Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité et sécurité de la daltéparine versus ibuprofène dans le traitement de la thrombophlébite superficielle



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 8 Page 101 - 102

Professions de santé


Analyse de
Rathbun SW, Aston CE, Whitsett TL. A randomized trial of dalteparin compared with ibuprofen for the treatment of superficial thrombophlebitis. J Thromb Haemost 2012;10:833-9.


Question clinique
Quelles sont l'efficacité et la sécurité d'un traitement avec de la daltéparine comparé à un traitement avec de l'ibuprofène chez des patients atteints de thrombophlébite superficielle confirmée par échographie?


Conclusion
Cette étude, menée chez un groupe de patients sélectionnés atteints de thrombophlébite superficielle, montre que le traitement d'une thrombophlébite superficielle (confirmée par échographie) à une dose journalière sous-cutanée de daltéparine de 10 000 unités pendant une à deux semaines réduit le nombre d'extensions du thrombus pendant la courte durée du traitement. Il n'est pas possible de se prononcer quant à une réduction du nombre de TVP. Vu le manque de puissance statistique, nous ne pouvons également pas tirer de conclusion sur la sécurité de ce traitement.


Texte publié sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

 

Contexte

Une étude de cohorte rétrospective réalisée dans 34 pratiques de médecine générale aux Pays-Bas, a montré qu’une thrombose veineuse profonde (TVP) survenait dix fois plus souvent (OR 10,2; IC à 95% de 2,0 à 51,6) dans les six mois après un diagnostic de thrombophlébite superficielle (TS) en comparaison avec des patients sans thrombophlébite superficielle. Le risque absolu de TVP n'était toutefois que de 2,7% et aucune augmentation de l'incidence d'embolies pulmonaires n’a pu être constatée (1). Il existe un intérêt croissant concernant l’utilisation d’héparines de bas poids moléculaire (HBPM) comme alternative aux AINS dans le traitement de la thrombophlébite superficielle, et ce en raison de leur effet antithrombotique et anti-inflammatoire.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 72 patients (sur un total de 302 patients recrutés au départ); âge moyen de 51 à 52 ans, provenant de deux hôpitaux et d’un service ambulatoire (University of Oklahoma)
  • critères d'inclusion : patients hospitalisés ou ambulants atteints de thrombophlébite superficielle (confirmée par échographie de compression) dans un membre, sans cathéter intraveineux
  • critères d'exclusion : plus de 24 heures sous traitement anticoagulant, TVP simultanée; hémorragie active et cliniquement pertinente, hémorragie cérébro-vasculaire ou gastro-intestinale dans l'année passée; hypersensibilité connue aux AINS, à l'héparine ou aux dérivés d'héparine; plaquettes sanguines <100 000; troubles de coagulation (aussi bien héréditaires qu'acquis); poids <40 kg ou >135 kg; créatininémie >2 mg/dl; PA >180/110 mmHG; grossesse ou <1 semaine post-partum.

 

Protocole d’étude

  • RCT en double aveugle et double placebo
  • randomisation en grappes avec stratification sur base de la localisation des hôpitaux
  • deux groupes de traitement :
    • intervention : une dose unique de 200 UI/kg de daltéparine par voie sous-cutanée, suivie d'une dose journalière de 10 000 UI en administration sous-cutanée pendant 6 jours + des tablettes placebo per os 3 fois par jour pendant 7 jours
    • contrôle : 800 mg d'ibuprofène per os 3x/jour + injection quotidienne de placebo pendant 7 jours
  • poursuite du traitement randomisé pendant 7 jours si les symptômes n’avaient pas disparu et qu’une extension du thrombus aux jours 7 à 9 n’a pas été constatée
  • traitement par héparine intraveineuse ou héparine de bas poids moléculaire selon les recommandations standards si une extension du thrombus a été détectée au cours des 14 jours de traitement
  • échographie de compression immédiate ou scanner spiralé en cas de suspicion de TVP ou d'embolie pulmonaire
  • suivi après 7 à 9 jours, après 14 à 16 jours, après un mois et après trois mois avec échographie de compression, analyse de sang complète et anamnèse (entre autres des symptômes).

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : nombre de patients avec extension du thrombus ou TVP symptomatique confirmée par échographie après 14 -16 jours et après trois mois
  • critère de jugement secondaire : amélioration de la douleur entre le jour 7 et 14-16, mesuré sur une échelle de 0 à 10
  • critères de jugement sur la sécurité : hémorragie majeure (définie comme une hémorragie visible avec une diminution de minimum 2g/dl de Hb, nécessité de transfusion de ≥2 unités, thrombopénie <100 000 ou présence d’hémorragie intracrânienne ou rétropéritonéale) et hémorragie mineure.

Résultats

  • après deux semaines : extension du thrombus chez quatre patients du groupe traité par ibuprofène versus chez aucun patient dans le groupe traité par la daltéparine (p=0,05)
  • après trois mois : extension du thrombus chez six patients dans le groupe traité par ibuprofène comparé à quatre patients (dont un présentant une embolie pulmonaire) dans le groupe traité par la daltéparine (p=0,51)
  • aucune différence quant à la diminution de la douleur au cours de la première et deuxième semaine entre les deux groupes de traitement
  • pas d'hémorragies mineures ou majeures dans les deux groupes.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la daltéparine est supérieure à l'ibuprofène en ce qui concerne la prévention de l'extension de la thrombophlébite superficielle pendant les 14 jours du traitement, avec une amélioration similaire de la douleur et sans augmentation des hémorragies. Les questions sur la durée optimale du traitement sont à explorer dans des études ultérieures.

Financement de l’étude

University of Oklahoma General Clinic Research Center, the National Center for Research Resource, the National Institutes of Health. Pfizer Inc. a fourni la daltéparine et l'ibuprofène et a contribué au cofinancement pour le salaire du personnel soignant.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Grâce à la sélection séquentielle, les auteurs ont pu éviter certains biais de sélection. Il faut toutefois mentionner ici que seulement un quart de la population recrutée au départ a été intégré dans l'étude. Si nous prenons également en compte le fait que la TVP et l'embolie pulmonaire sont des complications plutôt rares de la thrombophlébite superficielle (1), nous pouvons admettre que la puissance de cette étude était probablement insuffisante pour évaluer l'effet de la daltéparine sur des critères de jugement cliniquement pertinents. Pour le critère de jugement primaire choisi (TVP et extension du thrombus), aucun calcul de puissance n’a d’ailleurs été retrouvé dans la publication. La randomisation et le double aveugle sont bien décrits. La randomisation en grappes a pu éviter un biais d'attribution. Grâce au protocole en double placebo, ni les patients, ni les chercheurs ne savaient dans quel groupe de traitement ils étaient inclus. Le critère de jugement primaire ‘extension du thrombus‘ pouvait être objectivé par les auteurs grâce à l'imagerie vasculaire (par un expert qui ne savait pas auquel groupe d’étude le patient appartenait). Ainsi, les auteurs pouvaient minimaliser une éventuelle erreur systématique du résultat. Le rapport de l’analyse statistique des résultats est médiocre. Ainsi, il n'est par exemple pas clair si les chercheurs utilisaient une analyse en intention de traiter.

Interprétation des résultats

Les résultats montrent que pendant les deux semaines de traitement avec la daltéparine, on voit apparaître significativement moins d'extensions du thrombus qu'avec l'ibuprofène. Cette différence a disparu après un suivi de trois mois. Ceci peut indiquer que la puissance de l'étude n'était pas suffisante (voir ci-dessus), ou que la durée du traitement était trop courte, ou encore qu'un effet rebond est survenu après l'arrêt du traitement. Le choix des auteurs d'inclure ou non l’extension du thrombus comme critère de jugement primaire, en plus des TVP, affecte la validité externe de l'étude. Il n'est pas clair quel est l’impact clinique de cette extension de thrombus. Nous regrettons que les chiffres pour les TVP n’ont pas été donnés séparément par les auteurs.

Les deux traitements ont diminué la douleur de manière significative pendant la durée du traitement, sans différence statistique entre les deux groupes. Cependant, la signification clinique de cette constatation n’est pas claire, vu que seulement un quart des patients se plaignaient de douleurs au moment de l’inclusion dans l’étude.

Lors de l’administration du médicament, aucune hémorragie majeure ou mineure n’a été rapportée par les auteurs pour les deux traitements. Pour ce qui est de ces effets indésirables, l’étude ne disposait probablement pas non plus de la puissance statistique nécessaire pour pouvoir montrer une différence.

Autres études

Dans l'étude en double aveugle STENOX, 427 patients ont été divisés en quatre branches d’études : énoxaparine 40 mg, énoxaparine 1,5 mg/kg, ténoxicam 20 mg et placebo (2). Il y avait une différence significative entre les deux doses d'énoxaparine et le placebo en ce qui concerne l’extension du thrombus (critère de jugement secondaire), mais pas de réduction dans l'incidence de TVP (critère de jugement primaire). Entre les héparines de bas poids moléculaire et les AINS il n’y avait pas de différence concernant les TVP et l’extension du thrombus, mais l’étude n'avait pas la puissance requise pour cette comparaison.

Dans l'étude VESALIO, 164 patients présentant une thrombophlébite superficielle ont reçu quotidiennement de la nadroparine pendant un mois, soit à une dose (prophylactique) fixe, soit à une dose (thérapeutique) selon le poids corporel (3). Les auteurs n’ont pas trouvé de différence significative entre les deux doses en ce qui concerne la diminution des symptômes. Il n’ont pu tirer aucune conclusion concernant les TVP et l’extension de thrombus car cette étude manquait de puissance.

Aussi bien dans l'étude commentée ci-dessus que dans les études STENOX et VESALIO, un traitement à dose thérapeutique aux héparines de bas poids moléculaire semble engendrer plus de TVP après la phase de traitement, comparé à d’autres traitements. La question se pose de savoir si dans ces études la durée du traitement par héparines de bas poids moléculaire n'est pas trop courte pour pouvoir observer un effet.

Pour y répondre, nous pouvons peut-être nous tourner vers une étude sur le fondaparinux (4). Dans cette étude, 3 002 patients reçevaient pendant 45 jours soit du fondaparinux s.c. (2,5 mg/jour), soit un placebo et ils étaient suivi jusqu'au jour 77 de l'étude. Comparé au placebo, un traitement à long terme par fondaparinux a mené à une réduction du risque de 85% (IC à 95% de 74 à 92, p<0,001) pour le critère de jugement composite associant mortalité de toute cause, embolie pulmonaire symptomatique, TVP symptomatique, élargissement symptomatique du thrombus et récidive de thrombophlébite superficielle. Il y avait également une réduction significative du risque de TVP symptomatique (critère de jugement secondaire). Trois sur 1 502 patients du groupe fondaparinux ont développé une TVP, comparé à 18 sur 1 500 patients dans le groupe placebo. Ceci reviendrait à un NST de 100 (IC à 95% de 59 à 241).

Des résultats de cette étude nous pourrions donc conclure qu'un traitement de plus longue durée avec des héparines à bas poids moléculaire pourrait être significativement plus bénéfique que l’absence de traitement ou que d'autres traitements, dont ceux aux AINS. Ceci doit toutefois encore faire l’objet d’études.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude, menée chez un groupe de patients sélectionnés atteints de thrombophlébite superficielle, montre que le traitement d'une thrombophlébite superficielle (confirmée par échographie) à une dose journalière sous-cutanée de daltéparine de 10 000 unités pendant une à deux semaines réduit le nombre d'extensions du thrombus pendant la courte durée du traitement. Il n'est pas possible de se prononcer quant à une réduction du nombre de TVP. Vu le manque de puissance statistique, nous ne pouvons également pas tirer de conclusion sur la sécurité de ce traitement.

 

Pour la pratique

Le NHG-Standaard souligne la guérison spontanée de la thrombophlébite superficielle (5). La thérapie de compression est à envisager, mais ce traitement n'est pas suffisamment étayé (6). Les auteurs d’une synthèse méthodique de la littérature provenant de la Cochrane Collaboration concluent qu'aussi bien les AINS que les héparines de bas poids moléculaires réduisent l’extension locale de la thrombophlébite de manière significative sans preuve que ces traitements peuvent contrecarrer la progression vers une TVP ou une embolie pulmonaire (7). Afin de diminuer la douleur et l'extension locale de la phlébite, les auteurs du NHG-Standaard recommandent finalement de prescrire des AINS. Cette recommandation n’est pas remise en question dans cette étude.

 

 

Références

  1. van Weert H, Dolan G, Wichers I, et al. Spontaneous superficial venous thrombophlebitis: does it increase risk for thromboembolism? A historic follow-up study in primary care. J Fam Pract 2006;55:52-7.
  2. Superficial Thrombophlebitis Treated By Enoxaparin Study Group. A pilot randomized double-blind comparison of a low molecular weight heparin, a nonsteroidal anti-inflammatory agent, and placebo in the treatment of superficial vein thrombosis. Arch Intern Med 2003;163:1657–63.
  3. Prandoni P, Tormene D, Pesavento R; Vesalio Investigators Group. High vs. low doses of low-molecular weight heparin for the treatment of superficial vein thrombosis of the legs: a double-blind, randomized trial. J Thromb Haemost 2005;3:1152-7.
  4. Decousus H, Prandoni P, Mismetti P, et al; CALISTO Study Group. Fondaparinux for the treatment of superficial-vein thrombosis in the legs. N Engl J Med 2010;363:1222-32.
  5. Walma EP, Eekhof JA, Nikkels J, et al. NHG-Standaard Varices (Tweede herziening). Huisarts Wet 2009:52:391-402.
  6. Prodigy. Thrombophlebitis - superficial – Management. March 2009.
  7. Di Nisio M, Wichers IM, Middeldorp S. Treatment for superficial thrombophlebitis of the leg. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 3.

 

 

Noms de marque

daltéparine : Fragmin®

énoxaparine : Clexane®

nadroparine : Fraxiparine®

fondaparinux : Arixtra®

Efficacité et sécurité de la daltéparine versus ibuprofène dans le traitement de la thrombophlébite superficielle



Ajoutez un commentaire

Commentaires