve était de II, et 23 dont le niveau de preuve était de IV (3).

Population étudiée

  • 432 patients (30 à 203 par étude) dont l’âge moyen variait de 44 ans (DS 16,2) à 58 ans (23 à 81) et qui souffraient de douleur à l’épaule (depuis plus de 3 mois dans 2 études).

 

Mesure des résultats

  • sensibilité, spécificité, rapport de vraisemblance positif (LR+) et négatif (LR-) avec IC à 95% des symptômes et des signes d’une pathologie de la coiffe des rotateurs ou d’une rupture de la coiffe des rotateurs, versus échographie ou IRM.

 

Résultats

  • la prévalence de la pathologie de la coiffe des rotateurs variait de 33% à 81%
  • anamnèse : pas de valeur diagnostique de la présence d’une douleur au repos ou pendant la nuit ni de l’existence d’une douleur à la mobilité pour le diagnostic de rupture de la coiffe des rotateurs (N = 2 études de niveau IV)
  • examen clinique : pas de valeur diagnostique de l’atrophie du muscle sous-épineux à l’inspection pour le diagnostic de pathologie de la coiffe des rotateurs (N = 1 étude de niveau IV), ni de la palpation de la coiffe des rotateurs pour le diagnostic de rupture de la coiffe des rotateurs (N = 3 études de niveau IV)
  • tests de provocation de la douleur :
    • test de l’arc douloureux (painful arc test) : LR+ de 3,7 (avec IC à 95% de 1,9 à 7,0) et LR- de 0,36 (avec IC à 95% de 0,23 à 0,54) (N=1 étude de niveau II)
    • test de Hawkins : LR+ 1,5 (avec IC à 95 % de 1,1 à 2,0) et LR- de 0,51 (avec IC à 95% de 0,39 à 0,66) (N = 1 étude de niveau I et 2 études de niveau II)
    • test de Neer : LR+ entre 0,98 et 1,6 (N = 2 études de niveau II)
    • test de Neer et test de Hawkins combinés : LR+ de 1,6 (avec IC à 95% de 0,87 à 2,8) et LR- de 0,43 (avec IC à 95% de 0,20 à 0,96) (N = 1 étude de niveau II et 1 étude de niveau IV)
  • mesures de la force :
    • le signe du rappel automatique en rotation externe (external lag test) et le signe du rappel automatique en rotation interne (internal lag test) : LR+ respectivement de 7,2 (avec IC à 95% de 1,7 à 31) et de 5,6 (avec IC à 95% de 2,6 à 12) ; LR- de 0,04 (avec IC à 95% de 0,0 à 0,58) pour le signe du rappel automatique en rotation interne pour établir/exclure le diagnostic de rupture complète de la coiffe des rotateurs (N = 1 étude de niveau II)
    • signe du bras tombant : LR+ de 3,3 (avec IC à 95% de 1,0 à 11) pour le diagnostic de pathologie de la coiffe des rotateurs (N = 1 étude de niveau II)
  • tests combinés (provocation + force) : rotation externe contre résistance : LR+ 2,6 (avec IC à 95% de 1,8 à 3,6) et LR- 0,49 (avec IC à 95% de 0,33 à 0,72) (N = 1 étude de niveau I).

 

Arc douloureux : le patient ressent de la douleur en abduction passive entre 60° et 120°.

Signe de Neer : l’examinateur positionne le coude en extension et l’épaule en rotation interne, le patient ressent de la douleur lors de l’élévation passive du bras qui traduit un conflit sous-acromial.

Signe de Hawkins : l’examinateur positionne le coude en flexion à 90° et le bras en élévation à 90°, le patient ressent de la douleur lors de la rotation interne passive de l’épaule qui traduit un conflit sous-acromial et coraco-huméral.

Signe du rappel automatique en rotation interne et signe du rappel automatique en rotation externe : le patient n’est pas capable de maintenir la rotation interne (coude fléchi à 90° et main dans le dos) ou la rotation externe (coude fléchi à 90°, épaule en abduction à 20° et position de rotation externe croissante).

Signe du bras tombant : le bras étant en abduction à 90°, le patient est invité à l’abaisser lentement, mais il le laisse brutalement chuter à cause de la douleur.

Test de rotation externe contre résistance (test de Patte) : douleur et faiblesse musculaire lors de la rotation externe contrariée, coude fléchi à 90°, lorsque l’examinateur appuie contre la partie proximale du poing.

 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’extrapolabilité des résultats observés à une population de patients qui n’ont pas été adressés à un spécialiste est impossible car, dans chacune des études incluses, ce sont des spécialistes qui ont effectué les tests cliniques. Un arc douloureux positif et un signe positif à la rotation externe contre résistance étaient les tests les plus précis pour détecter une pathologie de la coiffe des rotateurs, tandis que la présence d’un signe du rappel automatique en rotation externe positif et d’un signe du rappel automatique en rotation interne positif étaient les tests les plus précis pour poser le diagnostic de rupture complète de la coiffe des rotateurs.

 

Financement

Non mentionné.

Conflits d’intérêt 

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt hormis un auteur qui déclare avoir reçu des honoraires de JAMAevidence.com mais sans implication dans le processus de publication de l’étude.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse d’études diagnostiques a été menée correctement. 4 chercheurs ont effectué la recherche dans la littérature scientifique et ont consulté un nombre suffisant de bases de données. 2 paires de chercheurs ont évalué la qualité des études incluses à l’aide du QUADAS (4,5). Ils ont attribué un niveau de preuve à toutes les études (3). Les études de niveau I et de niveau II étaient des études indépendantes avec comparaison en aveugle entre un test étudié et un test de référence pour un nombre respectivement élevé et petit de patients successifs. Les études de niveau IV étaient indépendantes et comparaient un test étudié et un test de référence chez un groupe de patients qui étaient ou non atteints de la pathologie. Le gold standard pour le diagnostic de rupture de la coiffe des rotateurs est sans aucun doute l’observation au cours d’une intervention chirurgicale. Mais comme bon nombre de patients souffrant de rupture de la coiffe des rotateurs ne sont pas opérés (6), le test de référence pouvait également être l’imagerie (IRM ou échographie). L’extraction des données a été réalisée par 2 chercheurs. La sensibilité, la spécificité et les rapports de vraisemblance ont été calculés pour chaque étude avec un tableau de contingence 2x2 (publié ou obtenu auprès des auteurs). Les rapports de vraisemblance des tests diagnostiques qui faisaient l’objet d’au moins 3 études ont été sommés dans une méta-analyse suivant le modèle d’effets aléatoires. Pour présenter leurs résultats, les chercheurs ont tenu compte de la qualité méthodologique des études. Ainsi, les résultats des études de niveau I ou II n’ont pas été sommés avec ceux des études de niveau IV. Les résultats des études de niveau IV ont été présentés à part (sans sommation) lorsque, pour un test diagnostique donné, il n’y avait pas de résultats d’études de niveau I ou II.

Interprétation des résultats

Les résultats de cette synthèse méthodique montrent qu’il existe peu de preuves de la valeur diagnostique de l’anamnèse, de l’inspection et de la palpation de l’épaule pour établir ou exclure une pathologie ou une rupture de la coiffe des rotateurs. On peut se demander dans quelle mesure l’anamnèse et l’examen clinique n’ont pas déjà été utilisés pour sélectionner la population étudiée (7,8). L’existence d’un arc douloureux s’avère le meilleur indicateur pour le diagnostic de pathologie de la coiffe des rotateurs. Un LR+ de 3,7 reste cependant faible, et un LR- de 0,36 (force excluante de 3) est en outre insuffisant pour exclure une pathologie de la coiffe des rotateurs. Il importe cependant de remarquer que des tests de provocation plus compliqués, comme la manœuvre de Neer et celle de Hawkins ainsi que la combinaison des deux donnent de moins bons résultats que l’existence d’un arc douloureux. On peut sans doute raisonnablement se fier au signe du rappel automatique en rotation externe pour établir le diagnostic de rupture de la coiffe des rotateurs (LR+ de 7,2) et à l’absence du signe du rappel automatique en rotation interne pour l’exclure (LR- de 0,04).

Ces conclusions doivent toutefois être soumises à une évaluation critique car toutes les études ont été menées au niveau de la deuxième ligne. L’extrapolabilité à la première ligne n’est pas évidente car : 1) la prévalence des pathologies de la coiffe des rotateurs dans la population générale (< 15% (9)) est plus faible que dans les études incluses (33-88%), et 2) le médecin généraliste est peut-être moins habitué à réaliser ces tests. Les auteurs ont réfuté ces deux remarques : 1) Les patients qui sont adressés à un spécialiste et qui, en deuxième ligne, passent un examen d’imagerie comme test de référence ont souvent une forme grave de la pathologie de la coiffe des rotateurs ou ont déjà suivi un traitement conservateur sans succès. En deuxième ligne, cela entraîne une surestimation de la sensibilité et une sous-estimation de la spécificité (10). Les auteurs insistent sur le fait que la spécificité devrait être plus élevée afin de pouvoir extrapoler vers la première ligne de soins la valeur diagnostique du test de rappel automatique en rotation interne et externe, 2) La réalisation des tests avec les meilleurs résultats (comme l’arc douloureux) nécessite peu de compétences, et l’exactitude ne diminuera pas immédiatement si les médecins généralistes les réalisent moins souvent en routine.

Peu d’études ont examiné la valeur diagnostique combinée de plusieurs tests, et aucune étude n’a examiné la valeur diagnostique des tests cliniques associés à l’anamnèse et à l’examen clinique. Ces études ne permettent pas non plus de savoir quels tests seront les plus utiles pour choisir un traitement déterminé. Le diagnostic correct de rupture de la coiffe des rotateurs ne va pas nécessairement nous aider à choisir le traitement qui convient (6-8).

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre qu’aucun test clinique ne permet d’établir ou d’exclure une pathologie de la coiffe des rotateurs. Le signe du rappel automatique en rotation externe et le signe du rappel automatique en rotation interne, lorsqu’il est absent, semblent cependant utiles pour respectivement établir et exclure une rupture de la coiffe des rotateurs. Il est impossible de se prononcer sur la valeur diagnostique combinée de plusieurs tests cliniques, ni sur la place des tests cliniques dans le raisonnement ‘test-diagnostic-traitement’.

 

Pour la pratique

Les recommandations de Duodecim (11) préconisent de palper les tendons de la coiffe des rotateurs et de provoquer la douleur pour déterminer l’existence d’un arc douloureux et d’effectuer la manœuvre de Neer et celle de Hawkins ainsi que la rotation externe et l’abduction contre résistance. Les recommandations de la NHG préconisent, lors de l’examen de l’épaule, une abduction active, une abduction passive et une rotation externe passive (2). Cette étude montre qu’un arc douloureux (abduction passive) ne permet que dans une certaine mesure de révéler une pathologie de la coiffe des rotateurs. Le signe du rappel automatique en rotation externe et le signe du rappel automatique en rotation interne, lorsqu’il est absent, peuvent être utiles respectivement pour établir et pour exclure le diagnostic de rupture complète de la coiffe des rotateurs.

 

 

Références 

  1. Van der Linden MW, Westert GP, De Bakker DH, Schellevis FG. Tweede Nationale Studie naar ziekten en verrichtingen in de huisartspraktijk: Klachten en aandoeningen in de bevolking en in de huisartspraktijk. Utrecht/Bilthoven: NIVEL/RIVM, 2004.
  2. Winters JC, Van der Windt DA, Spinnewijn WE, et al. NHG-Standaard Schouderklachten (Tweede herziening). Huisarts Wet 2008:51:555-65.
  3. Simel DL, Keitz SA. Update: a primer on the precision and accuracy of the clinical examination. In: Simel DL, Rennie D, eds. The Rational Clinical Examination: Evidence-Based Clinical Diagnosis. New York, NY: McGraw-Hill, 2009.
  4. Whiting P, Rutjes AW, Reitsma JB, et al. The development of QUADAS: a tool for the quality assessment of studies of diagnostic accuracy included in systematic reviews. BMC Med Res Methodol 2003;3:25.
  5. Whiting PF, Weswood ME, Rutjes AW, et al. Evaluation of QUADAS, a tool for the quality assessment of diagnostic accuracy studies. BMC Med Res Methodol 2006;6:9.
  6. De Schutter F. Rupture de la coiffe des rotateurs : réparation chirurgicale ou kinésithérapie ? MinervaF 2015;14(6);70-1.
  7. Michiels B. Le raisonnement ‘test-diagnostic-traitement’. [Editorial] MinervaF 2015;14(6);65.
  8. Michiels B. A quoi faut-il faire attention lors de l’interprétation des résultats des études diagnostiques ? MinervaF 2015;14(6);76.
  9. Rechardt M, Shiri R, Karppinen J, et al. Lifestyle and metabolic factors in relation to shoulder pain and rotator cuff tendinitis: a population-based study. BMC Musculoskelet Disord 2010;11:165.
  10. Michiels B. Valeur des symptômes et des signes cliniques pour le diagnostic de pneumonie chez le jeune enfant. MinervaF 2015;14(6):66-7.
  11. Examen de l’articulation de l’épaule. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 4.8.2009.



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