Revue d'Evidence-Based Medicine



Quelle aide à l’arrêt chez les fumeurs non motivés pour un arrêt immédiat ?



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 5 Page 56 - 57

Professions de santé


Analyse de
Carpenter MJ, Hughes JR, Gray KM, et al. Nicotine therapy sampling to induce quit attempts among smokers unmotivated to quit: a randomized clinical trial. Arch Intern Med 2011;171:1901-7.


Question clinique
Chez des fumeurs non motivés pour un arrêt immédiat, quelle est l’efficacité de l’ajout d’une substitution nicotinique lors d’un processus de tentative réelle d’arrêt bref du tabagisme sans engagement préalable à arrêter ?


Conclusion
Cette étude d’intervention courte (6 mois) chez des fumeurs non disposés à arrêter immédiatement de fumer, ne montre pas de bénéfice de l’ajout de substituts nicotiniques, fournis gratuitement, à une intervention téléphonique d’encouragement à une tentative réelle d’arrêt du tabac. La disposition à l’arrêt du tabac est cependant augmentée sous traitement associé.


 

Contexte

Dans les études concernant l’arrêt du tabac, les chiffres des tentatives d’arrêt couronnées de succès restent faibles ces dernières années, sans doute en raison d’une absence de motivation chez la majorité des fumeurs : de 96% (1) à 80% (2) des fumeurs de la population générale sont en phase de précontemplation ou de contemplation. Peu de stratégies d’arrêt spécifiques à ce groupe ont été élaborées. Les méthodes proposées pour les fumeurs en phase d’ambivalence ou de préparation, c’est-à-dire un avis bref du médecin pour arrêter de fumer ou la consultation (brève) de motivation (3) ont, malgré un rapport coût-bénéfice favorable, une efficacité limitée, de respectivement 2% (NNT = 1/RAR *100.">NST de 50) et de 4% (NST de 25). Une alternative serait de laisser les fumeurs, sans exigence d’un arrêt permanent, essayer d’arrêter durant de courtes périodes (quelques heures), avec l’aide éventuelle d’un traitement de substitution nicotinique (TSN) concomitant.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • critères d’inclusion : âge ≥18 ans, ≥10 cigarettes/j et uniquement des cigarettes, accessibilité téléphonique durant les 6 mois d’étude, pas de contre-indication à l’utilisation d’un TSN et absence d’un précédent recours à celui-ci, pas de tentative d’arrêt >1 semaine dans l’année précédente, pas de motivation à un arrêt dans les 30 jours
  • recrutement via e-mail de janvier 2009 à février 2010
  • inclusion de 943 fumeurs âgés en moyenne de 50 ans, 64% de femmes, 19 cigarettes/j en moyenne, score de Fagerström de 5 en moyenne (dépendance faible), 92% en phase de précontemplation ou de contemplation, 83% avec ≥1 tentative d’arrêt.

 

Protocole d’étude

  • RCT en protocole ouvert
  • bras d’étude 1 (n=470) : processus d’encouragement à une tentative réelle d’arrêt bref (TRAB) avec 3 appels téléphoniques standardisés sur 6 semaines ; lors du 1er appel, demande d’arrêt durant quelques heures ou jours, sans obligation d’arrêt définitif, à partir d’un moment décidé par l’individu ; lors du 2ème appel, discussion du succès éventuel et des limites de la directive précédente avec encouragements pour de nouvelles brèves tentatives et soutien vie e-mail pour justifier le TSN et des stratégies de coping ; lors du 3ème contact téléphonique, analyse de la période précédente et invitation non contraignante pour entreprendre une tentative d’arrêt prolongée
  • bras d’étude 2 (n=473) : processus d’encouragement à une tentative réelle d’arrêt bref (TRAB) + traitement de substitution nicotinique (TSN) avec interventions téléphoniques identiques + demande d’essai avec des comprimés de nicotine à sucer + envoi de 72 comprimés gratuits (couverture de la période englobant les 2 premiers appels) ; information fournie lors du 2ème appel enrichie de données concernant le TSN
  • suivi téléphonique après 4, 12 et 26 semaines.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : toute tentative auto rapportée avec intention qu’elle soit définitive et toute tentative d’une durée d’au moins 24 heures
  • critère secondaire : toute période d’abstinence d’au moins 7 jours durant les 6 mois d’étude
  • disposition à l’arrêt : questionnaires téléphoniques ciblant le grade de motivation à l’arrêt du tabac dans les 30 jours suivants, recours à un médicament, à des thérapies comportementales facilitant l’arrêt, degré de confiance dans l’arrêt, attitudes et connaissances concernant le TSN
  • analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • suivi : 90% de réalisation complète sur les 5 094 contacts téléphoniques et programme des 6 contacts téléphoniques prévus accompli pour 73% des participants
  • tentatives d’arrêt :
    • toute tentative : 49% sous TRAB + TSN versus 40% sous TRAB : RR 1,2 avec IC à 95% de 1,1 à 1,4 avec p=0,008
    • tentative ≥ 24 h : 43% versus 34% : RR 1,3 avec IC à 95% de 1,1 à 1,5 avec p=0,004
  • abstinence d’au moins 7 jours : à 6 mois, 16% versus 14% : RR 1,2 avec IC à 95% de 0,9 à 1,6 avec p=0,3.

 

Conclusion des auteurs

Ajouter un traitement de substitution nicotinique durant un processus de tentative réelle d’arrêt bref du tabagisme représente une nouvelle stratégie pour motiver des fumeurs à faire une tentative d’arrêt du tabac.

 

Financement

Fonds du National Institute on Drug Abuse. Les comprimés de nicotine ont été fournis par la firme GSK.

 

Conflits d’intérêt

Un auteur déclare avoir reçu des honoraires de plusieurs firmes pharmaceutiques et d’organisations non commerciales.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude non en insu concerne des interventions par contacts essentiellement téléphoniques. La récolte des données (suivi des directives, disposition à arrêter de fumer, résultats) est effectuée par la même voie. Les auteurs ont considéré qu’une vérification biochimique d’un arrêt (en jours d’arrêt) ou de l’observance du traitement de substitution (dosage de la nicotine dans la salive) n’était pas faisable. L’absence de telles mesures représente un risque de biais important dans une étude d’intervention en protocole ouvert avec comme critères primaires « une tentative sérieuse d’arrêt définitif » et/ou « un arrêt d’au moins 24 heures rapporté ». Un arrêt du tabac auto mentionné est un critère prêtant à discussion, étant donné la possibilité de déclaration du comportement souhaité. Une vérification de l’arrêt tabagique effectif par un proche et/ou le médecin traitant aurait été souhaitable.

La population d’étude répond au calcul de la puissance effectué initialement ; l’analyse des résultats est en intention de traiter ; les arrêts de traitement sont nombreux, de 27% dans les 2 bras.

Cette RCT en protocole ouvert a un groupe de contrôle mais pas un bras placebo réel, non possible dans le cadre du protocole établi. La fourniture gratuite des substituts nicotiniques durant les 6 mois d’intervention (mais plus ensuite) peut avoir influencé les résultats ; elle rend également une extrapolation des données dans la pratique plus difficile.

 

Mise en perspective des résultats

En raison de ses limites méthodologiques et de l’absence d’une différence significative en termes d’arrêt du tabac d’au moins 7 jours après 6 mois, la pertinence clinique de cette étude est bien faible. L’intervention téléphonique est minimale. L’hypothèse de cette étude pourrait être reprise dans un protocole prévoyant des contacts thérapeutiques plus intenses, avec interventions thérapeutiques comportementales. Il faut d’ailleurs souligner que les sujets repris dans le bras TRAB + TSN accordent moins d’intérêt à un soutien comportemental (RR 0,8 avec IC à 95% de 0,7 à 1,0). Nous avons précédemment épinglé dans la revue Minerva (4) un avantage significatif à 24 mois d’un counselling téléphonique intensif par un expert associé à un traitement pharmacologique versus ce traitement pharmacologique seul : OR de 2,33 avec IC à 95% de 1,24 à 4,38 et p=0,01. Une étude d’intervention sur une longue durée (5) a montré qu’un traitement comportemental conséquent augmentait significativement les abstinences de 7 jours à 2 ans versus substitution nicotinique ou associations médicamenteuses : 55% versus 36%, p=0,01.

L’étude de Carpenter illustre qu’une implantation d’un protocole d’étude de court terme pour un arrêt tabagique n’apporte qu’un résultat très limité. Une étude récente avec intervention également téléphonique (6) montre qu’un programme d’intervention longitudinale sur 1 an apporte de meilleurs résultats en termes d’arrêt du tabac qu’une intervention classique sur 8 semaines : respectivement 8,7 et 6,6 tentatives d’arrêt (p=0,009) et 30,2% et 23,5% d’arrêts d’au moins 6 mois (p=0,13 donc non significatif). Il reste à évaluer si des résultats meilleurs pourraient être obtenus sur base des principes de « chronic disease management » : prise en compte du contexte, attentes et limites du patient, stratégie concertée par étapes réalistes, collaboration multidisciplinaire des soignants, recours éventuel à des moyens de communication plus récents.

Il faut également souligner qu’un suivi de 6 mois est beaucoup trop court pour conclure quant à un arrêt définitif du tabac. Même à ce court terme, une efficacité n’est pas observée, ce qui ne concorde pas avec les résultats d’études d’interventions médicamenteuses chez des fumeurs prêts à arrêter : une association TSN + bupropion apporte un arrêt du tabac de 30% à 6 mois (7). Une synthèse EBM (8) reprenant 7 RCTs et 2 727 patients montre l’efficacité d’un TSN chez des fumeurs non prêts à arrêter : NST de 29 pour 6 mois d’arrêt et de 23 pour une diminution du tabagisme sur 18 mois d’étude.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude d’intervention courte (6 mois) chez des fumeurs non disposés à arrêter immédiatement de fumer, ne montre pas de bénéfice de l’ajout de substituts nicotiniques, fournis gratuitement, à une intervention téléphonique d’encouragement à une tentative réelle d’arrêt du tabac. La disposition à l’arrêt du tabac est cependant augmentée sous traitement associé.

 

Pour la pratique

La RBP belge « Arrêter de fumer » (3) estime qu’il n’est pas utile de proposer à des fumeurs en phase de précontemplation un traitement médicamenteux d’aide à l’arrêt en raison d’un manque de preuve d’efficacité et d’une « culpabilisation » possible. Une proposition ultérieure de ce traitement risque d’achopper sur un manque de confiance de ce patient pour un traitement précédemment inefficace. Pour les fumeurs en phase de contemplation, c’est un entretien motivationnel qui représente le traitement recommandé (9).

Cette étude n’apporte pas d’élément permettant de remettre ces recommandations en cause.

 

 

Références

  1. Rosen CS. Is the sequencing of change processes by stages consistent across health problems? A meta-analysis. Health Psychol 2000;19:593-604.
  2. Velicer WF, Fava JL, Prochaska JO, et al. Distribution of smokers by stage in three representative samples. Prev Med 1995;24:401-11.
  3. SSMG. Recommandation de Bonne Pratique. Arrêter de fumer. SSMG 2005
  4. Boudrez H. Efficacité d’un counselling téléphonique pour l’arrêt du tabac. MinervaF 2010;9(1):12-3.
  5. Hall SM, Humfleet GL, Muňoz RF, et al. Extended treatment of older cigarette smokers. Addiction 2009;104:1043-52.
  6. Joseph AM, Fu SS, Lindgren B, et al. Chronic disease management for tobacco dependence: a randomized, controlled trial. Arch Intern Med 2011;171:1894-900.
  7. Laekeman G, Poelman T. Poly- plutôt que monothérapie médicamenteuse pour l’arrêt du tabac ? Minerva online 24/11/2010.
  8. Primack B. Review: nicotine replacement therapy as assisted ‘reduction-to-stop’ reduces smoking and sustains abstinence in smokers. Evid Based Med 2009;14:144. Comment on: Moore D, Aveyard P, Connock M, et al. Effectiveness and safety of nicotine replacement therapy assisted reduction to stop smoking: systematic review and meta-analysis. BMJ 2009;338:b1024.
  9. Heckman CJ, Egleston BL, Hofmann MT. Efficacy of motivational interviewing for smoking cessation: a systematic review and meta-analysis. Tob Control 2010;19:410-6.
Quelle aide à l’arrêt chez les fumeurs non motivés pour un arrêt immédiat ?

Auteurs

De Cort P.
em. Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
COI :

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