Revue d'Evidence-Based Medicine



Fièvre chez l’enfant : paracétamol et/ou ibuprofène ?



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 4 Page 49 - 50

Professions de santé


Analyse de
Purssell E. Systematic review of studies comparing combined treatment with paracetamol and ibuprofen, with either drug alone. Arch Dis Child 2011;96:1175-9.


Question clinique
Chez un enfant qui fait de la fièvre, quel est l’intérêt d’associer paracétamol et ibuprofène versus monothérapie pour faire descendre la température ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique réalisée par un seul auteur n’a isolé que peu d’études avec de faibles populations, et n’apporte pas de preuves suffisantes d’une plus grande efficacité d’une association (simultanée ou alternative) de paracétamol et d’ibuprofène versus monothérapie sur le critère fièvre chez l’enfant ; les données sont insuffisantes pour la sécurité de cette association.


 

 

Contexte

En pratique quotidienne, le paracétamol et l’ibuprofène sont fréquemment prescrits et utilisés simultanément ou alternativement pour faire baisser la fièvre chez l’enfant. Cette pratique repose-t-elle sur un intérêt prouvé, sans risque de nocivité accrue ? Une synthèse méthodique des études dans ce domaine était la bienvenue.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique, sans méta-analyse possible

 

Sources consultées

  • MEDLINE (1948 - mai 2011), EMBASE (1980 - mai 2011)
  • références des guides de pratique de NICE sur la fièvre chez l’enfant de moins de 5 ans (1) et de l’American Academy of Pediatrics (2) sur la fièvre chez l’enfant.

 

Etudes sélectionnées

  • RCTs évaluant l’efficacité ou l’utilité de toute dose d’une association paracétamol et ibuprofène avec administration simultanée ou séparée versus chacun de ces médicaments seuls chez des personnes présentant de la fièvre, médicaments par voie orale
  • uniquement les articles publiés en anglais
  • 7 études incluses. 

 

Population étudiée

  • enfants fébriles âgés de 6 mois à 14 ans (majorité ≤ 6 ans), dans des centres de soins de santé, 38 à 464 enfants par étude, études d’une durée de 2 heures à 10 jours.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement : effet de la monothérapie et de l’association sur la température, le confort et effets indésirables identifiés.

 

Résultats

  • dosages variables (paracétamol de 10 à 15 mg/kg et ibuprofène de 5 à 10 mg/kg) et intervalles de doses variés (4 à 8 h pour le paracétamol, 6 à 8 h pour l’ibuprofène) avec administration simultanée ou alternative des 2 médicaments ; données insuffisantes pour établir des méta-analyses suivant ces caractéristiques spécifiques
  • effet sur la fièvre à court terme (< 8 h) :
    • pas de différence pour l’association versus monothérapie dans les 3 premières heures ; dans une étude, différence en faveur de l’association versus paracétamol à 4 h (-0,6°C, p=0,05) et à 5h (-0,8°C, p=0,003) mais non significatif à 6 h (-0,1°C) ; une autre étude montre une plus grande efficacité de l’association (simultanée ou alternative) versus ibuprofène à 4 h (-0,6°C, p=0,002) et à 5 et 6 h (différences de 1,1 à 1,6°C, p<0,001)
    • pour le nombre d’enfants afébriles : davantage à 7 et 8 h avec l’association qu’avec l’ibuprofène seul : différence respectivement de 40,9% et 45,1%
  • effet sur la fièvre à plus long terme (≥ 8 h) : dans une étude, davantage de temps sans fièvre sur les 24 premières heures avec l’association qu’avec le paracétamol (277,1 min, p<0,001) mais non avec l’ibuprofène (162,2 min, p=0,2) ; aux jours 1 à 3, température maximale moins élevée avec l’association qu’avec les monothérapies (différences de 0,88°C à 1,11°C, p<0,001)
  • confort de l’enfant (24 h, 48 h, 5 j) estimé par une interview des parents : dans une étude, pas de différence ; dans une autre étude, une estimation sur une liste d’items pour la douleur chez l’enfant qui ne parle pas montre une supériorité du paracétamol le premier jour puis de l’association les jours suivants
  • effets indésirables : très peu de mentions, pas de différence, aucun attribué aux médicaments.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent à la faiblesse des preuves d’un bénéfice ou d’une nocivité d’un traitement associé versus chacun des médicaments pris séparément. En l’absence d’un tel bénéfice, il y a peu d’arguments pour recommander l’emploi inutile de méthodes polypharmaceutiques pour traiter un symptôme qui ne requiert pas de traitement, alors qu’une monothérapie efficace existe.

  

Financement de l’étude 

Pas de financement mentionné ; article non sollicité.

 

Conflits d’intérêt des auteurs 

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La méthodologie de cette synthèse méthodique est clairement décrite et est correcte pour l’aspect recherche dans la littérature. Les aspects sélection et évaluation de la méthodologie sont eux fort mal décrits (« qualité méthodologique des études située de 17 à 22 (sur 22 points possibles) (3) » mais sans plus de détails) et ces démarches ne sont faites que par un unique auteur ce qui est peu acceptable. Que l’article soit revu par des pairs ne peut corriger ce déficit. Malgré l’importance du problème dans la pratique, le nombre d’études incluses est faible, avec un suivi généralement court (2 à 24 h, ou 5 jours (2 études) ou 10 jours (1 étude)), avec de faibles populations (18 à 52 enfants par bras d’étude, sauf dans l’étude sur 10 jours (154-155 par bras)). Les caractéristiques différentes des études (âge des enfants, mesures de la température (instruments non décrits, mesure axillaire, tympanique, rectale, orale, au niveau de l’artère temporale, selon l’étude), doses et intervalles de prise, critères de jugement) ne permettent aucune méta-analyse. Pour cette raison aussi (en plus du nombre faible d’études), un biais de publication ne peut être recherché.

 

Interprétation des résultats

La juxtaposition des résultats des différentes études permet de donner des résultats « uniques ». Les doses de paracétamol varient de 10 à 15 mg/kg par prise et celles d’ibuprofène de 5 à 10 mg/kg par prise en mono comme en bithérapie. Le paracétamol est administré toutes les 4 à 8 heures et l’ibuprofène toutes les 6 à 8 heures. L’association est administrée soit simultanément soit en alternance (3 à 4 heures). Un bénéfice statistiquement significatif est parfois montré (sur des populations chaque fois faibles) mais la pertinence des différences observées sur le critère primaire, la température, est fort incertaine (voir paragraphe suivant).

Il n’y a pas d’évaluation possible sur le critère confort, les données fort rares étant non concordantes.

 

Autres sources

Les études concernent des enfants âgés d’au moins 6 mois.

En 1998, la Société canadienne de pédiatrie (4) donnait la préférence au paracétamol, mieux connu, pour le traitement de la douleur et de la fièvre chez l’enfant, considérant l’ibuprofène comme un produit de deuxième intention au vu de ses effets indésirables moins bien connus. Cette Société proscrivait l’administration de paracétamol et d’ibuprofène en association (simultanée ou alternative).

En 2004, une méta-analyse (5) évaluait l’efficacité du paracétamol et de l’ibuprofène dans le traitement de la douleur et de la fièvre chez l’enfant (17 RCTs, enfants <18 ans). Elle concluait à une efficacité similaire de l’ibuprofène et du paracétamol pour soulager la douleur modérée ou sévère chez l’enfant, à une efficacité supérieure de l’ibuprofène comme antipyrétique (à 2, 4 et 6 heures post administration) et à une sécurité similaire des 2 médicaments comme analgésiques et antipyrétiques. Aucune mention n’était faite pour l’association des deux médicaments.

Si l’OMS (6) recommandait en 2000 d’administrer du paracétamol aux enfants présentant une température > 38,5°C, les auteurs du guide de pratique de NICE sur la fièvre chez l’enfant de moins de 5 ans (1) ont une attitude beaucoup plus réservée. Ils mentionnent que le traitement de la fièvre est à réserver aux enfants fébriles en détresse ou en souffrance mais n’est pas nécessaire pour faire descendre une température trop élevée chez un enfant qui est par ailleurs bien. Les antipyrétiques ne préviennent pas les convulsions fébriles. Le guide de pratique étatsunien (2) s’aligne sur ces remarques, insistant sur l’absence de preuve de l’intérêt de faire baisser la fièvre en termes de morbidité ou de mortalité en cas de maladie fébrile avec des exceptions à envisager en cas de réserves métaboliques limitées ou de maladie critique. Comme mentionné dans Minerva lors d’une analyse d’une des études reprises dans la présente synthèse, le but de l’administration d’antipyrétiques est en premier lieu le confort, l’obtention ou non d’une chute de la température étant d’importance secondaire (7).

Le guide de pratique étatsunien, sur base de 5 des 7 études reprises dans la synthèse analysée ici, conclut sur base d’un consensus à la supériorité en efficacité de l’association versus monothérapies.

Depuis le signalement d’un lien possible entre un syndrome de Reye et l’administration d’aspirine en cas de fièvre d’origine virale, ce médicament est à éviter chez les enfants de moins de 12 ans et ne sera administré que si d’autres médicaments ne donnent pas de résultats suffisants (8).

 

Effets indésirables

La taille réduite des populations d’étude et leurs courtes durées ne permettent pas de conclusions fiables quant à la sécurité de ces traitements.

Le risque d’effets indésirables avec l’ibuprofène est, pour certains auteurs, plus important en cas de fièvre chez l’enfant qu’avec le paracétamol (9) : problèmes rénaux surtout chez des enfants atteints de déshydratation, risque possible de complications infectieuses cutanées et sous-cutanées graves chez des enfants atteints de la varicelle. L’ibuprofène est dès lors déconseillé chez les enfants en cas de diarrhée ou de déshydratation, ainsi que chez les enfants atteints d’insuffisance rénale, et en cas de varicelle.

Un surdosage en paracétamol est hépatotoxique (chez l’enfant, à craindre à partir d’une prise unique de 150 mg/kg) (9).

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique réalisée par un seul auteur n’a isolé que peu d’études avec de faibles populations, et n’apporte pas de preuves suffisantes d’une plus grande efficacité d’une association (simultanée ou alternative) de paracétamol et d’ibuprofène versus monothérapie sur le critère fièvre chez l’enfant ; les données sont insuffisantes pour la sécurité de cette association.

 

Pour la pratique

S’il est nécessaire de faire baisser la fièvre chez un enfant (voir paragraphe autres sources), le paracétamol et l’ibuprofène sont actuellement considérés dans les guides de pratique (1,2) comme pareillement efficaces et sûrs. Le guide anglais (1) déconseille leur administration simultanée, tout en mentionnant qu’une administration en alternance est à prendre en considération en cas de non réponse à une monothérapie. Le guide étatsunien (2) signale une supériorité en efficacité de l’association versus monothérapie tout en signalant qu’un tel traitement associé est plus complexe, contribuant ainsi à une utilisation hors sécurité de ces médicaments.

La présente synthèse de la littérature n’apporte pas davantage de preuve fiable de l’efficacité ou de la sécurité de l’association de paracétamol et d’ibuprofène en cas de fièvre chez l’enfant. Une utilisation en strict respect des doses et intervalles de doses, des contre-indications selon les RCP, reste indispensable.

 

 

Références

  1. National Institute for Health and Clinical Excellence. Feverish illness in children. Assessment and initial management in children younger than 5 years. NICE clinical guideline 47. London: National Collaborating Centre for Women’s and Children’s Health, May 2007.
  2. Section on Clinical Pharmacology and Therapeutics; Committee on Drugs, Sullivan JE, Farrar HC. Fever and antipyretic use in children. Pediatrics 2011;127: 580-7.
  3. Zwarenstein M, Treweek S, Gagnier JJ, et al; CONSORT group; Pragmatic Trials in Healthcare (Practihc) group. Improving the reporting of pragmatic trials: an extension of the CONSORT statement. BMJ 2008; 337:a2390.
  4. McCullough NH. Acetaminophen and ibuprofen in the management of fever and mild to moderate pain in children. Paediatr Child Health 1998;3:275-7.
  5. Perrott DA, Piira T, Goodenough B, Champion GD, et al. Efficacy and safety of acetaminophen vs ibuprofen for treating children’s pain or fever: a meta-analysis. Arch Pediatr Adolesc Med 2004;158:521-6.
  6. World Health Organisation. Handbook IMCI: integrated management of childhood illness, 2000.
  7. Van Winckel M, Christiaens T. Paracétamol et ibuprofène en alternance chez les enfants fébriles ? MinervaF 2007;6(1):11-3.
  8. Centre Pharmacovigilance. Syndrome de Reye et acide acétylsalicylique. Folia Pharmacotheraputica 2003;30:27.
  9. Fièvre chez l’enfant : paracétamol ou ibuprofène ? Folia Pharmacotherapeutica 2005;32:61-2.
Fièvre chez l’enfant : paracétamol et/ou ibuprofène ?

Auteurs

Vanwelde C.
Centre Académique de Médecine Générale, Université Catholique de Louvain
COI :

Glossaire

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