Revue d'Evidence-Based Medicine



Clindamycine et co-trimoxazole : même intérêt pour les infections cutanées non compliquées



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 9 Page 113 - 114

Professions de santé


Analyse de
Miller LG, Daum RS, Creech CB, et al; for the DMID 07-0051 Team. Clindamycin versus trimethoprim-sulfamethoxazole for uncomplicated skin infections. N Engl J Med 2015;372:1093-103.


Question clinique
La clindamycine et le co-trimoxazole ont-ils une efficacité (en termes de guérison) et une sécurité semblables dans le traitement d’une infection cutanée non superficielle non compliquée (abcès, cellulite ou les deux) chez des enfants et des adultes ?


Conclusion
Cette RCT de bonne qualité méthodologique montre un intérêt (efficacité/sécurité) semblable de la clindamycine et du co-TMX dans une population d’enfants et d’adultes présentant une sélection précise d’infections cutanées non compliquées dans un contexte de prévalence (très) importante de MRSA, sans apporter de comparaison avec d’autres antibiotiques.


Contexte

Les infections cutanées peuvent être superficielles (impétigo, folliculite) comme atteindre les structures sous-cutanées (tissus mous). Une infection de la peau et des tissus mous est considérée comme compliquée (cSSTI, complicated skin and soft tissue infections) lorsqu'il y a nécessité d'une intervention chirurgicale, en cas d'atteinte suspectée ou confirmée des tissus mous profonds et/ou lorsque le patient présente un facteur complémentaire complexe, tel que notamment un diabète, une maladie vasculaire périphérique ou une neuropathie périphérique (1). Le Staphylococcus aureus (SA) est un des germes potentiels et le SA résistant à la méthicilline (MRSA) est devenu le germe le plus fréquemment isolé dans les infections cutanées aux USA (2). Dans les hôpitaux belges, en 2013, 19% des SA étaient des MRSA (3). Dans la communauté, la prévalence de MRSA semble rester beaucoup plus faible (4). Dans un contexte de cSSTI à MRSA, l’efficacité et la sécurité de nombreux antibiotiques ont été évaluées en milieu hospitalier. En ambulatoire, dans un contexte de MRSA possible, ce sont le co-trimoxazole (co-TMX) et la clindamycine, qui sont recommandés (4). Leur intérêt comparatif n’avait pas encore été correctement évalué dans ce contexte.

 

Résumé

Population étudiée

  • 524 patients recrutés dans des consultations à l’hôpital (USA) ; 29,6% d’enfants, 52,3% de sexe masculin ; âge moyen de 27,1 ans

  • infection cutanée avec au moins 2 signes ou symptômes suivants depuis au moins 24 heures : érythème, œdème ou induration, chaleur localisée, drainage purulent, douleur spontanée ou à la pression, avec diagnostic de cellulite (53,4%), d’abcès (30,5%) ou des deux (15,6%) ; avec abcès > 5,0 cm de diamètre, plusieurs sites d’infection ou cellulite sans abcès (y compris érysipèle)

  • critères d’exclusion : infection cutanée superficielle (impétigo par ex.), infection dans un site nécessitant des soins spécialisés (périrectal, génital, main), morsure humaine ou animale, température corporelle élevée (> 38°5), prise d’un médicament immunosuppresseur, immunité compromise (diabète, insuffisance rénale), obésité morbide (BMI > 40), infection chirurgicale ou à hauteur d’une prothèse, médicament antibactérien dans les 14 jours précédents ; patient en MRS ; cancer ou pathologie inflammatoire traités dans les 12 mois précédents ; chirurgie majeure dans les 12 mois précédents.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle, multicentrique

  • incision/drainage de tout abcès (44,5% des patients) avant randomisation

  • traitement pendant 10 jours: soit clindamycine 3 x 2 x 150 mg/j (n = 264) soit co-TMX 160/800 mg 2 x 2 co/j (n = 260) ; doses pédiatriques adaptées (en solution si nécessaire).

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : guérison lors d’une évaluation 7 à 10 jours après les 10 jours de traitement. Sont considérés comme des échecs : persistance de signes ou symptômes d’infection, arrêt de traitement pour effet indésirable dans les premières 48 heures, nouvelle infection dans un autre site, traitement chirurgical de l’infection nécessaire, hospitalisation pour cette infection

  • analyse en ITT et dans la population évaluable (89%).

Résultats

  • guérison après 10 jours de traitement : analyse en ITT : 80,3% sous clindamycine vs 77,7% sous co-TMX soit une différence de - 2,6% (avec IC à 95% de - 10,2 à 4,9 et p = 0,52) ; pour les patients évaluables : différence de - 1,2% (avec IC à 95% de - 7,6 à 5,1 et p = 0,77)

  • pas de différence significative pour les différents sous-groupes analysés (enfants, adultes, abcès, cellulite), ni suivant le germe identifié

  • taux de guérison similaires à 1 mois post traitement

  • proportion semblable d’effets indésirables (18,9% et 18,6%) : principalement diarrhée, nausées, vomissements, prurit, rash ; pas d’effet indésirable grave ; taux d’arrêts de traitement semblables : 8,3% et 8,8%

  • absence de prélèvement/culture dans 43,5% des cas

  • SA dans 41,4% des cas, 31,9% de MRSA (soit 77% des SA) ; 12,4% des SA résistants à la clindamycine et 0,5% au co-TMX.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent à l’absence de différence significative entre la clindamycine et le co-TMX en termes d’efficacité et de profil d’effets indésirables pour le traitement d’infections cutanées non compliquées incluant cellulites et abcès.

Financement de l’étude

National Institute of Allergy and Infectious Diseases et National Center for Advancing Translational Sciences, National Institutes of Health.

Conflits d’intérêt des auteurs

5 des 9 auteurs listés déclarent différents conflits d’intérêt avec différentes firmes.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT repose sur une bonne méthodologie avec stratification initiale selon qu’il s’agit d’un petit abcès (< 5 cm pour les adultes, avec groupe placebo de comparaison) d’une part, ou d’un abcès large ou de cellulite d’autre part. La randomisation est effectuée par blocs (de taille variable) avec respect du secret d’attribution (sauf pour le pharmacien local chargé de déterminer la dose). L’aspect (et le goût pour le sirop pédiatrique) des médicaments évalués était identique, avec les placebos nécessaires (dans le bras co-TMX pour la dose de mi-journée). La dose de clindamycine utilisée, 3 x 300 mg/j, se situe entre les doses minimales (600 mg/j) et maximales par jour (1,8 g) renseignées par le CBIP, et inférieure à la dose recommandée par la BAPCOC (1,2 g/j).

Interprétation des résultats

Il faut souligner l’absence de différence au point de vue guérison clinique malgré une différence au niveau des résistances observées, mais celles-ci portent sur un petit nombre de sujets (28 au total). 11 des 15 patients présentant un SA résistant à la clindamycine et traités par clindamycine ont été déclarés guéris à l’échéance fixée, soit une absence de différence statistiquement significative par rapport aux patients présentant des germes sensibles (p = 0,06). Comme le mentionnent les auteurs, ces résultats montrent qu’en cas d’abcès > 5 cm (46% des patients inclus) l’efficacité des 2 antibiotiques testés est similaire … ou que l’incision/drainage seule est efficace. Des études versus placebo restent indispensables pour pouvoir conclure. Soulignons que cette publication-ci ne mentionne pas les résultats pour le sous-groupe des patients avec un abcès de petite taille (< 5 cm, 317 patients), sous-groupe dans lequel une comparaison est faite antibiotique versus placebo. Pour ce type de patients, l’intérêt d’une antibiothérapie en plus de l’incision/drainage est (encore plus) mal établi.

En cas de cellulite, un prélèvement/culture n’a pas été possible, dans cette étude-ci, dans 80% des cas. Le germe causal le plus souvent supposé (5) est le Streptococcus pyogenes. Dans cette étude-ci, le co-TMX paraît efficace en cas de cellulite (donc sur le S pyogenes).

Effets indésirables

L’incidence d’effets indésirables est semblable avec les 2 traitements antibiotiques. La population de cette étude est en moyenne bien jeune (27,1 ans), sans comorbidité et l’échantillon est limité. Le nombre de personnes âgées (de plus de 65 ans par exemple) incluses dans l’étude n’est pas mentionné. Il n’est donc pas possible d’exclure que les effets indésirables de ces 2 antibiotiques soient différents et d’incidence différente dans des populations plus à risque que celle qui est incluse dans cette étude, particulièrement chez les personnes âgées. Il faudra tenir compte, entre autres, du risque d’émergence de Clostridium difficile (avec risque d’infection plus important chez des personnes avec immunité compromise, chez les personnes âgées) avec la clindamycine (6), un risque accru de neutropénie voire d’agranulocytose en cas d’âge plus avancé, d’infection intercurrente, de certaines associations médicamenteuses (7) avec le sulfaméthoxazole, le triméthoprime et la clindamycine, du risque d’hyperkaliémie avec le triméthoprime (8). Toutes raisons suffisantes pour bien peser l’indispensabilité d’une antibiothérapie et de son choix.

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT de bonne qualité méthodologique montre un intérêt (efficacité/sécurité) semblable de la clindamycine et du co-TMX dans une population d’enfants et d’adultes présentant une sélection précise d’infections cutanées non compliquées dans un contexte de prévalence (très) importante de MRSA, sans apporter de comparaison avec d’autres antibiotiques.

 

Pour la pratique

Hors impétigo, le Guide anti-infectieux de la BAPCOC (4) recommande, sur base d’un consensus d’experts, la flucloxacilline en première intention et la clindamycine en cas d’allergie IgE médiée à la pénicilline en cas de cellulite ou d’érysipèle. Ce choix peut être remis en cause en cas de suspicion d’infection à MRSA, ce qui est loin d’être la majorité des cas actuellement en Belgique. Le Guide de la BAPCOC précise les conditions dans lesquelles il faut craindre une infection à MRSA (patients ayant déjà présenté une infection à MRSA, ou les membres de leur famille ou auprès des personnes qui évoluent à leur contact dans une communauté fermée (crèche, caserne, prison) ou dans un club de sport et chez des personnes ayant effectué récemment un séjour à l’étranger), ce qui justifie alors le choix de la clindamycine ou du co-TMX. Il précise aussi que « les infections cutanées peuvent être traitées en ambulatoire, avec incision et drainage, avec ou sans traitement antibiotique oral » (ndlr : cellulite et érysipèle sont exclus, requérant d’office une antibiothérapie selon ce Guide). Cette étude confirme un intérêt équivalent pour la clindamycine et pour le co-TMX dans un contexte de forte prévalence de MRSA. Quant à l’intérêt d’ajouter un antibiotique à l’incision/drainage d’un abcès, la question demeure ouverte.

 

Références 

  1. Nichols RL, Florman S. Clinical presentations of soft-tissue infections and surgical site infections. Clin Infect Dis 2001;33(Suppl2):S84-93.

  2. Ray GT, Suaya JA, Baxter R. Incidence, microbiology, and patient characteristics of skin and soft-tissue infections in a U.S. population: a retrospective population-based study. BMC Infect Dis 2013;13:252.

  3. ISSP. Surveillance Nationale de Staphylococcus aureus Résistant à la Méthicilline (MRSA). (consulté le 4 septembre 2015)

  4. BAPCOC. MRSA en pratique ambulatoire. Dans : Guide belge des traitements anti-infectieux en pratique ambulatoire. Edition 2012. Belgian Antibiotic Policy Coordination Committee.

  5. Eells SJ, Chira S, David CG, et al. Non-suppurative cellulitis: risk factors and its association with Staphylococcus aureus colonization in an area of endemic community-associated methicillin-resistant S. aureus infections. Epidemiol Infect 2011;139:606-12.

  6. Inhibiteurs de la pompe à protons : infections à Clostridium difficile. Rev Prescr 2013;33:432-4.

  7. Neutropénies sévères et agranulocytoses d’origine médicamenteuse. Rev Prescr 2011;31:110-5.

  8. Antoniou T, Hollands S, Macdonald EM, et al; Canadian Drug Safety and Effectiveness Research Network. Trimethoprim-sulfamethoxazole and risk of sudden death among patients taking spironolactone. CMAJ 2015;187:E138-43.

 

Noms de marque

  • clindamycine : Clindamycine EG®, Clindamycine Fresenius Kabi®, Clindamycine Sandoz®, Dalacin C®

  • co-trimoxazole (co-TMX) est une association de sulfaméthoxazole et de triméthoprime (SMX-TMP) : Bactrim®, Eusaprim®

 

 


Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
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