Revue d'Evidence-Based Medicine



Quelle est la place d’une surveillance active d’un cancer localisé de la prostate ?



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 9 Page 114 - 115

Professions de santé


Analyse de
Dahabreh IJ, Chung M, Balk EM, et al. Active surveillance in men with localized prostate cancer: a systematic review. Ann Intern Med 2012;156:582-90.


Question clinique
Quels sont les critères justifiant une surveillance active d’un cancer localisé de la prostate, quels sont les facteurs qui déterminent si celle-ci doit être mise en place, et quelle est l'efficacité de cette approche par rapport à une prise en charge curative d’emblée ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique de bonne qualité méthodologique montre clairement que la définition des concepts de surveillance active et de temporisation prête à confusion dans le cadre du traitement d’un cancer localisé de la prostate. La littérature existante ne permet pas d'identifier les facteurs légitimant un choix particulier. La seule bonne approche est celle qui informe le patient des avantages et inconvénients des différentes options.


 

 

Contexte

Suite au dépistage par PSA, l'proportion de personnes qui développe une maladie au cours d’une période déterminée. Elle se calcule en divisant le nombre de nouveaux cas survenus au cours de la période d’étude par le nombre de personnes dans la population n’ayant pas cette maladie au début de cette période d’étude. Le taux d’incidence se calcule en divisant le nombre de nouveaux cas de maladies au cours d’une période déterminée par la « population à risque ». La « population à risque » est déterminée par le nombre total d’unités de temps pendant lesquelles la population étudiée est soumise au risque de développer la maladie, par exemple pour 1 000 patients-année. ">incidence cumulative du cancer de la prostate a augmenté, alors que l'impact du cancer de la prostate évalué en termes d'années de vie perdues reste limité (1). L'avantage clinique d'un traitement curatif d’emblée avec prostatectomie radicale ou radiothérapie associée ou non à une thérapie anti-androgène, est probablement infime (1). Ces interventions entraînent en outre souvent des effets indésirables tels que l'impuissance sexuelle, troubles de la miction et troubles de la fonction intestinale. C’est la raison pour laquelle la surveillance active (‘active surveillance’, AS) et la temporisation (‘watchful waiting’, WW) sont proposées comme traitements dans un cancer localisé de la prostate.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique

 

Sources consultées

  • recherche systématique dans MEDLINE, Cochrane Database of Systematic Reviews, Cochrane Central Register of Randomized Controlled Trials, Health Technology Assessment Database (jusque août 2011)
  • recherche sélective dans d'autres banques de données spécifiques, références des études incluses et synthèses méthodiques, ainsi que des études suggérées par des experts.

Études sélectionnées

  • critères d'inclusion : études observationnelles dans une population d’hommes atteints d’un cancer de la prostate, et au sein de laquelle une surveillance active ou une temporisation a été mise en place ; études observationnelles et interventionnelles dans une population d’hommes atteints d’un cancer localisé de la prostate, qui comparent  la surveillance active (AS) et la temporisation (WW, « watchful waiting ») à un traitement actif
  • des 2 175 articles retrouvés lors d’une recherche systématique, 914 furent retenus sur la base du titre et du sommaire ; 66 articles furent retrouvés de manière sélective ; après analyse du texte intégral furent retenus : 195 articles, 2 synthèses d'évidence et 2 évaluations économiques ; au total 121 publications se sont avérées pertinentes pour cette synthèse méthodique
  • exclusion des données non publiées et des articles publiés dans une autre langue que l’anglais.

 

Population étudiée

  • patients d'âges différents, diagnostiqués avec un cancer localisé de la prostate, et présentant une variété de scores de Gleason et de taux de PSA et nombre de biopsies positives.

Mesure des résultats

1. Comment définit-on la surveillance active et les autres stratégies de suivi en se basant sur :

  • les critères de départ chez les patients concernés (âge, score de Gleason, nombre et pourcentage de biopsies positives, imagerie médicale, taux de PSA et temps de doublement du PSA, caractéristiques comportementales)
  • les paramètres de suivi (score de Gleason, nombre et pourcentage de biopsies positives, taux de PSA, imagerie médicale, caractéristiques comportementales)

2. Quels facteurs déterminent pourquoi un patient est éligible pour une surveillance active : facteurs propres au médecin (médecin généraliste, médecin qui pose le diagnostic, médecin à qui l'on demande une seconde opinion, facteurs cliniques), facteurs propres au patient (engagement familial, préférences individuelles, perception du risque, antécédents familiaux, soutien social), facteurs propres au système des soins de santé (sécurité sociale, disponibilité de la technologie, milieu urbain versus milieu rural, centre de soins académique ou privé) et facteurs liés à la communication (modèles de prédiction, systèmes d’aide à la décision médicale)  ?

3. Quelle est la différence d'effet à court et à long terme de la surveillance active par rapport à un traitement curatif d’emblée en termes de mortalité liée au cancer prostatique, de mortalité globale, de morbidité, incidences de métastases, qualité de vie et coûts ?

 

Résultats

1. Définition de la surveillance active

  • critères de départ (N=16 cohortes) :  
    • score de Gleason (N=12) : valeur seuil en général ≤6
    • taux de PSA (N=10) : valeur seuil ≤10 µg/L à ≤20 µg/L
    • nombre de biopsies positives (N=8) : ≤2 à ≤3
  • paramètres de suivi (N=16 cohortes) :
    • score de Gleason (N=12)
    • test PSA (N=16) tous les 3 à 6 mois
    • toucher rectal (N=14) tous les 3 à 12 mois
    • nouvelles biopsies (N=14) tous les 6 à 18 mois
    • scintigraphie osseuse (N=1)
    • IRM de la prostate (N=1)

2. 25 études ont analysé différents facteurs ; deux études seulement ont évalué les facteurs spécifiques pour la surveillance active

3. Aucune étude n'a comparé la surveillance active par rapport à un traitement curatif d’emblée.

Conclusion des auteurs

Les auteurs arrivent à la conclusion que les preuves ne suffisent pas pour établir si la surveillance active est une option à recommander aux hommes atteints d’un cancer localisé de la prostate. Une définition standardisée permettant de faire la distinction entre la surveillance active et la temporisation est nécessaire dans le but de clarifier les discordances scientifiques.

 

Financement

Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ)

 

Conflits d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

Résumé

 

Considérations sur la méthodologie

La description du protocole de cette synthèse méthodique est bonne. Cinq auteurs ont effectué une recherche approfondie dans la littérature. Selon les auteurs, il est probable qu'un nombre d'études pertinentes n'aient pas été incluses, du fait que la recherche se limitait à des articles publiés en anglais, et que les mots clés repris dans les résumés des études observationnelles ne sont peut-être pas corrects. Un chercheur a réalisé l'extraction des données. L’évaluation de la qualité méthodologique s’est limitée aux études comparant une stratégie de suivi à une intervention d’emblée, et a été réalisée à l'aide d'une échelle validée (2). Pour exprimer la qualité des études on a eu recours à une lettre (de A = risque faible de biais, à C= risque élevé de biais), méthode que la Cochrane Collaboration ne recommande plus (3). L’hétérogénéité clinique des études, l’éventualité d’un rapportage sélectif et d’un chevauchement important au niveau des populations des différentes études utilisant les mêmes bases de données, ont empêché la réalisation d’une méta-analyse des données quantitatives. La critique la plus importante des auteurs par rapport aux études retrouvées est le fait que les concepts de « surveillance active » (AS) et de « temporisation » (watchful waiting, WW) n’ont pas été formulés de manière standardisée. Même les études ayant fait la distinction entre l'AS et WW, ont utilisé un large éventail de protocoles, de sorte que les auteurs étaient incapables de faire la distinction entre les deux approches.

Mise en perspective des résultats

La Revue Prescrire a calculé qu’en cas d’atteinte d’un seul lobe, avec un score de Gleason de ≤7, et un taux de PSA de ≤20, le risque de décès suite à un cancer de la prostate est limité à 0,5% par an (4). Dans des cas plus graves, avec un score de Gleason de >7 et un taux de PSA >20, le risque s’élève à 4% par an. Jusqu’à ce jour, on ne dispose d’aucune méthode permettant de faire la distinction entre un cancer à faible risque et un cancer agressif. Plusieurs études ont montré que dans le cas d’un cancer localisé de la prostate, la temporisation - au lieu d'un traitement curatif d’emblée - semble justifiée (5). C’est depuis 2004 déjà que l'on essaie de faire la distinction entre la surveillance active (AS) et la temporisation (WW) (6). Cette synthèse de la littérature montre que les concepts d'AS et de WW se confondent souvent et que pour aucun il n'existe de critères de départ apparents. Cependant, la valeur seuil du taux de PSA fut en général inférieure pour l'AS (jusqu’à 20 µg/L) par rapport au WW (jusqu’à 50 µg/L). L’âge est rarement utilisé comme critère de départ. Dans le cas d'un suivi actif, les paramètres de suivi, les critères de passage à un traitement curatif et le traitement même sont très hétérogènes.

Les 25 études avec analyse multifactorielle des facteurs déterminants pour l’AS ou la temporisation (seules deux études n’ont analysé que l’AS) ne nous permettent pas de tirer des conclusions claires. Or, les médecins ont une certaine tendance à préférer la temporisation dans une population plus âgée ou présentant plusieurs co-morbidités, face à un bas score de Gleason, face à des tumeurs bien différenciées, à une maladie de bas grade et à un taux de PSA plus bas. Le fait d’être célibataire, de vouloir éviter les effets indésirables, problèmes digestifs ou urinaires ou l'anxiété sont des caractéristiques propres aux patients qui ont souvent joué un rôle dans le choix pour ou contre la surveillance active. Deux études qualitatives et une enquête ont montré que les urologues ou les oncologues ont le plus d’impact sur l’orientation du patient vers une prise en charge par surveillance active.

Aucune étude n’a comparé les critères de jugement cliniques de l'AS par rapport à ceux du traitement curatif d’emblée. D’autres études cliniques devront être menées non seulement pour déterminer le protocole optimal pour la surveillance active, mais aussi pour comparer l'efficacité de l'AS par rapport au traitement curatif d’emblée. Ces études nécessiteront des populations de grande taille et un suivi à long terme.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique de bonne qualité méthodologique montre clairement que la définition des concepts de surveillance active et de temporisation prête à confusion dans le cadre du traitement d’un cancer localisé de la prostate. La littérature existante ne permet pas d'identifier les facteurs légitimant un choix particulier. La seule bonne approche est celle qui informe le patient des avantages et inconvénients des différentes options.

 

Pour la pratique

Tant le dépistage systématique que le dépistage opportuniste à l’aide du test PSA sont déconseillés par Domus Medica entre autres (7). Depuis peu, le test n’est d’ailleurs plus remboursé par l’INAMI (8). Le jury de la réunion de consensus accepte la surveillance active comme approche valable après le diagnostic d'un cancer localisé de la prostate, à condition que tous les critères soient respectés et que le patient se soit déclaré d'accord avec un suivi à long terme (9). Un consentement éclairé du patient est indispensable dans ce contexte. Dans sa décision de mettre en place une surveillance active, le médecin tiendra compte des critères suivants : espérance de vie (>10 ans, d'après les recommandations de l’Association Européenne d'Urologie (EAU), un bon état de santé, un cancer localisé de la prostate à faible risque (score de Gleason ≤6, T1-T2a, PSA <10 ng/mL, <2 (ou <3 d'après l’EAU), biopsies positives et <50% de tumeur dans chaque biopsie, choix du patient (en relation avec son niveau d’anxiété), risque d'effets indésirables en cas de chirurgie (principalement incontinence et impuissance sexuelle). La décision d’initier soit une surveillance active, soit un traitement, ne sera prise que dans le cadre d'une concertation oncologique multidisciplinaire (COM). Cette synthèse méthodique ne modifie pas ce consensus.

 

Références

  1. Spinnewijn B, Van den Bruel A. Cancer de la prostate : à dépister ou non ? MinervaF 2009;8(9):124-5.
  2. Owens DK, Lohr KN, Atkins D, et al. AHRQ series paper 5: grading the strength of a body of evidence when comparing medical interventions--agency for healthcare research and quality and the effective health-care program. J Clin Epidemiol 2010;63:513-23.
  3. Chevalier P. Qualité méthodologique et biais dans les RCTs. MinervaF 2010;9(7):76.
  4. Traiter (ou non) les cancers localisés de la prostate. Rev Prescr 2012;343:362-8.
  5. Chevalier P. Traitement conservateur versus traitement immédiat du cancer de la prostate. Minerva online 28/11/2011.
  6. Parker C. Active surveillance: towards a new paradigm in the management of early prostate cancer. Lancet Oncol 2004;5:101-6
  7. Dossier Domus Medica. Prostaatkankerscreening.
  8. URL : http://inami.fgov.be/care/nl/nomenclature/history/pdfrange/draagwijdte__24n15.pdf
  9. Traitements efficients dans les pathologies bénignes et malignes de la prostate. Réunion de consensus INAMI. Bruxelles, 12 mai 2011.
Quelle est la place d’une surveillance active d’un cancer localisé de la prostate ?

Auteurs

Leunckens I.
huisarts; lid redactie WZC Formularium
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