Revue d'Evidence-Based Medicine



Quelle est la formule qui fournit l’estimation la plus précise du débit de filtration glomérulaire ?



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 9 Page 108 - 109

Professions de santé


Analyse de
Earley A, Miskulin D, Lamb EJ, et al. Estimating equations for glomerular filtration rate in the era of creatinine standardization. Ann Intern Med 2012;156:785-95.


Question clinique
Par comparaison avec un test de référence, quelle est la formule (ou le calcul) qui fournit l’estimation la plus précise du débit de filtration glomérulaire chez l’adulte en faisant intervenir le taux de créatinine sérique ?


Conclusion
La conclusion de cette étude est qu’aucune des formules faisant intervenir le taux de créatinine sérique n’est optimale pour estimer le DFG chez tous les patients et dans toutes les situations. Globalement, il semble que la formule du CKD-EPI soit plus précise que celle du MDRD, mais il n’existe pas encore assez de preuves pour remplacer la formule du MDRD par celle du CKD-EPI dans la pratique clinique.


 

 

Contexte

Une estimation précise du débit de filtration glomérulaire (DFG) est un élément essentiel de la détection et du suivi de l’insuffisance rénale chronique (1). La plus utilisée est la formule du MDRD (Modification of Diet in Renal Disease), mais elle est moins précise pour des valeurs de DFG élevées et chez les patients d’origine africaine. En raison de ces limites, d’autres formules faisant intervenir le taux de créatinine sérique ont été développées. Il n’est toutefois pas clair laquelle fournit l’estimation la plus précise du DFG.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique

 

Sources consultées

  • MEDLINE à partir de 1999 jusqu’au 21 octobre 2011
  • références des revues antérieures
  • pas de restriction de langue.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : études transversales dans une population adulte ; comparaison d’au moins deux formules du DFG faisant intervenir le taux de créatinine sérique avec un test de référence (clairance urinaire ou clairance plasmatique d’une substance exogène) ; mesure standardisée du taux de créatinine sérique (par une technique classique ou corrigé avec un échantillon de référence quantifié par spectrométrie de masse à dilution isotopique (2))
  • exclusion des études comptant moins de cent participants ainsi que des études utilisant comme test de référence la collecte des urines de vingt-quatre heures
  • sur les 100 articles trouvés, 20 études ont finalement été incluses.

Population étudiée

  • 12 898 patients d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Australie (n=12) et 2 468 patients d’Asie et d’Afrique (n=8) ; 6 études menées dans la population générale, 3 études chez des patients souffrant de néphropathie chronique, 6 études dans le cadre d’une transplantation rénale, 1 étude chez des patients ayant un cancer et 4 études avec une population hétérogène.

Mesure des résultats

  • différence entre le DFG estimé au moyen de la formule et le DFG mesuré par le test de référence :
    • biais ou erreur systématique du DFG estimé, exprimé sous forme de différence médiane ou moyenne entre la valeur du DFG obtenue par la formule et celle obtenue au moyen du test de référence
    • reproductibilité ou diffusion des valeurs du DFG estimé autour de la valeur du DFG mesuré
    • précision du DFG estimé, exprimée en pourcentage des valeurs du DFG estimé qui s’écartent de plus de 30% de la valeur du DFG mesuré (P30)
  • résultats présentés séparément pour les études menées dans les populations d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Australie (populations occidentales) et pour les études menées dans les populations asiatiques et africaines (populations non occidentales) ; analyses en sous-groupes entre autres suivant le DFG mesuré.

 

Résultats

  • utilisation de cinq tests de référence différents (iothalamate (n=6), DTPA (n=3), inuline (n=3), EDTA (n=4), iohexol (n=1) et variation des marqueurs (n=1))
  • comparaison entre la formule du MDRD et celle du CKD-EPI dans toutes les études menées dans des populations occidentales :
    • biais (n=12) : 14,6 à -22 ml/min ; avec la formule du MDRD, le biais est plus important dans 7 études et moins important dans 5 études
    • reproductibilité (n=10) : la formule du CKD-EPI est plus précise que la formule du MDRD dans 6 études et aussi précise ou moins précise dans 4 études
    • précision (n=12) : P30=59% à 95% ; avec la formule du MDRD, P30 est plus élevé dans 10 études et plus petit dans 2 études
    • par comparaison avec la formule du MDRD, celle du CKD-EPI est plus précise et fournit une estimation moins biaisée dans les études où le DFG moyen est plus élevé (>60 ml par minute) ; à l’inverse, dans les études où le DFG moyen est moins élevé (<60 ml/min), c’est la formule du MDRD qui est plus précise et qui fournit une estimation moins biaisée
  • dans 5 des 8 études menées dans des populations non occidentales, la précision de la formule utilisée était améliorée par l’ajout d’un facteur lié à la population (tel que l’origine ethnique).

Conclusion des auteurs

Ni la formule du CKD-EPI, ni celle du MDRD n’est optimale pour une estimation du DFG dans toutes les populations. Le choix de la formule se fera en fonction des valeurs élevées ou basses du DFG. Dans la pratique générale et dans une perspective de santé publique, la formule du CKD-EPI est à préférer.

 

Financement

KDIGO (Kidney Disease: Improving Global Outcomes)

 

Conflits d’intérêt

Tous les auteurs déclarent avoir reçu une indemnité de différents instituts ou fondations non commerciaux.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La méthodologie de cette synthèse méthodique présente quelques limites importantes : consultation d’une seule banque de données, manque de précision quant au nombre de chercheurs impliqués dans l’inclusion des études et dans l’extraction des données. En outre, il ne nous a pas été possible de savoir, à partir de l’article, si les auteurs avaient contrôlé de façon standardisée la qualité méthodologique des études incluses. En revanche, elle a ceci de positif que seules ont été incluses les études utilisant une détermination standardisée du taux de créatinine sérique (par la méthode classique recommandée au niveau international). Ceci permet de comparer différentes formules du DFG. Les auteurs ont également pris soin d’analyser séparément les études menées dans les populations occidentales et celles menées dans les populations non occidentales. Cependant, les auteurs n’ont pas tenu compte des autres causes d’hétérogénéité. Nous pensons par exemple aux différences importantes entre les populations étudiées (race, âge...) et à l’utilisation de différents tests de référence pour mesurer le DFG. Les intervalles de confiance des DFG mesurés étaient en outre très larges. Cette étude ne fait pas non plus de distinction entre le dépistage, le diagnostic et le suivi de l’insuffisance rénale chronique.

L’expression de la différence entre le DFG estimé et le test de référence variait considérablement, et souvent, les intervalles de confiance n’étaient pas précisés. Néanmoins, les auteurs sont parvenus à donner un aperçu limpide des résultats.

 

Interprétation des résultats

Les résultats de cette synthèse méthodique ne permettent pas d’établir quelle est en fin de compte la formule faisant intervenir le taux de créatinine sérique qu’il faut choisir. Les intervalles de confiance des paramètres utilisés (biais, reproductibilité, précision) dans la formule du MDRD et dans celle du CKDI-EPI se chevauchent souvent. Dans les cas de faible DFG, la formule du MDRD fournit le plus souvent une meilleure estimation que celle du CKD-EPI, et, dans les cas où il est élevé, c’est la formule du CKD-EPI qui fournit la meilleure estimation. La conclusion des auteurs selon laquelle, en santé sociale, c’est la formule du CKD-EPI qu’il faut choisir est cependant discutable. La question à se poser est plutôt la suivante : l’estimation doit-elle être plus précise pour un DFG peu diminué (par exemple DFG entre 60 et 90 ml/min) ou pour un DFG fortement réduit (DFG<60 ml/min) ? Du point de vue épidémiologique, sans doute vaut-il mieux simplement estimer la fréquence de la diminution du DFG au sein d’une population. Par contre, en pratique clinique, il est particulièrement important de disposer d’une estimation fiable du DFG chez les patients dont la fonction rénale est modérément ou fortement diminuée. Ceci a en effet des conséquences pour la politique de santé actuelle, comme l’inclusion d’un patient dans le trajet de soins pour l’insuffisance rénale chronique. Par ailleurs, il ressort d’une récente méta-analyse que la formule du CKD-EPI permet un classement plus précis des patients quant à la mortalité et l’insuffisance rénale terminale (3). Il est donc indispensable de poursuivre la recherche sur la pertinence clinique des différentes formules de DFG.

 

Autres études

En 2012, Inker et coll ont mené une étude transversale pour examiner le biais, la reproductibilité et la précision d’une nouvelle formule du CKD-EPI faisant intervenir le taux de créatinine sérique et le taux de cystatine C sérique (4). La cystatine C, tout comme la créatinine, est produite par l’organisme et filtrée par les glomérules, mais elle est moins influencée par la masse musculaire. La reproductibilité et la précision étaient meilleures qu’avec les formules qui font intervenir uniquement le taux sérique de créatinine ou de cystatine C. D’autres études sont nécessaires pour confirmer ces résultats.

 

Conclusion de Minerva

La conclusion de cette étude est qu’aucune des formules faisant intervenir le taux de créatinine sérique n’est optimale pour estimer le DFG chez tous les patients et dans toutes les situations. Globalement, il semble que la formule du CKD-EPI soit plus précise que celle du MDRD, mais il n’existe pas encore assez de preuves pour remplacer la formule du MDRD par celle du CKD-EPI dans la pratique clinique.

 

Pour la pratique

Le dépistage de l’insuffisance rénale chronique n’est indiqué que chez les patients diabétiques, les patients souffrant d’hypertension ou atteints d’une affection cardiovasculaire et chez ceux qui ont des antécédents familiaux d’insuffisance rénale. Lors du dépistage, il convient de tenir compte autant de la protéinurie que de la fonction rénale. Le meilleur paramètre pour déterminer la fonction rénale est le débit de filtration glomérulaire. Tant le guide de bonne pratique de Domus Medica (1) que celui du NICE (5) préconisent la formule du MDRD pour estimer le DFG. Actuellement, nous ne disposons pas d’arguments pour remplacer la formule du MDRD par celle du CKD-EPI ou par une autre. A cet égard, il convient également de tenir compte du fait qu’un tel changement ne serait pas évident dans la pratique clinique, et poserait problème par rapport au suivi de l’évolution du DFG d’un patient donné.

 

 

Références

  1. Van Pottelbergh G, Avonts M, Cloetens H, et al. Chronische nierinsufficiëntie. Richtlijn voor goede medische praktijkvoering. Huisarts Nu, oktober 2012.
  2. Myers GL, Miller WG, Coresh J, et al; National Kidney Disease Education Program Laboratory Working Group. Recommendations for improving serum creatinine measurement: a report from the Laboratory Working Group of the National Kidney Disease Education Program. Clin Chem 2006;52:5-18.
  3. Matsushita K, Mahmoodi BK, Woodward M, et al; Chronic Kidney Disease Prognosis Consortium. Comparison of risk prediction using the CKD-EPI equation and the MDRD study equation for estimated glomerular filtration rate. JAMA 2012;307:1941-51.
  4. Inker LA, Schmid CH, Tighiouart H, et al; CKD-EPI Investigators. Estimating glomerular filtration rate from serum creatinine and cystatin C. N Engl J Med 2012;367:20-9. Erratum in: N Engl J Med 2012;367:681.
  5. National Collaborating Centre for Chronic Conditions. Chronic kidney disease: national clinical guideline for early identification and management in adults in primary and secondary care. London: Royal College of Physicians, September 2008.
Quelle est la formule qui fournit l’estimation la plus précise du débit de filtration glomérulaire ?

Auteurs

Van Pottelbergh G.
KIC Zorg, Departement Gezondheidszorg en Technologie, KHLeuven
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