Revue d'Evidence-Based Medicine



Importance des antécédents familiaux pour l’évaluation du risque cardiovasculaire global



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 10 Page 125 - 126

Professions de santé


Analyse de
Qureshi N, Armstrong S, Dhiman P, et al. Effect of adding systematic family history enquiry to cardiovascular disease risk assessment in primary care. A matched-pair, cluster randomized trial. Ann intern med 2012;156:253-262.


Question clinique
S’enquérir systématiquement des antécédents familiaux et les intégrer dans l’évaluation du risque cardiovasculaire global, est-ce réalisable dans la pratique et cela permet-il de détecter un plus grand nombre de patients présentant un risque cardiovasculaire accru ?


Conclusion
Il ressort de cette étude contrôlée avec randomisation en grappes que, par rapport au calcul du risque cardiovasculaire classique sur la base des données du dossier, s’enquérir de manière systématique et par écrit des antécédents familiaux cardiovasculaires et les intégrer dans le calcul du risque cardiovasculaire, permet de détecter un nombre significativement plus important de personnes à risque, sans que l’anxiété des participants s’en trouve augmentée. Cette étude ne permet pas de savoir si une meilleure identification des patients présentant un risque élevé conduit aussi à un meilleur résultat clinique.


 

 

(Texte et traduction sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone)


 

Contexte

La recommandation de Domus Medica ‘Gestion du risque cardiovasculaire global’ (1) préconise, pour la table de risque SCORE (2), d’également tenir compte, en plus des cinq facteurs de risque classiques (âge, sexe, pression artérielle systolique, cholestérol total, tabagisme), du diabète et des antécédents personnels et familiaux. En présence d’éléments familiaux (accident ischémique chez un parent au premier degré : père ou frère <55 ans et mère ou sœur <65 ans), le risque cardiovasculaire global devrait être multiplié par 1,5. Des études observationnelles suggèrent qu’il est possible d’identifier plus de 60% des patients présentant un risque cardiovasculaire accru si l’on tient compte des antécédents familiaux (3). Pour pouvoir correctement évaluer le risque cardiovasculaire familial, il est évidemment nécessaire de recueillir ces informations de manière systématique.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 748 patients âgés de 30 à 65 ans (âge moyen : 51 à 52 ans), 39% à 49% étant de sexe masculin, provenant de 24 patientèles de médecins généralistes britanniques, qui ont fait évaluer ou ont été invités à faire évaluer leur profil de risque cardiovasculaire par leur médecin généraliste
  • critères d’exclusion : antécédents de diabète ou de maladie cardiovasculaire, prise de médicaments hypolipémiants ; raison psychologique ou sociale de ne pas participer (déterminée par le médecin généraliste).

 

Protocole de l’étude

  • étude contrôlée avec randomisation en grappes ; le contexte socioéconomique et les origines ethniques ont fait l’objet d’un appariement 
  • deux groupes d’étude :
    • groupe d’intervention (n=390) : le patient répond à un questionnaire validé portant sur ses antécédents familiaux 
    • groupe contrôle (n=358) : le questionnaire n’est pas présenté au patient 
  • calcul du risque cardiovasculaire global par un calculateur de risque électronique utilisant l’algorithme de Framingham, après recueil des facteurs de risque cardiovasculaire dans le dossier médical informatisé (DMI) du patient et après traitement des questionnaires portant sur les antécédents familiaux cardiovasculaires 
  • le profil de risque ainsi que des conseils concernant le mode de vie sont envoyés au patient comme au médecin généraliste ; les personnes présentant un risque cardiovasculaire élevé (≥20% dans les 10 ans) sont invitées à consulter leur médecin généraliste pour une concertation à propos du risque cardiovasculaire accru et pour des recommandations sur leur mode de vie.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : différence entre le groupe d’intervention et le groupe contrôle quant à l’augmentation procentuelle du nombre de patients chez qui le risque cardiovasculaire est élevé 
  • critères de jugement secondaires : questionnaires sur l’anxiété, le tabagisme, l’activité physique et la consommation de graisses, en début d’étude et après six mois 
  • détermination de la faisabilité pratique de l’administration du questionnaire sur la base du taux de réponse (nombre de participants ayant renvoyé le questionnaire) et du pourcentage de réponses complètes
  • analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • 98,3% ont renvoyé le questionnaire (taux de réponse) ; 5,9% d’entre eux n’ont pas répondu de manière complète (pourcentage de réponses incomplètes) 
  • après l’intégration des antécédents familiaux cardiovasculaires dans le calculateur de risque, le pourcentage de patients chez qui le risque cardiovasculaire est élevé a augmenté de 4,8% en moyenne dans le groupe d’intervention contre 0,3% dans le groupe contrôle ; différence de 4,5% (IC à 95% de 1,7 à 7,2) ; p=0,007 après correction pour les caractéristiques des patientèles et des patients 
  • pas de différences significatives en ce qui concerne le score d’anxiété, le niveau d’activité physique et la consommation de graisses ; diminution du tabagisme et arrêt du tabagisme significativement plus importants (p=0,001) dans le groupe d’intervention.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que s’enquérir des antécédents familiaux cardiovasculaires de manière systématique permet d’identifier un plus grand nombre de personnes chez qui le risque cardiovasculaire est élevé et qui entrent en ligne de compte pour une stratégie de prévention spécifique, et que cela semble n’avoir aucun effet ou que peu d’effet sur l’anxiété.

 

Financement

Genetics Health Services Research Program, United Kingdom Department of Health

 

Conflits d’intérêt

Les auteurs ont, via le site Web, déclaré n’avoir aucun lien financier avec l’industrie pharmaceutique.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Dans l’ensemble, la qualité méthodologique de cette étude est bonne. Pour éviter les contaminations, la randomisation s’est déroulée au niveau des patientèles. Leurs caractéristiques socioéconomiques et ethniques ont également fait l’objet d’un appariement. Malgré la grande similarité obtenue entre la composition du groupe d’intervention et celle du groupe contrôle, nous constatons tout de même plus de privation sociale dans le groupe contrôle (2 points de moins sur une échelle de 7 dans le groupe d’intervention) et un plus grand nombre de participants de sexe masculin et d’Asiatiques dans le groupe d’intervention. Les auteurs ont corrigé par la suite les résultats pour ces différences. L’étude n’a bien sûr pas pu être menée en aveugle puisque les médecins connaissaient le traitement, même s’ils n’étaient pas au courant des actes posés dans l’autre groupe. La randomisation a été réalisée en aveugle uniquement pour les collaborateurs qui ont intégré les données et pour les statisticiens. L’étude a atteint la puissance prédéfinie pour le critère de jugement primaire, mais vu le grand nombre de données manquantes après six mois de suivi, ces calculs sont incomplets et moins fiables.

 

Mise en perspective des résultats

Les participants ont été recrutés sur base volontaire au cours d’une consultation fortuite chez un médecin impliqué dans l’étude. Le taux de recrutement restreint dans le groupe d’intervention et dans le groupe contrôle (respectivement 45% et 41,6%) a pour conséquence que la population étudiée représente plutôt un échantillon sélectionné, de sorte que les résultats ne sont pas facilement généralisables. Il se produit en fait dans cette étude la même chose que dans la pratique du médecin généraliste : les personnes intéressées participent, tandis que nous échappe la majeure partie de la population, précisément celle qui nous voudrions examiner.

Néanmoins, la conclusion de cette étude garde sa valeur : la collecte systématique du risque familial cardiovasculaire et son intégration dans l’évaluation du risque cardiovasculaire global élargit de près de 5% le groupe des patients à haut risque. Il est à noter qu’au début de l’étude, plus de 50% des dossiers des patients dans les deux groupes étudiés ne contenaient aucune donnée concernant les antécédents familiaux. Si nous ne disposons pas de données scientifiques pour la Belgique, il est cependant permis de supposer que la situation n’y est pas meilleure, comme le suggère une récente thèse MaNaMa (4) : trois grandes patientèles de médecins généralistes flamands ont fait l’objet d’une étude qui a montré que seuls 30,7% des DMI mentionnaient les antécédents familiaux cardiovasculaires. Comme la prise en compte de ce facteur de risque à l’échelon de la population pourrait constituer une avancée importante en matière de prévention cardiovasculaire, nous espérons que la politique de santé flamande ratifiera l’utilisation du guide de santé de Domus Medica (5).

Bien qu’arbitraire, la multiplication du risque cardiovasculaire global par un facteur 1,5 en présence d’antécédents familiaux est généralement acceptée (1). Cependant, il existe aussi d’autres facteurs de risque, appelés ‘éléments descriptifs’ ou ‘qualifiers’ (mode de vie sédentaire, obésité abdominale, signes d’athérosclérose, faible taux de HDL cholestérol, milieu pauvre ou précarisé, etc.), qui ne font pas encore partie de l’algorithme de calcul du risque cardiovasculaire global. Il est urgent d’effectuer des recherches scientifiques à ce propos. Une étude, en effet, a déjà montré que les facteurs de risque classiques (sexe, âge, tabagisme, pression artérielle systolique et cholestérol) n’expliquent que 43% de la variance du risque cardiovasculaire global chez les femmes et 38% chez les hommes (6). En d’autres termes, plus de 50% du risque cardiovasculaire global sont liés à des facteurs de risque encore indéterminés.

Le calcul correct du risque cardiovasculaire global dans la pratique du médecin généraliste implique également l’exécution d’un plan d’action visant à réduire le risque. Mais dans cette étude, le rapport du résultat d’un tel plan thérapeutique n’est pas satisfaisant (données manquantes, résultats limités). Toutefois, ce n’était pas l’objet de cette étude, dont la puissance n’était pas non plus calculée dans ce but. Il convient cependant de noter la diminution du tabagisme dans le groupe d’intervention après six mois et la tendance à une consommation plus importante de statines et d’aspirine.

 

Conclusion de Minerva

Il ressort de cette étude contrôlée avec randomisation en grappes que, par rapport au calcul du risque cardiovasculaire classique sur la base des données du dossier, s’enquérir de manière systématique et par écrit des antécédents familiaux cardiovasculaires et les intégrer dans le calcul du risque cardiovasculaire, permet de détecter un nombre significativement plus important de personnes à risque, sans que l’anxiété des participants s’en trouve augmentée. Cette étude ne permet pas de savoir si une meilleure identification des patients présentant un risque élevé conduit aussi à un meilleur résultat clinique.

 

Pour la pratique

La recommandation de Domus Medica (1) et le guide de santé de Domus Medica (2) préconisent de s’enquérir systématiquement et scrupuleusement des antécédents familiaux cardiovasculaires lors de l’évaluation du risque cardiovasculaire global. Le guide de santé forme la base du DMG plus, lui-même une ébauche pour recueillir de manière plus structurée les données sur le risque cardiovasculaire. La RCT discutée ici montre que, pour identifier les personnes présentant un risque cardiovasculaire élevé, il est avantageux de s’enquérir systématiquement des antécédents familiaux cardiovasculaires.

 

 

Références

  1. Boland B, Christiaens T, Goderis G, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering: Globaal cardiovasculair risicobeheer. Huisarts Nu 2007;7:339-69.
  2. De Backer G, De Bacquer D, Brohet C, et al. Aanbevelingen voor de preventie van cardiovasculaire aandoeningen in de klinische praktijk. Belgische Nationale Werkgroep voor de preventie van hart- en vaatziekten. Tijdschrift Geneeskd 2005;61:601-13.
  3. Williams RR, Hunt SC, Heiss G, et al. Usefulness of cardiovascular family history data for population-based preventive medicine and medical research. Am J Cardiol 2001;87:129-35.
  4. Veirman L. Globaal cardiovasculair risicomanagement in de huisartspraktijk. MaNaMathesis, ICHO 2009.
  5. Baeten R, Govaerts F et al. Gezondheidsgids, handleiding voor preventie in de huisartsenpraktijk. Domus Medica 2011.
  6. Hippisley-Cox J, Coupland C, Vinogradova Y, et al. Predicting cardiovascular risk in England and Wales: prospective derivation and validation of QRISK2. BMJ 2008;336:1475-82.
Importance des antécédents familiaux pour l’évaluation du risque cardiovasculaire global



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