Revue d'Evidence-Based Medicine



Pas d’apixaban pour les patients immobilisés par une pathologie médicale



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 2 Page 23 - 24

Professions de santé


Analyse de
Goldhaber SZ, Leizorovicz A, Kakkar AK, et al; ADOPT Trial Investigators. Apixaban versus enoxaparin for thromboprophylaxis in medically ill patients. N Engl J Med 2011;365:2167-77.


Question clinique
Chez des patients d’au moins 40 ans hospitalisés au moins 3 jours pour une pathologie médicale et à risque thrombo-embolique, quelles sont l’efficacité et la sécurité de l’apixaban (2 x 2,5 mg par jour durant 30 jours) versus énoxaparine (40 mg par jour durant 6 à 14 jours) ?


Conclusion
Cette étude ne montre, chez des patients hospitalisés pour raison médicale et à risque de thrombo-embolie veineuse, aucune plus-value significative d’un traitement long (environ 25 jours) d’apixaban 2,5 mg 2 x/j PO versus énoxaparine 40 mg/j SC pendant environ 7 jours pour la prévention d’incidents thrombo-emboliques veineux ; elle montre par contre que l’apixaban provoque davantage de saignements majeurs.


 

 

Contexte

La prévention des thrombo-embolies en cas de fibrillation ou en péri-opératoire est actuellement bien codifiée et souvent appliquée. Pour des patients à risque et hospitalisés pour une pathologie médicale aiguë, une prévention à l’hôpital et lors de leur retour (rapide) au domicile était recommandée (1) mais les dernières recommandations reviennent fortement sur cette proposition (2). En cas de décision d’instaurer une prévention, le choix est une HBPM, une héparine non fractionnée ou le fondaparinux. L’arrivée des nouveaux anticoagulants oraux (rivaroxaban, dabigatran, apixaban) risque-t-elle de modifier la pratique dans cette indication ? L’étude ADOPT avec l’apixaban est la première à être publiée pour éclairer cette question.

 

Résumé

Population étudiée

  • randomisation de 6 528 patients, des 2 sexes, âgés d’au moins 40 ans, avec hospitalisation prévue pour au moins 3 jours, pour insuffisance cardiaque congestive (39%) ou insuffisance respiratoire aiguë (37%), ou alors (2ème situation) pour infection (sans choc septique, 21 à 22%), pathologie rhumatologique aiguë ou pathologie intestinale inflammatoire ET présentant dans cette deuxième situation, au moins un autre facteur de risque thrombo-embolique (âge d’au moins 75 ans, antécédent de thrombo-embolie veineuse (TEV) (documentée ou avec anticoagulation ≥ 6 semaines, 4%), cancer (10%), IMC ≥ 30 (44%), estrogénothérapie (1%), insuffisance cardiaque (47%) ou respiratoire (51%) chronique) ; tous les patients devaient présenter une mobilité modérément (possibilité de se déplacer dans la chambre ou la salle de bain) ou sévèrement réduite (alité ou au fauteuil, 26 à 28%))
  • critères d’exclusion principaux : TEV documentée, anticoagulant requis, hépatopathie active, anémie ou thrombocytopénie, insuffisance rénale sévère, prise de ≥ 2 antiagrégants ou de > 165 mg/j d’aspirine, chirurgie dans les 30 jours précédents avec risque hémorragique, avec saignement actif ou à haut risque (échelle d’évaluation non mentionnée)
  • données évaluées pour 4 495 patients pour le critère primaire d’efficacité au jour 30.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle, contrôlée avec double placebo, multicentrique, internationale, de supériorité (critère primaire) et de non infériorité (premier critère secondaire)
  • intervention : soit apixaban oral 2 x 2,5 mg/jour durant 30 jours (3 255 sujets randomisés, 2211 évalués pour l’efficacité), soit énoxaparine SC 40 mg/j durant 6 à 14 jours (3 273 patients randomisés, 2 284 évalués)
  • examen systématique ultrasonique avec compression de 5 jours avant à 14 jours après la sortie d’hôpital et à 30 jours
  • suivi : 30 jours de traitement puis 60 jours
  • analyse « en intention de traiter » très modifiée.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire composite : dans les 30 jours, incidence de décès lié à une thrombo-embolie veineuse, embolie pulmonaire fatale ou non, thrombose veineuse profonde symptomatique ou thrombose veineuse profonde proximale asymptomatique dans le membre inférieur (à l’échographie)
  • critères secondaires : composite (toutes les TEV et les décès liés à une TEV durant la période du traitement parentéral), thrombose veineuse profonde (TVP) symptomatique, embolie pulmonaire non fatale durant les 60 jours de suivi, décès durant les 30 jours de traitement ou les 90 jours
  • critère de jugement primaire de sécurité : saignements majeurs
  • autres critères de sécurité : saignements, cliniquement pertinents mais non majeurs, tout saignement, autres effets indésirables.

 

Résultats

  • critère primaire d’efficacité : 2,71% d’événements sous apixaban, 3,06% sous énoxaparine : Risque Relatif de 0,87 avec IC à 95% de 0,62 à 1,23 et p=0,44 donc pas de supériorité
  • pas de différence significative pour le critère secondaire composite et non infériorité non montrée (borne de non infériorité de 1,43 dépassée)
  • TVP symptomatique : 0,15% versus 0,49%, différence non significative
  • critère primaire de sécurité : saignement majeur chez 0,47% des patients sous apixaban et 0,19% des patients sous énoxaparine : RR de 2,58 avec IC à 95% de 1,02 à 7,24 et p=0,04
  • pas de différence significative pour les décès ni les autres effets indésirables que les saignements.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez des patients avec une pathologie médicale, une cure thrombo-prophylactique prolongée avec de l’apixaban n’est pas supérieure à une cure courte avec de l’énoxaparine. L’apixaban est associé à une augmentation significative d’événements hémorragiques majeurs versus énoxaparine.

 

Financement 

Firmes Bristol-Myers Squibb (BMS) et Pfizer

 

Conflits d’intérêt 

1 des auteurs est employé par BMS ; tous les autres déclarent avoir reçu des honoraires de différentes firmes à titres divers.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT paraît bien construite. Les auteurs ont bien calculé les échantillons nécessaires pour une puissance de 90% pour la supériorité pour le critère primaire et de 85% pour la non infériorité pour le premier critère secondaire (composite). La population nécessaire a été recrutée, avec randomisation correcte. Cependant, les résultats de plus d’un tiers des patients randomisés ne sont pas repris dans l’analyse d’efficacité, principalement par défaut d’échographie réalisée ou interprétable. Nous nous heurtons ici à la limite présente dans quasi toutes les études sur les thrombo-embolies veineuses : en voulant inclure dans les résultats d’efficacité des thromboses veineuses asymptomatiques mais identifiées à l’échographie (sans traduction clinique...), ce type de protocole nous fait perdre les enseignements des résultats cliniques réels des patients qui ont accepté de participer à ces études. L’adjudication des événements est réalisée de manière centrale, ce qui est adéquat. Le plus gros problème de cette étude est la discordance entre les durées de traitement prophylactique, non justifiée par les auteurs, ce qui fausse entièrement la comparaison.

 

Interprétation des résultats

Les patients ont, en fait, reçu 24,9 ± 10,0 jours d’apixaban ou 7,3 ± 4,0 jours d’énoxaparine. Malgré cette discordance entre les traitements préventifs, aucun bénéfice statistiquement significatif n’est enregistré en faveur de l’apixaban, mais avec une augmentation significative elle des saignements majeurs, dans une population soigneusement sélectionnée dont les patients à risque élevé de saignements ont été exclus. Pour le critère secondaire composite choisi par les auteurs (toutes les TEV et les décès liés à une TEV durant le traitement parentéral), donc durant la période de traitement effectif par les 2 médicaments, la non infériorité de l’apixaban versus énoxaparine n’est pas montrée ! Quand seuls les décès et les TE symptomatiques sont pris en considération, ce qui correspond à la réalité clinique quotidienne, le risque relatif est de 0,44 avec IC de 0,19 à 1,00 soit un résultat relativement imprécis et à la limite de la pertinence clinique pour un effet favorable mais ce résultat ne concerne pas l’ensemble de la population randomisée.

Les auteurs de l’étude ADOPT reconnaissent eux-mêmes que leur étude n’apporte pas les preuves de l’intérêt d’une prophylaxie prolongée dans une large population de patients hospitalisés pour raison médicale, prophylaxie prolongée après leur sortie d’hôpital. L’analyse de la courbe de Kaplan-Meier figurant dans cette publication montre en plus une absence d’une quelconque différence entre les 2 groupes jusqu’au jour 20 environ pour le critère primaire. Cette dernière observation, cumulée à l’absence de différence entre des traitements inégaux (25 jours d’apixaban versus 7 jours d’énoxaparine) n’incite vraiment pas à promouvoir un traitement par apixaban chez des patients hospitalisés pour raison médicale, ni à poursuivre ce traitement au domicile vu le risque de saignement.

 

Mise en perspective des résultats

Dans l’étude EXCLAIM (3) chez des patients hospitalisés pour pathologie médicale aiguë, une thrombo-prophylaxie (par énoxaparine) prolongée après hospitalisation a montré une moindre incidence de thrombo-embolie veineuse mais avec une incidence accrue de saignements majeurs.

Dans l’étude MAGELLAN dont les résultats ont été présentés lors d’un congrès (4), une thrombo-prophylaxie prolongée avec du rivaroxaban 10 mg 1x/j est également comparée à une prévention de courte durée (6 à 14 jours) avec de l’énoxaparine 40 mg/j (puis placebo). Une incidence moindre d’événements thrombo-emboliques est observée sous rivaroxaban (HR de 0,77 ; IC à 95% de 0,62 à 0,96 ; p=0,02) mais également avec une incidence accrue de saignements majeurs et non majeurs mais cliniquement pertinents versus énoxaparine, même durant la période des jours 1 à 10.

Une récente revue de la littérature (5) montre qu’une prophylaxie par héparine (non fractionnée ou HBPM) ou fondaparinux n’a pas d’effet sur la mortalité, peut réduire les embolies pulmonaires (4 événements évités (IC de -6 à -1) pour 1000 patients traités) mais augmente le risque de saignements (9 événements (IC de 2 à 18) pour 1 000 patients traités) et de saignements majeurs (1 pour 1000, IC de 0 à 4), absence de diminution significative de TVP, avec donc un bénéfice net faible ou absent. Elle montre, élément nouveau aussi, l’absence de bénéfice mais les effets indésirables (lésions cutanées) d’une prophylaxie mécanique.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude ne montre, chez des patients hospitalisés pour raison médicale et à risque de thrombo-embolie veineuse, aucune plus-value significative d’un traitement long (environ 25 jours) d’apixaban 2,5 mg 2 x/j PO versus énoxaparine 40 mg/j SC pendant environ 7 jours pour la prévention d’incidents thrombo-emboliques veineux ; elle montre par contre que l’apixaban provoque davantage de saignements majeurs.

 

Pour la pratique

Si jusqu’à récemment les guides de pratique (1) recommandaient une thrombo-prophylaxie par héparine ou assimilé (HBPM, fondaparinux) chez les patients hospitalisés pour raison médicale et à risque de thrombo-embolie, prophylaxie parfois poursuivie jusqu’à 30 jours après la sortie d’hôpital (6), une synthèse réactualisée de la littérature (5) montre que le bénéfice est faible avec un risque hémorragique significatif. Sur cette base, le guide de pratique étatsunien le plus récent (2) recommande de bien évaluer et le risque de thrombo-embolie (pas d’échelle de score validée !) et le risque de saignement (pas de score validé) et de ne prescrire ce traitement que si le risque de saignement n’est pas supérieur au bénéfice potentiel, qui par ailleurs est (très) faible selon la littérature. La durée du traitement (e.a. après la sortie de l’hôpital) n’est pas déterminée. Des directives précises pour la pratique ne peuvent être extraites de telles recommandations et nous pouvons conclure que le bénéfice net d’une anticoagulation dans cette indication est incertain et doit être individuellement pesé et discuté.

L’apixaban ne montre aucun bénéfice versus énoxaparine dans cette indication tout en augmentant le risque de saignement.

 

Références

  1. Geerts WH, Bergqvist D, Pineo GF, et al. Prevention of venous thromboembolism: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines (8th Edition) Chest 2008;133;381S-453S.
  2. Qaseem A, Chou R, Humphrey LL, et al; Clinical Guidelines Committee of the American College of Physicians. Venous thromboembolism prophylaxis in hospitalized patients: a clinical practice guideline from the American College of Physicians. Ann Intern Med 2011;155:625-32.
  3. Hull RD, Schellong SM, Tapson VF, et al; EXCLAIM (Extended Prophylaxis for Venous ThromboEmbolism in Acutely Ill Medical Patients With Prolonged Immobilization) study. Extended-duration venous thromboembolism prophylaxis in acutely ill medical patients with recently reduced mobility: a randomized trial. Ann Intern Med 2010;153:8-18.
  4. Rivaroxaban compares favorably with enoxaparin in preventing venous thromboembolism in acutely ill patients without showing a net clinical benefit. Washington, DC: American College of Cardiology, April 5, 2011 (http://www.cardiosource.org/News-Media/Media-Center/News-Releases/2011/04/MAGELLAN.aspx).
  5. Lederle FA, Zylla D, MacDonald R, Wilt TJ. Venous thromboembolism prophylaxis in hospitalized medical patients and those with stroke: a background review for an American College of Physicians Clinical Practice Guideline. Ann Intern Med 2011;155:602-15.
  6. Wang L, Sengupta N, Baser O. Risk of venous thromboembolism and benefits of prophylaxis use in hospitalized medically ill US patients up to 180 days post-hospital discharge. Thromb J 2011;9:15.
Pas d’apixaban pour les patients immobilisés par une pathologie médicale



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