Revue d'Evidence-Based Medicine



Un test BNP pour le diagnostic de l’insuffisance cardiaque chronique ?



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 3 Page 36 - 37

Professions de santé


Analyse de
Kelder JC, Cowie MR, McDonagh TA, et al. Quantifying the added value of BNP in suspected heart failure in general practice: an individual patient data meta-analysis. Heart 2011;97:959-63.


Question clinique
Quelle est la valeur diagnostique de la mesure de la BNP versus ECG et RX Thorax en complément des données cliniques chez des patients avec suspicion d’insuffisance cardiaque chronique en médecine générale ?


Conclusion
Cette étude conclut que la détermination de la BNP a une valeur diagnostique en ajout à l’anamnèse et à l’examen clinique pour le diagnostic d’une insuffisance cardiaque chronique en médecine générale. Cette étude ne permet pas de calculer la force excluante de ce test ni de la RX Thorax ni de l’ECG.


 

 

Contexte

Un diagnostic rapide d’une insuffisance cardiaque chronique est important, un traitement précoce pouvant améliorer la qualité de vie et dans certains cas le pronostic de l’affection (1). En pratique de médecine générale, les personnes âgées en insuffisance cardiaque chronique, qui souffrent également souvent d’autres comorbidités, présentent souvent des symptômes et signes mineurs, insuffisants pour pouvoir poser ou exclure avec certitude le diagnostic d’insuffisance cardiaque chronique. Les peptides natriurétiques (BNP pour Brain Natriuretic Peptide et son précurseur NT-proBNP) sont libérés par les myocytes ventriculaires en cas de distension accrue de la paroi myocardique, par exemple en cas d’insuffisance cardiaque. Leur mesure pourrait donc servir au diagnostic de l’insuffisance cardiaque. La place de cette mesure versus ECG et/ou RX Thorax pour ce diagnostic, en complément des symptômes et signes physiques, reste à déterminer.

 

Résumé

 

Méthodologie

Méta-analyse sur données individuelles

 

Etudes sélectionnées

  • études de Hillingdon (n=127) et de Rotterdam (n=149) pour l’élaboration d’un modèle diagnostique
  • étude UK Natriuretic Peptide (n=306) pour une validation externe de ce modèle.

 

Population étudiée

  • critères d’inclusion : patients pour lesquels le médecin généraliste suspecte la survenue d’une insuffisance cardiaque chronique et réfère le patient à une polyclinique pour préciser le diagnostic
  • critères d’exclusion : patients référés à un service d’urgence ou avec insuffisance cardiaque connue
  • les 276 patients des études de Hillingdon et de Rotterdam présentent les caractéristiques suivantes : âge moyen > 70 ans, 60% de femmes, hypertension pour plus de la moitié, 30,8% avec insuffisance cardiaque selon les critères du guide de pratique de l’association européenne de cardiologie : présence de symptômes (et signes) d’insuffisance cardiaque au repos ou à l’effort, imagerie documentée d’une anomalie fonctionnelle cardiaque (au repos) (2).

 

Mesure des résultats

  • précision diagnostique d’un modèle clinique avec mesure de la BNP et apport pour la précision diagnostique de l’ajout d’un ECG, d’une RX Thorax ou d’une mesure de la BNP suivant des analyses en régression logistique uni ou multivariées
  • précision diagnostique déterminée en statistique C sur une aire sous la courbe (AUC ; 0,5 = pas de valeur discriminante à 1 = valeur discriminante maximale)
  • imputation des données manquantes.

 

Résultats

  • statistique C : 0,79 pour un modèle de diagnostic « clinique » reprenant comme éléments : âge, sexe, anamnèse de pathologies coronaires (infarctus du myocarde, pontages, angioplasties percutanées), diabète, orthopnée, pression veineuse centrale, crépitations pulmonaires, signe du godet, galop cardiaque S3
  • facteurs prédictifs significatifs de diagnostic d’insuffisance cardiaque : en régression logistique univariée, RX Thorax pour un index cardiothoracique > 0,55 versus ≤ 0,55, ECG anormal versus normal, BNP > 400 pg/ml versus < 100 pg/ml
  • ajout de ces facteurs prédictifs au modèle « clinique » : statistique C passant à 0,84 (p<0,0001) si ajout de la RX Thorax, à 0,85 (p<0,0001) si ajout de l’ECG, ou à 0,92 (p<0,0001) si ajout du test BNP
  • pas de modification de la précision diagnostique en cas d’ajout d’une RX Thorax ou d’un ECG au modèle « clinique » + BNP
  • validation externe : précision diagnostique du modèle « clinique » + BNP de 0,91.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la détermination de la BNP est une valeur diagnostique importante en complément des symptômes et signes cliniques chez des patients avec suspicion d’insuffisance cardiaque en première ligne de soins. Un recours unique aux valeurs de BNP avec les valeurs seuils actuellement recommandées est cependant insuffisant pour poser un diagnostic fiable d’insuffisance cardiaque.

Financement de l’étude

Non mentionné.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse sur données individuelles est méthodologiquement bien élaborée. Pour construire leur modèle de diagnostic de l’insuffisance cardiaque, les chercheurs ont utilisé les données de 2 études en première ligne de soins incluant de semblables populations, système de dispensation des soins, protocoles et mesures de BNP. Les auteurs insistent sur le fait qu’il s’agit d’une population de première ligne avec suspicion d’insuffisance cardiaque. Leur choix d’études déterminant la BNP et non la NT-proBNP n’est pas mentionné. La NT-proBNP pourrait avoir un avantage théorique, concernant une molécule plus stable, avec un temps de demi-vie plus long. Aucune étude n’a cependant montré une telle différence entre les 2 tests dans la pratique clinique (3,4).

Dans les deux études, le diagnostic d’insuffisance cardiaque est finalement posé par un panel d’experts qui se basent sur le guide de pratique pour l’insuffisance cardiaque de l’European Society of Cardiology. Il n’y a malheureusement pas de distinction entre les différentes classes d’insuffisance cardiaque. Les données diagnostiques sont analysées en régression uni et multivariée. Une analyse de la puissance ne figure pas dans la publication. Des patients avec données incomplètes ont été inclus et les auteurs ont recours à une technique d’imputation pour les données manquantes, ce qui pourrait diminuer la fiabilité de la précision ; le nombre de données manquantes est cependant acceptable (< 5%).

Le modèle diagnostique le plus précis est finalement évalué par rapport à une autre étude, avec protocole et prévalence d’insuffisance cardiaque (34%) semblables, ce qui relève la fiabilité des résultats.

 

Interprétation des résultats

Suivant les résultats de cette étude, un diagnostic clinique augmenté d’un test BNP, d’un ECG ou d’une RX Thorax est plus performant que la seule clinique. Les auteurs ne donnent cependant pas d’intervalles de confiance. Ils ne précisent également pas si les différences observées entre les différents ajouts au test « clinique » (BNP, ECG ou RX Thorax) sont statistiquement significatives. Une statistique C de 0,92 est calculée pour le test « clinique » + BNP, ce qui en fait un instrument fort discriminant et conforte l’algorithme diagnostique proposé dans la RBP belge (1). De nombreux autres guides de pratique reconnaissent l’importance de la mesure de la BNP pour le diagnostic d’insuffisance cardiaque (2,5,6).

Il n’est pas évident de traduire la statistique C dans la pratique. Cette détermination ne permet pas d’exprimer une force excluante pour la mesure de la BNP. Une force excluante forte d’un test est importante pour la médecine générale avec un contexte de faible prévalence. Le choix de valeurs seuils de BNP est également important en pratique de médecine générale, pour limiter le pourcentage de faux négatifs à un niveau acceptable. Les auteurs comparent les valeurs seuils du guide de pratique européen (ESC (2) : < 100 pour absence d’insuffisance cardiaque et > 400 pg/ml pour une certitude d’insuffisance cardiaque) et ceux du NHG-standaard (5) (< 35 et > 100). Pour ces séries de valeurs seuils, 31% des patients demeurent en zone grise. Avec des valeurs seuils inférieures, le NHG-standaard obtient 4% de faux négatifs en moins (1% versus 5%) mais, par contre, 19% de faux positifs en plus (27% versus 8%). Il faut souligner que même en cas de valeurs élevées de BNP, une échographie doit encore être pratiquée pour distinguer insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection préservée des cas où elle ne l’est pas. Un traitement d’une insuffisance cardiaque n’en modifie le pronostic qu’en cas de fraction d’éjection non préservée (1).

 

Autres études

Nous avons, dans la revue Minerva, analysé l’intérêt de la mesure de la BNP mais uniquement pour le suivi d’une insuffisance cardiaque (7). La valeur diagnostique de la BNP a déjà fait l’objet de nombreuses études (8) mais cette étude-ci est la première à évaluer la valeur diagnostique complémentaire de cette détermination versus examen clinique et anamnèse en première ligne de soins.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude conclut que la détermination de la BNP a une valeur diagnostique en ajout à l’anamnèse et à l’examen clinique pour le diagnostic d’une insuffisance cardiaque chronique en médecine générale. Cette étude ne permet pas de calculer la force excluante de ce test ni de la RX Thorax ni de l’ECG.

 

Pour la pratique

Selon la RBP belge (1), un score MICE (Man, history of myocardial Infarction, basal Crepitations, ankle oEdema) ou une anamnèse suggestive associée à des symptômes typiques ET à la présence simultanée d’un choc de pointe déplacé/élargi, de crépitations pulmonaires, d’un troisième bruit cardiaque et d’une augmentation de la pression veineuse centrale rendent le diagnostic d’insuffisance cardiaque plus probable (GRADE 1C).

Les patients suspects d’insuffisance cardiaque doivent bénéficier, sauf exceptions, d’une échographie pour confirmer ce diagnostic (GRADE 2C). Si sur base de l’anamnèse et de l’examen clinique le diagnostic est douteux, une mesure de la BNP (ou NT-proBNP) est proposée, éventuellement précédée d’un ECG et d’une RX Thorax, pour exclure une insuffisance cardiaque (GRADE 2C).

Cette méta-analyse confirme l’intérêt de la mesure de la BNP en complément pour le diagnostic de l’insuffisance cardiaque en première ligne de soins. Ce test n’est actuellement pas remboursé (coût d’environ 35 euro).

 

 

Références

  1. Van Royen P, Boulanger S, Chevalier P, et al. Recommandation pour la Bonne Pratique. Insuffisance cardiaque chronique. SSMG 2012 (in press).
  2. Dickstein K, Cohen-Solal A, Filippatos G, et al; ESC Committee for Practice Guidelines (CPG). ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure 2008: the Task Force for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure 2008 of the European Society of Cardiology. Developed in collaboration with the Heart Failure Association of the ESC (HFA) and endorsed by the European Society of Intensive Care Medicine (ESICM). Eur Heart J 2008;29:2388-442.
  3. Clerico A, Fontana M, Zyw L, et al. Comparison of the diagnostic accuracy of brain natriuretic peptide (BNP) and the N-terminal part of the propeptide of BNP immunoassays in chronic and acute heart failure: a systematic review. Clin Chem 2007;53:813-22.
  4. Vanderheyden M, Bartunek J, Claeys G, et al. Head to head comparison of N-terminal pro-B-type natriuretic peptide and B-type natriuretic peptide in patients with/without left ventricular systolic dysfunction. Clin Biochem 2006;39:640-5.
  5. Hoes AW, Voors AA, Rutten FH, et al. NHG-Standaard Hartfalen (tweede herziening). Huisarts Wet 2010:53:368-89.
  6. National Clinical Guideline Centre. (2010) Chronic heart failure: the management of chronic heart failure in adults in primary and secondary care. London: National Clinical Guideline Centre. Available from: http://guidance.nice.org.uk/CG108/Guidance/pdf/English
  7. De Keulenaer G. Insuffisance cardiaque chronique : modifier le traitement en fonction du BNP ? MinervaF 2011;10(1):2-3.
  8. Mant J, Doust J, Roalfe A, et al. Systematic review and individual patient data meta-analysis of diagnosis of heart failure, with modelling of implications of different diagnostic strategies in primary care. Health Technol Assess 2009;13:1-207.
Un test BNP pour le diagnostic de l’insuffisance cardiaque chronique ?

Auteurs

Koeck P.
huisarts Antwerpen, medewerker Commissie Richtlijnen Domus Medica
COI :

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