Revue d'Evidence-Based Medicine



Une moindre consommation de sel prévient-elle les maladies cardiovasculaires ?



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 1 Page 4 - 5

Professions de santé


Analyse de
Taylor RS, Ashton KE, Moxham T, et al. Reduced dietary salt for the prevention of cardiovascular disease: a meta-analysis of RCT’s (Cochrane Review). Am J Hypertens 2011;24:843-53.


Question clinique
Chez des adultes issus d’une population générale, une moindre consommation de sel prévient-elle les pathologies cardiovasculaires ?


Conclusion
Cette étude ne permet pas d’exclure un effet globalement favorable d’une consommation de sel réduite, en termes de survenue de critères cardiovasculaires et de décès. L’avis de restreindre la consommation de sel chez les sujets avec pression artérielle élevée doit être maintenu.


 

Contexte

L’effet favorable d’une moindre consommation de sel sur les chiffres de pression artérielle est suffisamment prouvé, tant chez les jeunes que chez les plus âgés, tant chez les normotendus que chez les hypertendus (1,2). La controverse persiste cependant quant à son effet en termes de prévention à long terme des événements cardiovasculaires. Une méta-analyse dans ce domaine était la bienvenue.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse (Cochrane Collaboration)

Sources consultées

  • Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL), MEDLINE, EMBASE, CINAHL, psychInfo, Health Technology Assessment (HTA), Abstracts of Reviews of Effects (DARE) et CRD database de la Cochrane Collaboration ; jusqu’en octobre 2008
  • listes de référence des synthèses et des articles retenus.

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : RCTs avec suivi d’au moins 6 mois
  • intervention : réduction de l’apport de sel dans l’alimentation aussi bien dans le cadre de régimes stricts que d’avis diététiques moins sévères
  • contrôle : régime placebo ou absence d’intervention
  • critères d’exclusion : enfants âgés de moins de 18 ans, femmes enceintes, absence de mention de la mortalité globale ou des événements cardiovasculaires
  • sur les 3 035 études isolées, 7 sont finalement incluses.

Population étudiée

  • au total 6 491 sujets
  • 3 études incluant des sujets normotendus (pression normale haute) (n = 3 518), américains de race blanche, âgés en moyenne de 40 ans
  • 2 études incluant des sujets hypertendus (n = 758), principalement de différentes origines ethniques, d’un âge moyen de 66 ans
  • 1 étude incluant normo- (60%) et hypertendus (40% sans traitement) (n = 1 981), tous de sexe masculin et de race asiatique, d’un âge moyen de 75 ans
  • 1 étude de sujets italiens, âgés en moyenne de 73 ans, normotendus (PA de 125-6/82-3 mmHg), mais hospitalisés pour insuffisance cardiaque décompensée.

Mesure des résultats

  • critères primaires : mortalité globale et cardiovasculaire, morbidité cardiovasculaire (infarctus du myocarde fatal ou non, AVC, angor, insuffisance cardiaque, artériopathie périphérique, décès subit, CABG ou PTCA) et hospitalisation
  • critères secondaires : pression artérielle systolique et diastolique, excrétion urinaire sodique (ou autre méthode permettant d’évaluer la consommation de sel), qualité de vie.

Résultats

  • suivi de 6 à 71 mois post randomisation
  • critères primaires :
    • mortalité globale : diminution chez les normotendus (RR de 0,90 avec IC à 95% de 0,58 à 1,40) et chez les hypertendus (RR de 0,96 avec IC à 95% de 0,83 à 1,11)
    • morbidité cardiovasculaire : diminution chez les normotendus (RR de 0,71 avec IC à 95% de 0,42 à 1,20) et chez les hypertendus (RR de 0,84 avec IC à 95% de 0,57 à 1,24)
  • critères secondaires :
    • PAS et PAD : non significativement diminuées chez les normotendus ; chez les hypertendus, diminution significative de la PAS (-4,1 mmHg en moyenne ; IC à 95% de 0,7 à 7,3) avec diminution non significative de la PAD
    • mortalité totale : significativement augmentée par la restriction de sel chez les patients en insuffisance cardiaque : risque relatif est le quotient de deux risques (absolus), le risque dans le groupe exposé ou intervention et le risque dans le groupe contrôle. Dans une étude d’intervention, le risque relatif est une estimation de la probabilité que le résultat (par exemple survenue d’un décès) dans le groupe intervention soit autant de fois supérieur (RR > 1) ou inférieur (RR < 1) à celui observé dans le groupe contrôle. Le risque relatif n’a pas d’unité de mesure.">RR 2,59 avec IC à 95% de 1,04 à 6,44.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, malgré l’apport de davantage de données grâce à cette synthèse méthodique de RCTs (665 décès chez 6 250 participants) versus synthèses plus anciennes, la puissance est toujours insuffisante pour exclure une efficacité cliniquement pertinente d’une diminution de la consommation de sel en termes de mortalité et de morbidité cardiovasculaire. Les avantages limités d’une restriction sodique correspondent cependant à son efficacité minimale sur les critères de jugement cliniques qui peuvent être attribués à la diminution limitée des chiffres de pression artérielle.

Financement

UK NIHR Cochrane Collaboration Programme grant

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse repose sur une recherche dans la littérature correcte et objective, effectuée par deux chercheurs indépendamment l’un de l’autre. Les critères d’inclusion et d’exclusion sont bien décrits. La qualité des études est évaluée pour les critères : randomisation, secret d’attribution, mention des sorties d’étude et arrêts de traitement, insu, mention complète des résultats. Le secret d’attribution pose question dans 2 études et l’insu dans 3 études. Dans toutes les recherches, les bras d’étude sont initialement comparables et l’analyse est faite en intention de traiter. Les auteurs mentionnent qu’il n’était pas possible de réaliser un funnel plot à la recherche d’un biais de sélection en raison du nombre trop faible d’études.

Malgré la tentative des auteurs de sélectionner différents sous-groupes cliniquement homogènes (normotendus, hypertendus, insuffisants cardiaques) pour leurs analyses, une hétérogénéité statistique est régulièrement observée. Une seule étude (italienne) n’a pas recours à la mesure du sodium urinaire pour attester de l’observance à un régime sans sel.

Interprétation des résultats

Une précédente étude a montré qu’une réduction des chiffres de pression artérielle de 1 à 4 mmHg pouvait entraîner une réduction de la mortalité cardiovasculaire de respectivement 5% et 20% (3). Cette tendance est également observée dans cette recherche-ci mais le nombre de nouveaux événements cardiovasculaires est limité, ce qui ne donne pas de résultat statistiquement significatif pour le critère de jugement primaire. Cette constatation remet-elle en question la pertinence d’une restriction sodique dans la population générale ? Un résultat étonnant issu de cette synthèse méthodique est la surmortalité observée sous régime hyposodé dans l’étude concernant des patients avec insuffisance cardiaque sévère.

Mise en perspective des résultats

Une méta-analyse publiée en 2002 (4,5), qui incluait 11 études (n = 3 514) avec un suivi jusqu’à 5 ans n’avait pas une puissance suffisante pour montrer une efficacité d’une restriction sodée sur la morbidité et mortalité cardiovasculaires.

L’étude de cohorte de Cook et coll. en 2007 (6,7) apporte-t-elle plus de précisions ? Cette étude concernait un suivi durant 10 à 15 ans de 3 026 sujets âgés de 30 à 54 ans et présentant une pression artérielle normale haute. Elle a montré une diminution des événements cardiovasculaires de 25% : RR de 0,75 avec IC à 95% de 0,57 à 0,99 et p=0,04 en faveur d’une restriction sodée. La mortalité globale n’est pas modifiée ce qui peut indiquer qu’une restriction sodée n’est pas nuisible à long terme.

Une méta-analyse publiée en 2009 (8), incluant 13 études prospectives (n = 177 000) montre qu’une consommation de sel accrue est associée à un risque augmenté de faire un AVC : RR de 1,23 avec IC à 95% de 1,06 à 1,43. Les études d’observation présentaient cependant beaucoup de limites : absence de chiffre pour la mortalité globale, pas de corrélation entre l’ingestion de sel et la totalité des événements cardiovasculaires, quantité de sel ingérée non toujours contrôlée par son excrétion urinaire, composition hétérogène des populations étudiées et définition imprécise des critères de jugement. Le facteur confondant le plus important est cependant le fait que les participants étaient des volontaires motivés avec très vraisemblablement un style de vie globalement sain.

Une étude de cohorte étatsunienne prospective (9) inclut 12 267 adultes suivis en moyenne durant 14,8 ans et établit leur consommation de sel et de potassium sur base d’une enquête alimentaire. Elle montre qu’une ingestion accrue de sel est associée à une mortalité plus élevée : HR de 1,20 avec IC à 95% de 1,03 à 1,41 par 1 000 mg de sel par jour. Une ingestion accrue de potassium est également associée à une diminution de la mortalité globale : HR de 0,80 avec IC à 95% de 0,67 à 0,94 par 1 000 mg de potassium par jour).

La méta-analyse de Suckling (10) évalue l’efficacité d’une restriction sodée (minimum 2 g de sel en moins par jour qu’avant inclusion dans l’étude) sur la prévention et le traitement de la néphropathie diabétique. Pour les 13 études retenues (n = 254 dont 75 avec un diabète de type 1), la durée médiane d’intervention est d’une seule semaine. Une diminution médiane significative de l’excrétion urinaire sodique (145 mmol/urines de 24 h) correspond à une diminution de la PAS de 7,04 mmHg (IC à 95% de 8,71 à 5,38) et de la PAD de 3,03 mmHg (IC à 95% de 3,95 à 2,11). La durée limitée des études ne permet à nouveau pas de montrer une efficacité pertinente en termes d’événements cliniques, but initial de cette méta-analyse.

La publication récente de Staessen et coll. dans le JAMA (11) invite à une discussion passionnante. Les auteurs ont suivi durant 7,9 ans 3 681 personnes âgées en moyenne de 40 ans, sans antécédent cardiovasculaire, dont 2 096 étaient normotendus. L’excrétion urinaire sodique de 24 h est mesurée en début et en fin d’étude et, en fonction des chiffres, la cohorte est scindée en 3 groupes : excrétion faible, modérée ou haute. Etonnamment, l’incidence la plus faible de mortalité cardiovasculaire est observée dans le groupe avec l’excrétion la plus élevée. Cette association reste significative en évaluation multivariée. Une élévation significative de la PAS de 1,71 mmHg (p<0,001) est observée par 100 mmol de sodium urinaire supplémentaire. Cette étude remet donc en cause la recommandation d’une restriction sodée dans la population globale.

Cette synthèse de la littérature disponible montre la persistance d’un dilemme pour ce qui concerne une alimentation pauvre en sel. Pour sortir de cette controverse, il faudrait une grande étude de bonne qualité et avec un long suivi, permettant de définir des groupes spécifiques pouvant ou non tirer un bénéfice d’une restriction sodée.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude ne permet pas d’exclure un effet globalement favorable d’une consommation de sel réduite, en termes de survenue de critères cardiovasculaires et de décès. L’avis de restreindre la consommation de sel chez les sujets avec pression artérielle élevée doit être maintenu.

 

Pour la pratique

Une alimentation pauvre en sel (passage de 10 gr/j, qui est la consommation modale, à 5 gr/j) représente une mesure thérapeutique non médicamenteuse importante chez des patients avec hypertension artérielle (12). La méta-analyse ici commentée ne remet pas cette recommandation en question. A un niveau de population, une restriction sodée reste controversée pour ce qui concerne la prévention des événements cardiovasculaires.

 

Références

  1. He FJ, MacGregor GA. Effect of longer-term modest salt reduction on blood pressure. Cochrane Database Syst Rev 2004, Issue 3.
  2. De Cort P. Het effect van gewichtsverlies en zoutbeperking op hypertensie bij ouderen. Minerva 1998;27(3):329-31.
  3. MacMahon S, Peto R, Cutler J, et al. Blood pressure, stroke, and coronary heart disease. Part 1, Prolonged differences in blood pressure: prospective observational studies corrected for the regression dilution bias. Lancet 1990;335:765-74.
  4. Hooper L, Bartlett C, Smith GD, Ebrahim S. Systematic review of long term effects of advice to reduce dietary salt in adults. BMJ 2002;325:628-36.
  5. De Cort. Régime sans sel : efficace à long terme ? MinervaF 2004;3(5):82-4.
  6. Cook NR, Cutler JA, Obarzanek E, et al. Long term effects of dietary sodium reduction on cardiovascular disease outcomes: observational follow-up of the trials of hypertension prevention (TOHP). BMJ 2007;334:885-8.
  7. De Cort P. Restriction sodée : quelle efficacité sur le risque cardiovasculaire à long terme ? MinervaF 2007;6(9):138-9.
  8. Strazzullo P, D’Elia L, Kandala NB, Cappuccio FP. Salt intake, stroke and cardiovascular disease: meta-analysis of prospective studies. BMJ 2009;339:b4567.
  9. Yang Q, Liu T, Kuklina E, et al. Sodium and potassium intake and mortality among US adults: prospective data from the Third National Health and Nutrition Examination Survey. Arch Intern Med 2011;171:1183-91.
  10. Suckling RJ, He FJ, Macgregor GA. Altered dietary salt intake for preventing and treating diabetic kidney disease. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 12.
  11. Stolarz-Skrzypek K, Kuznetsova T, Thijs L, et al; European Project on Genes in Hypertension (EPOGH) Investigators. Fatal and nonfatal outcomes, incidence of hypertension and blood pressure changes in relation to urinary sodium excretion. JAMA 2011; 305:1777-85.
  12. De Cort P, Christiaens T, Philips H, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering Hypertensie (herziening). Huisarts Nu 2009;9:340-61.
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