Revue d'Evidence-Based Medicine



Constipation liée aux opioïdes pour une douleur non cancéreuse : la méthylnaltrexone utile ?



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 1 Page 8 - 9

Professions de santé


Analyse de
Michna E, Blonsky ER, Schulman S, et al. Subcutaneous methylnaltrexone for treatment of opioid-induced constipation in patients with chronic, nonmalignant pain: a randomized controlled study. J Pain 2011;12:554-62.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité de la méthylnaltrexone pour traiter la constipation liée aux opioïdes chez des patients avec douleur chronique non cancéreuse ?


Conclusion
Cette étude montre l’efficacité à court terme d’une injection sous-cutanée de méthylnaltrexone chez des patients adultes avec douleur chronique non cancéreuse, traités par opioïde provoquant une constipation. Elle n’apporte pas de comparaison versus traitement laxatif optimalisé (et surtout préventif, instauré dès le début de l’administration d’opioïdes).


 

Contexte

Les opioïdes provoquent généralement une constipation, sans tolérance progressive contrairement à d’autres effets indésirables (nausées, vomissements) avec ces médicaments. La méthylnaltrexone, antagoniste sélectif des récepteurs µ aux opioïdes, administrée par voie sous-cutanée, possède l’indication traitement de la constipation liée aux opioïdes chez les patients présentant une pathologie à un stade avancé et relevant de soins palliatifs, lorsque la réponse aux laxatifs habituels a été insuffisante. Pour l’enregistrement de cette indication, les études ont inclus majoritairement des patients en fin de vie et espérance de vie limitée (1). Les opioïdes sont cependant de plus en plus fréquemment utilisés dans des douleurs chroniques non cancéreuses (2). Une nouvelle RCT avec la méthylnaltrexone concerne des patients prenant des opioïdes pour une douleur chronique non cancéreuse.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 460 patients ≥18 ans, souffrant d’une douleur chronique (≥ 2 mois) traitée par opioïdes depuis ≥ 1 mois (>50 mg/j depuis ≥14 jours), ayant moins de 3 selles spontanées (selles survenant sans recours à un laxatif dans les 24 heures précédentes - SSSR) par semaine et avec au moins 1 des signes et symptômes suivants : selles dures ou fragmentées, effort pour déféquer ou sensation de défécation incomplète
  • douleur chronique : lombalgies (60,4%), arthrose (8%), fibromyalgie (6,5%) et, moins fréquemment, cervicalgies, douleur des membres inférieurs, céphalées (y compris migraines), neuropathies, etc.
  • critères d’exclusion : maladie intestinale inflammatoire dans les 6 mois précédents, occlusion ou impaction intestinale documentée, anamnèse de rectorragies non liées à des hémorroïdes ou à des fissures, de cancer dans les 5 ans, de constipation chronique avant la morphinothérapie, d’abus d’alcool ou de drogue dans l’année précédente, en cas de prise précédente de méthylnaltrexone.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée, en double aveugle, multicentrique
  • intervention : A. méthylnaltrexone (MN) sous-cutanée 12 mg 1x/j tous les jours (MN QD, n=150), ou B. tous les 2 jours avec placebo l’autre jour (MN 1j/2, n = 148), ou C. un placebo (n=162) ; 1 injection quotidienne pour tous les participants
  • seul autre laxatif autorisé en cours d’étude : bisacodyl (max 4 co en 1 fois par 24 h) en cas d’absence de selles durant 3 jours
  • 4 semaines d’étude.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires (séquentiels) : proportion de patients avec 1 selle spontanée (SSSR) dans les 4 heures post administration, pourcentage d’injections efficaces (SSSR dans les 4 heures) par patient
  • critères de jugement secondaires : délai de SSSR post injection, modification de SSSR par semaine, amélioration au Bristol Stool Form Scale scores, pour les efforts de défécation (score de 0 à 4) et la sensation de défécation incomplète (0 ou 1)
  • autres critères : intensité de la douleur, arrêt des opioïdes, qualité de vie (PAC-QoL)
  • analyse en ITT modifiée (prise d’au moins 1 dose).

 

Résultats

  • 388 patients traités au terme de la RCT (=84%)
  • critères primaires :
    • SSSR dans les 4 heures post injection : 34,2% avec la méthylnaltrexone (moyenne des bras A + B) et 9,9% sous placebo, p<0,001, NNT = 1/RAR *100.">NST 4
    • pourcentage d’injections suivies d’une SSSR : 28,9% pour le groupe A (MN QD), pour le groupe B (MN 1j/2) 30,2% le jour d’administration de MN et 9,3% le jour d’administration du placebo et 9,4% pour le groupe C (placebo), soit différences significatives MN versus placebo (p<0,001).
  • critères secondaires :
    • délai pour la première SSSR : 46% sous MN dans les 24 h versus 25,3% sous placebo
    • nombre de SSSR par semaine : 3,1 sous MN QD (p<0,001 vs placebo), 2,1 sous MN 1j/2 (p = 0,01 vs placebo) et 1,5 sous placebo
    • nombre de patients avec ≥ 3 SSSR par semaine : 58,7% sous MN QD (NST 5), 45,3% sous MN 1j/2 (NST 14), 38,3% sous placebo
  • autres : PAC-Qol : amélioration moyenne plus importante vs valeurs initiales sous MN : 0,74 sous MN QD, 0,59 sous MN 1j/2, 0,39 sous placebo.
  • sécurité : effets indésirables plus fréquents sous méthylnaltrexone : douleur abdominale (principal motif de sortie d’étude), diarrhée, nausées, hyperhidrose.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’ils présentent des données montrant que l’administration de méthylnaltrexone 12 mg en sous-cutané tous les jours ou tous les 2 jours soulage significativement une constipation induite par les opioïdes (CIO) et est généralement bien tolérée chez des patients présentant une douleur chronique non cancéreuse. Ces résultats permettent d’élargir l’efficacité d’un tel traitement de la CIO chez des patients avec une maladie fort évoluée à une population plus large.

Financement

Firme Wyeth, acquise par la firme Pfizer en 2009 ; la firme Pfizer (commercialisant la méthylnaltrexone) a financé la rédaction du manuscrit et le support éditorial.

 

Conflits d’intérêt 

6 des 8 auteurs sont employés par la firme Pfizer.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude présente des aspects méthodologiques adéquats : calcul de l’échantillon pour une puissance de 95% pour les 2 critères primaires, randomisation avec séquence d’attribution et secret d’attribution corrects. Le choix des critères de jugement, par contre, prête à discussion : défécation dans les 4 heures post injection et pourcentage d’injections suivies de défécation dans les 4 heures. Il s’agit de 2 critères d’efficacité « immédiate » alors qu’il s’agit d’une affection typiquement chronique. La durée très courte de l’étude, 4 semaines, est beaucoup trop courte pour un problème de (très) longue durée (durée médiane de la constipation > 58 mois pour les patients inclus dans l’étude).

 

Interprétation des résultats

La population de cette étude est constituée de patients présentant une douleur chronique, et traités par morphine orale à la dose moyenne de 150 mg (écarts de 7,2 à 1 334,3 mg) par jour, avec en moyenne 1 seule selle spontanée par semaine. Les traitements laxatifs précédents l’inclusion ne sont pas décrits, leur efficacité non plus, et ils doivent être arrêtés pendant l’étude.

La nature de la douleur chronique est fort hétérogène (voir résumé). La prescription d’opioïdes ne paraît également pas toujours, a priori, particulièrement appropriée, par exemple en cas de migraine/céphalée.

Comme souligné au paragraphe précédent, l’évaluation concerne en premier lieu (critères primaires) le résultat « immédiat » de l’injection. Pour le critère plus utile pour le praticien, le nombre de patients avec au moins 3 selles spontanées par semaine, la différence en valeur absolue est de 20,4% de patients en plus sous MN QD (NST de 5) et de 7% sous MN 1j/2 (NST 14) versus placebo. La méthylnaltrexone n’a qu’un effet passager sur les récepteurs gastro-intestinaux, en antagonisme avec les opioïdes, les opioïdes reprenant ensuite leur effet « constipant ». La méthylnaltrexone a donc un effet répété à chaque administration mais non réellement « chronique » au sens de maintenu.

Pour la qualité de vie, sous méthylnaltrexone la différence versus valeur initiale ainsi que la différence MN versus placebo n’atteignent pas le seuil de pertinence clinique généralement admis de 1 point pour la PAC-QoL.

Le problème majeur est l’absence de comparaison avec un traitement par laxatifs optimalisé, ce qui ne permet pas de déterminer la pertinence clinique de ce médicament dans un contexte de douleur chronique non maligne.

 

Autres études

Plusieurs médicaments sont à l’étude ou sur le point d’être commercialisés pour le traitement de la constipation chronique, mais pas pour la constipation liée aux opioïdes. La méthylnaltrexone est par contre indiquée dans la constipation liée aux opioïdes chez les patients présentant une pathologie à un stade avancé et relevant de soins palliatifs, avec réponse insuffisante aux laxatifs. Dans ce type de population, une étude a montré (3) une efficacité limitée de la MN, sur 2 semaines de traitement, chez des patients avec pathologie terminale (environ 60% de cancers), la méthylnaltrexone entraînant significativement plus souvent qu’un placebo une défécation dans les 4 heures. Davantage de patients ont au moins 3 selles par semaine sous MN (68%) que sous placebo (45%, p=0,009 pour la différence), différence un peu plus favorable que dans cette étude-ci en cas de douleur chronique, mais avec le même pourcentage d’effets favorables d’un placebo. Une méta-analyse de la Cochrane évaluant l’efficacité des laxatifs et de la MN pour la constipation en soins palliatifs (4) confirme l’absence d’étude valide comparant différents laxatifs, et l’intérêt possible de la MN versus placebo, pour son effet « immédiat » tout en soulignant que sa sécurité est mal établie. Une association fixe d’un opioïde (chlorhydrate d’oxycodone) avec un agoniste des récepteurs morphiniques (naloxone) est également proposée. L’agence d’évaluation écossaise estime que le bénéfice clinique de cette association (coûteuse) n’est pas certain versus adjonction d’un traitement laxatif correct à un opioïde (5).

  

Effets indésirables

Dans l’étude chez des patients en phase terminale (3), les effets indésirables les plus fréquents de la méthylnaltrexone sont les douleurs abdominales, la flatulence, les nausées, la fièvre et les troubles d’équilibre. Dans cette étude en cas de douleur chronique non cancéreuse, ce sont les douleurs abdominales, la diarrhée, les nausées et l’hyperhidrose qui sont plus fréquentes. La pharmacovigilance canadienne a signalé des perforations digestives chez des patients ayant reçu de la méthylnaltrexone (6), davantage exposés en cas d’atteinte de la paroi intestinale (cancer, ulcère), de syndrome d’Ogilvie (dilatation colique sans ostacle), et de prise de médicaments exposant au risque de perforation (bévacizumab, AINS). La synthèse de la Cochrane (4) souligne la possibilité de survenue d’effets indésirables sévères : douleur abdominale, diarrhée sévère avec déshydratation et collapsus cardiovasculaire (1 cas).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude montre l’efficacité à court terme d’une injection sous-cutanée de méthylnaltrexone chez des patients adultes avec douleur chronique non cancéreuse, traités par opioïde provoquant une constipation. Elle n’apporte pas de comparaison versus traitement laxatif optimalisé (et surtout préventif, instauré dès le début de l’administration d’opioïdes).

 

Pour la pratique

Nous avons déjà insisté sur les usages inadéquats ou aberrants des opioïdes en cas de douleurs chroniques, avec risque d’addiction (2). Les consensus (7) et guidelines actuels (8) recommandent d’instaurer un traitement préventif de la constipation dès l’instauration d’un traitement opioïde. En cas de constipation sous opioïdes c’est une association d’un laxatif stimulant et d’un laxatif osmotique qui est recommandée (8). Suivant les résultats d’une méta-analyse plus récente (4), la méthylnaltrexone en SC pourrait avoir un intérêt à court terme (non évalué à moyen et à long terme) en cas d’échec des laxatifs chez des patients sous opioïdes et en phase terminale mais sa sécurité reste à évaluer à moyen et long terme ainsi que son retentissement éventuel sur la sédation de la douleur. Cette étude-ci montre un intérêt possible de la méthylnaltrexone en SC en cas de constipation sous opioïde administré pour une douleur chronique mais avec les mêmes limites que chez les patients en phase terminale.

La praticabilité de ce traitement (injection SC quotidienne) et son prix élevé (non remboursable hors soins palliatifs) sont des obstacles importants.

 

 

Références

  1. Méthylnaltrexone (Relistor®). Constipation sous morphinique : guère plus efficace qu’un placebo. Revue Prescrire (Bibliothèque online) 2009;29(305):172-1/172-4.
  2. Chevalier P, Le Polain B. Opioïdes et lombalgies chroniques : efficacité et sécurité. MinervaF 2007;6(7):98-9.
  3. Thomas J, Karver S, Cooney GA, et al. Methylnaltrexone for opioid-induced constipation in advanced illness. N Engl J Med 2008;358:2332-43.
  4. Candy B, Jones L, Goodman ML, et al. Laxatives or methylnaltrexone for the management of constipation in palliative care patients. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 1.
  5. Scottish Medicines Consortium. Oxycodone/naloxone 10mg/5mg and 20mg/10mg prolonged release tablets (Targinact®). No. (541/09). February 2009. http://www.scottishmedicines.org/files/oxycodonenaloxone(Targinact).pdf (consulté le 20 oct 2011).
  6. Méthylnaltrexone: perforations digestives. Rev Prescr 2010;30:742.
  7. Consensus de l’INAMI. L'usage efficient de médicaments dans le traitement de la douleur en soins ambulatoires. Rapport complet du jury. Bruxelles 22/11/2007.
  8. Clinical Knowledge Summaries (CKS). Palliative cancer care - constipation – Management. (consulté le 20 oct 2011)

 

 

Noms de marque

  • bromure de méthylnaltrexone : Relistor® sol injectable (SC)
  • chlorhydrate d’oxycodone + naloxone : Targinact® co.
Constipation liée aux opioïdes pour une douleur non cancéreuse : la méthylnaltrexone utile ?



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