Revue d'Evidence-Based Medicine



Une thérapie comportementale cognitive peut-elle prévenir les récidives cardiovasculaires ?



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 10 Page 125 - 126

Professions de santé


Analyse de
Gulliksson M, Burell G, Vessby B et al. Randomized controlled trial of cognitive behavioral therapy vs standard treatment to prevent recurrent cardiovascular events in patients with coronary heart disease: Secondary Prevention in Uppsala Primary Health Care project (SUPRIM). Arch Intern Med 2011;171:134-40.


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’une intervention de groupe basée sur une thérapie comportementale cognitive versus traitement de référence seul en termes de récidives d’événements cardiovasculaires chez des patients de maximum 75 ans après un traitement pour une pathologie coronarienne ?


Conclusion
Cette étude permet de conclure à une diminution cliniquement pertinente du risque de récidive d’un événement cardiovasculaire ou d’un infarctus du myocarde spécifiquement grâce à un programme de groupe basé sur une thérapie comportementale cognitive chez des patients ayant présenté un incident coronarien. Cette étude ne permet pas de déterminer l’effet propre à la thérapie comportementale.


 

Contexte

Il existe quelques preuves que des facteurs psychosociaux augmentent le risque de survenue d’une pathologie coronarienne (1). Plusieurs interventions psychologiques visant à réduire le risque de récidive ont été évaluées mais une méta-analyse récente (2) montre que leur efficacité est incertaine. Cette nouvelle étude évalue si, après un incident coronarien, un traitement en groupe basé sur une thérapie comportementale cognitive peut prévenir une récidive cardiovasculaire.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 362 sujets, hommes (n=277) et femmes (n=85) âgés de maximum 75 ans (âge moyen de 61-62 ans) ; sortis d’un hôpital universitaire (Uppsala, Suède) après un traitement pour infarctus myocardique aigu, un pontage (CABG) ou une angioplastie (PTCA) coronaire
  • critères d’inclusion : état de santé autorisant un suivi par un médecin généraliste dans l’année post sortie de l’hôpital, habiter suffisamment près de l’hôpital, parler suédois
  • critères d’exclusion : non mentionnés.

 

Protocole d’étude

  • RCT non en insu
  • intervention : traitement de référence + thérapie comportementale cognitive (TCG) en groupe (n=192) versus traitement de référence seul (n=170)
  • TCG en groupe : 5 à 9 participants, 20 sessions de 2 heures, sur un an ; hommes et femmes dans des groupes séparés, séances centrées sur l’apprentissage de stratégies de coping émotionnelles et comportementales de gestion du stress ; piliers de ce programme : psychoéducation, autosurveillance, apprentissage de compétences, restructuration cognitive, développement spirituel
  • intervention d’au moins 3 mois et au plus tard 1 an après la sortie
  • mesures aux mois 5-12-18 et 24.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : récidive d’un événement cardiovasculaire avec ou sans décès, récidive d’un infarctus du myocarde, mortalité totale
  • critère secondaire : qualité de vie
  • collecte des données : via le registre national des hospitalisations et le registre national des décès (avec résultats d’éventuelles autopsies)
  • analyse en intention de traiter et en modèle de hasards proportionnels de Cox.

 

Résultats

  • mortalité globale : pas de différence significative entre les groupes
  • récidive d’événement cardiovasculaire : 41% moindre sous TCG : HR 0,59 avec IC à 95% de 0,42 à 0,83 et p=0,002 ; NST=9
  • récidive d’infarctus du myocarde : 45% moindre sous TCG : HR 0,55 avec IC à 95% de 0,36 à 0,85 et p=0,007 ; NST=10
  • résultats semblables pour les hommes et les femmes
  • effet de la TCG augmentant avec le nombre de sessions.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’un programme basé sur une thérapie comportementale cognitive diminue le risque de récidive d’un événement cardiovasculaire ou d’infarctus du myocarde. Cette observation pourrait avoir des implications dans les programmes de prévention secondaire post incident coronarien.

Financement

Subsides d’institutions officielles et universitaires ; les sponsors ne sont impliqués ni dans le dessin, ni dans la collecte, l’analyse ou l’interprétation des données, ni dans la rédaction du manuscrit.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le dessin de l’étude se limite à une comparaison entre un traitement de référence seul et un ajout à celui-ci d’une thérapie comportementale cognitive en groupe. Il aurait été plus instructif d’avoir un troisième bras d’étude avec ajout d’une autre intervention au traitement de référence, par exemple des réunions de groupe de parole ou de pratique de sport. Un tel protocole aurait permis de préciser l’effet propre de l’intervention comportementale cognitive versus l’effet groupe.

La méthodologie de l’étude est par ailleurs correcte. La randomisation et le secret d’attribution sont bien décrits et respectés. Les caractéristiques initiales sont semblables dans les deux bras pour les variables sociodémographiques, l’hygiène et les habitudes de vie, les variables somatiques et le recours à des médicaments. Une estimation de la puissance d’étude a été faite, mais le nombre de patients à inclure n’a pas été atteint. Une analyse a été faite en modèle de régression proportionnelle de Cox, en tenant compte de différentes variables.

 

Interprétation des résultats

Les auteurs font l’hypothèse initiale que l’acquisition de compétences de coping permet de réduire la réactivité émotionnelle ce qui diminuerait la charge psychophysiologique sur le système cardiovasculaire. Plusieurs modèles ont été élaborés (3) et des recherches sur des facteurs de vulnérabilité possible réalisées (4,5) concernant un lien entre événements coronariens et émotion. Certains auteurs se sont plus attardés sur les facteurs protecteurs (6). Les études évaluant l’efficacité d’interventions psychologiques spécifiques ont, à ce jour, livré des résultats contradictoires (2). La présente RCT montre qu’une thérapie comportementale cognitive en groupe peut faire diminuer le nombre de récidives cardiovasculaires chez des patients recevant aussi un traitement de référence post incident coronarien. Un NST de 10 pour prévenir une récidive d’infarctus du myocarde peut être considéré comme cliniquement pertinent.

Comme énoncé au précédent paragraphe, le dessin de l’étude ne permet pas de spécifier l’effet propre à la thérapie comportementale ; la composante groupe peut avoir été prépondérante. Une comparaison n’est pas possible versus programme de revalidation physique, comportant souvent un volet comportemental cognitif, ni versus thérapie comportementale cognitive individuelle. Les résultats sont aussi probablement difficilement extrapolables dans la pratique, au vu de l’observance élevée dans cette étude : la participation est de 85% par session et seuls 4,2% des patients suivent moins de la moitié des sessions. Une relation linéaire forte est observée entre la présence lors des sessions et l’ampleur de l’efficacité. Des soins et une attention plus intensifs ont sans doute, par eux-mêmes, une certaine efficacité. Tous ces éléments invitent à s’interroger, d’autant plus quand la lourdeur de l’accompagnement logistique et de formation des soignants d’une telle intervention est considérée. D’autres recherches devront préciser si des interventions d’un niveau moins exigeant (par ex. activités sportives, groupes de self help) peuvent avoir une efficacité similaire.

 

Autres études

L’étude d’Eshah (7) a montré qu’une éducation psychologique peut, à elle seule, augmenter le niveau de connaissances sans pour autant conduire à une modification de comportement. La synthèse d’Albus (8) a conclu à la nécessité d’une intervention multimodale ciblant le coping avec l’affection. Comme la synthèse méthodique de la Cochrane de Rees (2), ces auteurs concluent au manque de preuve nette actuelle sur des critères cardiovasculaires forts. L’étude d’Eshash (7), avec de meilleurs dessin et qualité méthodologiques, montrait cependant une efficacité cliniquement pertinente d’une thérapie comportementale cognitive dans le cadre d’un programme d’intervention en groupe. Le dernier mot reste à écrire… Williams et coll. (9) ont par exemple montré la différence de rapport entre stress et effets somatiques selon l’ethnie.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude permet de conclure à une diminution cliniquement pertinente du risque de récidive d’un événement cardiovasculaire ou d’un infarctus du myocarde spécifiquement grâce à un programme de groupe basé sur une thérapie comportementale cognitive chez des patients ayant présenté un incident coronarien. Cette étude ne permet pas de déterminer l’effet propre à la thérapie comportementale.

 

Pour la pratique

Selon un rapport récent du Centre d’Expertise Fédéral (10), il est recommandé que tout patient qui a subi une intervention coronaire ou qui sort d’une hospitalisation pour affection coronaire puisse bénéficier d’un programme d’exercices approprié. Des sessions complémentaires d’accompagnement peuvent être prévues en vue d’améliorer le profil de risque cardiovasculaire et concerner le régime, l’aide à l’arrêt du tabac, la gestion du stress. Tous les programmes peuvent être exécutés aussi bien en pratique ambulatoire que dans les centres de revalidation cardiaque reconnus. La tâche principale des médecins généralistes est d’encourager leurs patients à suivre de tels programmes de revalidation. Cette étude-ci ne remet pas en cause les recommandations établies.

 

 

Références

  1. Yusuf S, Hawken S, Ounpuu S, et al; INTERHEART Study Investigators. Effect of potentially modifiable risk factors associated with myocardial infarction in 52 countries (the INTERHEART study): case-control study. Lancet. 2004;364:937-52.
  2. Rees K, Bennett P, West R, et al. Psychological interventions for coronary heart disease. Cochrane Database Syst Rev. 2004, Issue 2.
  3. Stapelberg NJ, Neumann DL, Shum DH, et al. A topographical map of the causal network of mechanisms underlying the relationship between major depressive disorder and coronary heart disease. Aust N Z J Psychiatry 2011;45:351-69.
  4. Denollet J, Brutsaert DL. Reducing emotional distress improves prognosis in coronary heart disease: 9-year mortality in a clinical trial of rehabilitation. Circulation 2001;104:2018-23.
  5. Talala KM, Huurre TM, Laatikainen TK, et al. The contribution of psychological distress to socio-economic differences in cause-specific mortality: a population-based follow-up of 28 years. BMC Public Health 2011;11:138.
  6. Low CA, Thurston RC, Matthews KA. Psychosocial factors in the development of heart disease in women: current research and future directions. Psychosom Med 2010;72:842-54.
  7. Eshah NF, Bond AE, Froelicher ES. The effects of a cardiovascular disease prevention program on knowledge and adoption of a heart healthy lifestyle in Jordanian working adults. Eur J Cardiovasc Nurs 2010;9:244-53.
  8. Albus C. Psychological and social factors in coronary heart disease. Ann Med 2010;42:487-94.
  9. Williams ED, Steptoe A, Chambers JC, Kooner JS. Ethnic and gender differences in the relationship between hostility and metabolic and autonomic risk factors for coronary heart disease. Psychosom Med 2011;73:53-8.
  10. Van Vlaenderen I,Worrall J, Raza S, et al. Rééducation cardiaque: efficacité clinique et utilisation en Belgique. Health Services Research (HSR). Bruxelles: Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE). 2010. KCE Reports 140
Une thérapie comportementale cognitive peut-elle prévenir les récidives cardiovasculaires ?

Auteurs

Rogiers R.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
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