Revue d'Evidence-Based Medicine



Identifier les médicaments à haut risque d’erreurs médicamenteuses



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 7 Page 81 - 82

Professions de santé


Analyse de
Saedder EA, Brock B, Nielson LP, et al. Identifying high-risk medication : a systematic review. Eur J Clin Pharmacol 2014;70:637-45.


Question clinique
Faut-il établir une liste des médicaments à l’origine des effets indésirables graves liés à des erreurs médicamenteuses ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique, présentant de réelles lacunes méthodologiques, portant sur l’identification des médicaments à haut risque d’erreurs médicamenteuses met en évidence une liste de 39 médicaments ou classes médicamenteuses à risque d’effets indésirables médicamenteux fatals ou non. Bien que la question clinique posée soit pertinente et d’actualité, cette étude ne permet pas une application directe dans la pratique clinique quotidienne.


Contexte

Les médicaments à haut risque (MedHR) sont un sujet d’actualité tant au niveau national (Plan 2013 – 2017 qualité – sécurité du Ministère de la Santé Publique) (1) qu’international (2). En effet, les erreurs médicamenteuses (ErrMed) liées à ces molécules peuvent entrainer des conséquences cliniques importantes, voir fatales pour le patient. Selon les différents organismes d’accréditation et de certification (3,4), établir une liste des médicaments à haut risque constitue une étape clef dans le processus de sécurisation de leur prescription, leur dispensation, leur administration, leur monitoring tant en milieu ambulatoire qu’en milieu hospitalier.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique

Sources consultées

  • bases de données PubMed, Embase, Cochrane Systematic Reviews, Psycinfo et Swedish database SweMed+ ; recherche complémentaire dans les articles pour références supplémentaires
  • bases de données nationales danoises de pharmacovigilance (National Agency for Patient’s Rights and Complaints, The Patient Insurance Association, Danish Patient Safety Database).

Études sélectionnées 

  • critères d’inclusion : article ou rapport au sujet d’au moins 1 effet indésirable de médicament chez des adultes (EIM) lié à une ErrMed pour autant que l’EIM soit jugé comme grave selon les critères de l’Organisation Mondiale de la Santé ou que les informations disponibles permettent de l’interpréter comme tel, et que l’ErrMed soit liée à la prescription ou à la procédure de monitoring ; une relation de causalité entre l’ErrMed et l’EIM devait être établie : au moins « possible » sur base de l’échelle de probabilité d’EIM de Naranjo ou en catégorie A, B, E ou F selon les critères de Wulff
  • critères d’exclusion : les EIM non liés à une erreur médicamenteuse, touchant des enfants, associés aux anesthésiques ou aux médicaments hors marché européen, résultant d’une interaction avec la nourriture, la phytothérapie ou l’alcool, et causés par un manque d’observance au traitement médicamenteux et/ou de non observance
  • 135 articles sélectionnés au total : 74 articles (36 rapports de cas et 38 études épidémiologiques) et 61 rapports d’EIM provenant des organismes danois de pharmacovigilance.

Mesure des résultats

  • création d’une liste des MedHR répondant aux critères d’inclusion
  • comparaison de la liste avec les critères de Beers*, les critères STOPP** (Screening Tool of Older Person’s Prescription) et IPET*** (Improving Prescribing in the Elderly Tool).

 

* Critères de Beers (version 2012)

Les critères de Beers identifient les médicaments qui ne sont pas adéquats pour les personnes âgées et les divisent en trois catégories. La première catégorie comprend les médicaments potentiellement inadéquats en raison du risque élevé d'effets indésirables ou à cause d’un effet bénéfique limité chez les personnes âgées. La deuxième catégorie comprend des médicaments qui chez les personnes âgées atteintes de certaines maladies peuvent conduire à une aggravation de leurs problèmes de santé spécifiques. La troisième catégorie comprend les médicaments qui doivent être administrés avec prudence aux personnes âgées.

** STOPP (Screening Tool of Older Person’s Prescriptions) et START (Screening Tool to Alert doctors to Right Treatment)

STOPP et START ont été développés pour détecter l'utilisation inappropriée de médicaments chez les personnes âgées de plus de 65 ans. Les critères STOPP reprennent 65 situations où les médicaments devraient être arrêtés en raison de potentiels risques cliniques. Les critères START décrivent 22 situations où des médicaments devraient être prescrits.

*** IPET (Improved Prescribing in the elderly Tool)

Cette liste reprend les 14 prescriptions inappropriées les plus communes et contient les contre-indications, les interactions indésirables entre les médicaments et les interactions indésirables entre les médicaments et les maladies.

 

 

Résultats

  • à partir des 135 références, 623 ErrMed ont été répertoriées impliquant 507 patients ; 28% (142/507) des patients ont eu une ErrMed fatale ; 12% des ErrMed étaient dues à un manque de traitement, 11% à un manque de suivi/monitoring, 6% résultaient d’une absence d’adaptation du traitement à la fonction rénale ; 45% des ErrMed ont nécessité une hospitalisation, 17% n’étaient pas définies comme un évènement grave
  • un top 10 des médicaments reprenant 73% des évènements fatals, ainsi qu’un top 20 des médicaments reprenant 84% des évènements non fatals ont pu être identifiés ; ces 2 listes (le top 10 et le top 20) comprennent 23 médicaments ou classes de médicaments différents et représentent 82% des toutes les ErrMed graves
  • 7 médicaments ou classes de médicaments se positionnent dans le top 10 de chacune des listes, à savoir : le méthotrexate, la warfarine, les anti-inflammatoires non stéroïdiens, la digoxine, les opioïdes, l’acide acétylsalicylique et les bêtabloquants ; 47% de toutes les ErrMed graves leur sont attribuées
  • une liste finale de MedHR reprend 144 médicaments ou classes médicamenteuses rassemblés sur 39 items ; cette liste est responsable de 92% (soit 572/623) des ErrMed graves et de 92% (soit 131/142) des ErrMed fatales reprises dans la littérature
  • adéquation entre liste finale (n = 39) et STOPP, Beers et IPET : 17 médicaments ou classes sont communs avec les critères STOPP, 19 avec la liste de Beers et 6 avec les critères IPET ; les classes médicamenteuses communes aux listes MedHR-STOPP et Beers sont : la digoxine, les antithrombotiques, un antidiabétique oral (glibenclamide), les glucocorticoïdes, les antipsychotiques, les SSRI, les benzodiazépines, les antidépresseurs tricycliques, les antagonistes calciques, les anti-inflammatoires non stéroïdiens et les alpha-bloquants.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une vigilance accrue sur les 7 médicaments ou classes de médicaments à haut risque d’effets indésirables graves liés à des erreurs médicamenteuses réduirait de 50% les hospitalisations, l’invalidité, les mises en danger de vie et les décès.

Financement de l’étude

Aucun n’est mentionné.

Conflits d’intérêts des auteurs

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

Discussion

 

Considérations méthodologiques

La méthode de sélection est bien décrite, sauf pour les sources « autres ». Il faut noter que toutes les sources rencontraient les critères d’inclusion tant au niveau du degré de sévérité que du lien de causalité entre les erreurs médicamenteuses et les médicaments. Une base de données de pharmacovigilance européenne aurait pu être incluse dans les sources « autres ». Les auteurs se sont limités uniquement aux articles complets disponibles et ne définissent pas de période de recherche. Les caractéristiques des populations reprises dans les différentes études et rapports de cas ne sont pas analysées. Bien que la question de recherche de cette synthèse méthodique soit pertinente, elle n’est toutefois pas très précise. Les critères d’inclusion sont bien décrits mais nous n’avons pas d’information quant à l’organisme responsable de l’évaluation du lien de causalité entre l’EIM et l’ErrMed pour les bases de données nationales incluses. Les auteurs ont intégré certaines ErrMed en contradiction avec leurs critères d’inclusion (ErrMed sur méthotrexate liées à la dispensation et l’administration). Il n’y a malheureusement pas deux réviseurs indépendants l’un de l’autre pour la sélection et révision des articles. Aucune évaluation qualitative des articles et rapports inclus n’est mentionnée. Chaque médicament ou classe de médicament identifiée est associée à son nombre et sa prévalence d’ErrMed mortelles ou graves, ainsi qu’à une valeur de consommation (DDD/1000 habitants/24 h) au Danemark, à titre indicatif. Un important biais d’information est présent, lié au rapportage plus important des cas mortels d’EIM et ce d’autant plus si le lien de causalité est évident. Aucune mesure de reproductibilité n’a été réalisée.

Mise en perspective des résultats

Les auteurs partent de l’hypothèse que le manque de cohérence entre la performance de la révision de traitement sur base d’outils validés (Beers, STOPP, START,…) et les effets cliniques pertinents est lié à une approche trop peu ‘Evidence Based Medicine’ de ces outils. Leur objectif est donc d’identifier les médicaments à risque d’erreurs médicamenteuses graves et mortelles sur base d’une revue systématique de la littérature afin d’augmenter l’efficience du processus de révision médicamenteux. Leur liste finale des MedHR permettrait ainsi d’identifier 92% des ErrMed graves et mortelles. Cependant, l’absence de caractérisation de la population impliquée lors de ces ErrMed ne permet pas, dans la pratique clinique, de cibler les interventions appropriées. Bien que cette liste soit très intéressante et concorde avec les résultats antérieurs (5), il est difficile d’établir la validité des conclusions au vu des insuffisances méthodologiques de cette recherche. Cela peut s’expliquer en partie par le type et la qualité des données intégrées basées majoritairement sur des rapports de cas et des données de pharmacovigilance. Les auteurs se sont focalisés uniquement sur les ErrMed liées au processus de prescription et de monitoring. Des données antérieures ont pourtant montré que 50% des incidents médicamenteux intervenaient lors du processus d’administration des médicaments, 18,5% lors de la prescription, 16,5% lors de la dispensation et 4,5% lors du monitoring (5). L’omission de prescription ou une prise retardée du médicament n’ont pas été prises en compte alors que cette catégorie d’erreur était la plus largement identifiée dans cette même étude et que dire des médicaments avec fenêtre thérapeutique étroite (5) ? Les ErrMed liées aux anesthésiques sont reprises dans les critères d’exclusion alors que cette classe médicamenteuse est fortement représentée dans les hôpitaux et est référencée dans la liste des MedHR de l’ISMP (4). Dans le top 10 des MedHR, certaines molécules identifiées présentent une très faible consommation (par ex. : la théophylline avec un DDD/1000 habitants/24 h = 0,7) en raison d’une utilisation désuète sur base des recommandations actuelles (1,3,4). L’absence de période de recherche pour identifier les MedHR explique la présence de ces ‘vieilles’ molécules et pose également la question de la pertinence clinique de ce top 10 dans notre pratique actuelle. Lors de la discussion, les auteurs comparent leur liste de 39 médicaments ou classes de médicament avec la liste de Beers et les critères STOPP. Or ces 2 derniers sont des outils visant à améliorer la prescription chez la personne âgée en identifiant les médicaments avec une balance bénéfices-risques défavorable dans la population gériatrique (6). L’absence de caractérisation de la population et la divergence d’objectif ne permettent donc pas une comparaison valide entre la liste des auteurs et ces outils. En dépit des nombreux efforts pour améliorer la qualité et la sécurité de la prescription ces dernières années, il ne semble pas y a voir eu un changement dans les MedHR quand on compare les nouvelles données aux anciennes.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique, présentant de réelles lacunes méthodologiques, portant sur l’identification des médicaments à haut risque d’erreurs médicamenteuses met en évidence une liste de 39 médicaments ou classes médicamenteuses à risque d’effets indésirables médicamenteux fatals ou non. Bien que la question clinique posée soit pertinente et d’actualité, cette étude ne permet pas une application directe dans la pratique clinique quotidienne.

 

Pour la pratique

Une stratégie globale de standardisation des pratiques et de sécurisation des procédés impliquant ces médicaments à haut risque (MedHR) est à mettre en place dans le but de limiter le risque d’erreur médicamenteuse (ErrMed) grave ou fatale tant en milieu ambulatoire qu’hospitalier. 10 médicaments ou classes médicamenteuses causent 2/3 des ErrMed fatales et 7 d’entre eux causent la moitié (47%) de toutes les ErrMed graves. La constitution d’une liste de MedHR est primordiale mais doit être étendue aux autres processus médicamenteux tels que la dispensation et l’administration, ainsi qu’aux molécules validées par les recommandations nationales (1) et internationales récentes (3,4). Tous les partenaires des soins de santé doivent être impliqués dans cette problématique y compris le patient (7). En effet ce dernier peut activement participer à cette démarche en recevant les explications nécessaires liées à l’utilisation et à la vigilance des MedHR.

 

 

Références  

  1. Note d’accompagnement Plan Pluriannuel 2013-2017. Contrat ‘Coordination qualité et sécurité des patients’. Service public fédéral Santé publique, Sécurité de la chaine alimentaire et Environnement. Janvier 2013.
  2. ISMP's High-Alert Medications List. Institute for Safe Medication Practices (ISMP) 2011, 2014.
  3. Qmentum International. Required Organizational Practices Handbook. Canada 2013.
  4. Joint Commission Internal. JCI Accreditation Standards for Hospitals, 5th Edition.5th Edition, 2013.
  5. Cousins DH, Gerret D, Warner B. A review of medication incidents reported to the National Reporting and Learning System in England and Wales over 6 years (2005-2010). Br J Clin Pharmacol 2012;74:597-604.
  6. American Geriatrics Society 2012 Beers Criteria Update Expert Panel. American Geriatrics Society Updated Beers Criteria for potentially inappropriate medication use in older adults. J Am Geriatr Soc 2012;60:616-31.
  7. Chevalier P, De Cort P. Interventions ciblant le patient pour une prescription et une utilisation des médicaments basées sur l’EBM. [Editorial] MinervaF 2012;11(2):14.

 

 


Auteurs

Declaye C.

COI :

Larock A-S.
Université Catholique de Louvain, CHU UCL Mont-Godinne Dinant ; Namur Thrombosis and Hemostatis Research Center
COI :

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires