Revue d'Evidence-Based Medicine



Dexaméthasone en pommade contre les aphtes récidivants



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 2 Page 23 - 24

Professions de santé


Analyse de
Liu C, Zhou Z, Liu G, et al. Efficacy and safety of dexamethasone ointment on recurrent aphthous ulceration. Am J Med 2012;125:292-301.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et l’innocuité de la dexaméthasone en pommade, versus un placebo, pour le traitement des aphtes récidivants chez les patients adultes, et quelle est la quantité de dexaméthasone retrouvée dans le sang durant ce traitement ?


Conclusion
Cette étude de bonne qualité méthodologique conclut que, chez les patients adultes présentant des aphtes récidivants, un traitement topique de courte durée (5 jours) avec de la dexaméthasone en pommade est plus efficace qu’un placebo pour diminuer la taille des aphtes et en diminuer la douleur. Ce traitement local semble sans danger à court terme.


 

 

Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone


 

Contexte

Les aphtes récidivants sont définis comme des ulcères buccaux superficiels de forme ronde, douloureux, qui apparaissent épisodiquement, à intervalles de quelques jours ou de quelques mois, chez des personnes en bonne santé. Leur prévalence est estimée à 2% (1). Dans 80% des cas, il s’agit de petits ulcères, d’un diamètre <1 cm, qui guérissent en 5 à 14 jours sans laisser de cicatrice. L’étiologie de cette affection reste incertaine. Le traitement vise donc principalement à accélérer la guérison et à rapidement soulager la douleur, avec le moins d’effets indésirables possible. Divers traitement oraux sont proposés, parmi lesquels des corticostéroïdes oraux (2), mais leur utilisation n’est étayée par aucune étude clinique dont la qualité soit suffisamment bonne sur le plan méthodologique.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 240 patients (parmi 810 patients recrutés) âgés de 18 à 60 ans (âge moyen de 32 ans) dans 5 centres en Chine, ayant souffert d’aphtes récidivants qui mettaient plus de cinq jours à guérir au cours d’une période de six mois ; présence lors de l’inclusion, d’un à 3 aphtes d’un diamètre <10 mm, depuis <48 heures et bien accessibles pour l’évaluation et le traitement ; test de grossesse négatif
  • critères d’exclusion : antécédents d’allergie à la dexaméthasone ou d’hypersensibilité grave à d’autres médicaments ; présence d’aphtes de grande taille, aphtes herpétiformes, maladie de Behçet ; traitement des aphtes dans les 48 heures avant l’inclusion ; utilisation de corticostéroïdes topiques ou systémiques dans le mois précédant l’inclusion ; port d'un appareil orthodontique ; maladie systémique grave ; assuétude au tabac ou à l’alcool.

 

Protocole d’étude 

  • étude clinique randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, en groupes parallèles, multicentrique :
    • groupe intervention (n=120) : dexaméthasone en pommade (5 mg de dexaméthasone/5 g) appliquée par le patient sur les lésions 3 x/j après le repas pendant 5 jours
    • groupe témoin (n=120) : pommade placebo, instructions identiques
  • journal tenu par les patients avec les éléments suivants, chaque fois une heure après l’application de la pommade : douleur, pendant et après le repas, mesurée sur une échelle numérique allant de 0 à 10 ; durée pendant laquelle la pommade est restée en place ; guérison des aphtes ; effets indésirables
  • prise de sang à jeun aux jours 1 et 6 (+/-2) pour tous les participants pour de nombreuses analyses biochimiques et chez 89 participants choisis au hasard pour déterminer la concentration sérique en dexaméthasone
  • taille des aphtes mesurée par les investigateurs aux jours 1 et 6 (+/-2)
  • suivi téléphonique jusqu’à 3 mois après le traitement pour détecter d’éventuels effets indésirables tardifs.

Mesure des résultats 

  • critères de jugement primaires : modification de la taille des aphtes et de l’intensité de la douleur sur une échelle de 0 à 10, entre le jour 1 et le jour 6 (+/-2)
  • critères de jugement secondaires : différence pour le rapport d’aphtes guéris versus non guéris au jour 6 (+/-2) ; différences pour la durée des aphtes, les effets indésirables, la concentration sérique en dexaméthasone
  • analyse en intention de traiter et analyse par protocole.

 

Résultats 

  • sorties d’étude : 9 participants
  • critères de jugement primaires :
    • taille moyenne des aphtes : diminution du jour 1 au jour 6 (+/-2) de 8,0 (ET 6,2) à 0,8 (ET 2,6) mm² dans le groupe intervention et de 7,6 (ET 6,4) à 3,3 (ET 7,0) mm² dans le groupe placebo ; p<0,001 pour la différence
    • intensité moyenne de la douleur sur une échelle de 0 à 10 : diminution du jour 1 au jour 6 (+/-2) de 5,9 (ET 1,8) à 0,3 (ET 1,0) dans le groupe intervention et de 6,0 (ET 1,5) à 1,0 (ET 2,0) dans le groupe placebo ; p=0,001 pour la différence
  • critères de jugement secondaires :
    • rapport aphtes guéris/non guéris au jour 6 (+/-2) de 83% dans le groupe dexaméthasone contre 54% dans le groupe témoin ; p<0,001
    • durée des aphtes : moins longue dans le groupe dexaméthasone que dans le groupe témoin (6 jours contre 7) ; p<0,001
    • effets indésirables : pas de différence
    • dexaméthasone sérique : non détectée après 6 jours de traitement.

Conclusion des auteurs 

Les auteurs concluent que la dexaméthasone en pommade est efficace pour traiter les aphtes récidivants. En outre, sur base de l’évaluation clinique et des analyses sanguines, le traitement semble être sans danger.

 

Financement 

Jing Guan (Tianjin) International Trade Co., Ltd., qui n’a participé ni au protocole d’étude, ni à la collecte, ni à l’analyse des données de l’étude ni à la publication de l’article.

 

Conflits d’intérêt 

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La qualité méthodologique de cette RCT est bonne, la question de recherche est claire, les critères d’inclusion et d’exclusion sont bien décrits, et le suivi est bien détaillé. Pour éviter des biais lors de l’attribution, la randomisation a été effectuée par ordinateur. Un tableau montre l’absence de différence significative entre les deux groupes pour les caractéristiques initiales. Il s’agit de patients souffrant de petits aphtes qui, précédemment, guérissaient en moyenne en 8 jours. La fréquence de réapparition des aphtes n’est cependant pas mentionnée. L’attribution est faite en aveugle tant pour les patients que pour les investigateurs et pour les évaluateurs. La puissance de l’étude a été calculée sur la base de la durée des aphtes (= critère de jugement secondaire). La proportion de patients sortis de l’étude est seulement de 3,75%, et les investigateurs ont très bien décrit les différentes raisons pour lesquelles les patients ont abandonné l’étude. Un seul patient (du groupe placebo) a arrêté le médicament de l’étude à cause d’un rash systémique. D’après les investigateurs, l’analyse en intention de traiter et l’analyse par protocole ont donné des résultats semblables, mais nous ne pouvons malheureusement pas le vérifier en l’absence de mention des chiffres. Les auteurs ont également corrigé les résultats pour différentes covariables, comme le biais de centre. Ils attribuent l’hétérogénéité pour les résultats de la mesure de la douleur entre les 5 centres à une différence du seuil de douleur d’un patient à l’autre. A aucun moment les investigateurs ne donnent d’explication pour l’étalement de l’évaluation des aphtes sur deux jours. Nous nous demandons si cela peut avoir influencé les résultats.

 

Mise en perspective des résultats

Une synthèse méthodique de 8 RCTs plus petites, en permutation, contrôlées versus placebo, évaluant un traitement des aphtes récidivants (2) a montré des résultats contradictoires pour différents corticostéroïdes topiques en ce qui concerne la diminution de la sévérité et de la durée des aphtes. En outre, dans ces études, « la sévérité et la durée » ont été mesurées de manière subjective. Par ailleurs, 3 RCTs sur 4 ont montré une diminution plus rapide de la douleur avec des corticostéroïdes oraux. La RCT ici analysée, de bonne qualité méthodologique, a inclus 240 patients, et montre de manière objectivable qu’un traitement à court terme de 6 (+/-2) jours à la dexaméthasone en pommade réduit les aphtes récidivants et soulage la douleur significativement plus vite qu’un placebo. La pertinence clinique de tels résultats reste une question. A la fin de l’étude, la différence moyenne entre les deux groupes pour la douleur est de 0,7 point seulement sur une échelle de 0 à 10. Il est possible que la pommade ait, par elle-même, une action protectrice contre toutes sortes de stimuli, ce qui pourrait expliquer les bons résultats observés dans les deux groupes concernant l’amélioration de la douleur.

Il convient d’insister sur le fait qu’il s’agit d’une étude à court terme. L’effet sur l’apparition de nouveaux aphtes n’a donc pas été examiné. Dans la synthèse susmentionnée (2), 4 des 5 études évaluent une pommade de cortisone orale versus une pommade placebo ; elles ne montrent pas de différence significative dans l’apparition de nouveaux aphtes sur une période de 4 à 8 semaines. Cette étude-ci ne nous permet pas non plus d’évaluer la survenue d’effets indésirables en cas de prolongation du traitement (éventuellement de manière intermittente) au-delà de 6 jours. Par contre, elle présente l’intérêt d’avoir consigné les effets indésirables mais aussi la concentration sanguine de dexaméthasone au moyen d’un test très sensible. Une certaine prudence reste cependant de mise lors de l’interprétation du résultat de cet examen complémentaire. Les 89 échantillons de sérum analysés provenaient uniquement de 2 des 5 centres d’étude. Le seuil de 0,502 ng/ml de dexaméthasone n’a été dépassé dans aucun des échantillons. Comme ce seuil est plus bas que la concentration sérique normale de cortisol mesurée le matin chez les adultes en bonne santé, les investigateurs en ont indirectement conclu que le traitement temporaire à la dexaméthasone en pommade ne pouvait pas avoir eu d’effet systémique sur l’organisme. Les données individuelles des participants confirment qu’effectivement, il n’y a pas eu d’effets systémiques. Il convient toutefois de remarquer que les patients à risque de développer des effets systémiques n’avaient pas été inclus et qu’il s’agissait seulement d’un traitement à court terme.

Une ancienne étude n’a pas permis de constater à long terme d’inhibition de la fonction surrénale sous corticostéroïdes oraux (sous forme de pastilles à sucer) (3).

Dans une étude plus récente, Gonzales-Moles et coll (4) ont mentionné quelques cas de faciès lunaire et d’hirsutisme à la suite d’un traitement de longue durée (4 à 6 semaines) de lésions orales graves chroniques au propionate de clobetasol en solution aqueuse (bains de bouche). Lozada-Nur et coll (5) décrivent entre autres une candidose localisée et une sensation de brûlure buccale lors de l’utilisation de propionate de clobetasol en pommade pour des affections vésiculo-érosives chroniques. Il s’agit bien ici de lésions sur une surface étendue qui nécessitent un traitement de longue durée, et les effets secondaires du propionate de clobetasol, qui étaient réversibles et dose-dépendants, étaient acceptables compte tenu des bons résultats obtenus pour des affections buccales sévères (pour lesquelles des corticostéroïdes systémiques sont souvent administrés). D’autres études sont encore nécessaires pour déterminer si ces effets indésirables surviennent également lors d’une application longue intermittente de dexaméthasone en pommade pour des aphtes récidivants chez l’adulte.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude de bonne qualité méthodologique conclut que, chez les patients adultes présentant des aphtes récidivants, un traitement topique de courte durée (5 jours) avec de la dexaméthasone en pommade est plus efficace qu’un placebo pour diminuer la taille des aphtes et en diminuer la douleur. Ce traitement local semble sans danger à court terme.

 

Pour la pratique

En cas d’aphtes récidivants, il est recommandé de commencer par éviter les facteurs déclenchants (tels qu’une brosse à dents trop dure et des composants alimentaires qui provoquent des aphtes) (6). Si, à cause de la douleur et du gonflement provoqués par la présence des aphtes, le patient éprouve des difficultés à s’alimenter, un traitement peut être envisagé (6). Dans ce cas, des corticostéroïdes topiques peuvent être utiles ; ce traitement sera de préférence initié le plus tôt possible, dès la phase prodromique (6). Cette étude-ci montre qu’un traitement topique de courte durée à la dexaméthasone en pommade réduit la taille des aphtes plus rapidement et soulage mieux la douleur qu’un traitement placebo. La dexaméthasone en pommade pour utilisation orale n’est pas encore commercialisée en Belgique, et l’efficacité et l’innocuité des autres corticostéroïdes topiques en cas d’aphtes récidivants doivent encore faire l’objet d’autres études avec un protocole semblable. L’efficacité d’autres traitements possibles, tels que les bains de bouches antimicrobiens et les analgésiques oraux, est peu étayée, et ces traitements sont souvent associés à des effets indésirables gênants (6).

 

 

Références

  1. Porter SR, Scully C, Pedersen A. Recurrent aphthous stomatitis. Crit Rev Oral Biol Med 1998;9:306–21.
  2. Porter SR, Scully C. Aphthous ulcers (recurrent). Clinical Evidence, June 2007.
  3. Lehner T, Lyne C. Adrenal function during topical oral corticosteroid treatment. Br Med J 1969;4:138–41.
  4. Gonzalez-Moles MA, Morales P, Rodriguez-Archilla A, et al. Treatment of severe chronic oral erosive lesions with clobetasol propionate in aqueous solution. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 2002;93:264-70.
  5. Lozada-Nur F, Huang MZ, Zhou GA. Open preliminary clinical trial of clobetasol propionate ointment in adhesive paste for treatment of chronic oral vesiculoerosive diseases. Oral Surg Oral Med Oral Pathol 1991;71:283-7.
  6. Prodigy. Aphtous ulcer. Prodigy 2013. Available at http://prodigy.clarity.co.uk/aphthous_ulcer
Dexaméthasone en pommade contre les aphtes récidivants

Auteurs

De Weirdt S.
Interuniversitair Centrum voor Huisartsenopleiding
COI :

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

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