Revue d'Evidence-Based Medicine



Déficit cognitif léger : MMSE prédictif de démence ?



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 9 Page 109 - 110

Professions de santé


Analyse de
Arevalo-Rodriguez I, Smailagic N, Roqué i Figuls M et al. Mini-Mental State Examination (MMSE) for the detection of Alzheimer’s disease and other dementias in people with mild cognitive impairment (MCI). Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 3.


Question clinique
Chez des patients présentant un déficit cognitif léger (selon des critères internationaux validés), le score obtenu au Mini-Mental State Examination (MMSE) permet-il de prédire la survenue d’une démence (toute forme, maladie d’Alzheimer ou autre type) ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique de bonne qualité, reposant sur un nombre limité d’études, ne montre pas d’intérêt d’un test MMSE unique réalisé chez des patients présentant un déficit cognitif léger pour prédire une évolution vers une démence.


Contexte

Une des définitions de l’état de déficit cognitif léger (Mild Cognitive Impairment, MCI) est une modification des capacités cognitives, avec handicap dans un ou plusieurs domaines cognitifs, avec un maintien d’une indépendance fonctionnelle et une absence de démence (1). En fonction des nombreuses autres définitions, l’estimation de la prévalence de cette affection est très variable, par exemple de 0,1% à 42% dans une population britannique âgée d’au moins 65 ans (2). Ce déficit peut s’aggraver, avec une évolution vers des troubles de la personnalité, du comportement, et survenue d’une démence. Si un taux de conversion annuel de 10 à 15% est observé dans des études à court terme (5 ans), à plus long terme, le taux de conversion de MCI vers une démence semble inférieur : de 4,2% par an (avec IC à 95% de 3,9% à 4,6%) (3). La précision du Mini-Mental State Examination (MMSE) pour diagnostiquer un MCI ou une démence a été jugée modeste (4), son intérêt n’étant montré que pour exclure un diagnostic de démence en première ligne de soins.

Une autre question restait en suspens : le score au MMSE permet-il de prédire la conversion d’un MCI vers une démence ?

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique

Sources consultées

  • bases de données : jusqu’en mai 2014, ALOIS (Cochrane Dementia and Cognitive Improvement Specialized Register of diagnostic and intervention studies), MEDLINE (depuis 1946, EMBASE (depuis 1980, BIOSIS (Web of Science), Web of Science Core Collection, PsycINFO, LILACS (BIREME depuis 1982)

  • pas de restriction de langue

  • consultation des listes de références des articles

  • recherches supplémentaires dans les bases de données MEDION, DARE (Database of Abstracts of Reviews of Effects), HTA Database (Health Technology Assessment Database, the Cochrane Library), ARIF (Aggressive Research Intelligence Facility).

Etudes sélectionnées

  • études longitudinales avec test MMSE initial chez des patients avec MCI, avec évaluation validée lors d’un suivi d’au moins 12 mois

  • exclusion des études transversales, études avant-après ou des rapports de cas

  • inclusion finale de 11 études hétérogènes : 4 évaluant la conversion vers une démence, 8 la conversion vers une démence d’Alzheimer, 1 vers une démence vasculaire

  • durée moyenne de suivi : 15 mois à 7 ans.

Population étudiée

  • 1569 patients avec MCI (médiane de 109 par étude (IQR de 105 à 140))

  • plus de la moitié des études chez des patients consultant une clinique de la mémoire

  • âge moyen > 60 ans ; 36,3% à 70% de femmes

  • peu d’autres détails concernant les personnes incluses (pas d’information sur les traitements reçus)

  • 4 seuils différents de MMSE pour déclarer un test positif : ≤ 21, ≤ 26, ≤ 28, ≤ 29

  • incidence médiane de toute démence : 36,5% (IQR = 32,9 à 37,8)

  • incidence médiane de démence d’Alzheimer : 39,4% (IQR = 13,3 à 54,2).

Mesure des résultats

  • évaluation de la précision (sensibilité, spécificité) du MMSE à différents seuils prédéterminés ou obtenus par analyse statistique chez des patients avec MCI qui pourraient évoluer vers toute cause de démence, ou démence d’Alzheimer, ou démence vasculaire

  • MCI sur critères de Petersen, de Petersen révisés, de Matthews ou Clinical Dementia Rating = 0,5

  • démence diagnostiquée suivant des critères de référence validés.

Résultats

  • pourcentage maximal d’arrêts de suivi : 15%

  • conversion d’un MCI vers toute démence (N = 4) : sensibilité de 23% à 76% et spécificité de 40% à 94% ; ceci correspond, dans une cohorte hypothétique de 100 patients avec une incidence de démence de 36,5%, à un nombre de cas de 18 non prédits et 8 patients avec sur-pronostic

  • conversion d’un MCI vers une démence d’Alzheimer (N = 8) : sensibilité de 27% à 89% et spécificité de 32% à 90% ; dans une cohorte hypothétique de 100 patients avec une incidence de démence d’Alzheimer de 39,2% ceci correspond à un nombre de cas de 18 non prédits et 12 patients avec sur-pronostic

  • conversion d’un MCI vers une démence vasculaire (N = 1) : sensibilité de 36% et spécificité de 80% ; incidence de démence vasculaire de 6,2%.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que leur synthèse n’apporte pas de preuves étayant un rôle important du MMSE en tant que test isolé et pratiqué une seule fois pour l'identification des patients avec MCI qui pourraient développer une démence. Les cliniciens devraient préférer demander des tests complémentaires plus élaborés pour être sûr de la prise en charge de ces patients. Un aspect important pour l’évaluation dans de futures mises à jour est de déterminer si la conversion d’un état de MCI vers une démence peut mieux être prédite par des modifications du MMSE au fil du temps plutôt que par une seule détermination initiale. Il est également important d’évaluer si un ensemble de tests, plutôt qu’un unique test, est plus performant pour prédire la conversion d’un MCI vers une démence.

Financement de l’étude

Sources internes : Fundación Universitaria de Ciencias de la Salud, Hospital San José/Hospital Infantil de San José, Bogotá D.C., Colombia - Institute for Clinical Effectiveness and Health Policy IECS, Buenos Aires, Argentina - Iberoamerican Cochrane Centre, Barcelona, Spain.

Source externe: Agencia de Calidad del Sistema Nacional de Salud, Ministry of Health, Madrid, Spain.

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs ne déclarent pas de conflits d’intérêt.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique concernant la valeur prédictive d’un test pronostique repose sur une bonne méthodologie. La recherche dans la littérature est exhaustive. Deux auteurs ont indépendamment l’un de l’autre évalué chaque étude pour décider si elle satisfaisait aux critères d’inclusion et d’exclusion, avec concertation en cas de désaccord. La sélection est présentée, comme recommandé, dans un diagramme de flux PRISMA. Les données des études sont extraites, avec les caractéristiques d’étude, selon un canevas pré établi. La qualité méthodologique des études est évaluée, avec, notamment, une recherche de biais selon les recommandations QUADAS (Quality Assessment of Diagnostic Accuracy Studies) (5) : sélection des patients, seuil choisi pour le test index (a priori ou a posteriori), test de référence final réalisé en insu du score MMSE initial, flux dans l’étude (sorties d’étude) et timing d’exécution des tests (index et de référence). Un risque de biais pour le test index est important dans environ 75% des études. Les auteurs avaient prévu d’explorer les sources d’hétérogénéité possibles mais ils n’ont pu réaliser cette analyse en raison de la rareté des études correspondant à leurs critères de sélection.

Interprétation des résultats

La crainte des patients, et de leur entourage, quand ils souffrent de pertes de mémoire, est d’évoluer vers une démence de type Alzheimer. Si un déficit cognitif léger est documenté, sur base de critères consensuels dans les nombreuses échelles d’évaluation existantes, une évolution d’un MCI vers une démence est en effet possible. Fixer un pourcentage de risque est très difficile : de 4,2% de conversion par année, pour un terme dépassant 5 ans, dans des études en milieu spécialisé (6 études en clinique de la mémoire) comme dans la communauté (9 études) (3) à 36,5% sur 3 à 4 ans (médiane dans ces études sur 15 mois à 7 ans) dans les études rassemblées dans cette synthèse-ci, en majorité effectuées en clinique de la mémoire. Ces 36,5% correspondent à la probabilité pré-test. Les auteurs calculent qu’avec la précision observée pour le MMSE, la probabilité post test avec un test positif passe à 63% (avec IC à 95% de 49 à 75) tandis qu’un test MMSE négatif donne une probabilité post test de 27% (avec IC à 95% de 20 à 34).

Cette synthèse n’évalue l’intérêt que du seul MMSE, effectué une seule fois. Le seuil du score déterminant un MCI varie selon les études, sans possibilité de déterminer avec certitude dans une courbe ROC le seuil le plus performant (hétérogénéité des données et qualité faible à modérée des données). Seules 2 études incluses modulent le seuil diagnostique de MCI en fonction du niveau d’instruction du patient.

Dans une population « générale » le taux de conversion est plus faible (3) et les valeurs prédictives de ce test seraient très probablement encore plus faibles.

Intérêt d’un dépistage ou d’un pronostic d’évolution des troubles cognitifs

Derrière cette question de déterminer un pronostic d’évolution des troubles cognitifs, se cache une préoccupation plus importante encore : de quels moyens curatifs et préventifs d’une évolution disposons-nous ? Si des modifications de facteurs de risque potentiels (par exemple une HTA ou une dépression) sont possibles (sans preuve que leur traitement diminue le risque), nous n’avons pas de preuves formelles de l’efficacité d’interventions non médicamenteuses (6) comme médicamenteuses, sur les troubles cognitifs ou l’évolution vers la démence. Comme discuté dans Minerva en 2013 (7), une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration publiée en 2012 (8) ne montrait pas de preuves de l’intérêt des inhibiteurs des cholinestérases pour diminuer la progression d’un MCI vers une démence à 1, 2 ou 3 an(s), avec, par contre, des effets indésirables altérant la qualité de vie.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique de bonne qualité, reposant sur un nombre limité d’études, ne montre pas d’intérêt d’un test MMSE unique réalisé chez des patients présentant un déficit cognitif léger pour prédire une évolution vers une démence.

 

Pour la pratique

Le guide de pratique clinique de la HAS publié en 2011 (9) mentionne que, à l’heure actuelle, le dépistage de la maladie d’Alzheimer ou apparentée n’est pas recommandé en population générale.

Par contre, en présence d’un trouble cognitif, il est recommandé d’investiguer et, e.a., d’effectuer une évaluation globale de manière standardisée à l’aide du MMSE en tenant compte de l’âge, du niveau socioculturel, de l’activité professionnelle et sociale, ainsi que de l’état affectif (anxiété et dépression) et du niveau de vigilance du patient.

Une évaluation neuropsychologique spécialisée et plus globale est donc nécessaire.

La présente synthèse ne concerne pas précisément ces recommandations, se limitant à montrer l’inutilité d’un test MMSE pour établir le pronostic d’évolution d’un MCI vers une démence.

 

Références 

  1. Albert MS, DeKosky ST, Dickson D, et al. The diagnosis of mild cognitive impairment due to Alzheimer’s disease: recommendations from the National Institute on Aging-Alzheimer’s Association workgroups on diagnostic guidelines for Alzheimer’s disease. Alzheimers Dement 2011;7:270-9.

  2. Stephan BC, Matthews FE, McKeith IG, et al; Medical Research Council Cognitive Function and Aging Study. Early cognitive change in the general population: how do different definitions work? J Am Geriatr Soc 2007;55:1534-40.

  3. Mitchell AJ, Shiri-Feshki M. Temporal trends in the long term risk of progression of mild cognitive impairment: a pooled analysis. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2008;79:1386-91.

  4. Mitchell AJ. A meta-analysis of the accuracy of the mini-mental state examination in the detection of dementia and mild cognitive impairment. J Psychiatr Res 2009;43:411-31.

  5. QUADAS-2. Cochrane Bias Methods Group 2011.

  6. Martin M, Clare L, Altgassen AM, et al. Cognition-based interventions for healthy older people and people with mild cognitive impairment. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 1.

  7. La Rédaction Minerva. Déficits cognitifs légers: prescrire un inhibiteur des cholinestérases ? Minerva online 15/09/2013.

  8. Russ TC, Morling JR. Cholinesterase inhibitors for mild cognitive impairment. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 9.

  9. Haute Autorité de Santé. Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : diagnostic et prise en charge. Recommandations. Décembre 2011.




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