Revue d'Evidence-Based Medicine



La gymnastique médicale comme traitement du syndrome fémoropatellaire



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 8 Page 98 - 99

Professions de santé


Analyse de
van der Heijden RA, Lankhorst NE, van Linschoten R, et al. Exercise for treating patellofemoral pain syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 1.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité de la gymnastique médicale pour diminuer la douleur de genou et améliorer la fonction du genou chez les adolescents et les adultes atteints du syndrome fémoropatellaire ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses incluant de petites études hétérogènes dont les qualités méthodologiques sont faibles à moyennes, conclut qu’en cas de syndrome fémoropatellaire, la gymnastique médicale pourrait apporter des améliorations cliniquement importantes sur le plan de la douleur et en termes de capacités fonctionnelles. On ignore cependant quelles sont les meilleures (associations de) modalités d’exercices, et il est probable qu’elles dépendent fortement des patients.


Contexte

Le syndrome fémoropatellaire (SFP) se caractérise par une douleur rétropatellaire ou péripatellaire qui survient principalement lors d’activités telles que la montée et la descente des escaliers, la course à pied et la position assise prolongée genoux fléchis (1). Le SFP se manifeste le plus souvent chez des adolescents et de jeunes adultes qui ont une activité physique (1,2). Des symptômes chroniques se développent chez 70 à 90% des patients (1). La gymnastique médicale est considérée comme un élément important du traitement conservateur, mais il n’y a pas encore de consensus concernant l’effet global des exercices et les modalités les plus efficaces de ces exercices.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

Sources consultées 

  • Cochrane Bone, Joint and Muscle Trauma Group Specialised Register, Cochrane Central Register of Controlled Trials, MEDLINE, EMBASE, PEDro (Physiotherapy Evidence Database), CINAHL, AMED, World Health Organization International Clinical Trials Registry Platform, Current Controlled Trials (jusque mai ou juin 2014)
  • listes de références trouvées dans les études incluses et dans d’autres articles pertinents, établissements et individus spécialisés dans ce domaine, abstracts des conférences
  • pas de restriction quant à la langue de publication.

Études sélectionnées 

  • 25 RCTs et 6 quasi-RCTs qui ont évalué l’effet de la gymnastique médicale (seule ou associée à d’autres interventions non chirurgicales, à domicile ou sous supervision) versus un groupe témoin (pas de traitement, placebo, liste d’attente) en cas de SFP.

Population étudiée 

  • 1690 adolescents et adultes (6 à 65 par étude), âge moyen de 18 à 41 ans, avec diagnostic clinique de SFP depuis 4 semaines à 9 ans ; seules 6 études ont recruté des patients en médecine générale
  • exclusion d’autres pathologies du genou, telles que la maladie d’Osgood-Schlatter, le syndrome de la bandelette ilio-tibiale, la tendinite, l’arthrose du genou, la polyarthrite rhumatoïde, les lésions traumatiques.

Mesure des résultats

 

Score AKPS  [Eng: Anterior Knee Pain Score]
Ce questionnaire que le patient doit remplir lui-même note la douleur antérieure du genou lors de 6 activités : marcher, courir, sauter, monter et descendre les escaliers, s’accroupir et rester assis longtemps, ainsi que les symptômes associés : gonflement, atrophie du genou, claudication, impossibilité de porter des poids, anomalie de la mobilité de la rotule et réduction de la flexion du genou. Le score varie de 0 à 100. Plus le score est élevé, plus la douleur ou la gêne sont importantes.

 

Résultats

  • gymnastique médicale versus le groupe témoin, tant à court terme (< 3 mois) qu’à long terme (> 3 mois) (voir tableau) : réduction plus importante de la douleur de genou globale et de la douleur de genou durant les activités, amélioration plus importante de la fonction du genou
  • association d’exercices des hanches et des genoux versus exercices des genoux uniquement : à court terme, les douleurs de genou globale (N = 2 ; n = 46) et durant les activités (N = 3 ; n = 104) étaient moins importantes; pas de différence pour la fonction du genou 
  • selon 2 études, il n’y avait pas de différence statistiquement significative quant au nombre de personnes guéries ou qui n’avaient plus de symptômes lors du suivi
  • les effets indésirables n’ont pas été suffisamment rapportés.

 

Tableau : Résultats pour la gymnastique médicale versus groupe témoin.  

 

Nombre d’études N ; nombre de patients n

Différence moyenne (IC à 95%), I²

Douleur de genou durant les activités (à CT)

N = 5 ; n = 375

DM -1,46 (-2,39 à -0,54) ; I² = 74%

Douleur de genou durant les activités (à LT)

N = 2 ; n = 180

DM -1,07 (-1,93 à -0,21) ; I² = 0%

Douleur de genou globale (à CT)

N = 2 ; n = 41

DMS -0,93 (-1,60 à -0,25) ; I² = 0%

Douleur de genou globale (à LT)

N = 1 ; n = 94

DM -4,32 (-7,75 à -0,89) ; I² = 97%

Fonction du genou (à CT)

N = 7 ; n = 483

DMS 1,10 (0,58 à 1,63) ; I² = 83%

Fonction du genou (à LT)

N = 3 ; n = 274

DMS 1,62 (0,31 à 2,94) ; I² = 94%

DM : différence moyenne ; DMS : différence moyenne standardisée ; CT : court terme ; LT : long terme

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’en cas de syndrome fémoropatellaire (SFP), la gymnastique médicale peut diminuer la douleur, améliorer la fonction du genou et favoriser la guérison à long terme de manière cliniquement pertinente. Les preuves sont cohérentes, mais leur qualité est très faible. Il n’existe pas suffisamment de preuves pour déterminer quelle est la meilleure forme de gymnastique médicale et pour savoir si le résultat est valable pour toutes les personnes souffrant de SFP. Il existe néanmoins des éléments de preuve indiquant une diminution de la douleur potentiellement plus importante avec l’association d’exercices des hanches et d’exercices des genoux qu’avec des exercices des genoux uniquement. Il est nécessaire de mener des RCT multicentriques plus vastes et de grande qualité avec des critères diagnostiques et des critères de jugement standardisés.

Financement de l’étude

Erasmus Medical Center, aux Pays-Bas, et National Institute for Health Research, Royaume-Uni.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses répond parfaitement aux critères de la Cochrane Collaboration. La recherche dans la littérature est étendue. La qualité méthodologique des études trouvées est faible. 6 études sont quasi-randomisées. Le secret de l'attribution est respecté dans seulement 12 études. 5 études ont essayé de cacher aux participants le groupe dans lequel ils étaient inclus, mais on ignore si cela a été possible en pratique. Le risque de biais de réponse est fort probable à cause de l’emploi des questionnaires remplis par les patients. L’influence des modifications méthodologiques entre les études sur les résultats est contrôlée au moyen d’analyses de sensibilité.

Les études trouvées sont très hétérogènes sur le plan clinique. Les critères diagnostiques pour le SFP et les caractéristiques des patients (durée des symptômes et niveau d’activité) varient fortement. Il y a aussi beaucoup de différences dans les modalités spécifiques de la gymnastique (type, durée, intensité). Les analyses de sous-groupes prévues n’ont pas pu être effectuées vu le faible nombre de patients inclus et la faiblesse des rapports des caractéristiques de base. Lorsque l’hétérogénéité statistique était importante, les résultats ont été correctement analysés en modèle d’effets aléatoires.

 

Interprétation des résultats

Versus le groupe témoin (pas de traitement, placebo ou liste d’attente), la gymnastique médicale a apporté une diminution statistiquement significative de la douleur de genou globale et de la douleur de genou durant les activités, tant à court terme (< 3 mois) qu’à long terme (> 3 mois). S’appuyant sur une recherche antérieure (3), les auteurs considèrent comme cliniquement pertinente des différences sur l’EVA de 1,3 point et de 2 points respectivement pour la diminution de la douleur de genou durant les activités et pour la diminution de la douleur de genou globale et une différence de 10 points du score AKPS pour l’amélioration de la fonction du genou. Des diminutions de la douleur de 1,4 point pour la douleur de genou durant les activités à court terme et de 4,3 points pour la douleur de genou à long terme peuvent donc être considérées comme cliniquement pertinentes. Si nous transformons la DMS pour l’amélioration de la fonction du genou en une amélioration du score AKPS (4), l’amélioration de 12,21 points avec la gymnastique médicale versus le groupe témoin paraît aussi cliniquement pertinente à court terme. Il n’y a toutefois pas de différence statistiquement significative quant au nombre de personnes guéries ou qui n’avaient plus de symptômes après le traitement par gymnastique médicale versus le groupe témoin.

Versus exercices des genoux uniquement, l’association d’exercices des hanches et des genoux apporte, de manière cliniquement pertinente, une diminution plus importante de la douleur de genou durant les activités et de la douleur de genou globale à court terme. Cependant, cette constatation s’appuie sur un nombre restreint d’études de faibles qualités méthodologiques. Cette étude ne nous permet pas de tirer de conclusions quant à l’efficacité de la gymnastique médicale par rapport à d’autres traitements conservateurs, tels que le bandage adhésif thérapeutique (taping) ou l’association de différents exercices, ni quant à l’efficacité des exercices supervisés par rapport aux exercices à domicile, des exercices en chaîne fermée par rapport aux exercices en chaîne ouverte, des exercices de type aérobie par rapport aux exercices de force (quadriceps) et des exercices de forte intensité par rapport aux exercices de faible intensité, ni sur l’influence du milieu où se déroulent les exercices (au sol ou dans l’eau) ou sur la durée des exercices.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses incluant de petites études hétérogènes dont les qualités méthodologiques sont faibles à moyennes, conclut qu’en cas de syndrome fémoropatellaire, la gymnastique médicale pourrait apporter des améliorations cliniquement importantes sur le plan de la douleur et en termes de capacités fonctionnelles. On ignore cependant quelles sont les meilleures (associations de) modalités d’exercices, et il est probable qu’elles dépendent fortement des patients.

 

Pour la pratique

Selon des guides de bonne pratique clinique (GPC) actuels, la gymnastique médicale constitue une part essentielle du traitement du syndrome fémoropatellaire. Le GPC de Duodecim insiste sur les exercices du quadriceps sous supervision (5). Un GPC plus spécialisé donne la préférence aux exercices en chaîne fermée (contre résistance) qui imitent les exigences fonctionnelles du patient (6). Dans la phase initiale, il devrait y avoir suffisamment de supervision pour contrôler la qualité des exercices, mais il faudrait ensuite passer le plus rapidement possible à des exercices indépendants. Il est préférable de limiter le nombre d’exercices pour que le patient adhère au traitement. Il est conseillé que le programme comporte des étirements du mollet et des ischio-jambiers, sans oublier les muscles de la hanche.

La présente synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration montre des preuves de faible qualité en faveur de l’efficacité de la gymnastique médicale chez les personnes souffrant de SFP, tant sur la douleur que sur les capacités fonctionnelles. Nous ne savons cependant pas quel sous-groupe de patients bénéficiera d’une intervention déterminée, ni si certains exercices sont meilleurs que d’autres.

 

 

Références 

  1. Davis IS, Powers CM. Patellofemoral pain syndrome: proximal, distal, and local factors, an international retreat, April 30-May 2, 2009, Fells Point, Baltimore, MD. J Orthop Sports Phys Ther 2010;40:A1-16.
  2. Witvrouw E, Callaghan MJ, Stefanik JJ, et al. Patellofemoral pain: consensus statement from the 3rd International Patellofemoral Pain Research Retreat held in Vancouver, September 2013. Br J Sports Med 2014;48:411-4.
  3. Crossley KM, Bennell KL, Cowan SM, Green S. Analysis of outcome measures for persons with patellofemoral pain: which are reliable and valid?. Arch Phys Med Rehabil 2004;85:815–22.
  4. Poelman T. Comment interpréter une différence moyenne standardisée (DMS) ? MinervaF 2014;13(4):51.
  5. Chondromalacie rotulienne. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 01.06.2009.
  6. Barton CJ, Lack S, Hemmings S, Tufail S, Morrissey D. The 'Best Practice Guide to Conservative Management of Patellofemoral Pain': incorporating level 1 evidence with expert clinical reasoning. Br J Sports Med 2015;49:923-34.



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