Revue d'Evidence-Based Medicine



Les gliptines ont-elles un effet cardioprotecteur ?



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 2 Page 21 - 22

Professions de santé


Analyse de
Patil HR, Al Badarin FJ, AL Shami HA, et al. Meta-analysis of effect of Dipeptidyl Peptidase-4 inhibitors on cardiovascular risk in type 2 diabetes mellitus. Am J Cardiol 2012;111:826-33.


Question clinique
Chez les patients ayant un diabète de type 2, quel est l’effet des gliptines (alias inhibiteurs de la DPP-4) sur les critères de jugement cardiovasculaires, par rapport à un placebo ou à d’autres antidiabétiques oraux ?


Conclusion
Nous pouvons conclure de cette méta-analyse d’études portant sur l’effet des gliptines (alias inhibiteurs de la DPP-4) en monothérapie sur le contrôle de la glycémie par comparaison à d’autres antidiabétiques oraux que, sur le plan cardiovasculaire, les gliptines sont aussi sûres que les autres antidiabétiques oraux. Cette étude n’a pas pu montrer que les gliptines ont un effet protecteur sur le plan cardiovasculaire.


 

 

Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone


 

Contexte

L’hormone incrétine glucagon-like peptide-1 (GLP-1) est libérée après le repas par les cellules de la paroi de l’intestin grêle ; elle stimule la sécrétion d’insuline par les cellules ß du pancréas, diminue la production de glucagon par les cellules α du pancréas et ralentit la vidange gastrique. L’inhibition par les gliptines de la dipeptidylpeptidase-4 (DPP-4), enzyme responsable de l’inactivation de la GLP-1, a pour effet que le GLP-1 reste plus longtemps dans la circulation sanguine, ce qui a pour principal effet de faire baisser la glycémie postprandiale. Celle-ci aurait un rôle important dans la morbidité et la mortalité cardiovasculaires (1). Nous ignorons cependant encore les effets cardiovasculaires des gliptines à long terme.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • MEDLINE (1980 - septembre 2011), base de données de la Collaboration Cochrane, Scopus, ClinicalTrials.gov
  • références d’articles et rapports de congrès (inter)nationaux.

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : études randomisées contrôlées comparant une gliptine en monothérapie avec un autre antidiabétique oral ; durée de traitement ≥24 semaines ; avec mention des effets secondaires indésirables cardiovasculaires avec les gliptines ; uniquement les études publiées en anglais
  • inclusion finale de 18 études contrôlées randomisées ; 10 études n’ont pas été incluses en raison de l’absence de données pour les effets indésirables cardiovasculaires.

 

Population étudiée

  • 8 544 patients présentant un diabète de type 2 ; 4 998 sous gliptine (44,6% vildagliptine ; 26,9% saxagliptine ; 15,4% sitagliptine ; 13,1% alogliptine) et 3 546 avec un autre antidiabétique oral (54,8% metformine ; 16,1% sulfonylurée ; 5,8% thiazolidinediones) ou recevant un placebo (23,3%) ; durée moyenne du traitement de 46,4 semaines.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire composite : tout événement cardiovasculaire (décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde non fatal ou syndrome coronaire aigu, AVC, insuffisance cardiaque et troubles du rythme cardiaque (fibrillation auriculaire, tachycardie supraventriculaire ou palpitations cardiaques))
  • critères de jugement secondaires : les différentes composantes du critère de jugement primaire composite
  • analyse en intention de traiter
  • sommation en modèle d’effets fixes ou en modèle d’effets aléatoires en cas d’hétérogénéité importante (I² >50%) 
  • analyses en sous-groupe selon la gliptine utilisée, le comparateur utilisé (placebo, metformine, sulfonylurée ou thiazolidinedione), une durée du traitement de ≤52 semaines versus >52 semaines.

 

Résultats

  • critère primaire, événements cardiovasculaires : 52% en moins avec les gliptines qu’avec les autres traitements : RR de 0,48 (IC à 95% de 0,31 à 0,75 ; p=0,001; I² =0%)
  • infarctus du myocarde non fatals ou syndromes coronaires aigus : 60% en moins avec les gliptines qu’avec les autres traitements : RR de 0,40 (IC à 95% de 0,18 à 0,88 ; p=0,02 ; I² =0%)
  • selon la gliptine : réduction des événements cardiovasculaires significative uniquement avec la sitagliptine (RR de 0,37 avec IC à 95% de 0,21 à 0,68 et I² =0%) ; pas de différence significative entre les gliptines et le placebo en ce qui concerne le nombre d’événements cardiovasculaires ; pas de différence significative entre les gliptines et les autres traitements à court terme (≤52 semaines).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs de cette méta-analyse concluent que les gliptines sont sans danger sur le plan cardiovasculaire et qu’elles diminuent peut-être le risque d’événements cardiovasculaires indésirables.

Financement 

Non mentionné

 

Conflits d’intérêt

Non mentionné

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La méthodologie suivie pour cette synthèse méthodique avec méta-analyse est décrite en détail. Les auteurs ont autant recherché des données publiées que des données non publiées. Le nombre de bases de données consultées est suffisant. Il est cependant possible que l’utilisation de la base de données Scopus plutôt qu’Embase provoque une non sélection de certaines études publiées. En outre, les auteurs se sont limités aux articles publiés en anglais. Un funnel plot n’a toutefois pas montré de biais de publication.

Les auteurs ont évalué la qualité méthodologique des articles sélectionnés au moyen du score de Jadad. Cette méthode est aujourd’hui considérée comme étant insuffisante pour détecter le risque de certains biais (2). Le score moyen pour l’ensemble des études est de 3,5 sur 5 mais les articles non publiés (5 sur les 18 inclus) n’obtiennent qu’un score de 2 sur 5. Ces études de moindre qualité ont cependant été incluses dans la méta-analyse. Une analyse de sensibilité n’a pas été effectuée : il n’est dès lors pas possible de vérifier si l’inclusion (ou l’exclusion) de ces études a eu un effet sur le résultat global.

 

Interprétation des résultats

Cette étude montre que, sur le long terme (≥52 semaines), 50% d’événements cardiovasculaires indésirables en moins sont rapportés avec les gliptines qu’avec les autres antidiabétiques oraux, mais seule une étude (3) avec une population particulière (insuffisance rénale chronique) a pu montrer une différence significative pour le critère de jugement primaire ; ceci relativise fortement le résultat sommé. L’absence de résultats significatifs dans les autres études pourrait s’expliquer par un manque de puissance, car les études ont été conçues pour déterminer l’effet des gliptines sur le contrôle glycémique. Les événements cardiovasculaires n’ont donc pas été recherchés de manière systématique, et donc ils n’ont pas toujours été rapportés.

Une analyse en sous-groupe montre une absence de différence significative entre les gliptines et le placebo. Selon les auteurs eux-mêmes, c’est dû au fait que le groupe placebo (23%) était nettement plus petit que le groupe traité avec les produits actifs. Il s’ensuit que cette étude ne peut certainement pas montrer que la diminution des incidents cardiovasculaires serait la conséquence d’un risque diminué avec les gliptines plutôt que la conséquence d’un risque augmenté avec les autres hypoglycémiants comme les sulfamides, les thiazolidinediones ou la metformine.

 

Autres études

Le résultat de cette méta-analyse peut être comparé à ceux d’une méta-analyse plus récente incluant 8 études de phase III dans lesquelles une diminution du risque d’événements cardiovasculaires a également été signalée lors d’un traitement avec la linagliptine (OR de 0,34 avec IC à 95% de 0,16 à 0,70) (4). Une analyse en sous-groupe effectuée par ces auteurs montre que la diminution du risque se manifeste principalement chez les hommes plus âgés.

Différentes études ont évalué le risque cardiovasculaire des gliptines au moyen de critères de jugement intermédiaires. Monami et coll (5), dans leur synthèse méthodique avec méta-analyse, montrent un bénéfice possible du traitement par gliptines sur la cholestérolémie. Chrysant et Chrysant (6) ont montré que les gliptines ont un effet pléiotrope cardioprotecteur indépendant de leurs propriétés hypoglycémiantes. Les gliptines préviendraient l’athérosclérose, elles amélioreraient la dysfonction endothéliale, elles diminueraient la pression artérielle et préviendraient les lésions myocardiques.

Cobble (7), dans une méta-analyse rétrospective de huit études de phase II ou III, n’a trouvé aucune preuve indiquant un risque cardiovasculaire accru avec la saxagliptine chez les patients ayant un diabète de type 2.

A côté des données sur l’innocuité cardiovasculaire des gliptines, une étude a également été menée sur d’autres effets indésirables. Outre la survenue d’effets secondaires gastro-intestinaux, il y aurait aussi un risque de rhinopharyngite plus élevé avec la sitagliptine qu’avec un placebo (RR 1,35 ; IC à 95% de 1,03 à 1,77) (8) en plus d’un risque accru de dépression et de myalgie. Le risque de réactions allergiques, entre autres le grave syndrome de Stevens-Johnson, est également augmenté. Enfin, une méta-analyse récente ne montre pas de risque accru de cancer du pancréas ni de cancer de la glande thyroïde (9).

 

Conclusion de Minerva

Nous pouvons conclure de cette méta-analyse d’études portant sur l’effet des gliptines (alias inhibiteurs de la DPP-4) en monothérapie sur le contrôle de la glycémie par comparaison à d’autres antidiabétiques oraux que, sur le plan cardiovasculaire, les gliptines sont aussi sûres que les autres antidiabétiques oraux. Cette étude n’a pas pu montrer que les gliptines ont un effet protecteur sur le plan cardiovasculaire.

 

Pour la pratique

La place des gliptines dans les recommandations disponibles n’est pas encore tout à fait claire. Les résultats de méta-analyses antérieures montrent que les gliptines n’offrent pas de plus-value sur le plan de l’efficacité et de la sécurité par rapport aux autres antidiabétiques oraux (10,11). En Belgique, seules la linagliptine et la vildagliptine sont autorisées en monothérapie uniquement dans le cas d’une insuffisance rénale sévère qui est une contre-indication de l’utilisation de la metformine. Conformément au guide de pratique de NICE, les gliptines pourraient être associées à un traitement par metformine et/ou sulfamide hypoglycémiant lorsque la réponse glycémique est insuffisante (11,12). Cependant, malgré les résultats ici rassurants sur le plan de la sécurité cardiovasculaire, il demeure impératif de déterminer si, devant les autres risques possibles, il est justifié d’ajouter une gliptine au traitement d’un patient dont le contrôle glycémique reste insuffisant.

 

 

Références

  1. Cavalot F, Petrelli A, Traversa M, et al. Post-prandial blood glucose is a stronger predictor of cardiovascular events than fasting blood glucose in type 2 diabetes mellitus. J Clin Endocrinol Metab 2006;91:813-9.
  2. Chevalier P. Qualité méthodologique et biais dans les RCTs. MinervaF 2010;9(6):76.
  3. Chan JC, Scott R, Arjona Ferreira JC, et al. Safety and efficacy of sitagliptin in patients with type 2 diabetes and chronic renal insufficiency. Diabetes Obes Metab 2008;10:545–5.
  4. Johansen OE, Neubacher D, von Eynatten M, et al. Cardiovascular safety with linagliptin in patients with type 2 diabetes mellitus: a pre-specified prospective, and adjudicated meta-analysis of a phase 3 pogramme. Cardiovasc Diabetol 2012;11:3.
  5. Monami M. Lamanna C. Desideri CM. Mannucci E. DPP-4 inhibitors and lipids: systematic review and meta-analysis. Advn Ther 2012;29:14-25.
  6. Chrysant SG. Chrysant GS. Clinical implications of cardiovascular preventing pleiotropic effects of dipeptidyl peptidase-4 inhibitors. Am J Card 2012;109:1681-5.
  7. Cobble ME. Frederich R. Saxagliptin for the treatment of type 2 diabetes mellitus: assessing cardiovascular data. Cardiovasc Diabetol 2012;11:6-1.
  8. Gooßen K, Gräber S. Longer term safety of dipeptidyl peptidase-4 inhibitors in patients with type 2 diabetes mellitus: systematic review and meta-analysis. Diabetes Obes Metabol 2012 Apr 20. doi: 10.1111/j.1463-1326.2012.01610.x. [Epub ahead of print].
  9. Monami M, Dicembrini I, Martelli D, Mannucci E. Safety of dipeptidyl peptidase-4 inhibitors:a meta-analysis of randomized clinical trials. Curr Med Res Opin 2011;27:suppl 3:57–64.
  10. Richter B, Bandeira-Echtler E, Bergerhoff K, Lerch CL. Dipeptidyl peptidase-4 (DPP-4) inhibitors for type 2 diabetes mellitus. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 2.
  11. Chevalier P. Diabète de type 2 mal équilibré : ajouter un inhibiteur de la DPP-4 ? MinervaF 2011;10(6):73-4.
  12. National Institute for Health and Clinical Excellence. Type 2 diabetes: newer agents for blood glucose control in type 2 diabetes. NICE short clinical guideline 87, May 2009.
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