Revue d'Evidence-Based Medicine



La curcumine pour prévenir le diabète de type 2 ?



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 2 Page 19 - 20

Professions de santé


Analyse de
Chuengsamarn S, Rattanamongkolgul S, Luechapudiporn R, et al. Curcumin extract for prevention of type 2 diabetes. Diabetes Care 2012;35:2121-7.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de la curcumine, par rapport à un placebo, en prévention du diabète de type 2 chez des patients thaïlandais prédiabétiques ?


Conclusion
Cette étude de bonne qualité méthodologique conclut que la curcumine peut être un produit sans danger et efficace pour la prévention de la survenue d’un diabète de type 2 chez les patients prédiabétiques. Des études à plus long terme sur des populations plus larges et plus diverses doivent venir confirmer les résultats avant que la curcumine ne puisse se voir attribuer une place comme médicament pour la prévention du diabète de type 2.


 

 

Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone


 

Contexte 

Il n’existe actuellement aucun traitement curatif du diabète de type 2 ; la prévention et le contrôle de la maladie sont donc essentiels pour limiter son impact, tant sur le plan individuel qu’à l’échelle mondiale. Les modifications du mode de vie demeurent l’élément essentiel de la stratégie en matière de prévention, comme Minerva l’a encore récemment illustré (1,2). Des médicaments ou autres produits pourraient cependant peut-être venir compléter l’approche non médicamenteuse recommandée pour prévenir le diabète de type 2. Dans ce contexte, la curcumine - extraite du curcuma (aussi appelé ‘safran des Indes’) - semblerait une option prometteuse et sans danger (3-6).

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 237 patients, dont 35% de sexe masculin, âgés de plus de 35 ans (âge moyen de 57 ans), prédiabétiques (selon les normes du guide de l’ADA (7-8) : glycémie à jeun anormale et/ou intolérance au glucose et/ou taux d’HbA1c entre 5,7 et 6,4%), recrutés dans un centre médical universitaire en Thaïlande
  • critères d’exclusion : diabète déjà diagnostiqué (selon les normes du guide de l’ADA) ; patients sous antiagrégants plaquettaires, inhibiteurs du système rénine-angiotensine ou statines ; souffrant d’insuffisance rénale, d’hyperglycémie secondaire, d’infection aiguë, d’affection inflammatoire chronique ou d’un problème vésiculaire.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo
  • groupe intervention (n = 118) : 2 capsules de curcumine 250 mg 3 x/j
  • groupe placebo (n = 116) : 2 capsules de placebo 3 x/j
  • même programme éducatif pour favoriser un mode de vie sain (régime et exercices physiques) dans les 2 groupes, reçu 3 mois avant la randomisation
  • suivi à 3, 6 et 9 mois.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : différence entre le groupe intervention et le groupe témoin pour le nombre de patients présentant un diabète de type 2 nouvellement diagnostiqué (selon les normes du guide de l’ADA)
  • critères de jugement secondaires : modification des résultats de la glycémie à jeun, du test oral de tolérance au glucose, du taux d’HbA1c ; modification de la fonction des cellules β (HOMA-β, peptide C), de la résistance à l’insuline (HOMA-IR), du poids corporel, du périmètre abdominal et des cytokines anti-inflammatoires
  • analyse en intention de traiter.

Résultats

  • 201 participants (86%) ont terminé l’étude (97 dans le groupe intervention et 104 dans le groupe placebo)
  • critère de jugement primaire, nombre de patients chez qui un diabète de type 2 a été nouvellement diagnostiqué : aucun dans le groupe curcumine, contre 11, 18 et 19 dans le groupe placebo après respectivement 3, 6 et 9 mois de suivi (p ≤ 0,001)
  • critères de jugement secondaires :
    • diminution de la glycémie à jeun, du test oral de tolérance au glucose et du taux d’HbA1c dans le groupe curcumine après 3, 6 et 9 mois (voir tableau)
    • fonction des cellules β : HOMA-β augmenté (voir tableau) et peptide C diminué dans le groupe curcumine après 9 mois
    • résistance à l’insuline : HOMA-IR diminué dans le groupe curcumine après 6 et 9 mois (voir tableau)
    • poids diminué de 6 kg en moyenne, et périmètre abdominal diminué de 7 cm en moyenne dans le groupe curcumine après 9 mois
    • cytokines anti-inflammatoires : adiponectine augmentée dans le groupe curcumine après 9 mois
  • effets indésirables : pas de différence significative entre le groupe curcumine et le groupe placebo.

 

Tableau. Glycémie à jeun, test oral de tolérance au glucose, taux d’HbA1c, HOMA-IR et HOMA-β mesurés au début de l’étude et après respectivement 3, 6 et 9 mois d’administration de curcumine dans les 2 bras d’étude. (plac = placebo, curc = curcumine).

 

Glycémie à jeun (mg/dl)

Test oral de tolérance au glucose après 2 heures (mg/dl)

Taux d’HbA1c (%)

HOMA-IR

HOMA-β (%)

 

plac.

curc.

plac.

curc.

plac.

curc.

plac.

curc.

plac.

curc.

Initial

103,24

103,65

140,91

143,48

5,83

5,86

3,85

4,03

51,08

49,11

3 mois

106,88

96,11

150,87

135,44

5,92

5,77

3,97

3,60

49,32

54,71

6 mois

108,03

90,76

155,06

127,23

5,99

5,68

4,03

3,39

48,78

58,54

9 mois

108,21

86,47

155,09

123,35

6,02

5,60

4,08

3,22

48,72

61,58

(en gras : différence statistiquement significative entre le groupe placebo et le groupe intervention)

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, dans une population de patients prédiabétiques, l’administration de curcumine pendant 9 mois entraîne une diminution significative du nombre de personnes chez qui un diabète de type 2 est nouvellement diagnostiqué. En outre, le traitement par curcumine a semblé améliorer la fonction des cellules β, et ses effets secondaires étaient tout à fait mineurs. Cette étude montre donc qu’un traitement par curcumine peut être avantageux dans une population de patients prédiabétiques.

Financement 

Thai Traditional Medical Knowledge Fund; Department for Development of Thai Traditional and Alternative Medicine, Ministry of Public Health.

Conflits d’intérêt 

Aucun n’est mentionné.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Sur la base des mentions reprises dans cette publication, nous pouvons affirmer que cette étude randomisée, en double aveugle et contrôlée versus placebo a été élaborée et effectuée correctement.

Les numéros de randomisation générés par un ordinateur ont garanti à chaque participant autant de chances de se retrouver dans le groupe intervention que dans le groupe placebo. Aucune différence significative n’est constatée entre les deux groupes pour les caractéristiques sociodémographiques des participants et les valeurs initiales pour les critères de jugement étudiés.

Si le dessin de l’étude prévoyait que ni les soignants ni les patients ne soient au courant du traitement réellement reçu et que l’évaluation de l’efficacité soit faite en insu, nous ne pouvons cependant pas déterminer si les chercheurs sont réellement parvenus à ce que le produit actif ne soit pas identifiable par son goût et son odeur. L’observance est comparable dans les deux groupes. Il y a toutefois une différence entre les 2 groupes pour le nombre de patients sortis d’étude (23 dans le groupe curcumine contre 13 dans le groupe placebo). Les raisons et le moment de la sortie d’étude ne sont pas mentionnés. Les auteurs ont effectué une analyse en intention de traiter, mais ne disent pas comment ils ont traité ces sorties d’étude, nettement supérieures à 10%.

L’analyse du protocole d’étude préalablement publié (9) montre que les chercheurs voulaient initialement étudier l’effet de la curcumine sur la fonction des cellules β. La puissance de l’étude a donc été basée sur la modification du HOMA-β ; le critère de jugement nombre de patients chez qui un diabète de type 2 est nouvellement diagnostiqué a été rajouté ensuite. Sur le plan méthodologique, cette adaptation post hoc est une faute, mais qui n’a probablement pas ou que peu d’influence sur la fiabilité des résultats. Enfin, il faut signaler que cette étude a été menée dans un seul centre, sur une petite population particulière, ce qui hypothèque la validité externe de l’étude.

Interprétation des résultats

Les résultats de cette étude sont pour le moins étonnants. Il est surprenant de constater qu’aucun diabète de type 2 n’a été diagnostiqué après un an dans le groupe intervention. Un tel résultat après une période d’étude aussi courte ne cadre pas avec les résultats d’autres interventions. Ainsi, dans une étude récente incluant des personnes présentant une intolérance au glucose, l’incidence cumulée de survenue d’un diabète de type 2 au terme d’une période de vingt ans, était de 80% dans le groupe avec modifications du mode de vie contre 93% dans un groupe témoin (2). Dans la présente étude, il est également frappant que tous les paramètres des patients du groupe placebo se soient détériorés de manière concordante ; ces patients avaient pourtant, eux aussi, reçu un programme d’éducation concernant le mode de vie. Nous ignorons cependant si cette détérioration était significative. Malgré la bonne qualité méthodologique de cette étude, il convient donc de rester critique dans l’interprétation des résultats, préoccupation partagée par les chercheurs eux-mêmes. Ils se posent à juste titre des questions sur un biais possible dû à certains facteurs ethniques. L’étude a en effet été menée sur un très petit échantillon d’une ethnie donnée. Les facteurs de risque de développement d’un diabète sont largement présents dans la population thaïlandaise, et cela semble même être particulièrement vrai pour la population ayant fait l’objet de cette étude (10). En outre, cette première étude randomisée contrôlée évaluant l’efficacité de la curcumine n’a été menée que dans un seul centre d’étude. Tous ces éléments peuvent avoir faussé les résultats de l’efficacité de la curcumine à son avantage.

Il est donc beaucoup trop tôt pour conclure que la curcumine est un remède miracle dans la prévention du diabète de type 2 chez tous les patients prédiabétiques. Néanmoins, étant donné le sérieux de cette étude, il convient de tenir compte de ses résultats. La concordance des résultats tant pour le critère de jugement primaire que pour les critères de jugement secondaires suggèrent en effet l’activité d’un mécanisme biochimique sous-jacent. Il est possible que la curcumine soit un jour utilisée sur une base scientifique dans la lutte contre le diabète, mais il faut d’abord mener des études à long terme sur des groupes plus vastes ou plus variés. Dans ce cadre, il sera également important de tenir compte du fait que la curcumine est un mélange de trois curcuminoïdes, à savoir la curcumine (70-75%), la déméthoxycurcumine (15-20%) et la bisdéméthoxycurcumine (5-10%). La provenance et la composition de la préparation ainsi que les facteurs qui déterminent la disponibilité biologique d’une personne à l’autre doivent donc être intégrés dans une recherche future.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude de bonne qualité méthodologique conclut que la curcumine peut être un produit sans danger et efficace pour la prévention de la survenue d’un diabète de type 2 chez les patients prédiabétiques. Des études à plus long terme sur des populations plus larges et plus diverses doivent venir confirmer les résultats avant que la curcumine ne puisse se voir attribuer une place comme médicament pour la prévention du diabète de type 2.

 

Pour la pratique

Pour la prévention du diabète, la RBP belge (11) tout comme le NHG-Standaard (12) sur le diabète sucré de type 2, ne retiennent que les modifications du mode de vie (alimentation saine, exercices physiques suffisants) chez les patients prédiabétiques. Cette étude-ci semble montrer un intérêt pour la curcumine dans la prévention de la survenue du diabète de type 2 chez les patients prédiabétiques. Dans l’attente d’études à plus long terme sur des populations plus larges et plus variées, les recommandations actuelles restent valables.

 

Références

  1. Chevalier P, Laekeman G. Modification de comportement du patient : impact du médecin généraliste et du pharmacien. [Editorial] MinervaF 2012;11(3):27.
  2. De Cort P. Efficacité à long terme de mesures d’hygiène de vie en cas d’intolérance glucidique. MinervaF 2010;9(4):46-7.
  3. Kochhar KP. Dietary spices in health and diseases (II). Indian J Physiol Pharmacol 2008;52:327-54.
  4. Hsu GY, Cheng AL. Clinical studies with curcumin. Adv Exp Med Biol 2007;595:471-80.
  5. Collins M, McFarlane JR. An exploratory study into the effectiveness of a combination of traditional Chinese herbs in the management of type 2 diabetes. Diabetes Care 2006;29:945-6.
  6. Yeh GY, Eisenberg DM, Kaptchuk TJ, Phillips RS. Systematic review of herbs and dietary supplements for glycemic control in diabetes. Diabetes Care 2003;26:1277-94.
  7. Report of the Expert Committee on the Diagnosis and Classification of Diabetes Mellitus. Diabetes Care 1997;20:1183-97.
  8. International Expert Committee report on the role of the AIC assay in the diagnosis of diabetes. Diabetes Care 2009;32:1327-34.
  9. http://clinicaltrials.gov/show/NCT01052025
  10. Aekplakorn W, Bunnag P, Woodward M, et al. A risk score for predicting incident diabetes in the Thai population. Diabetes Care 2006;29:1872-77.
  11. Wens J, Sunaert P, Nobels F et al. Recommandations de bonne pratique: Diabète sucré de type 2. SSMG 2007.
  12. Rutten GE, De Grauw WJ, Nijpels G, et al. NHG-Standaard Diabetes mellitus type 2. Huisarts Wet 2006;49:137-52.
La curcumine pour prévenir le diabète de type 2 ?

Auteurs

Van De Vijver E.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde, Vrije Universiteit Brussel
COI :

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