Revue d'Evidence-Based Medicine



Précision d’une tigette urinaire pour le diagnostic d’albuminurie



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 4 Page 41 - 42

Professions de santé


Analyse de
White SL, Yu R, Craig JC, et al. Diagnostic accuracy of urine dipsticks for detection of albuminuria in the general community. Am J Kidney Dis 2011;58:19-28.


Question clinique
Quelle est la valeur diagnostique de la tigette urinaire pour le dépistage de la protéinurie dans la population générale en comparaison à la détection par le calcul du ratio albumine/créatinine ?


Conclusion
Cette étude, de bonne qualité, montre qu’une recherche de protéinurie négative à la tigette urinaire permet d’exclure une macroalbuminurie, mais sa force excluante (2,8) n'est pas suffisante pour en faire un test de dépistage de la microalbuminurie. La valeur prédictive positive de la tigette est par contre faible (47,2) ; un résultat positif doit être suivi d'une confirmation de laboratoire.


 

 

Contexte

Le nombre de patients atteints d’une maladie rénale chronique (MRC) est en augmentation dans le monde. Cette maladie est définie indépendamment de sa cause, par la présence, pendant plus de 3 mois, de marqueurs d’atteinte rénale comme l’albuminurie (ou protéinurie) ou d’une baisse du débit de filtration glomérulaire (DFG) estimé au-dessous de 60 ml/min/1,73 m². La maladie rénale chronique touche ainsi près de 10% de la population française (1). La présentation ubiquitaire de cette pathologie est une protéinurie. Sa présence influence le pronostic de la maladie et est associée entre autres à une augmentation des maladies cardiovasculaires (2). La tigette est largement utilisée comme outil de dépistage de cette protéinurie car largement disponible et peu onéreuse ; nous disposons cependant de peu de données probantes quant à sa valeur diagnostique en première ligne de soins.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 10 944 patients sélectionnés au sein d’une base de données « AusDiab » comportant 20 347 adultes australiens d’au moins 25 ans représentatifs de la population non institutionnalisée
  • caractéristiques des patients inclus : 45,3% d’hommes, âge moyen de 51,6 +/- 14,4 ans.

 

Protocole d’étude

  • étude transversale de type diagnostique
  • évaluant la valeur de deux seuils de résultats à la tigette urinaire (test index) avec un standard de référence qui est ici le ratio albumine/créatinine (RAC, test de référence), les deux valeurs étant mesurées sur le même échantillon d’urines.

 

Mesure des résultats

  • sur échantillons d’urines prélevées à mi-jet aléatoirement chez des personnes à jeun de la nuit, sans restriction hydrique, échantillons mis au frigo et envoyés dans les 24 h pour mesure de l’albumine
  • test index : tigette urinaire (Bayer multistix 10 SG) avec détermination semi-quantitative du taux de protéines ; deux seuils évalués : une croix ou plus de protéines (0,3 gr/L) et traces de protéines (0,1 gr/l) et plus 
  • test de référence : mesure du RAC ; deux seuils de positivité pris en compte : 30 mg/gr et 300 mg/gr (seuil de la macroalbuminurie) ; pH urinaire non mesuré donc absence de contrôle de la concentration des urines
  • critères de jugement : sensibilité, spécificité, valeurs prédictives positives et négatives, caractéristiques des courbes ROC pour les 2 seuils de résultats à la tigette et les deux seuils de RAC
  • régressions logistiques pour évaluer les interactions entre les facteurs de risque (âge, diabète, hypertension artérielle, MRC, maladie cardiovasculaire, filtration glomérulaire, sexe) et la précision des tigettes.

 

Résultats

  • 6,6% de la cohorte ont un ratio albumine/créatinine ≥ 30 mg/gr et 0,8% > 300 mg/gr
  • tigette : traces de protéines dans 8% et une croix ou plus de protéines dans 8,1% des cas
  • lorsque la tigette montre une croix ou plus de protéines, dans 52,8% des cas RAC < 30 mg/gr
  • précision de la tigette : voir tableau
  • la valeur diagnostique n’est pas altérée dans les sous-groupes de patients diabétiques, hypertendus, présentant une maladie cardiovasculaire, une filtration glomérulaire inférieure à 60 ml/min ou d’âge. Seul le sexe a montré une influence sur la valeur diagnostique de la tigette avec une sensibilité moindre chez les femmes.

 

Tableau. Précision diagnostique de la tigette : sensibilité, spécificité, valeur prédictive négative VPN et valeur prédictive positive VPP, en % (avec IC à 95%) et Force Probante (FB) et Force Excluante (FE).

 

 

Sensibilité en % (IC)

Spécificité en % (IC)

VPN en % (IC)

VPP en % (IC)

FP

FE

Détection RAC ≥ 30mg/gr 

Tigette ≥ 1+

57,8% (54,1-61,4)

95,40% (95,0-95,8)

97,00% (96,6-97,3)

47,2% (43,9-50,5)

12,57

2,26

Tigette ≥ trace

69,4% (65,9-72,7)

86,80% (86,1-87,4)

97,6% (97,2-97,9)

27,1% (25,1-29,2)

5,25

2,84

Détection RAC ≥ 300 mg/gr 

Tigette ≥ 1+

98,9% (92,1-100)

92,6% (92,0-93,3)

100% (99,9-100)

10,0% (7,6-12,8)

13

84

Tigette ≥ trace

100% (94,3-100)

83,7% (82,8-84,6)

100% (99,9-100)

4,8% (3,6-6,2)

6

83,7

 

 

Conclusion des auteurs

Un test à la tigette inférieur à une croix ou à une trace de protéinurie a une valeur prédictive négative élevée dans la population générale avec un risque minime de louper un diagnostic de macroalbuminurie. Un taux élevé de faux positifs induit la nécessité d’une confirmation en laboratoire du résultat positif.

 

Financement 

Australian Government National Health and Medical Research Council, AusDiab Kidney Study (sponsorisée par Amgen Australia), Kidney Health Australia et The Royal Prince Alfred Hospital, Sydney, Australie); les sponsors ne sont intervenus à aucun moment de la recherche et de sa publication.

 

Conflits d’intérêt 

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Nous avons évalué la qualité de cette étude selon le questionnaire Quadas (3).

Pour la représentativité de la population étudiée par rapport à celle à qui s’adressera le dépistage, notons que l’échantillon est représentatif de la population générale sans risque particulier de maladie rénale et il s’agit bien ici de l’évaluation du test pour un dépistage de masse. Les critères de sélection pour la base de données sont décrits dans une étude préalable. En raison de l’absence de données précises dans cette publication-ci, nous ne pouvons donc pas juger d'éventuels biais de sélection. Pour le standard de référence choisi, le RAC, ce test a montré une excellente corrélation avec la protéinurie de 24 heures et peut donc raisonnablement s'y substituer (1). La protéinurie a été choisie en raison de sa valeur pronostique prouvée (2).

Concernant les valeurs seuils pris en compte à savoir 30 mg/g pour la microalbuminurie et 300 mg/gr pour la macroalbuminurie, nous pouvons nous poser la question de ce qui est le plus pertinent pour un dépistage de masse. Les recommandations anglaises (4) proposent de considérer le test comme positif à partir de 30 mg/mmol (= 300 mg/gr). Un consensus international (5) propose une classification avec un risque intermédiaire entre 30 et 300 mg/gr.

Le résultat sur la tigette est lu immédiatement et de manière automatisée (plus fiable mais éloigné de la pratique de médecine générale), le même échantillon urinaire est ensuite réfrigéré et envoyé au laboratoire dans les 24 heures. Les analyses sont donc faites sur le même échantillon et le délai entre les analyses ne constitue ainsi pas un biais. Le même test de référence est utilisé pour tous les échantillons d’urines, ce qui est donc adéquat et les 2 tests sont appliqués à tous les échantillons, indépendamment du résultat au premier test. Le test a été réalisé de manière automatisée, les conditions de prélèvement notifiées, ce qui rend le test reproductible. Pour ce qui est du standard de référence, le mode de calcul et de mesure a été également précisément décrit. Le test index a été réalisé en insu des résultats du standard de référence et le RAC mesuré sans connaissance des résultats avec les tigettes. Il n'y a pas de résultats non interprétables mentionnés mais les données manquantes sont détaillées.

La méthodologie de l'étude semble être de bonne qualité. Les discussions peuvent porter sur la représentativité de la population étudiée, l'intérêt du dosage de la protéinurie dans la population générale et les valeurs seuils à détecter.

 

Mise en perspective des résultats

Les auteurs proposent la place de ce test en triage avant confirmation de laboratoire pour les tests positifs dans la population sans risque particulier. La caractéristique principale d'un tel test doit avant tout être une sensibilité et force excluante élevées, le second test devant être avant tout spécifique. La sensibilité des tigettes est excellente (100% (94,3-100)) pour la détection de macroalbuminurie. Par contre, pour ce qui est de la détection de microalbuminurie, la sensibilité (trace ou plus) est plus faible (69,4% (65,9-72,7)). Nous calculons une force excluante pour une tigette (trace ou plus) de 2,26, la force probante étant de 5,25. Les propriétés de ce test ne sont donc pas suffisantes pour pouvoir le mettre en premier test de triage. Sa performance étant par contre suffisante pour la détection de la macroalbuminurie (FE de 84 et de 83,7).

La valeur prédictive négative de la tigette pour un seuil RAC ≥ 30 mg/g est élevée dans la population générale où la prévalence de maladie rénale est faible : VPN 97,0 (96,36–97,3). Cette valeur diminue lorsqu'il s'agit de dépister une microalbuminurie dans des groupes à risque. La tigette présenterait donc trop de faux négatifs pour le dépistage de la microalbuminurie chez le patient à risque mais permettrait d'exclure raisonnablement une macroalbuminurie chez celui-ci aussi.

 

Autres études

Un consensus récent de KDIGO (5) propose une classification qui tienne compte à la fois de la filtration glomérulaire, de l'albuminurie et du contexte clinique. L'accent est donc davantage mis sur la détection de l'albuminurie, en raison du risque accru de mortalité cardiovasculaire associée. Ce consensus propose un classement par la mesure du ratio albuminurie/créatininurie et distingue 3 catégories (< 30 mg/gr, entre 30 et 299 mg/gr, > 300 mg/gr). Une méta-analyse rassemblant des études de cohorte montre une influence sur la mortalité de la microalbuminurie (6). Les patients souffrant de maladie rénale chronique dans les premiers stades n'évoluent pas tous en insuffisance rénale mais l'augmentation de leur risque cardiovasculaire est donc établie. Les recommandations proposent de contrôler les facteurs de risque cardiovasculaire chez ces patients afin de réduire le risque de progression de la maladie rénale (4). Peu de preuves existent toutefois pour des interventions thérapeutiques dans les premiers stades de pathologie rénale en l'absence de pathologies associées (7), motif pour lequel les guides de pratique clinique ne recommandent pas à ce jour le dépistage de la protéinurie dans la population sans risque particulier (4,8,9). Il y a par contre des preuves d'efficacité de traitements pour une protéinurie chez des patients souffrant de diabète ou d'HTA.

Les résultats de cette étude-ci ne peuvent pas être extrapolés à la recherche de protéinurie dans des populations à risque, recherche actuellement recommandée ; elle ne permet pas non plus de se prononcer sur l'efficience d'un dépistage systématique.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude, de bonne qualité, montre qu’une recherche de protéinurie négative à la tigette urinaire permet d’exclure une macroalbuminurie, mais sa force excluante (2,8) n'est pas suffisante pour en faire un test de dépistage de la microalbuminurie. La valeur prédictive positive de la tigette est par contre faible (47,2) ; un résultat positif doit être suivi d'une confirmation de laboratoire.

 

Pour la pratique

Les guides de pratique clinique (4,9) proposent de dépister la maladie rénale chronique dans des populations à risque sur base du ratio albuminurie/créatininurie et de la mesure de la filtration glomérulaire. Le consensus du KDIGO propose de stadifier le risque en fonction de la valeur de protéinurie mesurée par cette méthode, de la filtration glomérulaire estimée et du contexte clinique. La recherche d'une microalbuminurie dans les populations à risque est conseillée.

Cette étude ne permet pas de conclure à l’intérêt du remplacement du calcul du ratio albuminurie/créatininurie par les résultats d'une simple tigette dans les populations à risque dans un contexte de soins de première ligne.

 

 

Références

  1. Evaluation du rapport albuminurie/créatininurie dans le diagnostic de la maladie rénale chronique chez l’adulte - Rapport d'évaluation. Haute Autorité de Santé. HAS, décembre 2011.
  2. Hemmelgarn BR, Manns BJ, Lloyd A, et al. Relation between kidney function, proteinuria, and adverse outcomes. JAMA 2010;303:423-9.
  3. Whiting P, Rutjes AW, Reitsma JB, et al. The development of QUADAS: a tool for the quality assessment of studies of diagnostic accuracy included in systematic reviews. BMC Med Res Methodol 2003;3:25.
  4. The National Collaborating Centre for Chronic Conditions. Chronic kidney disease. National clinical guideline for early identification and management in adults in primary and secondary care. NICE Clinical Guideline, No 73.
  5. Levey AS, de Jong PE, Coresh J, et al. The definition, classification, and prognosis of chronic kidney disease: a KDIGO Controversies Conference report. Kidney Int 2011;80:17-28.
  6. Chronic Kidney Disease Prognosis Consortium, Matsushita K, van der Velde M, Astor BC, et al. Association of estimated glomerular filtration rate and albuminuria with all-cause and cardiovascular mortality in general population cohorts: a collaborative meta-analysis. Lancet 2010;375:2073-81.
  7. Sharma P, Blackburn RC, Parke CL, et al. Angiotensin-converting enzyme inhibitors and angiotensin receptor blockers for adults with early (stage 1 to 3) non-diabetic chronic kidney disease. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 10.
  8. Levin A, Hemmelgarn B, Culleton B, et al; Canadian Society of Nephrology. Guidelines for the management of chronic kidney disease. CMAJ 2008;179:1154-62.
  9. ANAES. Diagnostic de l'insuffisance rénale chronique chez l'adulte. Recommandations, septembre 2002.
Précision d’une tigette urinaire pour le diagnostic d’albuminurie

Auteurs

Leconte S.
Centre Académique de Médecine Générale, Université Catholique de Louvain
COI :

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